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Observatoire du Management Alternatif
Alternative Management Observatory
__
Fiche de lecture
Essai sur le don
Marcel Mauss
1923-1924
Bikard Marine – Mars 2011
Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2010-2011
: « Essai sur le don» – Mars 2011
1
Essai sur le don
Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Histoire de la critique » donné
par Eve Chiapello et Ludovic François au sein de la Majeure Alternative Management,
spécialité de troisième année du programme Grande Ecole d’HEC Paris.
Presses Universitaires de France, Paris, dans Sociologie et anthropologie, 12e édition
« Quadrige », 2010
Première date de parution de l’ouvrage : 1950
Résumé : Marcel Mauss réalise dans cet essai la synthèse des travaux anthropologiques de
son temps pour mener une réflexion sur le don et des raisons du contre-don. En se fondant sur
des études ethnologiques en Polynésie, Mélanésie et Amérique, il permet de dégager de
l’analyse de sociétés archaïques certains fondements universels du droit et de la morale.
L’influence de cet essai fut considérable dans le monde des sciences humaines.
Mots-clés : Don, Echange, Anthropologie, Economie, Morale
The Gift
This review was presented in the “Histoire de la critique” course of Eve Chiapello and
Ludovic François. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the
third-year HEC Paris business school program.
Presses Universitaires de France, Paris, 2010
Date of first publication: 1950
Abstract : In this essay, Marcel Mauss synthesizes the anthropological works of his time so
as to better lead a reflexion upon the gift and the reasons for the counter-gift. Using
ethnological studies that were led in Polynesia, Melanesia and America, Mauss extracts from
the analysis of archaic societies universal bases for law and moral philosophy. This essay has
had a considerable influence in human sciences.
Key words: Gift, Exchange, Anthropology, Economy, Moral philosophy
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: « Essai sur le don» – Mars 2011
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Table des matières
1. L'auteur et son œuvre...........................................................................................................4
1.1. Brève biographie.........................................................................................................4
1.2. Place de l'ouvrage dans la vie de l'auteur....................................................................6
2. Résumé de l'ouvrage.............................................................................................................7
2.1. Plan de l'ouvrage.........................................................................................................7
2.2. Principales étapes du raisonnement et principales conclusions..................................8
3. Commentaires critiques......................................................................................................12
3.1. Avis d'autres auteurs sur l'ouvrage............................................................................12
3.2. Avis de l'auteur de la fiche........................................................................................14
4. Bibliographie de l'auteur....................................................................................................16
5. Références............................................................................................................................18
: « Essai sur le don» – Mars 2011
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1. L’auteur et son œuvre.
1.1.
Brève biographie.
Présentation de l’auteur
Marcel Mauss est souvent considéré comme le « père de l’anthropologie française ». Il naît
à Epinal le 10 mai 1872. Neveu d’Emile Durkheim, il étudie la philosophie à Bordeaux, sous
la supervision de son oncle, qui fait de lui son collaborateur lors de nombreux projets de
recherche. Reçu à l’agrégation de philosophie en 1893, il s’installe à Paris pour y étudier les
religions comparées et le sanscrit à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes. Mauss se voit confier
un poste d’enseignant à l’Ecole Pratique des Hautes Etude et en 1901, il recevra le titre de
professeur d’histoire des religions des peuples non civilisés.
En 1898, il fonde avec Durkheim L’Année Sociologique, revue semestrielle dont l’objectif
central est « d’être régulièrement informés des recherches qui se font dans les sciences
spéciales, histoire du droit, des mœurs, des religions… ».
Il milite activement pour la réhabilitation du capitaine Dreyfus. C’est dans cette
circonstance que Mauss s’est rapproché de Jean Jaurès et, comme lui, a cherché à définir les
fondements d’un socialisme humaniste. Ils fondent ensemble L'Humanité. Il collabore
également avec d’autres journaux de gauche comme Le Populaire, et La Vie socialiste. Il s’est
fortement impliqué dans le mouvement coopératif, et a même créé une boulangerie
coopérative. Il restera toute sa vie un militant socialiste.
