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Risques sanitaires et politiques de prise en charge hospitalière dans les régions
outre-mer de l’Océan Indien: insularité et facteurs environnementaux
aggravants?
Auteur: Pascal Razanakoto
Résumé :
Les deux départements ultra-marins de La Réunion et de Mayotte présentent des risques
sanitaires majeurs, souvent aggravés par les conditions de vie précaires de certaines
populations en outre-mer.
Cet article a pour but d’étudier les profils et évolutions des risques sanitaires, ainsi que les
impacts de la prise en charge hospitalière issue des politiques publiques françaises en matière
socio-sanitaire dans les territoires outre-mer, notamment pour les deux départements de La
Réunion et de Mayotte. Les risques épidémiques insulaires et de développement de maladies
transmissibles élevés dans cette région, influencés par des facteurs humains favorisant (afflux
de migrants, populations hétéroclites), mais surtout environnementaux (climatiques, physicochimiques) sont mis en évidence.
Face à ces risques, les résultats ont montré pour les deux Départements des problèmes de
maillage territorial et de capacités d’accueil des infrastructures hospitalières, une insuffisance
de qualité des soins, ainsi que la non-conformité aux normes de certification HAS. La
nécessité d’intégrer l’exception « insulaire outre-mer» dans les politiques publiques de
système de santé et hospitalier s’impose pour maîtriser ces risques spécifiques en matière de
santé environnement dans ces territoires.
Mots clés : Risques socio-sanitaires, politiques hospitalières, outre-mer, La Réunion, Mayotte
Code Classification JEL: D63, H51, I12, I18, J28, P36, Q51, Q54.
Pascal Razanakoto
Docteur en Sciences économiques, Docteur en Sciences Humaines
Enseignant Chercheur des Universités (Université d’Antananarivo, Université Catholique de
Madagascar)
Enseignant associé (Université de Toulouse)
Consultant
Adresse Postale : Lot SIAF 7 Ambondrona-101 Antananarivo - MADAGASCAR
 +(261)3440.404.20 (Madagascar)
+(33)07.50.82.09 (France)
 email: [email protected]
[email protected]
1
Risques sanitaires et prise en charge des hôpitaux dans les régions outre-mer de
l’Océan Indien: insularité et facteurs environnementaux aggravants?
Introduction
Le Rapport de la Cour des Comptes de Juin 2014 fait état de «l’existence de risque
sanitaire majeur, aggravé par les conditions de vie précaires en outre-mer»1. L’épidémie de
chikungunya de 2005-2006 à Mayotte et à La Réunion a atteint près de 40% de la population.
Depuis cet évènement, un modèle accompagné de dispositifs préventifs a été mis en place par
l’Agence Régionale de Santé Océan Indien, mais les risques spécifiques n’ont pu être
totalement maîtrisés, ni réduits2.
Les risques épidémiques insulaires dans cette région, influencés par des facteurs humains
favorisant (flux de migrants, populations hétéroclites), mais surtout environnementaux ont été
démontrés par des travaux scientifiques. Ainsi, la plupart des vecteurs de maladies détectés se
sont développés avec des facteurs plus ou moins favorables en milieu insulaire dont le pH, la
température, les rivières ombragées, les conditions d’habitat et les migrations d’oiseaux, mais
surtout la pluviométrie qui a une forte corrélation avec la séroprévalence de dengue type 1 et
type 2, du chikungunya, et du paludisme (Julvez, 1993, Michault, 1997,)
De son côté, le Plan Stratégique de Santé 2012-2016 élaboré par l’Agence Régionale
de santé évoque les risques liés à l’environnement avec différents facteurs de mise en péril de
la vie humaine dans ces îles de l’Océan Indien (conditions climatiques extrêmes, sismicité
élevée,...).
Les risques environnementaux liés à la situation d’insularité des départements d’outre-mer y
sont aggravés car La Réunion est par exemple l’une des régions françaises les plus exposées
aux risques naturels en raison des cyclones (zone de cyclogenèse), fortes pluies et
précipitations3. Les caractéristiques géodynamiques de ces territoires sont aussi attribuées à
un volcanisme très actif avec une éruption régulière (Piton de la Fournaise à La Réunion), et
un risque sismique certes modéré, mais réel. Ensuite, le passé géologique récent marque la
morphologie de ces îles, avec des glissements de terrain et de l’érosion importante sur la côte
Est et au Sud de l’île de La Réunion. Enfin, le risque tsunami s’est avéré important dans
l’Océan Indien depuis l’épisode de 2005 en Indonésie durant laquelle La Réunion et Mayotte
ont connu d’importants raz de marée, et une montée dangereuse du niveau de la mer.
Face à cela, certaines catégories de populations insulaires sont fortement exposées aux
risques socio-sanitaires et d’épidémies du fait de la situation de grande précarité.
Les inégalités d’accès aux soins au sein des populations se traduisent par une grande
vulnérabilité de couches sociales marginalisées dont les chômeurs, les bénéficiaires de
minimas sociaux RSA, détenus, étrangers migrants, mineurs isolés,... D’une façon globale, les
conditions sanitaires contrastent d’abord considérablement avec celles de la métropole. Les
écarts de dépenses par habitant de l’assurance maladie existent entre les régions outre-mer
(Tableau 1).
1
Cour des Comptes, 2014, La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République, juin 2014, p.134
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.146
3
Agence Régionale de Santé Océan Indien ARS OI, 2011
2
2
Dans son analyse, le même rapport de la Cour des Comptes relève une «absence de stratégies
publiques en outre-mer»4 en matière de soins, et de performance hospitalière.
La problématique est donc de s’interroger d’une part sur l’insularité comme facteur
aggravant de risques sanitaires environnementaux, et d’autre part, sur la gestion du système de
santé et de soins, notamment hospitalier dans les régions outre-mer de l’Océan Indien face à
ces risques sanitaires insulaires. L’intérêt de l’étude de ces deux Départements réside dans
leur localisation au sein de la même zone de risques insulaires de l’Océan Indien, mais
également dans un certain contraste du niveau de développement et de structures sociosanitaires entre ces îles.
