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I. 1 RAPPORT SCIENTIFIQUE
A. ETAT DES DOMAINES DE RECHERCHE DU LABORATOIRE
ET DEBATS AU NIVEAU INTERNATIONAL
Les recherches menées au CEVIPOF s'inscrivent dans plusieurs domaines de
recherche au niveau international :
1. Les attitudes, comportements et forces politiques
2. Le domaine de la policy analysis
3. L’analyse de la pensée politique et de l’histoire des idées
A.1. ATTITUDES, COMPORTEMENTS, FORCES POLITIQUES
Ce pôle, le plus ancien du laboratoire, articule trois champs de recherche, portant
respectivement sur les comportements politiques, électoraux et non électoraux, sur les
transformations de l'offre politique en particulier avec l'évolution des systèmes partisans et
leur mise en concurrence avec d'autres formes de médiation, et enfin sur les systèmes
symboliques - représentations, attitudes, valeurs - qui donnent sens à la politique, tant du
point de vue des producteurs de cadres idéologiques que de celui des récepteurs.
Dans le domaine de l’écologie électorale et de l’analyse quantitative des enquêtes par
sondage, un des points forts du CEVIPOF, la tendance est à reconsidérer la « rationalité » de
la décision électorale dans une perspective pluridisciplinaire, appuyée notamment sur le
développement des approches cognitives. Elle conduit à accorder plus d’importance au degré
de connaissance politique des électeurs, à leur mode de repérage dans le champ politique
(heuristique, schémas, raccourcis cognitifs) et à la dimension stratégique de leurs choix. Le
CEVIPOF s’inscrit pleinement dans ce courant de recherche, travaillant en partenariat avec
des représentants marquants de ce renouvellement disciplinaire comme Paul Sniderman et
James Kuklinski aux Etats Unis, André Blais ou Henry Milner au Canada. On assiste
également à un renouvellement des méthodes statistiques (modèles log linéaires, analyse
géométrique, analyses multi-niveaux combinant données contextuelles et données
individuelles), avec une meilleure prise en compte de la dimension longitudinale des
phénomènes (panels) et l’intégration systématique de la dimension comparative.
Dans le domaine des formes contestataires de la participation politique, c’est la
sociologie des mouvements sociaux et notamment le courant critique issu de l’école de la
« mobilisation des ressources » qui fournit les cadres d’analyse, mettant l’accent sur la
dimension politique d’une part, symbolique et identitaire d’autre part de l’action collective,
en prenant en compte la montée des mobilisations transnationales.
L’analyse des systèmes partisans porte sur les processus de fragmentation du socle
partisan européen traditionnel, liés au passage à des sociétés post industrielles. On assiste au
déclin des identifications partisanes et à la montée de nouvelles formes de représentation
politique comme les coordinations, ainsi qu’à l’essor d’organisations en réseaux, tandis que
les fonctions des partis – en particulier celles d’opérateurs de sens – se transforment ou
entrent en crise.
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L’analyse du rapport au politique et des systèmes symboliques qui l’accompagnent a
profité du renouvellement des approches de psychologie politique consacrées aux attitudes et
non attitudes (John Zaller), au rôle des affects et de l’émotion en politique (George Marcus) et
aux valeurs (travaux de Shalom Schwartz sur l’existence d’une matrice universelle des
valeurs humaines).
Dans ces divers domaines, les travaux du laboratoire s’inscrivent dans les débats
dominants et s’inspirent largement des travaux anglo-saxons, sans jamais toutefois perdre de
vue la spécificité tant française qu’européenne et le contexte historique particulier qui
l’explique.
A.2. LE DOMAINE DE LA POLICY ANALYSIS
Le champ des politiques publiques tels que nous l’entendons traverse les disciplines,
même si les chercheurs du CEVIPOF travaillent pour l’essentiel dans le cadre d’une
sociologie politique de l’action publique qui cherche à mettre en évidence, directement ou
indirectement les questions de politique et de démocratie en relation avec les politiques
publiques. Quelques tendances de fond apparaissent à la lecture des travaux essentiellement
européens et américains.