La Grande Guerre, que Mauss, engagé volontaire, effectue comme interprète, emporte
Durkheim, son fils André et plusieurs collaborateurs de L'Année sociologique. Après
l'Armistice, Mauss prend la relève, relance la revue et, en collaboration avec Lucien LévyBruhl et Paul Rivet, fonde en 1925 l'Institut d'ethnologie de Paris, autour duquel se constitue
une véritable école qui organise, en Afrique surtout, les premières grandes expéditions
ethnologiques. Il est élu en 1930 au Collège de France (chaire de sociologie). Il s’est engagé
dans le mouvement antifasciste.
Il meurt le 10 février 1950.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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Œuvre et influence
L’œuvre de Mauss s’intéresse à des thèmes très divers : la magie, la religion, les variations
saisonnières, la notion de personne… sans oublier les très nombreux comptes rendus qu’il
publie dans L'Année sociologique. Il préfère les esquisses aux ouvrages systématiques et
n’achèvera aucun des grands ouvrages qu’il avait entrepris (thèse sur la prière, travaux sur la
monnaie et l’Etat). Il n'est jamais allé sur le terrain et les faits sur lesquels il fonde sa réflexion
furent rapportés par des ethnographes (Franz Boas, Bronislaw Malinowski, Charles G.
Seligman, etc.).
Marcel Mauss a formé toute une génération de chercheurs : Denise Paulme publie en 1947
l'essentiel de ses cours sous le titre de Manuel d'ethnographie. Claude Lévi-Strauss réédite en
1950 certaines études du maître sous le titre de Sociologie et Anthropologie. Marcel Griaule
organise entre 1931 et 1933 une première grande expédition anthropologique de Dakar à
Djibouti et suscite le livre de Michel Leiris L'Afrique fantôme, journal de route de la mission.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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1.2.
Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur
L’Essai sur le don est publié en 1923-1924 dans la revue l’Année sociologique. Claude
Lévi-Strauss, dans son « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » (paru dans le recueil
d’ouvrages Sociologie et Anthropologie, PUF, 1950), note :
« Peu d’enseignements sont restés aussi ésotériques et peu, en même temps, ont
exercé une influence aussi profonde que celui de Marcel Mauss ».
Plus précisément, il cite l’Essai sur le don, comme étant, « sans contestation possible, le
chef d’œuvre de Mauss, son ouvrage le plus justement célèbre et celui dont l’influence a été la
plus profonde ».
La première raison de cette reconnaissance est sans aucun doute scientifique.
« Pour la première fois dans l’histoire de la pensée ethnologique, écrit Lévi-Strauss,
un effort était fait pour transcender l’observation empirique et atteindre des réalités
plus profondes. (…) le social devient un système, entre les parties duquel on peut donc
découvrir des connexions, des équivalences et des solidarités »
Sans doute, le rapprochement que M. Mauss fait entre ethnologie et politique a également
pesé dans sa postérité. Il lie en effet son analyse scientifique à des conclusions d’ordre moral,
et cherche une application politique aux découvertes qu’il expose.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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2. Résumé de l’ouvrage
2.1
Plan de l’ouvrage
Introduction – Du don, et en particulier de l’obligation à rendre les présents
Chapitre I - Les dons échangés et l’obligation de les rendre (Polynésie)
I.
Prestation totale, biens utérins contre biens masculins (Samoa)
II.
L’esprit de la chose donnée (Maori)
III.
Autres thèmes : L’obligation de donner, l’obligation de recevoir
IV.
Remarques : le présent fait aux hommes et le présent fait aux dieux : acheter la
paix avec les uns et les autres
Chapitre II - Extension de ce système. Libéralité, honneur, monnaie
I.
Règles de la générosité, Andamans
II.
Principes, raisons et intensité des échanges de dons (Mélanésie)
III.
Nord-Ouest américain ; l’honneur et le crédit
Chapitre III - Survivances de ces principes dans les droits anciens et les économies
anciennes
I.
Droit personnel et droit réel (droit romain très ancien)
II.
Droit hindou classique
III.
Droit germanique (le gage et le don)
Droit celtique
Droit chinois
Chapitre IV - Conclusion
I.
Conclusions de morale
II.
Conclusions de sociologie économique et d’économie politique
III.
