LE SYNDROME DE SHEEHAN : UNE AFFECTION SOUVENT

publicité
LE SYNDROME DE SHEEHAN :
UNE AFFECTION SOUVENT MÉCONNUE
M.P. NTYONGA-PONO *, M.J. NGOMO-KLUTSCH **, C. NGUEMBY-MBINA ***.
RÉSUMÉ
Les auteurs rapportent une observation de syndrome de
Sheehan, ou nécrose hypophysaire du post-partum, chez
une femme de la quarantaine, méconnu pendant plus de
dix ans. Ils rappellent l’intérêt de l’histoire clinique
dans le diagnostic de cette affection.
Mots-clés : Syndrome de Sheehan - Hypophyse.
SUMMARY
The authors report a case of Sheehan’s syndrome, post
partum pituitary necrosis, concerning a forty years old
woman, misknown during ten years at least. They recall
the interest of clinical history in the diagnosis of this
disease.
Key-words : Sheehan’ syndrome - Pituitary.
INTRODUCTION
Le syndrome de Sheehan ou nécrose hypophysaire du postpartum, réalise une insuffisance hypophysaire complète ou
dissociée, survenant chez la femme à la suite d’un événement obstétrical difficile, hémorragique en général. Ce
syndrome décrit par Sheehan en 1937 (10) fut pendant
longtemps au premier rang des étiologies des hypopituitarismes (8). Mais avec les progrès de la Médecine, cette
affection est devenue rare dans les pays développés (5)
alors qu’elle reste probablement assez fréquente dans nos
pays, surtout quand les accouchements ont lieu à domicile
(1, 3, 4).
Le délai écoulé entre l’accident primitif et le diagnostic du
syndrome, variable de quelques heures (10) à plusieurs
années (5) avec un record de 47 ans (11) et une moyenne
Abréviations : Hb : hémoglobine, Hg : mercure, mmol/l : millimole par
litre, T4 : thyroxine, TSH : hormone thyréostimulante, microU. : micro
unités, N. : normale, pg : picogramme, ug : microgramme.
* Endocrinologue, service de Médecine interne «B», Centre hospitalier de
Libreville (CHL) B.P. 7369 Libreville (Gabon).
** Médecin généraliste, service des urgences, CHL, B.P. 28 Libreville.
entre six et dix ans (9), s’explique par la variabilité des
tableaux cliniques, et une certaine méconnaissance de cette
affection (3,5). Nous rapportons le cas d’une patiente de 48
ans pour laquelle le diagnostic de syndrome de Sheehan a
été porté onze ans après l’épisode obstétrical, dans un
tableau d’anémie sévère.
CAS CLINIQUE
Mme N. Marthe âgée de 48 ans fut admise aux urgences du
Centre hospitalier de Libreville en Mai 1992, pour une
altération profonde de l’état général avec une grande asthénie des vertiges et des palpitations.
Les premières explorations ont montré une anémie sévère à
4 gr d’hémoglobine pour 100 ml et un paludisme à Plasmodium falciparum confirmé par la goutte épaisse, ce sui lui
valut un traitement par la quinine et une transfusion sanguine. Puis elle fut transférée dans notre service pour des
explorations plus approfondies. Dans ses antécédents on
note une grande multiparité : 10 grossesses dont 7 enfants
vivants, 2 mort-nés, et c’est sa 10 ème gestation qui s’est
compliquée d’un hématome rétro placentaire avec mort de
l’enfant retiré par césarienne. C’est au décours de cet accident qu’ont commencé ses problèmes avec la survenue
d’une aménorrhée 6 mois après et qui persiste depuis
10 ans. Puis ce fut un épisode de céphalées avec troubles
visuels suivi de l’installation d’une asthénie intense avec
une frilosité persistante. Depuis lors elle a consulté plusieurs médecins et tradipraticiens sans changement et elle
a été transsfusée à plusieurs reprises pour anémie. Cliniquement on observait une pâleur cutanéo-muqueuse associée à un teint jaunâtre bien remarquable chez cette dame
au teint naturellement clair. La peau était sèche, fripée,
froide avec une dépilation axillaire et pubienne complète
mais partielle au niveau des sourcils. Sa température était à
36°C, sa tension artérielle à 110 / 80 mm Hg et son pouls
régulier à 80 pulsations / mn. Sur le plan neuropsychique,
la patiente était consciente mais très ralentie avec des troubles de la mémoire, de l’attention et de l’élocution. Elle se