Tout d’abord, conformément à ce que l’on peut observer dans le reste de la science
politique, une partie des travaux de politiques publiques s’est engagée dans la brèche du choix
rationnel, de l’équilibre optimal et de l’analyse micro des acteurs et de leurs interactions. Les
modèles analytiques de la micro économie deviennent des outils répandus qui désocialisent, et
dépolitisent objets et acteurs mais en identifiant des mécanismes précis. A l’instar de ce qui
s’observe en sociologie (Coleman ou Boudon), une partie des travaux sur les politiques
publiques, sans reprendre les analyses du choix rationnel, s'éloigne des perspectives macro
pour mettre en évidence les mécanismes de transformation de l’action publique, la diffusion
des modèles, ou les effets de mimétisme. Ces modèles sont utilisés pour expliquer la diffusion
de politiques de privatisation ou de défense de l’environnement par exemple, mais aussi la
construction des règles et des normes, la formation des politiques. L’accent est le plus souvent
mis sur la précision dans l’analyse des actions, des activités, des instruments ou des
mécanismes. Ces mécanismes se prêtent assez facilement à la modélisation.
A l’opposé de ces approches, les travaux plus constructivistes, notamment en termes
de cadres cognitifs et normatifs connaissent un fort développement. Les cadres d’action,
référentiels, paradigmes ou coalitions de cause mettent l’accent sur la dilution des intérêts, des
cadres nationaux dominants. Ils rejoignent les travaux sur les coalitions, les mouvements
sociaux, l’action collective, les entrepreneurs politiques qui soulignent l’importance des
logiques identitaires et des courants d’idées pour comprendre les mobilisations pour ou contre
certains programmes de politiques publiques.
En termes théoriques cependant, les modèles d'inspiration néo-institutionnaliste, des
versions les plus micro aux versions les plus sociologiquement déterministes, demeurent
dominants. L’accent est mis désormais sur le changement des institutions, les mécanismes
endogènes et exogènes, les ordres de changement, les combinaisons dans le temps et la
question de la légitimité qui est abordée à la fois en termes d’input démocratique et en termes
de conséquences. A l’instar des travaux de sociologie politique, un courant de travaux
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s’intéresse aux politiques publiques et à leur perception dans la vie quotidienne des citoyens,
en soulignant des dynamiques de justice et d’injustice, d’exclusion, de politisation.
En termes thématiques, la fin d’un cycle spécifique de l’Etat nation (qui ne doit être
confondu avec un retrait de l’Etat) change les paramètres des politiques publiques dans
plusieurs directions. La première de ces transformations souligne la perméabilité de la
frontière public/privé, la remise en cause de la domination de l’Etat dans différentes sphères
de la vie sociale et politique, le renforcement des acteurs, logiques et règles du marché.
On observe ensuite des changements d’échelle qui concernent les dynamiques de
globalisation des entreprises, du droit ou des acteurs associatifs, l’intégration européenne, la
décentralisation… soit un enchevêtrement des acteurs, des règles, des ressources qui
modifient les contraintes et les opportunités des acteurs des politiques publiques.
On constate enfin, dans des sociétés où tout groupe constitué peut se constituer en
acteur et où parallèlement l’intérêt général de l’Etat nation est contesté, une pluralisation des
intervenants qui ouvre le champ des politiques publiques à de nouveaux acteurs individuels
provenant notamment du secteur associatif.
Dans cet enchevêtrement de pouvoirs, de hiérarchies et d'inégalités c'est la question de
l'ordre social qui est posée. Si l’Etat n’est plus tout à fait le grand intégrateur des politiques
publiques, alors les questions de pilotage, d’orientation, de choix politique, d’articulation de
régulations, de coordination, de gouvernement, de gouvernabilité et de gouvernance
redeviennent centrales dans l’analyse des politiques publiques pour contrebalancer les effets
de la fragmentation, de l’absence de transparence et des possibilités d’exit des acteurs les plus
puissants. L’analyse des politiques publiques vise alors à identifier les mécanismes de
contrôle, d’audit, d’orientation du comportement des acteurs.
Il n'est dès lors pas étonnant que, à l’instar des autres domaines des sciences sociales,
les questions de méthode deviennent de plus en plus prégnantes : analyses textuelles,
statistiques quantitatives, comparaison, les exigences méthodologiques s’élèvent à mesure que
se professionnalise le champ.
Le champ des politiques publiques participe de l’analyse de la transformation de l’Etat
et de la régulation politique des sociétés contemporaines, interrogeant de fait les catégories
fondamentales de la sociologie politique : démocratie, citoyenneté, politisation. A l’instar des
autres champs des sciences sociales, la dimension critique demeure cruciale pour dévoiler les
intérêts, les inégalités et les relations de pouvoirs, soit une dimension fondamentalement
politique.