Conclusion de sociologie générale et de morale
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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2.2
Principales étapes du raisonnement et principales
conclusions
Don et contre-don, la triple obligation de rendre, de donner et de recevoir
Partant d’études ethnologiques réalisées en Polynésie, Mélanésie, et dans le Nord-Ouest
américain, Mauss tente de répondre à deux questions qu’il pose dès l’introduction:
« Quelle est la règle de droit et d’intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou
archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans
la chose qu’on donne qui fait que le donataire la rend ? ».
Mauss ouvre ainsi deux pistes de réflexions distinctes sur les raisons du don. Dans la
première question, il s’agit de trouver la « règle de droit et d’intérêt » qui dirige la réciprocité
du don. La raison du don est à trouver en dehors de l’échange lui-même, dans les règles que la
société se donne et les motivations individuelles. En revanche, la seconde question cherche la
raison de la réciprocité dans la relation qui lie donateur, objet donné, et donataire, dans la
« force » même que contiendrait la chose échangée.
Les sociétés archaïques qu’il étudie sont imprégnées par les pratiques du don, dans le cadre
de prestations nommées en Polynésie potlatch, en Mélanésie kula. Il s’agit de don-échanges
entre collectivités (clans, tribus) et non entre individus. On y échange autant des biens
matériels que des traditions, des festins, des politesses, des femmes, etc. « La circulation de
richesse n’est qu’un des termes d’un contrat plus général et plus durable ». Pourtant,
l’échange, il ne parvient pas à le voir dans les faits. On constate en revanche trois obligations
distinctes et distanciées dans le temps, qui forment la réalité du don-échange : l’obligation de
donner, rendre et recevoir. Ces trois actions sont à la fois volontaires et obligatoires, car les
refuser, c’est sortir du système et ne pas se lier à l’autre. Plus encore, c’est s’avouer vaincu et
perdre son honneur.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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Ambivalence du don : Pacification, honneur et rivalité
Pourquoi perd-t-on la face en manquant à l’une de ces obligations ? C’est que choses et
personnes ne sont pas encore distinctes : « accepter quelque chose de quelqu’un, c’est
accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme ». C’est ici qu’il faut chercher
la « force » de la chose, son hau, selon un terme maori. Dès la réception du don s’établit alors
une sorte d’emprise magique sur le donataire, qui n’en sera libéré qu’après avoir rendu au
moins la valeur du don au donateur.
« Dans les choses échangées […] il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être
donnés, à être rendus ».
Chaque chef de clan, famille, individu se doit de participer à ces réseaux de dons pour
avoir une place dans la société. Plus encore, c’est par ces échanges, dons et contre-dons que la
hiérarchie sociale se forme et évolue, le plus haut placé ayant été le plus généreux dans ses
prestations et celui qui aura le plus reçu. En liant les hommes entre eux dans des obligations
mutuelles, le don permet de pacifier les luttes entre clans. Ainsi, la chaîne ininterrompue de la
kula des îles Trobriand forme un vaste système d'échange cérémoniel de don et de contre-don
qui permet de désamorcer l'hostilité réciproque. Le don devient ciment pour la société.
« Si on donne les choses et les rend, c’est parce qu’on se donne et rend « des
respects », mais aussi c’est qu’on se donne en donnant, et si on se donne, c’est qu’on se
« doit » - soi et son bien – aux autres ».
En même temps, ces prestations sont régies par le principe de rivalité. Elles sont l’occasion
de lutte des nobles pour assurer entre eux une hiérarchie dont ultérieurement profite le clan.
Dans la kula, on rend avec intérêt pour manifester sa supériorité. Avec le potlatch des tribus
du Nord-Ouest américain, la logique de l'honneur est poussée à son paroxysme. C'est à qui
sera le plus follement dépensier. Chefs et nobles rivalisent de prodigalité dans une
consommation effrénée et une destruction somptuaire des richesses. Mauss relève ainsi
l’ambiguïté fondamentale du don, qui tient à la fois de la lutte et de l’échange pacificateur.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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L’observation de faits totaux
Ces prestations et contre-prestations sont, pour Mauss, des faits totaux, qu’il appelle aussi
« prestations totales de type agonistique ». Chaque prestation est à fois juridique (car elle lie
les personnes et clans les uns aux autres dans des obligations mutuelles), religieuse,
économique (avec les notions de valeurs, d’utilité, et de richesse), esthétique (car danses,
festins, objets, tout y est cause d’émotion esthétique) et enfin morphologique (car c’est par ces
réunions, festins, marchés que la société prend forme). Ces échanges ont lieu à différents
niveaux : entre chefs de tribu, mais également à l’intérieur même des tribus, entre clans et
personnes. Toute la vie économique et civile est imprégnée par ce système de prestation totale
incessant. Ces prestations participent d’un tel mouvement circulaire qu’on a noté dans les
sociétés mélanésiennes que les hommes ne font pas de différence entre achat et vente, entre
prêt et emprunt. Ces actions, que nous considérons antithétiques, ne sont pour eux que deux
modes d’une même réalité.