Encadré 1: Méthodologie
La méthodologie procède au recours à trois principaux outils de collecte de données dans le
cadre de la démarche empirique. Le premier outil consiste dans des entrevues semi-directives
avec une soixantaine d’entretiens en profondeur menées en 2013 et 2014 auprès d’usagers et
d’acteurs clés (médecins et personnel soignant impliqués dans les Projets hospitaliers de
Mayotte et de La Réunion, agents des Caisses Maladie). Le second outil est une collecte de
données quantitatives de type pré-post sur la qualité de gestion hospitalière (fréquence de
saturation, attentes, consultations non prises en charge), l’utilisation du système de soins
(nombre d’opérations réalisées, demandes traitées et délais,…), les impacts (fréquence de
blocages ou d’incidents de transmissions des services connexes ou interconnectés dont la
Caisse Maladie et les Mutuelles, délais moyens de rendez-vous d’opérations ou de
consultations). Le troisième outil est constitué d’observations sur le terrain, notamment au
Centre hospitalier de Mayotte (CHM) à Mamoudzou, et à l’Hôpital de La Réunion.
Dans un premier temps, il sera question dans cet article de retracer les profils et
évolutions des risques sanitaires dans ces deux départements outre-mer. Les structures
hospitalières en termes de qualité et de prise en charge des pathologies seront étudiées dans un
second temps. Enfin, les régulations et ajustements des systèmes de santé et des hôpitaux
seront analysés, non seulement dans la logique d’harmonisation avec la France
métropolitaine, mais également pour tenir compte des risques socio-sanitaires spécifiques
dans ces Départements.
Profils de risques sanitaires insulaires outre-mer
Dans les Départements de Mayotte et de La Réunion5, les données de prévalence et de
risques sanitaires de ces territoires présentent des profils spécifiques nécessitant l’ajustement
des structures médicales et hospitalières. Avant d’identifier ces profils de risques
environnementaux et socio-sanitaires, une revue des débats sur les risques et les inégalités
face aux risques s’impose.
Les débats sur les risques et les inégalités face aux risques sanitaires
Les risques identifiés concernent globalement les domaines pathologiques et
évènements sanitaires d’une part, les populations ou groupes vulnérables exposés à ces
risques d’autre part. La « Déclaration de Parme», largement débattue, puis signée en 2010 par
4
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.3
La Réunion accède à la départementalisation en 1946, tandis que Mayotte y accède en 2011 en devenant le
101ème Département français. Les deux Départements font partie des Régions Ultrapériphériques (RUP) de
l’Union européenne dont Mayotte depuis juillet 2012, et bénéficient des Fonds structurels de l’UE du fait de leur
statut.
5
3
les États membres de l’OMS en Europe, relève les principaux défis sur l’Environnement et la
santé dont « les changements climatiques, les risques sanitaires pour les enfants et groupes
vulnérables, les inégalités socio-économiques et sexo-spécifiques, la charge des maladies non
transmissibles, les produits chimiques nocifs persistants, perturbateurs endocriniens et
bioaccumulatifs et (nano)particules, ainsi que le manque de ressources dans certaines parties
de la Région européenne de l’OMS»6.
En fait, la vulnérabilité se traduit par le fait que les individus ne subissent pas d’une manière
équitable les impacts de ces risques. Les impacts d’une dégradation de l’environnement sont
subis par les populations, mais il y a des inégalités sociales face à ces risques (Cornut et al.,
2007).
La justice environnementale peut alors concerner les inégalités ou disparités territoriales
(Nord-Sud, urbain-rural,…), et la différence d’exposition des populations de ces territoires
aux risques. Ainsi, les disparités entre la métropole et les territoires outre-mer font référence à
une telle justice; mais il y a aussi les disparités entre les territoires ultramarins eux-mêmes.
Par ailleurs, comme dans tout système, des interactions se construisent et évoluent entre les
conditions environnementales, les dynamiques socio-économiques, et les inégalités sociales
(Cornut et al., 2007).
Dans ce contexte, émerge alors une justice dite «corrective»7 qui tend à la réduction et/ou à la
compensation des nuisances et impacts nocifs sur la santé par des mesures matérielles
(techniques à la source, auprès des populations-cibles, et sur le milieu) et immatérielles (seuils
et normes). C’est dans ce cadre que sont élaborés les modèles de réduction des inégalités
sociales de santé en matière d’action publique, orientés vers l’universalisme des droits (avec
la CMU ou la Couverture universelle en matière de santé), ou encore vers la stratégie de
ciblage des «publics prioritaires» pour une justice sociale fondée sur les subventions aux
besoins des plus vulnérables (Lang, 2010).
Mais, ces modèles se focalisent rarement sur la dimension santé environnement, même si la
préservation des milieux de vie par la réduction des niveaux d’expositions aux nuisances et
pollutions (bruit, pollution de l’air, qualité de l’eau, risques industriels, climatiques et
naturels) représente en réalité une condition première de ces modèles (Potvin et al., 2010).
Face à ces risques et surtout ces inégalités, les solutions vont alors dans le sens du
renforcement des logiques de solidarité entre les individus, notamment en direction des plus
pauvres dont ceux du Sud (Rapport Brundtland), de la transformation du système de santé,
notamment la Sécurité sociale en France, pour affronter par exemple les évolutions
d’épidémies et des maladies chroniques contemporaines (Cicollela, 2007). La prise en
compte des risques et impacts sur les sociétés conduit aussi à considérer l’environnement
comme un élément de « reconstruction des temporalités politiques» (Naess, 2008).
