Réaction au communiqué relatif à la méthode de détermination des

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Réaction au communiqué relatif à la méthode de détermination des
sanctions pécuniaires
Charles Angelucci, économiste, doctorant à la Toulouse School of Economics. Email :
[email protected]
Massimo Motta, économiste, Professeur « ICREA » à l’Universitat Pompeu Fabra et Doyen de la
Barcelona Graduate School of Economics. Email : [email protected]
Patrick Rey, économiste, Professeur à la Toulouse School of Economics. Email : [email protected]
1. Nous saluons l’initiative de l’Autorité organisant cette consultation sur la méthode de
détermination des sanctions pécuniaires et souhaiterions apporter quelques commentaires
inspirés d’une approche économique de la question. 1
2. Il convient en premier lieu de souligner l’importance du caractère dissuasif des sanctions,
objectif par ailleurs affiché par l’Autorité (§10). 2 A titre d’exemple, si, comme certaines
études récentes l’indiquent, une entente horizontale peut donner lieu à une hausse des prix
de l’ordre de 25-30% par an en moyenne,3 la probabilité de détection étant probablement
faible dans les faits, une très forte sanction est requise en vue d’atteindre l’objectif de
dissuasion. En outre, l’absence, dans la pratique, de sanctions pénales à l’encontre des
individus tend à accroître l’importance de ce rôle dissuasif pour prévenir les pratiques
anticoncurrentielles.
3. Afin qu’elles jouent leur rôle de dissuasion correctement, les sanctions doivent décourager
les pratiques infligeant un dommage à l’économie ; les décisions des entreprises reflétant
leur intérêt propre, il convient dès lors de prendre en compte le dommage au reste de
l’économie, la probabilité de détection de la pratique en cause, ainsi que, le cas échéant, le
1
Voir le communiqué mis en ligne le 17 janvier 2011 sur le site de l’Autorité de la concurrence,
www.autoritedelaconcurrence.fr.
2
Voir, par exemple, Motta (2008), « On Cartel Deterrence and Fines in the European Union », European Competition
Law Review, 29(4): 209-220.
3
Voir, par exemple, Connor and Bolotova (2006) « Cartel Overcharges: Survey and Meta-Analysis », International
Journal of Industrial Organization, 24(6): 1109-1137.
1
risque d’appréciation des effets pro- ou anticoncurrentiels (erreurs de type I et II) lors de la
détermination du montant de la sanction. Il serait donc utile de relier à ces variables
économiques, certes difficiles à mesurer en pratique, les éléments mentionnés par l’Autorité
pour déterminer le montant de base (valeur des ventes affectées, gravité des faits reprochés
et importance du dommage à l’économie), ainsi que les éléments d’individualisation.
4. L'Autorité définit au §27 la valeur des ventes affectées comme « la valeur de l’ensemble des
ventes de produits ou de services réalisées par l’entreprise ou l’organisme concerné en
relation tant directe qu’indirecte avec l’infraction ou avec les infractions quand il en existe
plusieurs, durant sa dernière année complète de participation à celle(s)-ci ». Il serait
souhaitable d’éclaircir la notion de « relation tant directe qu'indirecte » et notamment de
préciser si cela vise à prendre en compte le lien entre chiffre d’affaires et dommage à
l’économie (dommage infligé à des secteurs connexes par exemple).
5. S’agissant d’une pratique courant sur plusieurs années, il conviendrait de prendre en compte
l’ensemble de la période concernée. Si cela pose des problèmes pratiques pour l’obtention
ou le traitement des données nécessaires, multiplier le montant de la dernière année
concernée par le nombre d’années couvertes peut fournir une approximation, qu’il
conviendrait toutefois de corriger en cas d’évolution temporelle marquée.