« Tout va et vient comme s’il y avait échange constant d’une matière spirituelle
comprenant choses et hommes ».
Mauss ne décrit donc pas avec le potlatch ou le kula un système d’institutions (religieuses,
politiques ou économique), mais des faits qui capturent toutes les dimensions de la vie
sociale. Il fait « l’étude du concret, qui est du complet ». C’est en cela que ces faits permettent
de mieux comprendre la réalité sociale, d’apercevoir comment elle se meut et de lire à travers
l’observation des actes d’un Romain ou d’un Mélanésien des principes fondamentaux de la
société en marche.
La morale universelle du don.
Mauss étudie aussi la présence du don, forme archaïque de l’échange, dans les économies
et les droits anciens : romain, germain et indien. Il y relève des règles de droit où choses et
personnes sont encore confondues, où les échanges lient au-delà du temps de la transaction les
contractants dans une relation ambivalente d’intimité et de rivalité. Même dans nos sociétés
contemporaines, l’invitation et la politesse doivent être rendues, il faut savoir rendre plus que
l’on a reçu, et la charité est encore blessante pour celui qui l’accepte. Mauss en conclut que ce
système d’échange est un des « rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés ». La
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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morale du don est éternelle et universelle, et les sociétés marchandes ne doivent pas trop
l'oublier.
Car l’échange-don n’entre pas dans les cadres des économies utilitaristes telle l’Europe
industrialisée du début du vingtième siècle, où règnent la notion d’intérêt individuel et une
« mentalité froide et calculatrice ». Nos sociétés contemporaines, affirme Mauss, se sont trop
éloignées de ces principes premiers d’échange. La richesse y reste concentrée entre les mains
de quelques-uns tandis qu’ouvriers et « producteurs » souffrent d’un manque de
reconnaissance du don qu’ils font de leur vie en travaillant. Mauss salue donc les
frémissements des nouvelles législations sociales, qui sont pour lui un véritable « retour au
droit », puisque c’est sur ce système de prestations et contre-prestations que notre morale s’est
forgée, que notre vie sociale a pu se structurer, se pacifier. Nier cela, c’est faire fausse route :
« La poursuite brutale des fins de l’individu est nuisible aux fins et à la paix de
l’ensemble, au rythme de travail et de ses joies et – par l’effet en retour - à l’individu
lui-même »
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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3. Commentaires critiques
3.1
Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage
Dans Ethnologie économique, Florence Weber et Caroline Dufy réalisent une sorte de
synthèse sur l’influence et différentes lectures de l’Essai sur le don.
Certains, comme Bataille et Claude Lefort, n’en ont retenu que le potlatch.
« Ils ont vu en lui, relève F. Weber et C. Dufy, l’essence du don, de l’échange, voire
de la consommation moderne. Leur lecture est pessimiste : tout échange est lutte, toute
lutte de générosité est lutte pour le pouvoir, et le don n’est qu’un processus de
destruction qui ne connaît pas de limites »
En 1950, année du décès de Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss fait paraître son
« Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss » dans un ouvrage intitulé Sociologie et
Anthropologie [1950]. Claude Lévi-Strauss répudie l’animisme de Mauss :
« On peut prouver que dans les choses échangées […] il y a une vertu qui force les
dons à circuler, à être donnés, à être rendus ».
Il y voit une faiblesse de l’analyse, puisque Mauss se contente d’épouser une théorie indigène,
celle d’un sage maori.
