Est-il possible d`apprécier l`ampleur du dommage à l`économie sans

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Est-il possible d’apprécier l’ampleur du dommage
à l’économie sans le quantifier ?
Gildas de Muizon
Associé de Microeconomix
Expert près la Cour d’appel de Paris
Séminaire Droit & Economie – Qu’est-ce que le dommage à l’économie ? - 29 juin 2016
Avertissement : Microeconomix est ou a été impliqué dans la plupart des exemples abordés dans cette
présentation. Les opinions exprimées dans cette présentation sont les opinions personnelles de l’auteur et
n’engagent en rien la responsabilité du cabinet Microeconomix, ni a fortiori celle de ses clients
Définition économique du dommage à l’économie
Le dommage défini par l’Autorité de la concurrence (Communiqué sanction, §27)
ne se confond pas avec le préjudice qu’ont pu subir les personnes victimes de l’infraction,
ne se limite par ailleurs pas aux seuls gains illicites que son ou ses auteurs ont pu escompter en retirer, mais
englobe tous les aspects de la perturbation qu’elle est de nature à causer au fonctionnement concurrentiel
des activités, secteurs ou marchés directement ou indirectement concernés, ainsi qu’à l’économie générale,
intègre non seulement le transfert et la perte de bien-être que l’infraction est de nature à engendrer au
détriment des consommateurs intermédiaires ou finals et de la collectivité dans son ensemble, mais aussi,
notamment, son incidence négative sur les incitations des autres acteurs économiques, par exemple en
matière d’innovation.,
ne se réduit donc pas à une perte précisément mesurable.
Les outils de l’analyse économique sont essentiellement utiles pour quantifier certains
aspects du dommage à l’économie
« La notion de dommage peut présenter à l’évidence une dimension quantifiable et à ce titre intéresser
directement l’économiste : il s’agit d’apprécier les effets (réels ou potentiels) d’une pratique sur un marché
déterminé, en comparant la situation avant et après la commission de cette pratique » (E. Combe,
Concurrences N° 4-2010)
Effets sur les prix pratiqués par les clients
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Appréciation du dommage à l’économie
L’Autorité de la concurrence soutient parfois qu’elle n’a pas à chiffrer du tout le dommage
à l’économie
«C’est pourquoi il résulte de la jurisprudence constante des juridictions de contrôle que l’Autorité n’est pas
tenue d’effectuer une quantification ou une évaluation chiffrée du dommage à l’économie »
(Table ronde de l’OCDE sur la quantification par les tribunaux nationaux et les autorités de concurrence des
dommages causés à l’économie, Note de la délégation de la France, 2011)
En fait, la jurisprudence n’impose pas à l’Autorité de la concurrence de chiffrer
« précisément » le dommage à l’économie
L’Autorité de la concurrence « qui n’est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l’économie,
doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi
complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation
générale du fonctionnement normal de l’économie engendrée par les pratiques en cause »
En pratique, la mobilisation de l’approche économétrique pour évaluer les surprix est
devenue systématique dans les affaires de pratiques horizontales devant l’Autorité de la
concurrence
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Evaluation économétrique du dommage à l’économie
En règle générale, ce sont les parties qui prennent l’initiative de produire des études
économétriques
Décision 11-D-17 (lessive) : surprix de 4 à 6 % selon la méthode avant/après appliquée par l’une des parties
Décision 13-D-12 (commodités chimiques) : surprix de 4 à 6 % selon la méthode en double différence
appliquée par l’une des parties
Décision 15-D-03 (produits laitiers frais) : surprix inexistant pour toutes les parties à l’exception d’une partie
qui retenait un surprix de 3,7 à 4,7 %, surprix de 6 à 10 % selon les services d’instruction
Décision 15-D-08 (poulet) : surprix entre 0 et 3 % selon la méthode en double différence appliquée par
plusieurs parties
Décision 15-D-19 (messagerie express) : surprix « très limité » selon les études des parties
Cas particulier : dans la décision 14-D-19 (produits d’entretiens et d’hygiène), ce sont les
services d’instruction qui ont pris l’initiative des travaux économétriques
Pour une revue des méthodologies mobilisées dans ces décisions, voir Frot (2016).
Econometrics in Articles 101 and 102 TFEU cases, Concurrences n°2016-2
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Evaluation économétrique du dommage à l’économie
On note une certaine défiance de l’Autorité de la concurrence lorsque les études
économétriques ne mettent pas en évidence de surprix
14-D-19 : « les estimations économétriques du surprix, […], ne présentent pas un degré de fiabilité suffisant
pour être prises en compte dans l’appréciation du dommage à l’économie et doivent être écartées » (§1405)
15-D-03 : « Pour autant, du fait du biais de spécification mentionné précédemment et des autres limites des
estimations présentes au dossier, il ne peut être affirmé avec certitude que la même hausse de prix aurait pu
être mise en œuvre en l’absence des pratiques » (§323)
15-D-09 : « chacune de méthodes présente des limites, si bien qu’il est impossible d’accorder plus de crédit à
l’une qu’à l’autre. Du fait de ces différentes incertitudes, la portée des estimations quantitatives du surprix
soumises à l’Autorité doit donc être fortement relativisée » (§353)
15-D-19 : « les estimations économétriques de surprix, proposées par les entreprises qui les ont produites,
doivent être écartées » (§1294)
Mais beaucoup moins de défiance lorsque les études économétriques concluent à des
surprix
11-D-17 : « Ce surprix est une illustration, mais pas la seule, des conséquences avérées de la pratique »
(§630)
15-D-03 : « confortent l’appréciation selon laquelle les pratiques mises en œuvre entre décembre 2006 et
août 2009 ont effectivement engendré un surprix » (§322)
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Approche économétrique ou approche qualitative ?