Une nouvelle conception globale du système de santé, ne se limitant pas seulement au
système de soins peut être envisagée pour résoudre le déficit aggravé de la Sécurité sociale,
tout en faisant face aux besoins croissants de soins des populations. Des actions publiques en
amont sont essentielles sur les causes environnementales et comportementales des maladies,
sortant ainsi du modèle «tout médicament » (Cicollela, 2007). Un système de santé de
Source: Déclaration de Parme, 2010. Le Conseil Ministériel Européen de l’environnement et de la santé
(CMES) ayant piloté les travaux de la Déclaration de Parme a constitué un groupe de travail dit Environment and
Health Task Force (EHTF) pour l’identification de ces défis Environnement-Santé et les politiques y afférentes.
7
Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de
l’énergie, 2014, p.9
6
4
proximité associé à un financement plus juste permettrait aussi d’instaurer une véritable
démocratie sanitaire8.
En outre-mer, les inégalités persistent malgré les stratégies socio-sanitaires de l’administration
centrale française ces dernières décennies. Elles y sont particulièrement accentuées dans un
contexte spécifique d’évolutions des pathologies et pandémies actuelles (VIH Sida), sans
doute faut-il y voir une inadaptation des politiques publiques françaises en matière sociosanitaire dans les territoires outre-mer? (Carde, 2009)
Malgré la consistance des travaux scientifiques, rares sont cependant les recherches réalisées
jusqu’ici pour analyser les risques sanitaires insulaires, et les inégalités face à ces risques en
outre-mer.
Des contextes sociodémographiques insulaires contrastés
Quelques données socio-démographiques retracent la situation de ces départements en
comparaison avec d’autres départements d’outre-mer. Les populations y sont jeunes avec près
de 70% âgées de moins de 30 ans, contrairement à celles des Antilles françaises en transition
démographique, caractérisées par un vieillissement de la population et un taux de croissance
faible par exemple (INSEE, 2013). L’espérance de vie est plus faible dans les départements
outre-mer qu’en métropole, plus particulièrement à Mayotte et à La Réunion (77 ans à La
Réunion et 74 ans à Mayotte contre 81 ans en métropole. Le taux de chômage y est élevé,
voire très important dépassant 30%, et 60% chez les jeunes de 15-24 ans (INSEE, 2013).
Le taux de croissance de la population est le triple de celle de la métropole malgré une
mortalité infantile élevée. L’INSEE prévoit un doublement de la population en 10ans (de
2013 à 2023), notamment à Mayotte.
Mais, la répartition démographique infra-insulaire inégale est source d’aggravation de la
précarité, et de l’insalubrité de certains quartiers ou zones urbaines. La densité de population
mahoraise est très élevée (570 hab./km² en moyenne contre 335 hab./km² à La Réunion en
20129), avec près de la moitié de la population de Mayotte concentrée au Nord-Est de l’île,
dans les communes de Mamoudzou, Koungou et Petite-Terre (Dzaoudzi). Préfecture et
capitale économique du Département, Mamoudzou compte à elle seule près de 60 000
habitants en 2013, soit 30 % de la population. De même, le Sud de La Réunion (Saint Pierre,
Saint Leu, Tampon), et Saint Denis concentrent l’essentiel des habitants soit 78% de la
population, mais c’est la Commune du Port qui a la plus forte densité avec 2300 habitants/km²
en 2012.
L’afflux de migrants en provenance d’îles voisines (notamment de l’Archipel des Comores),
avec les conséquences souvent dramatiques (noyades en mer, affronts et expulsions des
clandestins, entrées illégales de mères à terme de grossesse, afflux de mineurs isolés,
ghettoïsation, etc.,.) a été largement médiatisé à Mayotte qui compte près de 40% d’étrangers
recensés officiellement.
Comme l’indique le tableau suivant, les écarts de dépenses de santé sont relativement
importants entre les départements ultramarins. Malgré qu’il y a une hausse des dépenses de
santé, notamment du budget des établissements de santé (hôpitaux et dispensaires, Centres de
8
9
Selon les termes de Cicollela (Cicollela, op.cit., 2007)
Sources statistiques démographiques : INSEE, 2013
5
PMI), le système de santé des 2 départements étudiés reste les moins développés en outremer. Les populations souvent dans des conditions de vie plus précaires (avec un revenu par
habitant relativement plus faible), y sont donc plus vulnérables qu’ailleurs. Il y a là un réel
paradoxe entre les situations socioéconomiques et démographiques, et le système de santé
outre-mer.
Tableau 1: Situations sociodémographiques et sanitaires des îles françaises outre-mer
Département
Données sociodémographiques
Superficie
Population
Prévision PIB/hab
(01/01/2013)
2027
La Réunion
2500km²
375km²
1438km²
1128km²
Mayotte
837 868
212 345
403 977
398 864
975 000
350 000
410 000
421 000
17 520
6 575
19 589
21 131
Dépenses de Santé par hab. (2012)
Maladie Accidents
Total
de travail
Sécurité
sociale
2233
825
2849
2793
44
4
2277
829
3027
2846
Guadeloupe
62
Martinique
53
Source: INSEE, 2012, Estimations localisées de la population 2012 et projections DOM; INSEE, 2013, Statistiques de l’état
civil
Des profils de risques sanitaires aggravés
Les indicateurs de santé, et les profils de risques sont difficiles à établir du fait de
certains écueils. D’abord, les enquêtes et données locales fiables existent peu,
particulièrement sur les thèmes de santé publique locale. Ensuite, l’absence d’un état civil
fiable et exhaustif à Mayotte jusqu’en 2012 complique l’analyse des données. Enfin, la
difficulté réside dans le suivi de certaines catégories de populations non recensées ou sans
domicile fixe, ou encore n’ayant pas accès aux ressources du système de sécurité sociale, car
étant en situation irrégulière ou clandestines, mineurs isolés10, etc..
