avancée de cette critique de l’image idéaliste de l’homme qui fut le résultat de toute
la tradition philosophique de l’Occident. Freud explique en effet qu’il y a eu trois
grandes blessures qui ont atteint au plus profond l’amour-propre de l’homme
occidental : la découverte par Copernic que la terre n’est pas le centre de l’univers,
celle faite par Darwin que l’homme descend du singe, et enfin celle de Freud lui-
même, qui est celle de l’inconscient. Ce qu’apporte en effet de profondément
perturbant la psychanalyse, c’est l’idée que l’homme n’est pas maître chez lui, qu’il
est gouverné à son insu par des pulsions qu’il ne domine pas et que ce dont il
s’enorgueillit le plus, à savoir sa capacité pensante et son libre-arbitre, ne sont en
réalité que des illusions. Freud n’est cependant, pas plus que Nietzsche, un nihiliste,
et, comme ce dernier, il veut, en tant que thérapeute, guérir l’homme de ses illusions.
La cure psychanalytique vise en effet à rendre à la conscience, au moi, son pouvoir
sur les forces irrationnelles qui gouvernent les actions humaines.
1) La notion de phénomène
C’est donc de cette triple critique des illusions que l’homme entretient à son
sujet dont vont hériter les philosophes du XXe siècle : matérialisme, athéisme,
théorie de l’inconscient, telles sont les perspectives qui vont dominer les réflexions
des penseurs les plus marquants du XXe siècle et qui vont déterminer en profondeur
l’image que l’homme se fait de lui-même au cours de ce siècle où le déchaînement
des pulsions destructrices de l’homme va connaître une sorte d’apogée. Or c’est dans
ce contexte du début du XXe siècle dominé par le positivisme et le refus de toute
métaphysique qu’un nouveau courant de pensée, la phénoménologie, va faire son
apparition. Le terme de phénoménologie était pourtant déjà apparu au XVIIIe siècle
dans l’?uvre d’un philosophe allemand, Johann Heinrich Lambert (1728-1777),
correspondant de Kant, Mais il n'a fait qu'une apparition fugitive avec Lambert, il ne
réapparaîtra comme terme philosophique directeur qu'avec la Phénoménologie de
l'esprit de Hegel en 1807, soit plus de quarante ans après, pour disparaître à nouveau
et réapparaître cette fois, comme nous le verrons, avec encore plus de force chez
Husserl. Ce terme est formé à l'aide de deux mots grecs phainomenon et logos.
Phainomenon, au pluriel ta phainomena, vient du verbe phainô, qui signifie éclairer,
faire briller, puis rendre visible, faire voir, le mot phaos-phôs, lumière, venant de la
même racine : ainsi l'adverbe phainomenôs signifie manifestement ou visiblement.
Le phénomène est donc ce qui se montre, apparaît, est manifeste. Or le premier
« acte » fondateur de ce qui se nommera avec Platon philosophia, c'est la distinction
déjà présente chez Parménide entre ce qui est toujours, l'être, qui ne se donne pas à
voir, et ce qui apparaît de manière multiple, les phénomènes. L'enquête
philosophique, c'est donc avant tout une question sur l'être, c'est-à-dire sur la vérité,
comme l'indique bien le « scénario » du poème de Parménide qui narre le voyage du
penseur qui ne peut choisir le bon chemin, celui de l'être, et écarter les voies de
perdition du néant et des apparences, qu'avec l'aide d'une déesse dont le nom est tu,
Arte-filosofia – Françoise DASTUR – Autour de la phénoménologie – Cannes 2007 - www.artefilosofia.com