B. DEUX SCÉNARIOS ANTITHÉTIQUES DU FUTUR Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Démographie S’élevant à moins de 10 millions à l’échelle planétaire, le nombre de juifs choisissant de lier leur destin à Israël oscille entre 5 et 6 millions. Le nombre de juifs dans le monde s’élève à 18 millions. L’alyah périclite, la yéridah (départ d’Israël) prend des proportions préoccupantes ; les juifs israéliens ne constituent guère plus de 65% de la communauté nationale israélienne. Alyah collective : environ deux tiers du peuple juif habitent en Israël. L’identité juive traverse une crise sévère : l’assimilation est à l’œuvre un peu partout, les mariages mixtes se multiplient et, généralement, les membres de ces ménages et les enfants qui en sont issus s’éloignent du judaïsme. Seule une minorité juive choisit de rompre avec son identité, et donc de renoncer à son appartenance. On note une diminution significative des mariages mixtes et un rapprochement vers le judaïsme des époux non juifs, tandis qu’une frange croissante d’enfants issus de ces unions opte pour le judaïsme. Israël Le caractère juif de l’État d’Israël s’étiole ; à ce recul identitaire, s’ajoute l’influence grandissante de l’idée selon laquelle Israël doit progressivement se déjudaïser, puis se dé-sioniser, afin de s’intégrer à l’ensemble moyen-oriental et devenir « l’État de tous ses citoyens ». Israël, démocratie libérale avancée, est un État intrinsèquement juif ; en son sein, la judéité s’incarne en des figures, modalités ou expressions libres et multiples, tant dans le domaine public que dans l’espace privé. I N S T I T U T D E P L A N I F I C AT I O N D ’ U N E P O L I T I Q U E P O U R L E P E U P L E J U I F I9 Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Les relations avec le monde arabomusulman ne cessent de se dégrader ; la sécurité d’Israël demeure précaire, tandis que le terrorisme et la prolifération d’armes de destruction massive augmentent. La sécurité d’Israël se stabilise ; les échanges, le rapprochement puis la normalisation diplomatique avec le monde arabomusulman sont notamment rendus possibles par la création d’un État palestinien, économiquement et politiquement viable. La production et/ou la prolifération des armes de destruction massive se trouvent soumises à de stricts contrôles, réduisant ainsi les tensions avec le Proche Orient. Le déclin de la société israélienne n’épargne aucun domaine (développement humain, cohésion interne, solidarité, etc.). En termes d’unité, de cohérence destinale et de réalisation artistico-culturelle, la société israélienne se développe de façon optimale, incarnant un modèle de société authentiquement éclairée. Israël est en pleine débâcle économique ; des symptômes de sous-développement surgissent à travers tout le pays, lequel ne peut d’ailleurs plus prétendre au moindre partenariat avec les agences de coopération et de développement international. Économiquement, l’État hébreu s’affermit ; dans certains secteurs phares — tourisme, haute technologie, exportation de services —, il atteint même des résultats qui font de lui un partenaire incontournable à l’échelle internationale, dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de l’action humanitaire. La créativité et l’esprit novateur se font de plus en plus rares et de moins en moins signifiants. Au plan culturel — et en vertu des nouveaux sommets qu’y atteint la créativité juive —, Israël constitue une avant-garde pour les artistes, écrivains et penseurs diasporiques 10 I L E PEUPLE JUIF EN 2005/2006: ENTRE RENAISSANCE ET DÉCLIN Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Un fossé socioculturel sépare Israël de la Diaspora ; le niveau de vie des Israéliens est incomparablement plus bas que celui des communautés de la Diaspora. Non seulement l’alyah s’estompe, mais le tourisme lui-même décroît d’année en année. Israël — État phare de la civilisation juive — incarne et symbolise le cœur de l’existence hébraïque, sans pour autant compromettre le rôle vital des principales communautés de la Diaspora. Symbole d’une paix impossible, Jérusalem redevient une cité divisée ; la question des Lieux saints est un objet de conflit sans cesse ravivé entre l’État hébreu d’une part, et de l’autre, l’islam et l’Église. Jérusalem jouit d’un statut tout à la fois unique et universel : capitale de l’État d’Israël, elle l’est aussi de l’État palestinien et peut-être même du monde chrétien. Pour