« « Cette vertu, écrit –il, existe-t-elle objectivement, comme une propriété physique
des biens échangés ? Évidemment non… ». Pour Lévi-Strauss « le hau n’est pas la
raison dernière de l’échange : c’est la forme consciente sous laquelle des hommes
d’une société déterminée, où le problème avait une importance particulière, ont
appréhendé une nécessité inconsciente dont la raison est ailleurs ».
Mais pour l’ethnographie contemporaine, précisent F. Weber et C. Dufy, il y a là, au
contraire, une véritable avancée théorique. Elles renvoient aux théories récentes qui
s’intéressent aux choses elles-mêmes (Appadurai, The Social Life of Things : Commodities in
Cultural Perspective, 1986), aux dispositifs matériels (Callon, Laws of the market, 1998), aux
justifications indigènes (Boltanski et Thévenot, De la justification. Les économies de la
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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grandeur, 1991) et aux relations personnelles (Weber, Le travail à côté, étude d’ethnographie
ouvrière, 1989 ; Godbout, L’Esprit du don, 1992).
La pensée de Bourdieu s’inscrit également dans la lignée de l’Essai sur le don. Il critique
l’extension de la logique marchande à toutes les sphères de l’existence (la famille, l’art, la
science notamment), qui tend, selon lui, à « détruire toutes les valeurs ». Par ailleurs,
Bourdieu s’inscrit dans une autre piste ouverte par Mauss, celle de la fiction et du mensonge
social : dans l’intervalle de temps qui sépare don et contre-don, le donateur entre dans la
dépendance du donateur, devient son obligé, devient son inférieur.
Au-delà de l’influence de l’Essai sur le don sur la pensée des sociologues et
anthropologues contemporains, la création de la revue MAUSS (Mouvement anti-utilitariste
en sciences sociales), en 1981, est encore une preuve de la portée de cette œuvre. Il s’agit
d’une revue interdisciplinaire, abordant des sujets à la fois en sciences économiques, en
anthropologie, en sociologie et en philosophie politique. Son nom, acronyme de M. Mauss, lui
rend hommage. La revue se proclame « anti-utilitariste » et critique l’économisme dans les
sciences sociales et le rationalisme instrumental en philosophie morale et politique. Pour ses
auteurs, la référence Marcel Mauss et à la critique de l’utilitarisme permettait de rassembler
les énergies critiques de manière suffisamment claire et explicite. Peu à peu, dépassant la
posture purement critique qui était la sienne au départ, la revue a contribué au développement
de tout un ensemble de théories et d’approches originales, dont le plus petit commun
dénominateur est probablement ce qu’elle appelle le paradigme du don, précisément dans la
lignée de l’essai de M. Mauss.
Pour conclure, il faut noter que nombre de concepts forgés par l’anthropologie furent
précisés à la suite de cet essai, sans lesquels, écrivent F. Weber et C. Dufy, « l’observation
ethnographique resterait désarmée ».
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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3.2
Avis de l’auteur de la fiche
La lecture de l’Essai sur le don surprend à plusieurs endroits. Tout d’abord, les idées sont
comme émiettés dans le texte, coupées en morceau, mais elles sont foisonnantes. Si bien que,
malgré la difficulté du style, l’œuvre est réellement passionnante.
La finesse des commentaires de Mauss est remarquable, et tient sans doute de la science
anthropologique, qui incite à la nuance et interdit toute classification hâtive, puisque c’est du
« concret, qui est du complet », qu’on analyse. L’attention qu’il porte ensuite, à séparer étude
scientifique et conclusions morales dans des chapitres distincts, témoigne de sa probité à
distinguer des idées de natures différentes.
Le quatrième chapitre, où transparait l’engagement de Mauss dans l’économie sociale et
solidaire, est par ailleurs d’une actualité frappante. Le management est aujourd’hui en effet
mis à mal par l’apparition de maladies du travail. Le sens du travail devient une question de
centrale dans notre société. Cette perte de sens, on peut la lire à travers l’Essai sur le don
comme le manque d’une « contre-prestation », à la fois monétaire, mais aussi d’ordre social,
politique ou même esthétique. Comme si, effectivement, le don de soi que l’on fait en
travaillant n’était pas compensé par un contre-don à la hauteur. Nos riches doivent être des
philanthropes, nous dit Mauss.