Lorsqu’elle écarte les conclusions des travaux économétriques, l’Autorité de la
concurrence fonde son appréciation uniquement sur une analyse purement qualitative
Analyse « qualitative » des caractéristiques économiques de la pratique reprochée et du secteur concerné
(ampleur de la pratique, importance des barrières à l’entrée, élasticité de la demande, contre-pouvoir des
acheteurs, etc.)
L’analyse « qualitative » ne permet cependant pas de démontrer l’existence d’un
dommage réel à l’économie, encore moins d’apprécier son ampleur
L’appréciation qualitative de l’importance des barrières à l’entrée, de la sensibilité de la demande aux prix
ou encore de l’intensité du contre-pouvoir des acheteurs fournit uniquement une indication relative sur le
dommage à l’économie potentiel
Toutes choses égales par ailleurs, la pratique est plus susceptible d’avoir causé un dommage à l’économie si
le marché concerné est protégé par des barrières à l’entrée élevées
Toutes choses égales par ailleurs, la pratique est moins susceptible d’avoir causé un dommage à l’économie
si le contre-pouvoir des acheteurs est fort
L’analyse qualitative permet seulement d’exhiber des facteurs rendant plus ou moins probable l’existence
d’un dommage à l’économie
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Approche économétrique ou approche qualitative ?
L’Autorité de la concurrence a tendance à écarter trop facilement les analyses
quantitatives au profit d’analyses qualitatives
Selon elle, « en effectuer un chiffrage imposerait de procéder à des analyses contrefactuelles extrêmement
fines reposant sur des hypothèses qu’il s’avère impossible de tenir pour certaines en pratique. En effet, la
situation qui aurait prévalu en l’absence de la pratique anticoncurrentielle est impossible à reconstituer de
façon fiable, les équilibres sur les marchés étant déterminés par de très nombreuses variables interagissant
les unes sur les autres » (Table ronde de l’OCDE sur la quantification par les tribunaux nationaux et les
autorités de concurrence des dommages causés à l’économie, Note de la délégation de la France, 2011)
Par rapport à l’analyse qualitative, la modélisation économétrique présente le mérite
d’expliciter les hypothèses et les raisonnements
« Le débat sur la question de savoir quelles sont les simplifications qui peuvent être admises dans le modèle
ne doit pas faire perdre de vue le fait que toute appréciation de l'ampleur du dommage à l'économie causé
par une pratique sera, par essence, basée sur des hypothèses. Une appréciation de l'ampleur du dommage à
l'économie effectuée dans le cadre d’un modèle repose sur une transparence élevée pour ce qui est de la
cohérence logique des effets ainsi que des hypothèses qui la sous-tendent. Une appréciation du dommage
effectuée en dehors du cadre d’un modèle économique basé sur une appréciation qualitative repose elle
aussi, bien que d’une façon moins transparente et implicite, sur un certain nombre d’hypothèses et peut donc
tout autant être soumise au même type de critique ». (Paraphrase de §194, M.3216 ORACLE/PEOPLESOFT)
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Approche économétrique ou approche qualitative ?
Ainsi, les analyses économétriques constituent des éléments-clés d’appréciation
Un des intérêts de l’approche économétrique est de mettre en lumière les hypothèses
retenues pour reconstituer le scénario contrefactuel et ainsi de permettre un débat sur
leur pertinence.
Des résultats contradictoires obtenus par deux études économétriques proviennent de choix différents qui
ont été retenus pour certains paramètres
Le débat ne porte pas toujours sur des points extrêmement techniques et fréquemment, il est
d’appréhender la validité de telle ou telle hypothèse, au regard des faits observés sur le marché et de son
fonctionnement concurrentiel
Exemples de points fréquemment débattus dans les analyses économétriques de surprix
Choix de la période de référence reflétant le fonctionnement concurrentiel du marché : la période avant le
début des pratiques est-elle exemptes de toute pratique ? Le retour à l’équilibre concurrentiel a-t-il pu se
faire rapidement après la fin des pratiques ?
Choix du marché contrefactuel (par exemple pour la méthode de la double différence) : le marché
contrefactuel est-il suffisamment proche du marché affecté par les pratiques ?
Choix des variables prises en compte dans le modèle économétriques : les principaux facteurs de coûts sontils bien pris en compte ? Les effets mesurés sont-ils cohérents avec la structure de coûts ?
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Conclusion : mieux hiérarchiser l’appréciation du
dommage à l’économie
Dommage à l’économie
certain, mise en évidence
d’effets réels importants
Analyses économétriques concluant avec un degré
de certitude élevé à l’existence d’effets importants
sur les prix (e.g., supérieurs à 5/10%)
Dommage à l’économie
certain, mise en évidence
d’effets réels faibles
Analyses économétriques concluant avec un degré
de certitude élevé à l’existence d’effets faibles
sur les prix (e.g., inférieurs à 5 %)
Dommage à l’économie
potentiel probable, pas
de mise en évidence
d’effets réels
Caractéristiques économiques du marché propices
à des effets de hausse de prix mais analyses
économétriques ne mettant en évidence aucun
surprix
Dommage à l’économie
potentiel peu probable,
pas de mise en évidence
d’effets réels
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Caractéristiques économiques du marché peu
propices à des effets de hausse de prix, analyses
économétriques ne mettant en évidence aucun
surprix
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