Les risques sanitaires sont aggravés dans les départements outre-mer; ils sont liés à plusieurs
facteurs déterminants plus ou moins en rapport avec l’insularité. Une typologie de ces risques
peut être élaborée de la manière suivante.
-le risque de maladies vectorielles, surtout la dengue et le chikungunya dû aux moustiques
porteurs du virus qui ont causé des épidémies graves en 2005-2006 et 2010, durant lesquelles
40% de la population étaient atteints à des degrés divers du chikungunya (2006)11. A Mayotte,
le paludisme fait encore des ravages parmi la population avec plus de 400 nouveaux cas par
an entre 2008 et 2010 par exemple. Cependant, la prévention en terme de campagne de
vaccination, et la lutte anti-vectorielle, certes à des coûts importants, ont cependant donné des
résultats satisfaisants, mais des risques élevés subsistent toujours.
Il est vrai que sur le principe, le Conseil d’État s’était déjà prononcé sur le fait qu’en l’absence d’Aide
Médicale de l’État (AME) à Mayotte –jusqu’en 2004-, tous les enfants non couverts en tant qu’ayant droit d’un
assuré social devraient pouvoir être affiliés à l’assurance maladie en leur nom propre, et pas seulement en cas
d’urgence, (Conseil d’État, 7 juin 2005, n° 285576). Dans les pratiques, l’accès aux soins pour ces enfants reste
cependant problématique face à la réticence des professionnels sans l’avance préalable des frais de soins et
d’hospitalisation.
11
La séroprévalence du chikungunya varie selon l’âge à La Réunion, elle passe de 26,6 % chez les moins de 10
ans et atteint plus de 45 % pour les 80 ans et plus (Agence de Santé Océan Indien, 2011).
10
6
-le risque d’addiction élevé chez les jeunes dans la consommation d’alcool, de cannabis et
d’autres stupéfiants ; les îles sont particulièrement propices au trafic en tout genre de
stupéfiants par voie maritime ou aérienne.
-des risques physico-chimiques spécifiques liés à l’environnement concernent les impacts
sanitaires (cancer, affections pulmonaires) des rejets et retombées volcaniques à La Réunion,
les pesticides, les pollens allergisants et les sols fortement chargés en éléments trace
métallique ou ETM.
-les risques naturels et climatiques majeurs concernent les deux Départements. A titre
d’exemple, selon le Dossier départemental des risques majeurs (DDRM)12 actualisé en 2010,
toutes les Communes de Mayotte sont exposées aux risques naturels majeurs (inondations,
mouvements de terrain et coulées de boues, cyclones, séismes, feux de forêt et tsunami), dont
quelques unes soumises aussi à un ou plusieurs risques technologiques (industriel, rupture de
barrage ou transport de matières dangereuses).
-les risques liés au changement des modes de vie et d’alimentation importés en outre-mer
affectent de plus en plus les sociétés insulaires et entraînent le développement de maladies
chroniques (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires pour 81% des décès à La
Réunion, insuffisance rénale,…). A cela s’ajoutent les risques dus à la malnutrition pour les
populations défavorisées (migrants, monoparents, mineurs isolés)13.
-les risques liés à l’environnement des populations et à la précarité des conditions de vie en
général (habitats dégradés, accès et ressources problématiques en eau potable, dégâts
cycloniques fréquents,…). Ainsi, les infrastructures d’adductions d’eau de consommation
humaine sont très déficientes dans ces Départements; celles d’assainissement et de traitement
des eaux usées manquent considérablement à Mayotte. En effet, d’après les Services des eaux
et l’Agence de Santé Océan Indien, plus de la moitié des eaux distribuées par les réseaux
publics à La Réunion proviennent de captages d’eaux superficielles, donc fortement
susceptibles d’altération et de pollution. A Mayotte, la plupart des ménages (plus de la moitié)
disposent d’habitations insalubres, sans accès à l’eau potable à domicile; donc ces habitants se
résignent à collecter l’eau de pluie dans des récipients à l’extérieur, facilitant ainsi la
prolifération de gîtes larvaires en été, et lors de fortes pluies.
-les risques de développement de maladies transmissibles et d’épidémies (choléra,
tuberculose, peste, VIH sida,…) afférents aux mouvements de populations et aux flux
migratoires inter-îles dans la région. La forte prévalence des hépatites et du Sida marque ces
territoires insulaires, souvent des points d’entrée, ou de transit de flux de populations
hétéroclites en provenance des îles voisines (migrants, demandeurs d’asile, clandestins,…).
Concernant spécifiquement le SIDA, le territoire mahorais se situe ainsi dans une zone de
forte endémie d’une part, et d’autre part les habitants présentent des comportements à risque
(moindre usage de préservatifs, polygamie, risque MST élevé,…)14.
12
Le Dossier Départemental des Risques majeurs (DDRM) actualisé en 2010, fixe une liste de Communes
exposées à un ou plusieurs risques majeurs (naturel et/ou technologique), et pour lesquelles s’applique le droit à
l’information du public.
13
Le syndrome de malnutrition aiguë ou grave d’enfants est récemment décelé à Mayotte avec des cas de
kwashiorkor, de retard statural ou de croissance et même des cas de scorbut, touchent les groupes d’âge de la
première enfance.
14
ARS OI, 2011
7
Ainsi, d’indicateurs de risques épidémiques et bactériologiques liés à l’environnement
dégradé peuvent être établis par exemple en évaluant ainsi l’incidence de pathologies
(nouveaux cas déclarés par an), et donc la probabilité de développement de maladies
épidémiques à Mayotte.
Tableau 2 : Evolution des cas déclarés des principales maladies transmissibles à Mayotte
Maladies transmissibles*
Paludisme
VIH
Lèpre
Méningite à méningocoque
Tuberculose
Grippe A (H1N1)
Nouveaux cas déclarés par an à Mayotte
2008
2009
2010
2011
2012
411
16
57
4
-
399
25
51
5
37
334
433
30
37
4
31
-
99
35
39
4
40
-
74
31
31
30
-
*D’autres formes sévères de maladies comme la leptospirose, ou les parasitoses à forte prévalence à Mayotte (et
aussi à La Réunion) ne figurent pas encore parmi ces données.
