PRÉSENTATION
CAFÉS PHILOSOPHIQUES,CAFÉS POLITIQUES,CAFÉS CITOYENS, en France, en Belgique, en Suisse, en Italie, au Québec,
aux États-Unis, en Amérique Latine… pays en déficit de vie publique participative, s’inventent de nouveaux lieux de
parole et d’écoute avec leur modalités spécifiques d’échanges et de discussions interactives où des citoyens d’horizons
pluriels soumettent à une réflexion collective leurs convictions et leurs croyances existentielles, morales, sociales,
politiques . Marc Sautet,initiateur de ce mouvement lorsqu’il créa le « Café des Phares » à Paris, explique ainsi ce phéno-
mène: « On parle beaucoup, ces derniers temps, d’éthique et de morale, on déplore la corruption des hommes politi-
ques et des hommes d’affaires, on s’effraie de l’exclusion, du trafic de drogue, de la sauvagerie des guerres interethni-
ques, du fanatisme religieux, on invoque la solidarité, le devoir d’ingérence, on s’inquiète des travaux de laboratoire,
dans le domaine des armes chimiques, de la génétique… Surtout on tente de ne pas perdre la tête, de garder son sang-
froid. Mais pour y parvenir, que fait-on ? Fait-on de l’astrophysique, de la microbiologie? De l’anthropologie, de
la sociologie, de la psychopathologie ? De l’économie politique ? Ou bien fait-on de la philosophie? Lorsqu’on cherche
ce qui ne va pas dans la Cité, ce qui ruine la démocratie, ce qui compromet la justice, la liberté, l’égalité, bref, les rela-
tions entre citoyens, ce qui pousse les hommes à se haïr et à s’entre-tuer, quant on élargit l’examen à l’ensemble des
nations jusqu’à envisager le destin de l’humanité entière,que fait-on donc ? En vérité a-t-on jamais eu autant de raisons
de philosopher? Il est donc permis de supposer que cet usage de la philosophie en ville n’est pas dû au hasard.
Comment ne pas aspirer à prendre un peu de recul par rapport à la crise actuelle pour tenter d’en déceler les sources ?
On s’explique alors que la formule gagne du terrain». Elle commence aussi à s’introduire dans des milieux associatifs,
des institutions, des écoles. Des enseignants y trouvent un projet mobilisateur, une structure et des procédures pour
éduquer à la citoyenneté.
Notre 1erubrique relève des initiatives qui concernent les professeurs de morale. Paul Thibaut instaure un bistrot
politique dans son école. Jean-Luc Degée anime un café poli(poly) critique à Esneux. Michel Tozzi, philosophe, forma-
teur et chercheur à l’Université de Montpellier III, nous propose de reporter dans nos classes le dispositif de discussion
qu’il utilise pour l’animation du café philosophique de Narbonne. Nous avons ensuite exploré d’autres pratiques
du débat au cours de morale. Nous avons interviewé Jacques Duez au sujet du travail de réflexion qu’il a mené pendant
un an dans ses classes de primaire autour de l’Affaire Dutroux, de la pédophilie, de la peine de mort, qui a fait l’objet
de l’émission RTBF Faits divers «Les Enfants de l’Année blanche». Ce maître de morale témoigne en même temps
de l’exercice de son métier et de son itinéraire d’enseignant depuis plus de vingt ans en évoquant ses convictions, ses
difficultés et ses réussites. Marcelle Houx, chercheur à l’Université de Mons-Hainaut, nous présente les conclusions de
sa thèse en Sciences psychopédagogiques : elle a pu mesurer l’influence d’une pédagogie du questionnement telle
qu’elle est menée au cours de morale par Jacques Duez sur les représentations,le changement moral et l’émancipation
sociale des enfants tout au long de leur scolarité primaire et secondaire jusqu’à leur choix professionnel. Constats
précieux pour évaluer la portée effective de notre enseignement par rapport aux objectifs développementaux visés :
amener les élèves à devenir plus autonomes, à définir un art de vivre, à dégager des règles pour l’action et à intervenir
dans la Cité.
L’introduction explicite de la philosophie dans le Programme de morale au troisième degré du secondaire reste ins-
crite dans cette perspective ainsi renforcée par une approche plus conceptuelle et problématisante des questions mora-
les. Notre 2erubrique rassemble un matériel didactique pour travailler en ce sens et «conjuger la philosophie avec
la morale». Dans une des émissions Réplique qu’il anime à France-Culture, Alain Finkielkraut s’attache, avec Michel
Haar et Philippe Raynaud, à «lire Nietzsche aujourd’hui» comme un précurseur de cette volonté de puissance et de
maîtrise qui caractérise la modernité. Remise en question névralgique qui touche au fondement même et à la transfor-
mation de nos modes de vie. Pour rendre au préalable la pensée nietzschéenne plus accessible, nous avons accompa-
gné cette réflexion critique d’une leçon d’introduction réalisée par Véronique Dortu, agrégée en philosophie de l’ULg.
Ensuite, Christiane Piller nous propose un « Jeu des petites vertus» pour définir, conceptualiser et clarifier les valeurs
de l’humanisme sur lesquelles est bâti notre cours de morale. Elle s’appuie sur des extraits du « Petit traité des grandes
vertus » d’André Comte-Sponville» comme «argumentaire philosophique» pour amorcer la discussion avec les élèves.
«Un jour les témoins disparaitront »! Nous en avons tristement pris conscience lorsque René Raindorf nous a quit-
tés en janvier dernier après avoir pendant tant d’années, dans les écoles, les classes de morale, les journées pédagogi-
ques, inlassablement dénoncé Breendonk,Auschwitz et les génocides d’aujourd’hui. Nous lui rendons hommage dans
notre 3erubrique. Des professeurs, Christine Doclot, Micheline Pierret, rappellent son combat et son message.Jacques
Rozenberg, avec cette rage de vivre qui l’anime,Lydia Chagoll,à travers les documentaires bouleversants qu’elle réalise
avec Franz Buyens, continuent à témoigner ! C’est autour de Sarah Goldberg, rescapée d’Auschwitz et ancienne élève
d’une école bruxelloise fréquentée par des élèves issus de l’immigration, que se sont réalisées des recherches sur les
jeunes filles juives de l’école, déportées entre 1942 et 1944, des rencontres et fêtes multiculturelles à l’occassion de
l’Année internationale contre le racisme.
Entre-vues 37-38. Première partie 1