*** Professeur de Médecine, service de Médecine interne «A» CHL, B.P.
3631 Libreville.
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (12)
M.P. NTYONGA-PONO , M.J. NGOMO-KLUTSCH , C. NGUEMBY-MBINA
667
plaignait aussi de paresthésies des membres inférieurs et
présentaient une hyporéflectivité ostéo-tendineuse généralisée. Concernant la sphère uro-génitale, on notait une
atrophie des organes génitaux externes, il n’y avait pas de
polyurie. Le reste de l’examen clinique était par ailleurs
normal. Les différents examens paracliniques ont montré :
Une anémie normochrome normocytaire à 7,6 g d’Hb/100
ml après transfusion ; une accélération de la vitesse de
sédimentation à 115 mm à la 1ère heure ; une goutte épaisse positive à Plasmodium falciparum ; une glycémie à
3 mmol/l ; une élévation modérée du cholestérol total à
7,35 mmol/l ; un ionogramme sanguin normal. Il n’y avait
pas de stigmates d’atteinte rénale ni digestive.
L’exploration hormonale a confirmé l’hypopituitarisme
suspecté cliniquement en montrant une hypothyroïdie (T4
libre à 1,8 pg/ml : N. 6 à 17), d’origine haute (TSH à 0,85
micro U./ml : N. 0,2 à 5), une insuffisance corticotrope
avec une cortisolémie à 8 heures à 43 ug/l (N. 80 à 250)
passant à 147 ug/l après test au synacthène immédiat, une
prolactinémie basse à 1 ng/ml (N. 4 à 18). Les gonadotrophines étaient normales, l’hormone de croissance et la
corticotropine (ACTH), qui nécessitent un transport en
milieu congelé n’ont pu être dosées.
Les radiographies simples du crâne, des poumons et de
l’abdomen étaient normales. Nous n’avons pas de scanner
au Gabon, ce qui limite considérablement l’exploration
hypothalamo-hypophysaire.
La patiente a reçu un traitement hormonal substitutif par
Hydrocortisone 30 mg/jour en deux prises et L Thyroxine à
dose progressivement croissante jusqu’à 100 ug/jour.
L’évolution a été favorable de façon spectaculaire, mais
malheureusement après sa sortie de l’hôpital, elle n’est plus
revenue pour le suivi et trois ans après elle décéda dans des
conditions non élucidées.
COMMENTAIRES
L’histoire de la maladie de notre patiente est assez évocatrice du syndrome de Sheehan bien que l’aménorrhée n’ait
pas été immédiate au décours de cette césarienne pour
hématome rétro-placentaire, et que l’absence de montée
laiteuse n’ait pas été remarquée du fait du décès de l’enfant. Cependant des cas similaires d’installation retardée
des symptômes ont été rapportés (5).
L’apparition d’un épisode de céphalées dont la malade garde le souvenir, avec des troubles visuels, peut aussi évoquer un phénomène d’apoplexie hypophysaire (12), peutêtre d’une tumeur dont on n’aura jamais la preuve ou
encore le tableau de plus en plus décrit d’hypophysite lymphocytaire (7,8). L’existence d’une dépilation axillaire et
pubienne est un signe qu’il nous paraît important de souligner, car on le retrouve même dans les cas de symptomatologie très atypique comme un tableau psychotique (1, 9).
