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losum Chosum
Motivation, doutes et aspiration…
Quelques extraits des entretiens de Philippe avec
trois des futurs retraitants.
- Pourquoi fais-tu cette retraite ?
-Heïke : ...ça c’est une bonne question ! J’ai déjà essayé de
la formuler mais c’est très difficile pour moi de mettre
des mots dessus. Je n’ai pas la motivation de « m’éveiller
pour tous les vivants », ça me semble très artificiel ; mais
en même temps quelque chose me pousse et me dit : c’est
la chose à faire, là où je suis. On m’a souvent donné un
conseil : regarder la situation pour voir si on va regretter
de ne pas la faire. Du coup la question de la motivation se
pose moins. La question est plutôt : lorsque j’aurai trente,
quarante ou cinquante ans, ne vais-je pas regretter de
n'avoir pas saisi cette chance qui ne se reproduira peut
être plus.
- As-tu encore des doutes ?
- Thibaut : Bien sûr ! On a toujours des doutes, tous les
jours on se dit : est- ce bien là qu’il faut que j’aille ? Et
puis je quitte beaucoup de choses. Avec ma compagne,
nous allons mettre toute notre histoire en pause sans
savoir si on va se retrouver après. Mais il y a quelque
chose qui est beaucoup plus fort que ça, c’est un peu
indescriptible. C’est de sentir, certains appellent cela la
petite voix intérieure, un élan vers quelque chose de plus
grand, de plus fort que le reste. Ces doutes, il convient de
les analyser, d’y répondre autant que possible, mais on ne
pourra pas s’empêcher d’en avoir au moment de rentrer et
d’en avoir longtemps encore, peut être jusqu’à la fin de la
retraite. Doucement, ne surtout pas les refouler, mais les
comprendre et voir que cette motivation qui nous entraîne
les balaie. Il faut essayer, se lancer, sauter du plongeoir.
- Quelle est ton aspiration ?
- Juri : Celle de bien pratiquer. Le but est de s’approcher
d’un état d’éveil et donc de liberté, de sagesse, d’amour et
d’empathie. J’aimais bien ma vie d'avant, je n'ai pas fui
quelque chose qui ne me plaisait pas. Mais je me suis
aperçu que j’étais trop dispersé, que je n’arrivais pas à
donner suffisamment de temps, d’énergie, d’attention à la
pratique du Dharma. J’ai donc décidé d’y consacrer tout
mon temps en faisant cette retraite de trois ans. J’ai
grandi dans un milieu catholique qui m’a donné de bons
repères. Puis j’ai pratiqué le yoga et les traditions
orientales, l’hindouisme et le taoïsme. Mais quand j’ai
rencontré le Dharma, j’ai découvert une qualité
d’enseignement, une profondeur et surtout une santé que
je n’avais jamais rencontrées auparavant. Par santé, je
veux dire une démarche attentive à tout type de déviation.
Au fil des ans j’ai apprécié de plus en plus la pratique du
Dharma et je me suis dit qu’il valait la peine de s’y
engager plus profondément.
...Suite de la p. 1
aujourd’hui, est le plus grand centre kagyü du Tibet.
C’est là que Kalu Rangjung Künchab (1904-1989)
fit sa retraite de trois ans et reçut la totalité des
transmissions Palden Shangpa de son lama source
Drupwang Norbu Töndrup (1880-1954), un maître
parfaitement accompli qui réalisa le corps d’arc-en-
ciel. Ensuite, après des pérégrinations érémitiques
en yogi solitaire, Kalu Rangjung Künchab, à la
demande de son lama source, devint à son tour le
drupön, maître des retraites, de Tsadra Rinchen
Dra, pendant une douzaine d’années. Son renom
de yogi réalisé le fit inviter dans le Tibet central
et hors de celui-ci. Il inspira au Bhoutan, en Inde
puis dans le monde entier des centres de retraite
dont la fondation fut au cœur de son activité. C’est
ainsi qu’il fut reconnu comme une émanation de
l’activité éveillée de Jamgön Kongtrül Lodrö Tayé.
Denys Rinpoché fut pendant vingt ans le disciple
direct et un assistant personnel de Kalu Rangjung
Künchab qui le désigna finalement comme l’un
de ses héritiers spirituels et successeurs dans
la transmission de sa lignée. En Inde au début
des années 70, dans l’inspiration de son lama
source, Denys Rinpoché demanda à Vajradhara
Kalu Rangjung Künchab d'instaurer la tradition
de la retraite de trois ans en Occident. C’est ainsi
qu’allaient naître quelque temps après les premiers
centres de retraite occidentaux à Dashang Kagyü
Ling. Denys Rinpoché y accomplit en 1976 la
retraite de trois ans sous la direction directe de
Kalu Rangjung Künchab, avec l’accompagnement
de Drupön Rinpoché, Lama Tenpa Gyamtso, l’un des
principaux héritiers spirituels tibétains de Kalu
Rangjung Künchab.
Ensuite, Kalu Rangjung Künchab ayant demandé
à Denys Rinpoché de développer à Dashang Karma
Ling un centre d’étude et de pratique, il souhaita dès
que ce fut possible y établir des centres de retraites
de trois ans. C’est ainsi qu’en 1984 les centres de
retraite de Naro Ling et Nigu Ling furent construits
dans les hauteurs de Karma Ling et que la première
retraite de trois ans débuta en 1985. C’est à cette
époque que Vajradhara Kalu Rangjung Künchab
investit Denys Rinpoché comme Vajracharya
détenteur de la lignée Palden Shangpa et de toutes
ses transmissions, et qu’il lui confia l’instruction
particulière de progressivement en transmettre la
lignée dans l’expérience de l’union du Mahâmudrâ
et du Dzogchen.
