Sociologie de la démocratie
Cours pour le Master 2 Recherche
Angelina Peralva
2007-2008
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régime et la révolution
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. Dans ce livre, publié en 1856, vingt ans après la première édition de
DA, après avoir entrepris un vrai travail d’historien de l’Ancien Régime, Tocqueville présente
la révolution de 1789 comme le point d’aboutissement d’une histoire sociale marquée par
l’égalisation progressive des conditions, par la réduction des distances qui séparaient la
noblesse et le Tiers Etat, par les transformations internes d’une noblesse devenue de moins en
moins puissante, socialement hétérogène, subissant les effets de la division de la propriété
agraire et au pouvoir délégitimé ; et par les transformations internes d’un Tiers Etat devenu de
plus en plus actif sur le plan économique, engendrant en son sein des classes moyennes
diversifiées – petits commerçants, paysans indépendants, agents des services urbains – et se
rapprochant du pouvoir. La tension entre l’architecture absolutiste du pouvoir et une
dynamique sociale marquée par l’égalisation des conditions (par la réduction des distances
sociales) aurait abouti à un point de rupture, la révolution.
Dans ce raisonnement, ce qui intéresse Tocqueville n’est pas tant l’existence de poches
de misère – incontestables dans cette France prérévolutionnaire - mais l’impact d’une
égalisation tendancielle des conditions sur les modes traditionnels de domination. Si on
comprend la domination comme basée sur le monopole de certaines ressources d’action, un
meilleur partage (même relatif) de ces ressources ne peut manquer d’avoir une incidence sur
la domination elle-même. Or, ces effets ne sont pas toujours entièrement positifs, ils peuvent
charrier de la violence (la révolution) et ils posent, selon Tocqueville, une interrogation
majeure : à quelles conditions est-il possible de combiner dynamique égalitaire et un « vivre
ensemble » pacifié ? Si Tocqueville s’était montré sensible à l’expérience nord-américaine de
la démocratie, c’est bien parce qu’il croyait y trouver une réponse à cette interrogation.
Tocqueville a ainsi ouvert aux sociologues la possibilité d’une pensée sur la
démocratie qui n’a pas pour seul objet les institutions – qui ne s’y réduit pas – mais qui porte
sur la nature du lien démocratique, sur son caractère dynamique et sur les implications qu’il
peut avoir sur la vie sociale en général. En France (contrairement à l’Amérique d’ailleurs),
l’égalisation des conditions, fondement de la démocratie, précède les institutions
démocratiques ; inversement, la dynamique démocratique, en tant que trait propre au
changement social, rend par périodes ces institutions périssables. C’est la raison pour laquelle
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Paris, Flammarion, 1988 [1856]