Vagues dans l’Océan (Maroc) Par Najib Cherfaoui, ingénieur des Ponts et Chaussées. Résumé : Pour nos rivages, les vagues de tempête sont providentielles et ont des bienfaits multiples. Elles apportent des rations fraîches du bouillon océanique dont se nourrissent par filtrage les bivalves. En dispersant les spores des algues ou les embryons de poissons, elles participent pleinement à la survie des espèces végétales et animales. En plongeant en profondeur, elles labourent et fertilisent les fonds marins. En remuant les galets, elles contribuent à leur nettoyage. Elles peuvent emporter une plage en une nuit et en construire une nouvelle au printemps suivant, éliminant par là même toute forme de pollution. Elles apportent ainsi des sables nouveaux, riches en nutriments essentiels au développement des algues si précieuses. C'est aussi dans ces sables régénérés que viendront pondre les poissons prédateurs comme le congre ou le loup de mer. Pour donner une idée de l'ampleur du phénomène, il faut savoir qu'au cours de la tempête du 6 janvier 2014, des lames tumultueuses ont atteint un pic de 13 mètres de creux. Les remaniements se sont élevés à 500 000 m3 de sédiments par kilomètre de plage. Ce qui pour un linéaire de 1 000 km conduit au chiffre astronomique de 0.5 milliard de m3 de sables emportés vers le large en une seule matinée. Si par exemple, nous devions effectuer ces dragages par les moyens dont nous disposons aujourd'hui, cette entreprise durerait un siècle, et je vous laisse deviner le coût de cette opération …. 1 Vagues dans l’Océan (Maroc) Par Najib Cherfaoui, ingénieur des Ponts et Chaussées. A. Mers en mouvement Au niveau de la Planète, l’agitation incessante de l’interface eau-atmosphère représente la manifestation la plus spectaculaire de la physique des océans. Tout d’abord, il y a les forces de marées. Elles déplacent des masses d'eau colossales. Elles affectent l'Océan tout entier, de la surface au plancher, et contribuent pour environ 80% du total de ses mouvements. Aussi, il est toujours d’actualité de récupérer cette énergie inépuisable et tout à fait considérable. Du point de vue portuaire, la marée montante facilite l’entrée et la sortie des navires. Ensuite, il y a les courants marins. Ils permettent la circulation d’énormes volumes d’eau chaude et froide. Ainsi, la quantité de chaleur transportée vers le Nord de l’océan atlantique est de l’ordre du million de gigawatts, soit l’équivalent de la puissance d’un million de centrales nucléaires fonctionnant à plein régime. Grâce à eux, l’Océan joue donc le rôle d’un immense régulateur du climat terrestre. Autrement dit, ce qui se passe en une région se répercute tôt ou tard dans une autre région, même très éloignée. figure - 1 : tempête sur le port de Casablanca en 1954, avec déferlement de la houle par-dessus le mur de garde au milieu de la grande jetée « Delure », baptisée jetée Moulay Youssef en 1968. Faisant preuve d’une remarquable résilience, la digue développe naturellement une double protection : la première contre la force destructrice de l’océan, la seconde contre l’ignorance de ceux qui ont en charge les travaux d’entretien de notre patrimoine portuaire. En troisième lieu, il y a les vagues. Elles sont indispensables au bien être des milieux côtiers. Elles apportent des rations fraîches du bouillon océanique dont se nourrissent les algues et les poissons. En plongeant en profondeur, elles labourent et fertilisent les fonds marins. En remuant les sables, elles participent à leur lavage. À l’inverse, elles constituent une menace permanente pour les ouvrages construits sur le front de mer. Par exemple, au moment de déferler, les plus grosses vagues exercent sur une paroi verticale une pression qui peut atteindre 60 t/m2. Sous leurs assauts répétés, les falaises reculent et les digues portuaires tombent parfois en ruines. En termes de navigation maritime, la houle freine n’importe quel bateau et lui impose des oscillations forcées. Par exemple, des vagues de cinq mètres abaissent la vitesse de 23 à 17 nœuds et déstabilisent les cargaisons. C’est ainsi que tous les ans, dix milles conteneurs sont perdus en mer. 2 figure -2 : Un navire n’a pas seulement à résister aux formidables chocs que la mer lui impose. Quand passent les vagues, il est comme une longue poutre qui fléchit tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, la déformation peut aller jusqu’à 20 à 30 cm, au-delà, il y a risque de rupture.1 Par rapport à la rapidité, aucun progrès notable n’a été réalisé au cours du XXème siècle. De nos jours encore, un porte-conteneurs avance à peine plus vite qu’un homme qui court. De plus, confrontés à la résistance de l’eau et aux phénomènes de cavitation, les ingénieurs navals se sont fait à l’idée que le maillon maritime serait toujours lent. Ils acceptent aujourd’hui cette limitation comme une donnée naturelle, d’où le recours aux navires géants pour bénéficier des économies d’échelle. B. Quelques définitions La compréhension des phénomènes marins nécessite la définition des caractères fondamentaux des vagues, l’établissement d’une terminologie et l’adoption de dénominations bien claires. La crête ou sommet de la vague est le point le plus haut qui s’élève au-dessus du niveau de repos. L’amplitude, le creux, la hauteur ou bien encore l’élongation de la vague désignent indifféremment la distance verticale qui existe entre le sommet et le point le plus bas atteint par la surface libre. La longueur de la vague représente en mètres la distance horizontale qui sépare deux sommets ou crêtes consécutifs. La période de la vague mesure en secondes l’intervalle de temps qui sépare le passage de deux crêtes successives au même point. On obtient la vitesse de propagation de la vague en faisant le quotient de la longueur par la période. Les vagues d’une houle bien formée sont appelées lames. Enfin, nous rappelons que le mille marin correspond à la minute de degré de méridien ou sa 1/60 ème partie, soit 1 852 mètres. y Longueur de la vague (L) Amplitude H 2 Creux ou hauteur de la vague (H) x O figure - 3 : Grandeurs caractéristiques d’une vague modèle : longueur de la vague, creux ou hauteur de la vague) et période. La période est l’intervalle de temps qui sépare le passage de deux sommets successifs au même point. C. Vagues dans l’océan À proximité des rivages, disons à une quinzaine de milles, la mer est le siège de séquences de vagues régulières, bien formées que l’on appelle houle (du mot allemand « hol » qui signifie « creux »). Ce phénomène commun que chacun peut facilement observer est généré par le vent. 1 Ainsi, le 24 septembre 1901, au passage dans un creux, le contre-torpilleur anglais Cobra s’est brisé par le milieu, au niveau des chaudières, et coula en mer du nord par 12 mètre de fond, dans un voisinage où il n’y avait ni rochers ni autres dangers sous-marins. 3 Le vent, c’est tout simplement des masses d’air en déplacement. Les plus chaudes deviennent légères, s’élèvent en altitude, et la pression à la surface sous-jacente diminue : on parle de dépression. Inversement, les plus froides sont plus lourdes. Elles se compriment et créent une zone de haute pression appelée anticyclone. Le système atmosphérique évolue alors de manière à compenser les différences de pression, donnant ainsi naissance aux vents. En ce qui concerne la houle, tout commence dans le grand large, à plusieurs centaines de kilomètres des côtes. Dans ces vastes étendues, l’Atmosphère dépense une partie de son énergie pour creuser la surface des océans. Les premiers mouvements sont confus et aléatoires. Nous les appelons mer du vent ou encore clapot, ils dépendent fortement du mode d’action du vent. Par exemple, un vent doux crée des rides et accroche leur flanc, ce qui augmente graduellement leur amplitude et fait apparaître des ondulations rythmées. Par contre, s’il souffle par rafales, il engendre des vagues petites, de différentes tailles et incohérentes. Dans tous les cas, elles vont dans la même direction que le vent qui leur donne naissance. Après la zone de turbulence, les mouvements s'ordonnent. Au fur et à mesure de leur propagation, certaines vagues interfèrent entre elles, d'autres se cassent, on dit encore qu’elles déferlent. Les plus courtes disparaissent. Si elles ne se brisent pas, elles transfèrent leur force aux plus longues. Ces dernières se stabilisent, deviennent plus hautes et s’ajustent autour d’un profil régulier. C’est la maturation. Par ailleurs, le développement des vagues dépend aussi du fetch, c’est-à-dire de l’étendue d’eau libre sur laquelle souffle le vent. On l’appelle également surface génératrice. Plus elle est vaste, d’autant les vagues acquièrent