A.3. PENSEE POLITIQUE ET HISTOIRE DES IDEES
Le pôle « Pensée politique et histoire des idées » continue une tradition qui remonte à
Jean Touchard, fondateur du CEVIPOF. Cette tradition consistait à étudier les grands
systèmes de pensée d’une époque, les idéologies qui appelaient à la mobilisation et à l’action,
la pluralité des interprétations concernant un auteur majeur ou une doctrine. Du fait de ses
composantes (notamment : historiens, philosophes, sociologues de la politique) et du fait de
l’évolution des questionnements contemporains (sur la nation, le libéralisme, le
constitutionnalisme, le racisme, mais aussi le rôle des intellectuels), le pôle a recentré son
objet majeur et a approfondi les méthodes mises en jeu. Il fallait accroître l’interdisciplinarité
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et cerner autant que possible l’enjeu social actuel, compte tenu également de l’ouverture
internationale désormais irrécusable.
Du côté de l’objet, il est devenu de plus en plus évident que la démocratie est sujet et
objet de la recherche internationale, enjeu majeur de l’intérêt et des inquiétudes
contemporaines. Loin d’être un thème banal et passe-partout, la démocratie regagne une
étonnante épaisseur et une complexité inattendue : qu’est-ce au juste que le monde libéral des
êtres égaux en dignité, dans ses dimensions de force et de faiblesse, après la chute du mur de
Berlin ? Comment peut-il traiter les revendications identitaires et religieuses qui acquièrent
une force (sociale ou belliqueuse) croissante ? Cette question se déploie sur plusieurs
registres, on en retiendra trois par rapport au travail du pôle « Pensée politique ».
1 - Dans le registre philosophique : l’entrée tardive de John Rawls en France (Theory
of Justice) tout autant que son ascension mondiale aux côtés de Habermas expriment le besoin
d’une recherche sur le pluralisme démocratique (à la fois comme cause et effet du libéralisme
politique). Cette tendance s’est illustrée dans des travaux du pôle sur le libéralisme dans son
histoire et sa philosophie, sur la République à la française (universalisme, exceptionnalisme,
montée du constitutionnalisme), sur les idéologies antipluralistes (qu’elles soient
nationalistes, communautaristes ou simplement identitaires), sur les rapports entre science et
démocratie ; concernant cette dernière question : faut-il penser qu’une idéologie scientiste
(traduite dans l’expertise et l’archivage électronique) peut remplacer les modes de légitimité
antérieurs (élections, consultations de l’opinion, rationalité légale-instrumentale) ?
La question du pluralisme, particulièrement vivante dans le monde anglo-saxon, a
donc été accueillie au sein du pôle sous des déclinaisons variées, mais avec une inflexion
caractéristique de l’héritage Touchard : rattacher les questions à leurs moments historiques
différenciés, et non les traiter de façon uniquement abstraite et procédurale (comme chez
Rawls, Dworkin et Habermas). Des recherches à venir, impulsées principalement par de
récents arrivants au CEVIPOF, vont prolonger cette tendance : le communautarisme, en tant
qu’il apparaît comme une lutte contre le pluralisme (P.-A. Taguieff), la sociobiologie et
d’autres discours scientistes comme vision symptôme de crise du pluralisme (A. Chebel
d’Appollonia).
2 – Dans le registre de l’histoire politique ou de l’histoire intellectuelle : du fait de la
redécouverte de la Shoah, on sait que le mouvement intellectuel français de l’avant-guerre, la
période de Vichy et le passé colonial français ont captivé l’attention des chercheurs étrangers :
y a-t-il eu un fascisme à la française et comment interpréter l’épisode Dreyfus (Zeev
Sternell) ? Pourquoi nombre d'antidreyfusards se sont retrouvés dans la collaboration (Simon
Epstein) ? La République a-t-elle méconnu l’esprit libéral des droits et libertés (T. Judt) ? La
guerre d’Algérie a-t-elle constitué à la fois un moment de vérité et une séquence taboue de la
mémoire et de l’historiographie ?
A l’intérieur du pôle, des travaux ont porté sur la tradition républicaine comme lieu de
bataille d’une « concitoyenneté » de longue durée, bien antérieure à 1789 (O. Rudelle), sur le
jeu de la mémoire et de l’oubli tant dans le modèle républicain que dans la tradition du
communisme, sur le rôle spécifique des intellectuels en France mais aussi dans des
associations internationales (comme les PEN Clubs : Nicole Racine) -, ou encore sur la
réinterprétation d’un groupe volontiers occulté, les Pieds-Noirs d’Algérie (J. Verdès-Leroux).
