QUATRIÈME PARTIE : L’EUROPE AUX TEMPS DES
MALHEURS, États et nations en gestation (1303-1519)
Crises, famines, guerres, peste
Cette période est d’abord marquée chronologiquement par une crise économique et démographique qui ap-
paraît dans les années 1280. Alors que la croissance des ressources s’arrête, la croissance démographique
continue. On assiste dès cette époque et selon une formule consacrée, aux « premiers craquements dans un
monde plein. » Les grandes famines, comme celle de 1315-1317, réapparaissent.
Cette période est ensuite marquée par l’entrecroisement de nombreuses et longues guerres, plus ou moins
intenses et souvent très localisées. Plus que de guerres frontales et massives, on peut parler d’un état de
guerre endémique.
Enfin, les effets de ces crises et ces guerres sont accentués par ceux des grandes épidémies à partir du milieu
du XIVème siècle. La peste s’installe périodiquement à partir de 1347 (et jusqu’en 1720 !) sur l’ensemble du
territoire européen. 25 millions de personnes, soit 1/3 de la population européenne, périt durant la première
phase dite de la Peste noire, de 1347 à 1352.
La gestation des États dans la douleur et la diversité
Malgré ces malheurs du temps, ou peut-être grâce à eux, les « entités » nées de la dislocation de l’Empire
carolingien (Empire germanique, royaumes, principautés, villes), se transforment profondément et d’une
manière irréversible. Leurs différences de nature n’empêchent pas une commune évolution et tous les terri-
toires, petits ou grands, deviennent de véritables États.
Partout, le système féodal laisse place à un système administratif. A la tête de l’État, distinguons les grands
offices (chancelier, connétable), les services centraux de l’Hôtel du prince, mi- domestiques, mi- politiques
(chambellan, bouteiller) et les grands corps de l’État à vocation judiciaire (le Parlement en France) ou finan-
cière (Chambre des comptes). Le critère essentiel de la modernité d’un État moderne réside également dans
l’existence de nombreux agents locaux : en France les baillis ou les sénéchaux, les élus (qui répartissent les
impôts au nord du royaume), les sheriffs dans les shires, les comtés anglais, les corregidores castillans,….
Cependant, la féodalité ne disparaît pas, elle change de nature. Le contrat apparaît et se développe, surtout
en Angleterre (la « féodalité bâtarde »). Un homme s’engage à accomplir des services précis, moyennant une
somme d’argent. Il n’y a ni hommage, ni vassalité, ni fief. On jauge la puissance d’un prince à l’importance
de sa clientèle sous contrat. La noblesse, c’est-à-dire la société politique de l’époque, reste le partenaire pri-
vilégié du prince, même si les conflits sont nombreux, notamment contre la haute noblesse, les magnats. Les
nobles (et non les bourgeois) peuplent les offices royaux qui les enrichissent. En échange des services ren-
dus, l’État royal confère aux nobles les moyens de leur existence et il leur rend un peu de l’honneur qu’ils
ont perdu lors des désastres militaires. La contrepartie est que le guerrier-chevalier se mue en officier et en
prud’homme. Autre conséquence, les nobles qui jusqu’à présent se regroupaient en lignages plus ou moins
indépendants, forment désormais un corps. On peut dire qu’à la fin du Moyen Âge, l’État crée la noblesse.
La genèse de l’État moderne est inséparable du développement de la guerre d’État et de la fiscalité d’État.
Les appels à l’ost féodal et les guerres privées ont tendance à disparaître (plus difficilement dans l’Empire),
laissant place aux guerres d’État qui sont plus techniques (apparition de l’artillerie) et plus coûteuses (ar-
mées de mercenaires mené par un capitaine ou un condottiere en Italie, armées permanentes à partir de
1450).
Les redevances seigneuriales se maintiennent mais elles sont complétées par la fiscalité d’État, les impôts
(fouage ou taille, fiscalités indirectes). Un principe s’impose alors : « pas d’impôts sans consentement des
sujets », d’où la nécessité pour le prince de réunir les assemblées représentatives : parlement (Angleterre),
diète (Empire), cortes (Espagne), états (France). Toutefois, à partir du XVème siècle, en France notamment,
les catégories qui composent ces assemblées (nobles, clergé, notables des villes) sont exemptées et devien-
nent des privilégiés. Par conséquent, ces assemblées n’ont plus de raison d’être et l’impôt devient perma-
nent.