de la vigueur pour ensuite se propager, grâce à l’énergie emmagasinée, bien au-delà de la zone de vent. En haute mer, ce mouvement régulier constitue la houle. Elle parcourt l’océan tant que rien ne l’arrête. En résumé, nous pouvons dire que du clapot au déferlement sur les rivages, la vie d’une vague peut durer trois ans. Le vent n’est nécessaire qu’au début, car ensuite le mouvement est pris. D. Bienfaisantes La houle agit essentiellement en surface où elle manifeste une violence impressionnante. En un certain sens, elle n’est que le détour inventé par la nature pour stocker et acheminer de proche en proche la force des vents marins. Son énergie se trouve concentrée dans la zone d’oscillation de la surface libre, et sa vigueur faiblit dès que la profondeur dépasse une demi-longueur de vague. Pour se faire une idée de l’ampleur du phénomène, il faut savoir que des vagues de 4 à 5 m de creux peuvent libérer, par mètre linéaire de crête, une puissance équivalente à celle d’une masse de 10 tonnes voyageant à 100 km/h. Ainsi, à Casablanca, pendant une tempête exceptionnellement violente de l’hiver 1924, des parties du mur d’abri pesant 260 tonnes sont arrachées et repoussées à l’intérieur du port, parcourant ainsi une distance horizontale de plus de 11 mètres. Face à une paroi verticale, au moment de déferler, les plus grandes lames exercent d’énormes pressions. Sous leur action, on a vu des falaises s’effondrer sur 200 m à l’intérieur des terres ; ainsi, celles de Jorf Amouni, dans la région de Safi, ont reculé de plusieurs dizaines de mètres au cours de ces quarante dernières années, menaçant les habitations alentour. À l’inverse, pour les rivages, les vagues de tempête ont des bienfaits multiples. En dispersant les spores des algues ou les embryons de poissons, elles participent pleinement au développement des espèces végétales et animales. Elles peuvent emporter une plage en une nuit et en construire une nouvelle au printemps suivant, contribuant par là-même au nettoyage du littoral. Elles apportent ainsi des sables nouveaux, riches en nutriments essentiels à la vie marine.2 2 Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène, il faut savoir qu’au cours de la tempête du 1er novembre 2003, des lames tumultueuses ont atteint un pic de 14 mètres de creux. Non loin de la grande digue du port de Mohammedia, on a enregistré des vagues de 20 mètres de haut. Les remaniements se sont élevés à 500 000 m3 de sédiments par kilomètre de plage. Ce qui, pour un linéaire de 1 000 km, conduit au chiffre astronomique de 0.5 milliard de m3 de sables emportés vers le large en une seule 4 E. Houles au Maroc En tout premier lieu, il faut bien comprendre deux choses : tout d’abord, ce sont les dépressions atmosphériques qui sont la cause des tempêtes océaniques ; ensuite, ce sont les anticyclones qui déterminent la direction des vents et donc des vagues.3 Durant 335 jours par an, les houles qui touchent les côtes marocaines ne dépassent pas 3 mètres de haut et possèdent en moyenne une période de 11 secondes. Plus précisément, à raison de 218 jours, la période est comprise entre 9 et 12 secondes ; et les houles de plus de 16 secondes apparaissent en moyenne 3 jours. De manière générale, les fortes houles sont associées à des périodes supérieures à 15 secondes. En hiver, les vents d'Ouest engendrent la houle au niveau des Açores. Elle atteint le littoral après un voyage de 72 heures. En ce qui concerne les hauteurs exceptionnelles, un maximum de 10.40 m est attesté en 1937 à l’extrémité de la grande jetée de Casablanca. Le 28 décembre 1951, une houle régulière de 6.7 m de creux immobilise la navigation portuaire. Le 21 février 1966, une mer déchaînée ébranle les ports atlantiques (Safi, Essaouira, Agadir) et se distingue par des vagues de direction Ouest-Nord-Ouest, d’amplitude allant de 9 à 15 m, selon des périodes pouvant atteindre 18 secondes, ce qui est énorme.4 Ce phénomène fait suite à une vaste dépression qui a persisté pendant deux jours dans l’Atlantique nord (figure 4). Situation générale 6 h GMT le dimanche 20 février 1966 VENT GÉOSTROPHIQUE Échelle (1 : 3O OOO OOO) à la latitude 60° N MAROC 4 90 5 6 7 8 9 10 11 Nœuds 60 50 40 35 figure - 4 : Document très rare, montrant les causes de la tempête du 21 février 1966 ; une vaste dépression centrée au niveau des Açores. a