De ce point de
vue, la proposition faite, consistant à pondérer de moitié les années précédentes, ne semble
pas en ligne avec l’objectif de dissuasion. Par ailleurs, il semblerait logique de traiter cette
question de durée dès le départ, pour le chiffrage des ventes affectées, avant d’appliquer
le(s) facteur(s) de proportionnalité lié(s) à la gravité des faits et au dommage à l’économie.
6. En outre, dans le cas d’un accord vertical, la méthode mise en avant peut conduire
mécaniquement à un double comptage, le chiffre d’affaires amont se trouvant répercuté dans
le chiffre d’affaires aval ; cela peut aller à l’encontre de la volonté de sanctionner plus
sévèrement les ententes horizontales.
7. L'Autorité propose de lier le facteur de proportionnalité appliqué au dommage causé à
l'économie, ce qui semble cohérent (si on l’interprète d’une part comme le dommage « au
reste de l’économie » et d’autre part comme le dommage « anticipé » plutôt que réalisé). Par
ailleurs, lors de l’appréciation du dommage (réel ou « anticipé »), il convient de tenir
compte des erreurs de type I et II. Alors qu’il peut y avoir une incertitude quant au dommage
associé à certaines pratiques, notamment pour celles verticales, ce risque semble moins
2
prononcé, voire absent, pour d’autres telles les ententes horizontales, pour lesquelles la
probabilité d’une erreur de type I est faible. Pour cette seconde catégorie de pratiques, les
sanctions doivent, par conséquent, être plus fortes.
8. L'Autorité propose de lier le facteur de proportionnalité appliqué à la gravité des faits. Du
point de vue économique, il semble difficile de distinguer cette notion de celle de dommage
à l'économie. On peut toutefois y relier les autres variables mentionnées en introduction, à
savoir la probabilité de détecter la pratique et le risque d’erreur sur le caractère pro- ou
anticoncurrentiel. Cela conduit par exemple à adopter un facteur plus important pour une
entente horizontale sur les prix, peu susceptible d’engendrer des effets pro-concurrentiels,
ainsi que pour une pratique sophistiquée, peu difficile à détecter. A contrario, la « nature des
personnes » affectées semble davantage relever de l’évaluation du dommage à l’économie.
9. L’Autorité propose également de prendre en compte des éléments d’individualisation.
Certains semblent en effet pertinents, comme par exemple l’attribution de circonstances
atténuantes à un franc-tireur ayant perturbé la pratique en cause (même si un tel rôle peut
dans certaines circonstances être difficile à déterminer) ; d’autres éléments, tels que la
notoriété, la qualité de PME, la variété des produits offerts par l’entreprise, sont plus
surprenants. En outre, « proportionner la sanction pécuniaire au fait que l’entreprise mène
l’essentiel de son activité sur le secteur concerné par l’infraction, qu’elle est une PME ou
qu’elle appartient à un groupe présent sur un plus grand nombre de secteurs ou disposant de
ressources globales plus importantes » semble contredire le principe mis en avant pour
privilégier, comme base de calcul, les ventes affectées au chiffre d’affaires total, ce dernier
pouvant « ne pas être en rapport avec l’ampleur de l’infraction commise sur le(s) secteur(s)
ou marché(s) concerné(s) [en particulier] lorsque l’infraction n’est en relation qu’avec une
partie des activités de l’organisme, de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient ».
10. L'Autorité ne semble pas vouloir tenir compte de l'existence éventuelle de programmes de
conformité durant la période des faits reprochés comme facteur atténuant, comme cela peut
être le cas aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Il serait utile de discuter de l’interaction
entre le rôle des sanctions et des programmes de conformité dans la dissuasion des pratiques
anticoncurrentielles.
11. Il pourrait enfin être judicieux de clarifier le traitement des situations dans lesquelles
plusieurs griefs ont été formulés. S’il semble enfin naturel de regrouper les griefs impliquant
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les mêmes parties prenantes et affectées, cela peut néanmoins poser des problèmes lorsque
les durées constatées diffèrent d’un grief à l’autre.
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