« Il faut que les riches reviennent à se considérer comme des sortes de trésoriers de
leurs concitoyens (…) Ensuite, il faut plus de souci de l’individu, de sa vie, de sa santé,
de son éducation, de sa famille et de l’avenir de celle-ci (…) Et il faudra bien qu’on
trouve le moyen de limiter les fruits de la spéculation et de l’usure ».
Le style est un peu désuet, mais les paroles détonnent par leur justesse dans un contexte de
crise financière et d’augmentation de la précarité dans les pays industrialisés. Son appel à
« rester autre chose que de purs financier, tout en devenant de meilleurs comptables et de
meilleurs gestionnaires » est un autre exemple de la modernité de son texte.
Ainsi l’œuvre de Mauss est à la fois source d’optimisme et de pessimisme. Pessimisme, car
il est triste de remarquer que ces idées ont déjà presque un siècle derrière elles, et qu’elles ont
été très peu entendues, au contraire.
Optimisme, car elle apporte un argument scientifique à ce qui n’est souvent qu’une
intuition (le besoin de solidarité, d’un accomplissement de soi complet et non pas seulement
économique…). Il inscrit ces besoins dans le temps long et en fait un principe vital pour la
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société. Par là, il inspire et assure toute personne désirant s’engager dans une économie plus
solidaire et sociale.
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4. Bibliographie de l’auteur
Il est très difficile d’établir une bibliographie claire de Mauss. Un seul livre fut édité de son
vivant et la suite des recueils garde la marque de luttes théoriques1 et de la séparation
artificielle de la sociologie et de l’anthropologie. La biographie ci-dessous présente les
recueils publiés en France depuis la mort de Mauss. Pour une revue complète de ses articles
(qui serait trop longue pour la faire apparaître ici), dont la plupart furent publiés dans la revue
L’Année Sociologique, n o u s v o u s i n v i t o n s à v o u s r e n d r e s u r l e s i t e :
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_04394216_1964_num_4_1_366614
•
1906 - Mélanges d’histoire des religions, Revue d’histoire des religions, pp.163-203.
En collaboration avec Henri Hubert et jamais réédité depuis 1929, Paris
•
1950- Sociologie et anthropologie, Paris, Presse universitaires des France. Préface de
Claude Lévi-Strauss, recueil d'articles comprenant
- « Essai sur le don »,
- « Esquisse d’une théorie générale de la magie »,
- « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie »,
- « effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité »
- « Une catégorie de l’esprit humain : la notion de personne, celle de « moi » »
- « Les techniques du corps », « Morphologie sociale »
•
1968 - Œuvres, présentation par Victor Karady, comprenant trois volumes :
I. - La fonction sociale du sacré, 1968, Paris, Minuit, 633 p.
II. - Représentations collectives et diversité des civilisations, 739 p.
III. - Cohésion sociale et division de la sociologie, 1968, 1969, Paris, Minuit,
collection Sens commun, 734 p, dirigée par Pierre Bourdieu.
•
1971 – Essais de Sociologie, Paris, « Points » Éditions de Minuit, 1968. Recueil sans
introduction, regroupant quelques articles fondamentaux publiés par Mauss entre 1901
et 1934
16
•
1997 - Écrits politiques, Paris, Fayard, textes réunis et présentés par Marcel
Fournier. 814 pages.
•
2007- Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés
archaïques(1925), Paris, Quadrige/Presses universitaires de France. Introduction de
Florence Weber.
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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5. Références
Dufy C, Weber F, « Des concepts universels », Ethnographie économique, Coll. Repères, La
Découverte, Paris, 2007, pp. 26-38
Fournier Marcel, préface de Marcel Mauss, savant et politique de Sylvain Szimira, La
Découverte, Paris, 2007
Levi-Strauss Claude, « Introduction à l’œuvre de Mauss », Sociologie et anthropologie,
Presses universitaires de France, Paris, 12e édition, 2010
La revue du MAUSS, www.revuedumauss.com
“Marcel Mauss”, PUF, www.puf.com/wiki/Auteur:Marcel_Mauss
www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_04394216_1964_num_4_1_366614
Bikard Marine – Fiche de lecture : « Essai sur le don» – Mars 2011
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