engendré, de part et d’autre de la latitude 40° N, des vents de 35 à 60 nœuds orientés au WNW et soufflant sur une distance de l’ordre de 800 milles au grand large du Maroc. La houle résultante s’est propagée en direction des côtes du Maroc, de la Mauritanie et du Portugal. matinée. Si par exemple, nous devions effectuer ces dragages par les moyens dont nous disposons aujourd’hui, cette opération durerait un siècle. Ce type de tempête est donc absolument providentiel. Cet évènement exceptionnel a été annoncé trois jours à l’avance par les bulletins météorologiques spéciaux n°160 et 161. Enfin, ce type de tempête est très utile à l’ingénieur, car il peut enfin vérifier les réponses données par les maquettes lors de la conception des ouvrages de protection. 3 La rotation de la Terre a une très grande influence sur l’orientation des vents. Elle crée une force de Coriolis qui les dévie de leur trajectoire, et les fait ainsi tourbillonner. Coriolis Gaspard Gustave, physicien et mathématicien français, (1792 1843), découvrit l’accélération complémentaire à laquelle un objet est soumis s’il est en mouvement dans le référentiel tournant. La force correspondante - force de Coriolis -est différente des forces d’inertie d’entraînement déjà découvertes par Newton. Il en fit mention, pour la première fois en 1835, dans son article intitulé : « Sur les équations du mouvement relatif des systèmes de corps ». 4 Valeurs obtenues au moyen des abaques de l’U.S. Navy Hydrographic Office (Pub. N°603). 5 Le 23 février 1978, une houle puissante de 8 m de creux et 20 secondes de période atteint le site de Jorf Lasfar, après avoir ravagé le port de Sinès au Portugal. Par ailleurs, de 1980 à 2002, j’ai personnellement constaté que la taille des vagues touchant le littoral avoisinant Casablanca a diminué sans raison apparente ; alors que les côtes anglaises ont connu durant cette même période une tendance inverse. Cependant, le 10 mars 2003, une tempête soudaine déferle sur les côtes marocaines. Les vagues atteignent un pic de 8 m pour 19 secondes de période. Les ouvrages subissent d’importants dégâts, notamment à Mehdia où les tétrapodes du musoir de la jetée Sud sont emportés par des eaux tumultueuses, provoquant l’effondrement de la dalle d’assise et du mur de garde. figure - 5 : Vaste dépression centrée au niveau des Açores, à l’origine de la tempête du 1er novembre 2003 engendrant une houle en provenance du Sud-Ouest. (D’après météo France). En l’absence de la proximité d’un anticyclone, le bras externe de la spirale aspirante a créé le long des côtes du Maroc un vent du Sud-Ouest, c'est-à-dire des vagues de tempête en provenance du Sud-Ouest. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2003, une violente tempête balaye en profondeur le littoral allant de Tan Tan à Kénitra. Des vagues de 13.89 m de haut et 19 secondes de période submergent la digue abri de Mohammedia sans causer de dégâts5. Par contre, la jetée du port de Jorf Lasfar subit de graves dommages, le mur de garde est détruit sur une longueur de plus de cent mètres et le corps de l’ouvrage franchement disloqué au niveau du point métrique 2 500, avec apparition d’une large brèche ouverte sur la mer.6 Le musoir de la digue Sud de calibrage de Mehdia est également malmené car déjà fragilisé par la tempête du 30 mars. Au Nord du Maroc, la houle est liée aux vents dominants du secteur Nord-Est. Elle provient du Nord de la Méditerranée occidentale et principalement des perturbations atmosphériques du Golfe du Lion. Le vent soulève aussi, dans la mer d'Alboran, des vagues courtes qui donnent un aspect de « mer cassée » surtout 5 Ces données furent enregistrées par la bouée Datawell ancrée au large du port de Mohammedia par 32 mètres de fonds, au point de coordonnées marines 33°45’ Nord et 7°33’ Ouest. Jorf Lasfar ont pour cause une défaillance humaine, à savoir le non-respect de la règle de base de l’art de l’ingénierie maritime au Maroc qui est de ne jamais entreprendre de travaux en front de mer d’octobre à avril. 