Sources: Agence Régionale de Santé –Océan Indien
Structures hospitalières et prise en charge patients
Un faible recours aux soins hospitaliers, le retard des systèmes de santé, mais des préalables à
l’innovation et à la modernisation caractérisent les structures de soins et hospitaliers, ainsi que
la prise en charge des patients à La Réunion et Mayotte.
Offre de soins et Prise en charge des patients
Les faibles recours aux soins hospitaliers dans ces deux Départements pourraient être
liés à la déficience des structures et équipements hospitaliers. Les taux de recours aux soins
hospitaliers y sont généralement inférieurs à ceux de métropole (et même à ceux d’AntillesGuyane) en médecine et en chirurgie, quelque soit la tranche d’âges (Agence de Santé Océan
Indien, 2011).
Graphique 1: Taux comparés de recours aux soins hospitaliers (médecine et chirurgie) en
2010
Source: ARS OI, 2011
8
Le fait saillant est la gestion déficiente des établissements hospitaliers outre-mer en
matière de ressources humaines ou d’opérations d’investissement et d’équipement. Cette
situation se traduit par une situation financière fréquemment très dégradée. Elle explique la
difficulté des hôpitaux à assumer d’une manière efficiente leurs missions publiques de soins.
La Cour des comptes relativise cependant la dépense hospitalière qui demeure très en-dessous
de la moyenne nationale en France. En fait, même si les départements outre-mer représentent
3,2% de la population française, les cinq DOM ne dépensent que 1,2% du budget des
hôpitaux et des cliniques français15.
Ces situations sont regrettables car du fait de l’insuffisance de la médecine de ville et de
libéraux, l’hôpital pourrait alors représenter «l’armature du dispositif de soins, comme le
montre en particulier la surcharge des services d’urgence »16. L’écart de densité médicale
(cabinets médicaux, généralistes ou spécialistes confondus) est important par rapport à la
métropole. A Mayotte, la densité médicale reste problématique, car elle ne serait que de 41
médecins généralistes seulement pour 100 000 habitants en 201217. Globalement insuffisants,
les effectifs de médecins sont de 166 pour 212 345 habitants (dont 27 libéraux et seulement 2
médecins conventionnés selon l’Ordre des médecins18).
Des dispositions techniques spécifiques sont aussi réalisées, telles pour l’organisation des
urgences et la coordination de plateaux techniques hospitaliers dans ces deux départements
ultramarins. Concernant la prise en charge des patients jusqu’en 2012-2013, le temps moyen
d’accès aux structures d’urgences générales ou au SMUR général le plus proche est largement
supérieur à 30 minutes au Centre (zones de montagnes) et dans le Sud de La Réunion 19. Cet
indicateur nécessitant une amélioration, tient compte de l’insuffisance des équipements
(hôpitaux, dispensaires,…) des Communes, mais également de l’isolement géographiques de
certaines localités (Cilaos, Saint Paul, et Communes du Sud).
Mais, l’offre publique de soins est déficitaire dans l’ensemble, en particulier pour les
spécialités médicales et médico-sociales. Des cadres institutionnels régionaux plus adaptés en
matière de santé commencent à être progressivement mis en place par les pouvoirs publics et
les Collectivités territoriales face aux évènements et évolutions sanitaires des DOM, dans un
but de sécurisation de la trajectoire du patient, de synergies, et d’articulation des structures de
soins régionales dans l’Océan Indien notamment.
Cadres institutionnels régionaux et retards des systèmes de prise en charge
La loi de réforme Hôpital, Patients, Santé, Territoires (loi HPST) a mis en place en
2010 les Agences Régionales de Santé dont l’ARS Océan Indien20. Des priorités, objectifs et
15
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.3
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.49
17
La situation est toutefois contrastée dans les deux Départements, car si la médecine libérale est insuffisante à
Mayotte, elle est pléthorique à La Réunion. A La Réunion, on recense 2650 médecins tous modes d’exercice
confondus (libéraux, publics, …), soit plus de 300 médecins pour 100 000 habitants, une densité médicale bien
supérieure à celle en métropole. Pour comparaison, la densité moyenne des omnipraticiens en France est de 157
pour 100 000 habitants en 2012, dont 68 % de libéraux (DREES, 2012).
18
Ordre des médecins, 2013
19
Statistiques Annuelles des établissements (DREES), 2011
20
L’ordonnance n°2010-331 du 25 mars 2010 porte extension et adaptation aux collectivités régies par l'article
74 de la Constitution, à la Nouvelle-Calédonie, aux Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu'à La
Réunion et à la Guadeloupe, des dispositions de la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 (Loi HPST).
16
9
actions en matière de santé publique ont été ensuite définis dans un Projet Régional de Santé
en 2011 par l’Agence Régionale de Santé (Océan Indien), pour être réalisés à La Réunion et
Mayotte pour les 5 années de 2012-2016.Un Plan stratégique de santé est au cœur de ce
Projet, accompagné de trois schémas d’organisation complémentaires (prévention, soins
hospitaliers et médico-social), ainsi que de programmes d’actions. De même, un Plan
Régional Santé Environnement (PRSE2)21 s’articule avec ce Plan stratégique.
Malgré ces dispositifs, des lacunes et insuffisances subsistent en cas d’urgences climatiques
(cyclones, intempéries,…), surtout qu’il importe de les considérer territoire par territoire, et
nécessite des données (capacités d’accueil, Systèmes d’information hospitalier,…)
constamment mises à jour.
