1. Techniques juridiques et techniques
économiques au cœur du capitalisme
médiéval
Dans la seconde moitié du XIXème
siècle, les controverses scientifiques en
Allemagne sur les sources historiques du
capitalisme sont marquées par des
programmes de recherches convergents entre
économistes et juristes, dans la mesure où les
travaux historiques des uns et des autres
mettent en évidence le fait que, loin de
relever d’une évolution linéaire et univoque,
l’histoire du capitalisme doit être expliquée
aussi bien à l’aune de l’évolution des
pratiques économiques, de nouveaux types
de groupements sociaux et de nouvelles
institutions juridiques. Les travaux menés par
le jeune Weber se situent ainsi de manière
explicite dans cette perspective
interdisciplinaire.
L’apparition des formes modernes de
capitalisme ne peut s’expliquer en premier
lieu que par des pratiques économiques
nouvelles : ces pratiques sont celles qui
relèvent de comportements de prise de risque
économique, liés à des activités spécifiques
comme le transport maritime, telles qu’elles
sont observées par Weber au travers des
sources relatives aux sociétés commerciales
des riches cités de la Méditerranée
médiévale. A ces comportements nouveaux
s’adjoignent des techniques économiques
nouvelles, comme les transformations de la
comptabilité suscitées par la distinction entre
les différents apports de fonds pour le
financement de ces activités risquées. Par là-
même, les changements subis par ces
techniques comptables s’imbriquent
profondément avec de nouvelles techniques
juridiques en gestation : des contrats
commerciaux adaptés à des groupements
ponctuels orientés vers le profit. L’originalité
des analyses de Weber consiste à montrer
précisément en quoi ces pratiques
économiques nouvelles ne s’opposent pas
radicalement au cadre traditionnel de
l’activité économique que sont les formes
communautaires de production et d’échange :
la naissance de l’entreprise capitaliste
moderne est caractérisée par une
combinaison associant des formes purement
orientées vers le profit et des formes
intermédiaires comme les « sociétés
familiales », lesquelles se situent « entre
communauté et société ». Or, une telle
hypothèse s’appuie justement sur la prise en
compte de la portée économique et sociale de
faits juridiques déterminés.
Avant d’entrer dans le détail de ces
recherches, il importe pour comprendre le
contexte dans lequel le jeune Weber avait
entrepris ses recherches historiques dans le
cadre de son doctorat en droit1, de souligner
le climat universitaire particulier qui
caractérise la fin du XIXème siècle en
Allemagne, un climat marqué par d’intenses
controverses transdisciplinaires dans la
recherche en sciences sociales. Le professeur
de Weber sous la direction duquel il effectue
1 Max Weber a suivi un cursus de droit de 1886 à
1892, en commençant par étudier le droit romain. Le
titre exact de sa thèse de doctorat
(Dissertationsschrift) sur les sociétés commerciales,
sous la direction de Levin Goldschmidt, est le
suivant : « Développement du principe de solidarité et
du patrimoine spécifique des sociétés commerciales à
partir des communautés domestiques et artisanales
dans les villes italiennes », (Entwicklung des
Solidarhaftsprinzips und des Sondervermögens der
offenen Handelsgesellschaft aus den Haushalts- und
Gewerbegemeinschaften in den italienischen Städten).
Ce travail est publié en 1889 sous la forme d’un
ouvrage plus large : « Sur l’histoire des sociétés
commerciales au Moyen-Age ». (Zur Geschichte der
Handelsgesellschaften im Mittelalter. IN WEBER,
Max. Gesammelte Aufsätze zur Sozial-und
Wirtschaftsgeschichte. Tübingen (Allemagne) : J.C.B.
Mohr (Paul Siebeck), 1988, p.312-443.) Pour des
informations plus détaillées, on se reportera aux
études suivantes : LOVE, John. Max Weber and the
theory of ancient capitalism. History and Theory,
1986, vol. 25, p. 152-172 ; CAENEGEM, Raoul C.
van. Max Weber : historian and sociologist. IN
CAENEGEM, Raoul C. van (Ed). Legal History : a
european perspective. London : The Hambledon
Press, 1991 ; BERMAN, Harold J., REID, Charles J.
Max Weber as legal historian. IN TURNER,
Stephen (Ed.) The Cambridge companion to Weber.
Cambridge (R-U) : Cambridge University Press, p.
224. SWEDBERG, Richard. Max Weber and the
idea of economic sociology. Princeton (New Jersey,
E.-U.) : Princeton University Press, 1998. 315 p. (en
particulier, note 41, p. 289).