6 Les dégâts survenus à 6 en période hivernale. Le creux des vagues ne dépasse pas en général 6 mètres et leur longueur 100 mètres ; cependant, on dit avoir observé exceptionnellement à Al Hoceima des lames de 7 mètres de haut. figure - 6 : Jetée Sud de Mehdia ; le 10 mars 2003, une tempête soudaine déferle sur les côtes marocaines. Les vagues atteignent un pic de 8 m pour 19 secondes de période. Les tétrapodes protégeant le musoir sont emportés, provoquant l’effondrement de la dalle d’assise et du mur de garde. À Nador, le 1er mars 2005, un vent Nord-Est soufflant à 31 nœuds (force 8 Beaufort7) engendre une tempête de vagues courtes et très cambrées : période 8 secondes, longueur 76 mètres, hauteur 5.70 mètres. Une tempête du même type s’est produite le 25 août 2008. En provenance de l’Atlantique Nord, une tempête d’une grande violence s’est abattue sur le sud du Détroit de Gibraltar. Ainsi, dans la journée du samedi 19 Janvier 2013, des houles de hauteur significative atteignant près de 6.30 m ont attaqué le front de mer. Cette occurrence se produit une fois tous les 50 ans (6.20 m). Par rapport à ce site «de Ksar Seghir à Oued Rmel », la vague se produisant tous les 20 ans (vingtenalle) correspond à une hauteur de 5.60 m. Dans la nuit du lundi 6 au mardi 7 janvier 2014, le Maroc est touché sur ses côtes, de manière localisée, entre Agadir et Larache par des vagues puissantes, de 6 à 7 m de haut, avec un pic de 13 m, mesuré à Mohammedia. Ce phénomène est lié à une importante dépression localisée en Irlande, et s’étendant jusqu’en Norvège, mais la présence d’un anticyclone a confiné le bras externe de la spirale aspirante, ce qui a orienté un segment de ce bras dans une configuration engendrant un vent Nord-Ouest très fort donnant naissance à des vagues puissantes. Il convient de remarquer expressément que la ville d’El Jadida n’est jamais atteinte par les vagues de tempête car elles se brisent sur la fameuse chaussée sous-marine qui protège donc efficacement le front de mer urbain de cette importante station balnéaire (voir figure 6). 7 La vitesse du vent se mesure grâce à un anémomètre, et s’exprime selon les besoins en kilomètres par heure, en nœud (1 nœud vaut 1 852 m/h) ou en force sur l’échelle de Beaufort. Elle s’étend de force 0 (0 km/h), calme, la mer est comme un miroir, à force 12 (plus de 118 km/h), ouragan, les vagues peuvent alors atteindre 30 m de hauteur. L'amiral anglais Francis Beaufort (1774-1857) inventa cette échelle en 1805 pour suppléer au manque d’instruments de mesure de vent dans la marine britannique. 7 – 16 m – 10 m – 16 m épi de Mazagan (chaussée sous-marine) –5m – 10 m – 10 m –5m –5m phare Sidi Bou Afi hippodrome phare Sidi Mesbah marabout Sidi Moussa aérodrome figure - 7 : La ville d’El Jadida est naturellement protégée par une chaussée sous-marine orientée vers Est-Nord-Est, Cette chaussée est longue de près de 4 km. L'éperon extrême s'établit à une cote de – 6.30 à – 9 m, tandis que les fonds immédiatement voisins sont à la cote – 15 m. Cet épi sous-marin joue un rôle important en ce sens qu'il brise les vagues des tempêtes océaniques et protège donc efficacement le front de mer urbain de cette station balnéaire stratégique pour l’économie de la région. F. Imprévisibles, monstrueuses et scélérates Les rapports d’accidents mentionnent souvent l’apparition de vagues solitaires, dites monstrueuses – freek waves en anglais – qui surviennent même quand la mer n’est pas déchaînée. On les appelle également « vagues scélérates », parce qu’elles surgissent plus haut que leurs voisines dans une mer modérément agitée. L’étude de ce phénomène a commencé dans les années 1960, grâce à Laurence Draper, de l'Institut américain d'océanographie, qui a analysé les relevés de navires météo : première conclusion, les vagues scélérates sont naturelles et de plusieurs formes. Il a estimé leur fréquence : une vague sur 23 (resp. 300 000) est au moins deux fois (resp. quatre fois) plus haute que la moyenne. L’installation des plates-formes pétrolières en plein océan et le développement du transport maritime ont contribué à les mettre en évidence. Des navires spécialement équipés d'accéléromètres et de capteurs de pression ont enregistré de nombreuses vagues scélérates, le record étant probablement détenu par une vague de 29 mètres. Outre ces navires laboratoires, des bouées ancrées et des satellites ont complété l'arsenal d'exploration. On dispose désormais de données fiables. Et le bilan est lourd : ces 30 dernières années, ces vagues auraient entraîné par le fond plus de 2 000 bâtiments. Il y aurait toujours, à chaque instant, une vague scélérate dans le monde. En