Dans le domaine de l’anticipation des dégâts et de préservation de vies humaines lors
de catastrophes naturels, le Plan de prévention des risques (PPR) naturels prévisibles a été
déjà élaboré et mis en œuvre dans le cadre de la loi Barnier de février 1995. Il est toujours en
vigueur actuellement en 2015, mais avec des actualisations de structures d’alerte par exemple.
Des priorités d’action dont surtout les maladies vectorielles depuis 2005 sont établies par la
DRASS, l’ARS et ses partenaires. L’importance de l’épidémie de chikungunya a conduit à la
modification des objectifs de l’axe 9 du PRSP.
Encadré 2: Spécificités et évolution du système de santé à Mayotte
Dans les deux départements, la Caisse Générale de Sécurité sociale de La Réunion, et la
Caisse de Sécurité sociale de Mayotte gèrent respectivement le système d’assurance maladie.
À Mayotte, le système est cependant différent de celui appliqué en France Métropolitaine.
Ainsi, l’absence de la Couverture Maladie universelle Complémentaire (CMU-C) à Mayotte,
et de l’Aide médicale de l’État (AME) -en cours de création en 2014/2015-, ainsi que
l’exclusion de certaines catégories de populations (en situation irrégulière, isolées ou
marginalisées) entraînent une prise en charge difficile des patients. De même, la carte vitale
est inexistante jusqu’à la préparation de sa mise place en 2012, et dans l’attente de
l’implantation d’un état-civil fiable et exhaustif de la population de l’île par la Commission de
révision de l’état-civil mahorais.
Ces retards ont toujours été des obstacles à la coordination entre la Caisse de Sécurité sociale de
Mayotte, la Caisse Générale de sécurité sociale de La Réunion et les autres Caisses Primaires
d'Assurance Maladie d’un côté, et les établissements hospitaliers de l’autre. Aujourd’hui, les
facturations et remboursements entre ces organismes concernés sont plus facilités par de
nouvelles modalités de gestion budgétaire et financière crées entre le Centre hospitalier et la
Caisse de sécurité sociale à Mayotte par exemple.
Un «système de soins de proximité» a existé à Mayotte jusqu’à fin 2004, l’accès aux soins
ainsi que les médicaments distribués dans le secteur public étaient gratuits au CHM et dans les
dispensaires affiliés. Mais, ce système de protection sociale spécifique a évolué en 2005 vers
un dispositif d’assurance maladie-maternité identique à celui de la métropole.
En effet, l’ordonnance n° 2004-688 du 12 juillet 2004 a étendu à Mayotte la quasi-totalité des
dispositions organisant le système de santé en métropole, avec des adaptations nécessaires
pour tenir compte de la situation locale. Comme en France métropolitaine, le coût de la santé
est désormais supporté par les cotisations des affiliés: les consultations et les soins prodigués
au CHM sont gratuits pour les affiliés; les consultations chez les médecins libéraux
conventionnés sont remboursées à hauteur de 70 %. Les personnes non affiliées au régime de
Mayotte ou à ceux de Métropole et des DOM doivent déposer une provision financière pour
bénéficier des soins des établissements publics de santé. De plus, le secteur mutualiste est
Le PRSE2 instauré par chaque Préfet de Région fait participer le plus grand nombre possible d’acteurs en
Santé environnement. La diversité des thèmes ayant trait à la santé et à l’environnement, la diversité des
territoires de la région et les structures qui travaillent sur cette thématique sont les principaux enjeux du PRSE2.
21
10
presque inexistant à Mayotte, donc les assurés sociaux doivent faire l’avance des frais
complémentaires médicaux, et la prise en charge du ticket modérateur à l’hôpital comme pour
les analyses biologiques et les examens radiologiques par exemple.
Source: Agence Régionale de Santé – Océan Indien (ARS OI)
Cependant, une telle substitution du système de santé de proximité par celui de la
couverture par l’assurance maladie identique à la métropole n’a-t-elle pas conduit in fine à
l’exclusion aux soins de certaines catégories de populations, du moins à l’inégalité de
traitement des patients à Mayotte?
Selon les propos des acteurs interrogés, une majorité de population se tournent vers les relais
communautaires, vers le secteur associatif ou les ONG (dont Médecins du Monde notamment
à La Réunion).
Les retards dans l’implantation et le développement des dispositifs de droit commun (CMU,
AME) sont aujourd’hui patents, notamment à Mayotte; ils impactent sur la modernisation du
système de soins hospitaliers dans ces Départements.
Des préalables d’innovation et de modernisation du système de soins à travers les hôpitaux
La synergie des politiques publiques dans les différents secteurs (social, médical,
territorial,…) paraît indispensable dans le contexte insulaire ultra-marin, autant que la
complémentarité du triptyque prévention, soins hospitaliers, prise en charge médico-sociales.
Les structures et services hospitaliers tentent de s’organiser régulièrement ces dernières
années en se modernisant pour couvrir l’offre hospitalière dans les deux Départements.
Tableau 3: Maillage territorial comparé des structures hospitalières à Mayotte et à La Réunion
Territoire
sanitaire
MAYOTTE
Structure
hospitalière
Mamoudzou
(30% de la
population)
Centre Hospitalier
de Mayotte
Localités
secondaires
(Cantons)
Petite Terre,
Centre, Nord
et Sud
Réseaux de 13
Dispensaires
(PMI,…)
Centre secondaires
(Antenne CHM à
Dzaoudzi,
Hôpitaux Centre,
Sud et Nord)
Services assurées
Toutes Unités de soins
(Consultations spécialisées,
Hospitalisations
conventionnelles, Plateau
technique/Chirurgie,
Gynécologie-obstétrique …)
Soins primaires de proximité
Premières urgences,
Consultations médecine
générale/ spécialisée,
Hospitalisation en gynécologie
LA REUNION
Territoire
Structure
sanitaire
hospitalière
Nord Est
(39% de la
population)
Ouest (22%
population)
Sud (39% de
la
population)
Groupe
Hospitalier Est
Réunion
Centre
Hospitalier F.
