L’image que ces histoires présentent se distingue de celle du religieux compassé et
solitaire. Cet exemple d’engagement non monastique eut un immense succès et devint
un modèle pour les laïcs. Il s’agissait pour eux d’agir à l’instar du bodhissatva qui, à
force d’actes généreux, pu devenir le Bouddha.
Non seulement le Mahayana ouvrit ainsi la voie du bodhissatva à tous —!jusque-
là réservé à quelques très rares individus isolés et solitaires —, mais surtout il va
montrer que ce chemin peut s’enseigner.
Dans les écoles anciennes, en effet, un bodhissatva, c'est-à-dire un futur Bouddha,
«!chemine dans la solitude, renonçant à mettre en pratique l’enseignement des Bouddha
qu’il peut avoir l’occasion de rencontrer au cours de ses nombreuses vies, afin de
retrouver le chemin qui mène au plein Eveil par ses propres efforts, sans aide et sans
guide.!»5 Autrement dit, il n’a aucun enseignant et n’enseigne pas lui-même. Comme il
n’est besoin que d’un Bouddha par ère cosmique (kalpa), peut importe que ce chemin
ne soit pas suivi par un grand nombre d’individus.
En plus de ce changement de paradigme, l’approche du Mahayana comporte une
méditation particulièrement détaillée sur la vacuité et sur la "nature de Bouddha".
Notre propos n’est pas, ici, de savoir si la critique que ce nouveau courant opère
des écoles anciennes est juste, ni si son projet est authentiquement novateur. La
difficulté est ici semblable, toute proportion gardée, à celle du Christianisme et du
Judaïsme. Le Judaïsme ne peut pas accepter que le Christianisme soit plus universel que
lui, il revendique la plénitude de l’enseignement et de la Loi qu’il a reçues, et le
Christianisme comme le Judaïsme ne reconnaissent pas à l’Islam le droit de se
proclamer la dernière révélation accomplissant les précédentes…
Chaque école, chaque tradition est portée par une cohérence qui lui est propre…et
qui la conduit à repenser l’histoire humaine dans le souci d’y reconnaître un ensemble
harmonieux. Le légitime souci de rigueur, propre à la démarche critique Occidentale, ne
devrait pas, comme c’est trop souvent le cas, conduire à adopter une attitude arrogante
conduisant à considérer les diverses propositions des grandes traditions comme des
inventions hasardeuses. Chaque époque doit réinventer une manière de se penser.
5 Dominique Trotignon, «!Pour en finir avec le Hinayana!…!», texte non publié. Cet article important a beaucoup
marqué mon propre travail et ce texte lui est grandement redevable.