Au total, et contrairement à une interprétation trop unilatérale, l’adaptation de la République
au constitutionnalisme porteur des libertés, sur le plan des faits, la réappréciation, sur le plan
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critique, d’un « modèle républicain » partiellement mythique constituent des éléments de
réponse importants ; on a pu en voir des échos, par exemple, dans une entreprise liée à
l’EHESS, le Dictionnaire critique de la République (sous dir. V. Duclert et C. Prochasson).
La mémoire, les intellectuels, la République et ses libertés : apparemment cette question
concernait prioritairement les historiens du pôle ; en fait ce domaine a permis de retisser des
liens avec les juristes (à travers particulièrement O. Rudelle et L. Jaume), malgré le clivage
qui avait été ouvertement déclaré entre politistes et juristes dans les années quatre-vingt. Que
ce soit sur le Bicentenaire en 1989 ou sur le bilan de la Vème République en 1999-2003, on
peut constater que le CEVIPOF a été présent du point de vue historique et juridico-politique
et qu’il suit en cela une continuité. De même, des questions capitales pour notre temps ont
reçu un éclairage juridique et institutionnel autant que politique : l’immigration et l’école (J.
Costa-Lascoux), le système parlementaire et la question de l’exécutif (cf. le livre de J.-M.
Donegani et M. Sadoun La Ve République. Naissance et mort), l’égalité hommes-femmes
dans le droit et dans les politiques de la sexualité (J. Mossuz-Lavau), l’évolution de la laïcité,
notamment face à la question communautaire (M. Barthélémy, F. Subileau). Le pôle a
cherché a traité des objets nationaux en retenant des problématiques ou des comparaisons
internationales : du coup, un phénomène aussi « français » que le gaullisme continue à
intéresser des revues britanniques, américaines, japonaises, italiennes, comme les chercheurs
du pôle en ont fait l’expérience à maintes reprises dans les contributions demandées.
3 – Dans un registre proprement épistémologique : les sciences humaines et les
sciences sociales sont actuellement le lieu de vastes controverses épistémologiques : cela est
vrai en philosophie (débats sur la philosophie analytique, sur la philosophie morale et ses
effets sociaux possibles), dans les approches du politique en histoire des idées (linguistic turn,
histoire des concepts ou Begriffgeschichte, école contextualiste, etc), ou en sociologie du
politique (sociologie historique, cultural studies, école du choix rationnel, etc.). Le pôle
« Pensée politique » a commencé récemment à prendre sa place dans ces débats qui,
inévitablement, ne concernent pas seulement les méthodes mais le sens même que l’on
attribue à la démocratie. Les recherches sur le modèle national (G. Delannoi) ont comparé des
modes d’approche différents : construction binaire et construction ternaire du concept de
nation ; genèse socio-historique comparée des Etats-nations en Europe et en Asie. En quel
sens peut-on parler des « Lumières » en Europe et au Japon durant le XVIIIe et le XIXe
siècle ? Qu’apporte le modèle donné par I. Berlin et K. Popper au vu de ces expériences ?
Cette recherche s’est faite notamment en séminaire, avec des collègues étrangers venus au
CEVIPOF (Hiroshi Watanabe, Université de Tokyo, Yan Chen, Paris VII, etc.). Mentionnons
aussi le programme « Penser la Chine », auquel participe G. Delannoi, avec la création (2003)
d’une collection de traductions réciproques entre la France et la Chine (Editions de l’Aube).
De même, l’internationalisation d’une réflexion sur les méthodes en histoire des idées
politiques est actuellement conduite par L. Jaume, principalement en direction de l’Angleterre
(groupe de Quentin Skinner), l’Italie (Naples et Université de Macerata) et de l’Espagne
(Université de Bilbao). Un groupe de recherche sur « Les controverses politiques et
institutionnelles : questions de méthode » est ouvert en octobre 2003 au CEVIPOF, à
destination de jeunes chercheurs en diverses disciplines (droit, histoire, théorie de la
littérature, principalement), sous la direction de L. Jaume et d’Alain Laquièze (professeur de
droit public). Enfin, comme troisième exemple de réflexion méthodologique, on citera
l’entreprise de redéfinition du concept de « populisme » conduite par P.-A. Taguieff : faut-il
continuer la recherche de définition d’une idéologie qui serait spécifique, ou doit-on
considérer un style d’action qui se combine, en cas de besoin, avec toutes les grandes
idéologies (y compris le libéralisme ou l’anarchisme) ? Changer le mode d’approche du
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