les juifs en tout cas, c’est un centre spirituel et culturel ; ainsi, Jérusalem devient la Cité de l’Esprit par excellence. Communautés de la Diaspora L’influence des communautés juives s’affaiblit dans le monde entier. Culturellement et matériellement, les grandes communautés de la Diaspora vont en se renforçant. Attribuable à une alyah de plus en plus importante, l’affaiblissement numérique des juifs de Diaspora est, dans une certaine mesure, compensé par le mieux-être constant des communautés, le choix des enfants issus de couples mixtes de demeurer au sein du judaïsme, et leur rayonnement qui s’étend à l’ensemble des pays où elles sont établies. L’éducation juive touche de moins en moins la jeunesse. L’hébreu est largement méconnu. L’apprentissage de l’hébreu, la connaissance de l’histoire comme de la pensée juive, sont à la portée de chaque enfant juif. I N S T I T U T D E P L A N I F I C AT I O N D ’ U N E P O L I T I Q U E P O U R L E P E U P L E J U I F I 11 Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Confrontée au phénomène de la globalisation, la jeunesse tient la tradition juive pour caduque et dérisoire ; dans ce contexte, la créativité juive s’amenuise et se marginalise. La Renaissance juive, aux plans spirituel et culturel, tant en Israël qu’en Diaspora, illustre l’extrême contemporanéité du judaïsme en cette aube du XXIe siècle. S’il est vrai que seule la pertinence d’une tradition est à même d’en garantir la transmission, le judaïsme pourra démontrer là qu’il reste un « modèle du pensable » (Emmanuel Levinas), non seulement pour la jeunesse juive éclairée, mais encore pour toute notre postmodernité. Économiquement, les communautés se fragilisent ; de plus en plus nombreux, leurs indigents ont recours à des services sociaux communautaires qui fonctionnent mal, voire plus du tout, par manque de ressources. Les membres des communautés juives étant souvent engagés dans des activités professionnelles de très haut niveau, leur situation économique est stable. La culture dite postmoderne érode l’identité juive, notamment auprès de la plus jeune génération. Parce que les ruines de l’Histoire et des idéologies l’ont précédée, notre époque est engagée dans une quête de sens singulièrement ardue. Dans ce contexte, le renouveau de la créativité et des études hébraïques constitue un phénomène mobilisateur pour de nombreux jeunes juifs. De plus en plus de juifs font montre d’indifférence vis-à-vis de leur identité et se détournent des affaires communautaires. Dans leur écrasante majorité, les juifs assument leur judéité avec ferveur et n’hésitent pas à s’engager dans les débats, comme dans toutes les autres activités inhérentes à la vie communautaire. 12 I L E PEUPLE JUIF EN 2005/2006: ENTRE RENAISSANCE ET DÉCLIN Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Le peuple juif comme entité globale : considérations internes Globalement, l’image des juifs dans le monde est celle d’un peuple morcelé, sceptique quant à son propre projet, difficilement mobilisable et en pleine perte d’identité. À l’échelle mondiale, le peuple juif fait figure de collectivité dotée de dimensions et d’expressions multiples ; simultanément, cette collectivité est porteuse d’un projet cohérent, d’une forte identité et d’une capacité d’action parfaitement adaptée aux défis du XXIe siècle. L’ignorance, la déculturation, l’infécondité intellectuelle atteignent des degrés alarmants, tant en Israël qu’en Diaspora. Du fait de sa créativité dans les domaines les plus divers, le peuple juif s’apparente à une communauté vouée à la vie de l’esprit. Entre Israël et la Diaspora, l’unité et la solidarité se désagrègent ; l’éloignement est notoire ; en termes de réalisations communes, le bilan est consternant. Le cyberspace permet à Israël et aux communautés de la Diaspora de communiquer — et donc de se connaître — de mieux en mieux. De Jérusalem à Paris, de Tel-Aviv à New York, on assiste à un échange constant d’idées ou d’initiatives visant au mieux-être de tout le peuple juif. Le leadership juif est impuissant et structurellement inapte à affronter les tâches qui s’imposent à lui. Le leadership du peuple juif est désigné selon des critères démocratiques ; par ailleurs, dans les domaines religieux, culturel ou strictement communautaire, il reflète fidèlement les différentes sensibilités et courants constitutifs du peuple juif. I N S T I T U T D E P L A N I F I C AT I O N D ’ U