mer du Nord, le 1er janvier 1995, au cours d’une tempête modérée où le creux des vagues atteignait une dizaine de mètres, une vague s’éleva soudain à plus de 18 mètres au-dessus du niveau moyen de la mer et endommagea le matériel entreposé sur le pont de la plate-forme pétrolière Draupner, alors que toutes les études avaient prévu que ce pont était à une hauteur qui garantissait sa sécurité. Elle avait en effet une probabilité de trois pour dix mille de se produire en une année. En 1982, la plate-forme Ocean Ranger, au large de Terre Neuve, a disparu avec 84 de ses membres, à cause d’une vague scélérate qui, en déferlant, faucha la salle de contrôle. Le navire minéralier Derbyshire, long de 300 mètres, a coulé, en 1980, à proximité d’un typhon dans la mer du Japon, probablement pour les mêmes raisons. 8 Malgré toute cette accumulation de données, l’origine des vagues scélérates reste encore mystérieuse8. Cependant, trois scénarios (scenarii pour les puristes), jamais détectés simultanément à ce jour, sont envisageables. Dans le premier scénario, diverses vagues qui se propagent, par beau temps, dans la même direction finissent par s’empiler au même endroit, les plus rapides ayant rattrapé les plus lentes. Dans le second scénario, le vent très fort engendre certes les vagues, mais joue aussi le rôle de soupape : il dissipe leur énergie en les cassant, les empêchant ainsi de s’élever trop haut pendant la tempête. Au moment où le vent se calme, cette « soupape » serait supprimée et l’énergie emmagasinée serait libérée d’un seul tenant, donnant naissance à une immense vague. Dans le troisième scénario, différentes vagues, surgissant du centre d’une dépression, se conjugueraient en phase et en amplitude pour former une vague unique et se propager ensuite tel un mur d’eau s’étendant à perte de vue. G. Tsunami Un tsunami est un ensemble de vagues générées par un mouvement des fonds océaniques suite à un séisme, à une éruption volcanique sous-marine ou bien encore à un glissement de terrain. Dans ce qui suit, nous évoquons uniquement les tsunamis d’origine sismique. Ils sont créés, en général, par des secousses ayant une magnitude supérieure à 6 sur l’échelle de Richter. De même que l’écorce terrestre guide les vibrations sismiques, les tsunamis transportent, à travers l’élément marin, loin de la source, l’énergie libérée lors des tremblements de terre sous-marins. Ainsi, à la différence des vagues générées par le vent (c'est-à-dire la houle), les tsunamis partent du plancher océanique lui-même, et prennent l’allure d’ondulations très allongées (400 km) et très rapides. Elles contiennent une énergie colossale qui se dissipe en se brisant le long des côtes. Ce processus se déroule en trois étapes. Il y a tout d’abord le déclenchement par le déplacement vertical de la colonne d’eau située au-dessus de l’épicentre, c’est à dire le point du plancher océanique situé à l’aplomb du foyer. Il en résulte en second lieu que les mouvements des masses d’eau pour retrouver leur position d’équilibre, engendrent des vagues circulaires de période élevée (20 minutes). Celles-ci sont parfois amplifiées par une avalanche sous-marine, elle-même conséquence du séisme. Etant très étirés, les tsunamis sont imperceptibles en pleine mer. De plus, il y a le masque des houles de vent ordinaires. Les navires ne peuvent, donc, pas les discerner, ce qui les rend quasiment indécelables. Enfin, à l’approche des rivages, la célérité diminuant avec la profondeur, la partie avant de la vague ralentit ; elle passe ainsi de 770 km/h à 35 km/h, tandis que l’arrière continue de se propager à une vitesse beaucoup plus importante. D’où un raccourcissement brutal de la longueur d’onde, qui conduit à la formation brutale d’un mur d’eau continu de grande hauteur (5 à 10 mètres). On estime à sept ou huit le nombre de grosses vagues qui font des dommages avant que l’énergie d’un tsunami ne soit dissipée. En moyenne, quinze à trente minutes séparent l’arrivée de chacune. La plus grosse vague n’est pas nécessairement la première. La plupart des tsunamis sont caractérisés, près du rivage, par une baisse soudaine du niveau de l’eau, au-delà de la limite des plus basses mers, mettant ainsi à découvert de grandes zones de la frange littorale. Puis quelques minutes plus tard, la surface libre de la mer peut s’élever de plusieurs mètres au-dessus de l’altitude de la plus haute marée. Les zones inondées peuvent s’étendre à plus 300 m à l’intérieur des terres. 