Guyon
Groupe
hospitalier Sud
Réunion (CH
Tampon, StJoseph, St-Louis,
Cilaos)
Source: ARS OI, 2011, Centre Hospitalier de Mayotte, Hôpital de La Réunion (Groupes et centres hospitaliers)
Mais, la capacité d’accueil insuffisante témoigne encore des défaillances hospitalières
qui peuvent être d’une conséquence grave face à l’éventualité de risques sanitaires; cela même
si le Ministère de la Santé prévoit par exemple une dotation hospitalière conséquente par lit,
notamment pour Mayotte. En effet, le taux d’équipement est de 2,9 lits et place pour 1 000
habitants à La Réunion contre 4,1 en Métropole en 2009; ce taux est de 1,6 lit pour 1 000
habitants seulement à Mayotte.
En tant que programme de modernisation prévu, le renforcement du plateau technique
hospitalier de Mamoudzou à Mayotte est nécessaire afin de pallier à la surcharge d’activités,
et réduire l’évacuation sanitaire vers la Métropole ou La Réunion (515 patients ont été
11
évacués en 2012, et 425 en 2013). Parallèlement, l’articulation entre les plateaux techniques
de Mayotte et de La Réunion est développée dans l’optique de synergie des activités
chirurgicales, et dans la mutualisation des ressources des hôpitaux publics.
Le mode de vie et la transformation de l’environnement des sociétés modernes,
incluant ceux importés en outre-mer, (alimentation, pollution industrielle, amiante,…), ainsi
que le début de vieillissement de la population (La Réunion), et de transition démographique
impliquent aussi une prise en charge améliorée, voire innovante des hôpitaux concernant les
pathologies contemporaines (cardiovasculaires, cancer, diabète). En réalité, la saisonnalité du
recours aux soins hospitaliers est importante. D’après les propos des cadres hospitaliers, les
pics d’admissions se situent durant la saison des pluies et des cyclones durant laquelle les
risques sanitaires, épidémiques, de blessures accidentelles, noyades,…sont particulièrement
élevés.
En outre, les pratiques ancestrales et coutumières en matière de santé restent prédominantes
dans ces deux îles, surtout à Mayotte. De ce fait et en raison de l’accès difficile aux soins
hospitaliers, le recours à la médecine traditionnelle demeure important à Mayotte. D’après
l’Agence régionale de santé Océan Indien, l’enquête de séroprévalence du Chikungunya en
2006, a montré que plus de la moitié de la population de l’île n’utilisait le système de santé
moderne ou hospitalier que pour des pathologies lourdes ou graves (ARS OI, 2011).
Des mesures et actions hospitalières sont entamées tels le Programme de dépistage du cancer
du col de l’utérus à La Réunion depuis 2010, l’implantation de cinq mammographies
numériques à La Réunion en 2012, le Programme de dépistage du cancer des seins à Mayotte
depuis 2014, la mise en œuvre du Programme SOPHIA pour la prévention du diabète à La
Réunion en 2012.
Mais, des obstacles à la modernisation subsistent, notamment d’ordre budgétaire et de
politiques publiques de santé.
A La Réunion, l’équilibre financier de l’établissement hospitalier est loin d’être atteint
malgré des plans de redressement successifs qui n’ont pas permis de maîtriser les dépenses de
personnel, ni le financement de nouveaux équipements hospitaliers (constructions,
investissements immobiliers, …), surtout que des crédits restent indisponibles, ainsi que des
subventions des Collectivités locales (11,2 Millions d’euros) pourtant prévues depuis 2011.
A Mayotte, le Rapport d’enquête de l’Inspection Générale des Affaires Sociales
(IGAS) en 2005 interpelle: «le CHM, pilier du système sanitaire de Mayotte et acteur de sa
modernisation, ne peut simultanément conduire un rattrapage considérable de l’offre sanitaire
et de son organisation, et subir une reconsidération drastique et aléatoire de son financement».
Le Centre Hospitalier de Mayotte est un établissement public territorial de santé doté d’une
autonomie administrative et financière. Les recettes de l’assurance maladie représentent
environ 88 % du budget du CHM, le reste étant couvert par des subventions de l’État pour le
financement des soins des non assurés sociaux et par d’autres produits (rétrocession de
médicaments par exemple). Sur le plan de la prévention et face aux risques sanitaires, des
fonds de soutien transitoires du Ministère des Outre-mer sont accordés par exemple au CHM
pour les soins apportés aux patients insolvables et non pris en charge par la caisse de sécurité
sociale de Mayotte (1,5 M€ en 2013, puis à nouveau 1,5 M€ en 2014 pour permettre la
poursuite des vaccinations par exemple)22. Cette intervention reflète le caractère aléatoire et
non pérenne de la prise en charge, qui grève à terme le financement de l’établissement.
D’autres actions de prévention sont prises en charge par le CHM pour le compte de l’État, dont en matière de
tuberculose, maladies sexuellement transmissibles (VIH Sida), lèpre, etc…
22
12
Suite au constat de déséquilibres financiers chroniques des hôpitaux ultramarins, le
Ministère de la Santé a décidé d’allouer globalement 43 % des 417 millions d’euros
d’enveloppes exceptionnelles en 2013 pour combler les déficits dans un but de retour à
l’équilibre des établissements.
Régulation des systèmes de soins hospitaliers et de santé à Mayotte et la Réunion face
aux risques insulaires
L’amélioration de la qualité des hôpitaux dans le contexte de la certification serait une
avancée vers une régulation de l’offre de soins hospitaliers. Mais, d’une façon générale,
l’exception insulaire «outre-mer» pourrait être invoquée en matière de politique publique de
soins et de services hospitaliers dans les DOM en général, à La Réunion et Mayotte en
particulier.