N E P O L I T I Q U E P O U R L E P E U P L E J U I F I 13 Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 Les institutions juives sont divisées et incapables d’élaborer des plans d’action commune. Les institutions juives s’ouvrent à de nouveaux défis, se diversifient et jouissent du soutien des principaux pans de la communauté. Par ailleurs, ces institutions coopèrent volontiers, élaborent des formes nouvelles de représentation centralisée, créant de la sorte une dynamique communautaire capable non seulement de répondre aux problèmes de l’heure, mais encore de mener une réflexion de fond sur l’avenir du peuple juif comme du judaïsme. Les ressources dont dispose la communauté s’amoindrissent au point de contrarier la bonne gestion financière des dossiers les plus pressants. Une véritable économie communautaire se développe : elle permet d’assumer les dépenses liées à l’action sociale, religieuse, culturelle et humanitaire ; conseillers et investisseurs assurent à cette économie sa stabilité. Le peuple juif comme entité globale : perception extérieure Les nouvelles réalités sociopolitiques et, plus généralement, la situation du monde, affectent diversement l’ensemble du peuple juif, à commencer par la communauté américaine. L’influence du peuple juif, au sein de la famille des nations, gagne en importance ; au plan de la politique internationale, cette influence est avérée, même si entre Israël et la Diaspora, elle s’exerce sous des formes éventuellement divergentes. Face aux questions cruciales qui agitent l’humanité — le judaïsme demeure muet ; son apport au progrès, au mieux-être des peuples et des sociétés, est à peine notable. Le peuple juif œuvre à l’édification d’un monde meilleur, fidèle en cela à la parole des prophètes qui appelaient au tikoun ôlam ()תיקון עולם. Conséquemment, les juifs assurent une contribution précieuse au règlement des questions culturelles, philosophiques, éthiques, éducatives ou sociales qu’affronte l’humanité. 14 I L E PEUPLE JUIF EN 2005/2006: ENTRE RENAISSANCE ET DÉCLIN Projections pessimistes pour 2050 Projections optimistes pour 2050 La « réprobation d’Israël » (A. Finkielkraut) est quasiment unanime ; elle devient progressivement une sorte de norme qui, à son tour, suscite une animosité généralisée vis-à-vis des juifs. Au sein même de la communauté, l’heure est à la désolidarisation d’Israël, dont l’intransigeance est âprement dénoncée par les juifs eux-mêmes. L’antisionisme et l’antisémitisme deviennent des phénomènes marginaux. Ce changement se produit à la suite de la signature d’accords menant à une paix juste et durable au Moyen-Orient. Hors d’Israël, les tensions se radicalisent entre une communauté juive peu préparée à un tel « affrontement » et les mouvances islamisantes organisées, familières du militantisme de terrain. Des espaces juifs symboliques (écoles, lieux de culte, cimetières, plaques commémoratives, etc.) sont pris pour cibles, vandalisés ou profanés ; on redoute de graves attentats visant des institutions juives et/ou israéliennes. Pour leur part, les États démocratiques condamnent fermement, et définitivement, le terrorisme sous toutes ses formes. Enfin, ces États font montre d’intransigeance (la fameuse « tolérance zéro ») vis-à-vis de toute manifestation d’antisémitisme. Au gré d’une dégénérescence constante des relations avec l’Église et le monde musulman, le judaïsme est malgré lui engagé dans un Kulturkampf dont nul ne saurait prévoir l’issue. Les relations qu’entretient la Synagogue avec l’Église et la Mosquée vont en se clarifiant. Certaines questions clés — d’ordre éthique, par exemple — pourraient même servir de tremplin à des rencontres, colloques, publications, permettant aux intellectuels et religieux issus de chaque confession de se rencontrer, de réfléchir et de travailler collectivement. C. CONCLUSIONS L L’horizon lointain de l’an 2050, tout comme les mutations profondes qui, d’ici là, ne manqueront pas de se produire, doivent nous inciter à aborder les futurs définis plus haut non pas littéralement, mais comme des archétypes. De surcroît, les termes mêmes de nos deux « scénarios » peuvent être compris et interprétés de plus d’une façon, modifiant dès lors substantiellement les perspectives qui peuvent en résulter. Qu’ils soient factuels ou hypothétiques, ces termes n’en ont I N S T I T U T D E P L A N I F I C AT I O N D ’ U N E P O L I T I Q U E P O U R L E P E U P L E J U I F I 15