8 Ce phénomène, encore mal compris, passionne les chercheurs : l’Union européenne a lancé en 2002 un programme intitulé « Max Wave » pour les étudier. 9 Les tsunamis surviennent fréquemment dans l’océan Pacifique, notamment sur les côtes japonaises. Ils sont imperceptibles en pleine mer mais se manifestent à l’approche des rivages, sous forme de déferlantes violentes et géantes, aux effets catastrophiques. H. Maroc et Tsunamis Il faut se garder de croire que ce phénomène est exotique. Le 1er novembre 1755, très exactement à 9 h 40 mn, un violent séisme ébranle le littoral de l’Afrique du Nord, du détroit de Gibraltar à Alger1. Il est suivi d’une très forte réplique le 18 novembre à 10 h du matin, et de quatre autres secousses, dans la matinée du jour d’après, entre 5 h et 12 h. 9 Les places côtières subissent de plein fouet les effets dévastateurs du tsunami qui s’en est suivi. Les villes côtières les plus touchées sont Tanger, Asilah, Larache, Mehdia, Salé, Safi et Agadir.10 A Rabat Salé, on relate que la mer s’était retirée sur une grande étendue. Beaucoup de gens étaient allés contempler cet événement ; le flot montant, revenant avec une rapidité prodigieuse, dépassa de beaucoup ses limites ordinaires. Les eaux tumultueuses, montèrent à une hauteur de dix à douze mètres au-dessus du niveau des hautes marées et engloutirent un grand nombre de curieux. Le raz de marée balaya toutes les rues basses de Salé, couvrit même le sol de la grande mosquée et transporta fort loin dans la vallée toutes les barcasses et embarcations ancrées dans le fleuve. Le pont flottant qui reliait Rabat à Salé fut rompu et enlevé par les flots. Les berges de l’Oued Bou Regreg s’effondrèrent en divers endroits ; à la Tour Hassan, il reste des rochers fissurés témoins de ce désastre qui changea la configuration de l’estuaire, ainsi que celle du port de Salé, le fleuve s’étant élargi à l’embouchure. Les eaux laissent une grande quantité de poissons, de sables et de débris dans les champs. À Tanger, l’eau se retire des sources pendant vingt-quatre heures. Ce phénomène déclenche une vive émotion, accentuée par un grondement continu et souterrain qui persiste plusieurs jours après la catastrophe. La lagune de Mar Chica (Nador) se ferme et s’assèche. Le port de Badis disparaît ; à Larache, l’oued Loukkos perd un bras et l’île antique de Lixus se retrouve au milieu des terres ; l’estuaire du Bou Regreg glisse vers le Sud et le port de Salé s’enlise sous les sables. Le Tsunami a atteint la ville de Marrakech en empruntant le lit de l’Oued Tensift ; autrement dit le lit du fleuve a joué le rôle d’un guide d’ondes. L’eau pénétra par les portes de la ville et noya de nombreuses personnes. Au Port de Tétouan (Martil), il y avait quatre frégates anglaises qui chargeaient du blé. Le dit 1er novembre la mer grossit de telle sorte, que les vagues inondèrent tous les terre-pleins. Malgré les ancres et les amarres des frégates, la violence des eaux les souleva et les entraîna à travers les rues, détruisant 9 La magnitude et l’épicentre de ce séisme ont été calculés de manière indirecte, en fonction du contexte géologique et de la répartition des destructions ; sa magnitude se place entre 8.5 et 8.7. Son épicentre se situe dans l'océan Atlantique, à environ 200 km au sud-ouest du Cap Saint-Vincent. Les causes du tremblement de terre continuent à être débattues. Des géologues ont émis l’hypothèse que la faille qui aurait joué lors de cette secousse se trouverait dans le golfe de Cadix. Dans cette région, la plaque tectonique africaine pousse la plaque eurasiatique vers le nord-ouest à la vitesse de 4 mm par an. Entre 10 et 40 km de profondeur, les tensions s'accumulent au point de friction entre les deux plaques pour se relâcher et provoquer un gros séisme tous les 2 000 ans. 10 Le "Récit" en portugais, conservé dans les Archives Missionnaires de Tanger ; Le "Récit" en Castillan, réimprimé à Cadix, propriété de Don Tomás García Figueras et transcrit dans Mauritania ; Copie de lettre, écrite par le Père Gardien du Couvent Royal de Meknès et Vice Préfet Apostolique des Saintes Missions, conservée dans les rapports de Berbérie par la province religieuse de San Diego, des Révérends