À partir de 1985 les retraites vont s’y succéder sans
interruption dans un cycle qui, incluant les pré-
retraites, dure environ quatre années.
Les retraitants de la première retraite (1985-1988)
reçurent le Shangpa Chatsang, le cycle complet
Palden Shangpa Kagyü, de Kalu Rangjung Künchab
lui-même, au centre Dashang Kagyü Dzong à Paris.
Les retraitants de la deuxième retraite (1989-1992)
le reçurent à Dashang Kagyü Ling, au Temple des
Mille Bouddhas, de Kyabjé Bokar Rinpoché. Lors de
la troisième (1993-1997) et de la quatrième retraite
(1997-2001), Denys Rinpoché donna lui-même les
transmissions dans les centres de retraite au fur et
à mesure des pratiques. Pour la cinquième retraite
(2001-2006), Denys Rinpoché souhaita, pour
renforcer le lien spirituel avec celui-ci, que Kyabjé
Bokar Rinpoché donne à nouveau lui-même les
transmissions. Un grand pèlerinage fut organisé
en Inde avec plus de 35 retraitants pour recevoir le
Palden Shangpa Chatsang à Mirik. C’était en 2001
et ce fut la dernière fois que celui-ci les donna avant
son parinirvâna en 2004.
En 2006, Denys Rinpoché conféra le cycle complet du
Palden Shangpa Chatsang dans sa version Dashang
Rimay, Mahâmudrâ-Dzogchen, aux retraitants de
la sixième retraite (2006-2010) ; et aussi, pour
la première fois, à tous les pratiquants anciens
qui souhaitaient s’engager dans le programme
modulaire de la retraite de trois ans. En 2010, le
même cycle fut de nouveau transmis à l’occasion
des préparations de la septième retraite de trois ans
qui a commencé en mai dernier. Durant les deux
dernières retraites Denys Rinpoché fut aidé dans
la transmission des instructions par son disciple
lama Chödrup qui a œuvré comme drupön assistant.
En tout, Denys Rinpoché a ainsi enseigné et guidé
six retraites de trois ans ; suivant ses instructions,
l’ensemble des textes et commentaires de la retraite
ont été traduits en français, certains ayant été
versifiés dans une traduction chantable suivant les
airs traditionnels. Ce travail est toujours en cours
et s’affine de retraite en retraite.
Ainsi depuis plus de 25 ans ont été formés de
nombreux yogis occidentaux qui, pour ceux qui
ont reçu l’accréditation de leur lama source, sont
devenus lamas enseignants.
C’est ainsi que la tradition yogique des Palden
Shangpa Kagyü a pris naissance de façon autonome
en Occident, suivant sa lignée Dashang qui procède
de Jamgön Kongtrül Lodrö Tayé et Kalu Rangjung
Künchab, et sa branche Rimay à la suite de Denys
Rinpoché.
Texte rédigé par le comité de rédaction de Garuda
Assistant à la sortie de la sixième retraite,
Philippe s’interroge sur le choix d’entrer en re-
traite de trois ans. Il décide d’y consacrer un
film en suivant les pré-retraitants durant leur
préparation.
30 mars 2010, sortie de la 6
e
retraite - Moi qui ne ferai
jamais cette retraite pour plein de bonnes raisons, fami-
liales et sociales, j’ai soudain envie d’aller plus loin dans
ce mystère. Moi qui suis claustrophobe, il me faut raconter
cette retraite, découvrir pourquoi on s’enferme trois ans
de sa vie. Comment peut-on laisser une famille à la porte
d’une aventure si longue ? Quel parcours de vie amène
à un tel choix ? À quel moment reconnaît-on cette voie
comme la sienne ? Qui sont les prochains ? Comment se
préparent-ils ? Quelles sont leurs motivations ?
Fin août 2010 - Je pose ma caméra devant la Maison de
la Sagesse. Les futurs retraitants sont tous là pour rece-
voir de Rinpoché l’ensemble des transmissions shangpas.
Je me présente et présente mon projet. Mal à l’aise, je me
demande si je ne viens pas voler un peu de leur intimité,
perturber leur histoire, parasiter leur préparation. Mes
premières interviews sont encourageantes. Je découvre
des personnalités riches, vivantes, ouvertes et confiantes.
15 mai 2011, entrée de la 7
e
retraite - Devant les portes
maintenant closes des centres de retraite, ce sont mes der-
nières images. Pour les retraitants, l’aventure commence.
Pour moi, c’est la fin du partage, de ce temps de prépara-
tion que j’ai pu vivre à leurs côtés, témoin assidu, toujours
à l’écoute et souvent invité au cœur de la vie du groupe.
Ce plan sera le premier et le dernier de mon film. Il ouvre
la question de la retraite et la referme sur le mystère de
cette aventure. Seuls les retraitants peuvent la vivre et en
faire la profonde expérience.
Merci à Rinpoché, qui m’a ouvert toutes les portes de l’Ins-
titut et du Dharma. Merci à lama Chödrup, qui m’a guidé.
Merci à chacun des retraitants de m’avoir si bien accepté
et aidé. Fort de cette confiance, il me reste à relever le défi
du montage de ces moments d’harmonie et de question-
nement. Un film de cinquante deux minutes sera réalisé
avec la participation d’un musicien du sangha. Une so-
ciété de production qui croit au projet aidera à l’aboutis-
sement, la distribution et la diffusion d’un DVD.
Philippe Vernerey
le chemin vers
une retraite
losum Chosum