Sur le plan endocrinien, cette patiente présentait un hypopituitarisme antérieur dissocié avec une insuffisance corticotrope, une insuffisance thyréotrope et un déficit en prolactine, les gonadotrophines étant normales. Ce profil
d’atteinte est souvent retrouvé dans le syndrome de Sheehan où l’on observe en plus presque constamment une
insuffisance en hormone de croissance, et la mise en évidence du déficit en prolactine par des tests dynamiques,
pourrait constituer pour Jialal et Al (6) un test de dépistage
de ce syndrome. L’atteinte sévère que présentait cette
patiente avait probablement une double origine : l’hypothyroïdie et le paludisme. Enfin le problème de la difficulté
du suivi à long terme a été souligné par plusieurs auteurs ;
c’est ainsi que dans la série de Famuyiwa (4) 6 patientes
sur 8 ont été perdues de vue, ce qui est à l’origine de complications dramatiques (5) comme ce fut le cas pour notre
patiente.
CONCLUSION
Le syndrome de Sheehan est une affection de plus en plus
rare parallèlement à la prise en charge des femmes enceintes, mais qui existe encore surtout dans les pays du Tiers
Monde. Il convient donc de l’évoquer chez toute patiente
ayant eu un épisode obstétrical difficile, en général hémorragique, car le traitement hormonal substitutif à vie permet
à ces femmes de mener une vie tout à fait normale.
BIBLIOGRAPHIE
1 - M. BAHEMUKA, P.H. REES.
Sheehan’s syndrome presenting with psychosis.
East Afr. Med. J. 1981, 58 (5) : 324 - 329.
2 - A.L. BARKAN.
Case report : Pituitary atrophy in patients with Sheehan’s syndrome.
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (12)
Am. J. Med. Sci. 1989, 298 (1) : 38 - 40.
3 - A. CENAC, I. SOUMANA, M. DEVELOUX, A. TOUTA ET G.
BIANCHI.
Le syndrome de Sheehan en Afrique soudano-sahélienne.
Bull. Soc. Path. Ex, 1991, 84 : 686 - 692.
LE SYNDROME DE SHEEHAN…
4 - O.O. FAMUYIWA, A.F. BELLA, and A.O. AKANJI.
Sheehan’s syndrome in a developing country, Nigéria : a race disease or
problem of diagnosis ?
East. Afr. Med. J., 1992, 69 (1) : 40 - 43.
5 - J. HAZARD, E. REQUEDA, L. PERLEMUTER, A. CENAC, C.
JAMIN, D. SIMON, R. BERNHEIM et M. GELINET.
Aspect actuel du syndrome de Sheehan. Vingt observations.
Ann. Med. Interne 1985, 136 (1) : 21 - 26.
6 - I. JIALAL, C. NAIDOO, R.J. NORMAN, M.C. RAJPUT, M.A.K.
OMAR and S.M. JOUBERT.
Pituitary function in Sheehan’s syndrome.
Obstet. Gynécol, 1984, 63, (1) : 15 - 19.
7 - I. MORANGE, T. BRUE, P. BLANC, R. COSTA, P. JAQUET.
Insuffisance anté hypophysaire du post partum et thyroïdite auto immune :
668
Nécrose hypophysaire ou hypophysite ?
Presse Med, 1995, 24 (24) 1133.
8 - V. PERRAUDIN, H. LEFEBVRE, J.M. KUHN.
Insuffisance anté hypophysaire.
Éditions Techniques, Encycl Med Chir (Pari - France), EndocrinologieNutrition 10 - 019 - A - 10, 1992 : 12 p.
9 - D.M. ROBERTS.
Sheehan’s syndrome.
AM. Fam. Phys., 1988, 37 (1) : 223 - 228.
10 - H.L. SHEEHAN.
Post partum necrosis of the anterior pituitary.
J. Pathol. Bacteriol., 1937, 45 : 189 - 214.
11 - P.H. SLEE and P.L. RENSMA.
Hypopituitarism following complicated child birth (Sheehan’ syndrome).
Neth J. Med., 1990, 37 : 120 - 123.
12 - M.L. VANCE.
Hypopituitarism.
N. Engl. J. Med, 1994, 330 (23) : 1651 - 1662.
Médecine d'Afrique Noire : 1997, 44 (12)
Téléchargement