Pères Franciscains Déchaussés, au Père Procureur desdites missions ; Récit écrit par le Père Gardien du Couvent Royal de Meknès et Vice Préfet Apostolique des Saintes Missions, conservé dans les rapports de Berbérie par la province religieuse de San Diego, des Révérends Pères Franciscains Déchaussés, adressé au Père Procureur desdites missions, à l’occasion du tremblement de terre survenu à Ceuta, Tétouan, Larache. Mamora, Tanger et Maroc, les 1er et 18 novembre 1755. Imprimé à Madrid, et réimprimé à Barcelone, par Pablo Campins, à la rue Amargós. Dans cette même imprimerie, se trouvent d’autres récits portant sur le même sujet. Il comprend 8 pages et sa taille est de 195 sur 146 mm. Récit détaillé et complet de tous les ravages et décès affectant le Royaume de Berbérie, lors du dernier tremblement de terre, et de la voracité du feu, qu’a subi pendant 40 heures la Cour de Constantinople la nuit du 27 septembre de l’an 1755 en cours, retracé à travers les lettres des Pères Missionnaires desdites Provinces adressées au Religieux de cette ville ; ainsi que d’autres de la Place de Gibraltar, comme on y pourra le constater. A Séville, à l’imprimerie de Don Joseph Navarro y Armijo, rue Génova ; Est également disponible chez Alonso Castizo dans l’Alcaicería de la Lossa. Il comprend 8 pages mesurant 207 sur 150 mm. 10 maisons et édifices. Au cours de ce naufrage, l’une des frégates se brisa en heurtant une muraille, et seul un des membres de l’équipage survécu miraculeusement ; une fois que l’eau se retira, elle laissa ces navires à sec, devant l’étonnement général. I. Un mot pour l’avenir C’est à partir de 1907 et tout au long du chantier de construction du port de Casablanca que les spécialistes du génie maritime ont eu pour la première fois l’occasion d’enregistrer et d’archiver un grand nombre d’informations concernant les tempêtes de l’Atlantique Nord. Tenues secrètes, ces données ont joué durant la seconde grande guerre un rôle déterminant dans le choix des stratégies navales. Par exemple, lors de l’opération Torch, débarquement de novembre 1942 au Maroc, les scientifiques ont pu prévoir une période de calme relatif sur des plages soumises habituellement, en hiver, à des vagues violentes. C’est la première fois que l’on mettait à profit l’expérience humaine pour prévoir l’état de la mer le long d’une côte. Il fallait considérer la visibilité, les courants, la profondeur, la marée, les vents et surtout les caractéristiques des vagues. La météorologie océanographique est née au Maroc : en 1920, une tempête paralyse le port de Casablanca durant sept mois ; cet événement conduit les autorités à instituer l’année suivante un service pour la prévision de l’état de la mer. Des bulletins télégraphiques quotidiens sont alors édités pour annoncer à l’avance la lente progression des vagues menaçantes.11 Aujourd'hui, la genèse des houles de vent est assez bien comprise. Ainsi, à partir des mesures effectuées depuis un satellite, certains algorithmes produisent des indications utiles sur l'état futur de la mer. Ces prévisions sont ensuite vérifiées grâce aux observations des marins et aux appareils embarqués à bord des bateaux de recherche. Enfin, au sein de l’Université marocaine, plusieurs chercheurs, certes isolés et ignorés, consacrent l’essentiel de leur temps à l’étude des mouvements de l’Océan. Leur travail contribuera à faire renaître dans notre pays la science de l’hydrodynamique marine et des choses de la mer, outil essentiel à l’ingénieur spécialisé dans les travaux à la mer.12 Fait à Casablanca, le 18 janvier 2014. Cherfaoui Najib 11 Témoignage rapporté par la célèbre biologiste marine américaine Rachel Louise Carson (1907-1964) dans son livre « The Sea Around Us » ;New York, Oxford University Press (1951). Le passage cité se trouve dans la page 129 de l’édition de 1989. 12 Ainsi, l’Association marocaine de la logistique (AMLOG), l’Association du corps des officiers des ports du Maroc (ACOPM), l’Association marocaine des officiers de la marine marchande (AMOMM), la Marine Royale, l’Association des administrateurs des affaires maritimes, les Universitaires chercheurs, le Cluster maritime du Maroc, les étudiants chercheurs en Gestion et Valorisation des Ressources Marines (GEVAREM), l’Association Nationale des lauréats de l´institut supérieur des études maritimes. 11