L’accréditation des hôpitaux à La Réunion et à Mayotte: de la modernisation à la qualité
Les critères de certification de la Haute Autorité de Santé (HAS) sont de plus en plus
contraignants pour les hôpitaux français. La mise en conformité des établissements requiert
des efforts d’amélioration de qualité considérables en métropole, et davantage encore pour
ceux en outre-mer. La prise en charge médicamenteuse, l’évaluation des pratiques
professionnelles (EPP), la gestion des risques et évènements indésirables, et l’informatisation
du Dossier Patient sont autant des critères requis par la certification 2010 et V-2012
(Ministère de la Santé, 2008; Razanakoto, 2014).
Concernant les hôpitaux des Départements outre-mer en général, les réserves émises
par la Haute Autorité de Santé portent sur l’absence d’amélioration continue de la qualité, et
la sécurité des soins insuffisante. Ici aussi, les critères métropolitains d’accréditation sont-ils
réellement appropriés pour les établissements ultramarins avec des écarts trop importants de
respect de qualité? Les décisions de refus ou de réserves motivées de la HAS précisent un
niveau insuffisant pour l’accréditation des établissements outre-mer surtout concernant la
prise en charge médicamenteuse, la gestion des risques et évènements indésirables à l’hôpital,
ainsi que l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP).
Les résultats des deux établissements hospitaliers ultramarins observés (à Mayotte et à La
Réunion) sont cependant contrastés.
Le Centre hospitalier de Mayotte a été évalué par les experts certificateurs comme
établissement «en très grande difficulté avec des réserves majeures» de la HAS pour
l’accréditation 2012.
Par contre, l’Hôpital de La Réunion évolue dans le sens de l’obtention de l’accréditation 2012
malgré certaines lacunes à redresser, du fait que l’établissement est apprécié par les
certificateurs pour « une gestion très correcte en termes de qualité» (Rapport de la Cour des
Comptes, 2014). Ce constat n’est pas cependant valable pour les autres centres hospitaliers de
l’île dont la HAS a signalé la non-conformité des établissements (vétusté, blocs opératoires
inadaptés, manque de qualité et d’hygiène,…).
Vers l’exception insulaire «outre-mer»
Dans l’esprit de cette exception «insulaire», et dans le souci de continuité territoriale,
la législation en matière de santé publique pourrait être adaptée en déclinant un volet «outremer» dans la loi de santé publique, intégré au contrat d’objectifs et de performance des
agences de santé nationales. Ces objectifs contractuels spécifiques «outre-mer» seraient d’un
13
intérêt stratégique, et complémentaires aux Projets Régionaux de santé de l’Agence Régionale
(Océan Indien).
En vue de rattrapage ou de compensation23 des conditions insulaires outre-mer, la
Cour des Comptes préconise le développement de contrats d’engagement de service public,
des postes de praticien territorial de santé pour pallier aux disparités territoriales
d’implantation de médecins (Mayotte). Ces contrats pourraient contribuer à une répartition
plus équilibrée des professionnels entre bassins de vie. L’amélioration du management des
ressources humaines relèverait aussi d’une meilleure coordination des tâches entre les
différents professionnels médicaux, et de la reconsidération des niveaux de rémunération de
ces professionnels outre-mer (car trop élevés). Selon les professionnels enquêtés, une
réorganisation des professions médicales est à intégrer dans les Plans régionaux de santé avec
des formations adaptées et du recrutement sur place. Dans les pratiques hospitalières, les
échanges et le décloisonnement des activités transversales et spécialisées (radiothérapie, IRM,
médecine nucléaire, oncologie,…) sont nécessaires; car de plus selon nos enquêtes, ce sont
souvent des spécialistes affectés de métropole.
En raison de l’éloignement et des urgences éventuelles face aux risques, l’obligation
de service public peut être instaurée pour certains services (acheminement de médicaments,
évacuations sanitaires). En effet, la répartition territoriale de l’offre de soins de ville et
hospitalière révèle encore des inégalités entre régions en France. En particulier, la part de la
population ayant accès à des soins urgents en moins de 30 minutes est loin d’être à 100% en
outre-mer, comme le prévoit d’atteindre la Projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale
(PLFSS) en 201324, d’où la nécessité d’un meilleur pilotage des urgences au sein de ces deux
Départements par exemple.
La télémédecine pourrait être un outil efficace au service des chirurgies d’urgence
permettant d’éviter les évacuations sanitaires coûteuses, elle est d’ailleurs l’une des priorités
du Plan Stratégique de Santé 2012-2016 de l’Agence de santé Océan Indien. De même, le
développement ou l’amélioration de la médecine ambulatoire, et des alternatives à
l’hospitalisation conventionnelle seraient appropriés afin de décongestionner les hôpitaux
dans la région, et alléger les coûts de prise en charge.
Concernant la gestion hospitalière en général, le rééquilibrage budgétaire des
établissements de ces deux Départements à moyen terme contribuerait au meilleur
financement des programmes de prévention spécifique à l’égard de certains risques
(vaccinations, lutte anti-vectorielle). Ce retour à l’équilibre favoriserait d’une manière globale
le tryptique prévention, soins hospitaliers et accompagnement médico-social.
Conclusion
Des profils de risques sanitaires et environnementaux sont caractéristiques des
territoires français outre-mer. Ils sont aggravés par le contexte insulaire spécifique de ces
territoires. Les profils de risques socio-sanitaires sont divers et évolutifs avec les modes de vie
de plus en plus modernes, allant des risques de maladies vectorielles (dengue et chikungunya),
de développement de maladies transmissibles et épidémiques à celui physico-chimiques,
naturels et climatiques majeurs, etc…
23
24
Pour une justice «corrective», selon l’analyse de Lang (Lang, 2010).
Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Ministère de l’économie et des Finances, 2013, p.74
14
La transposition des modèles métropolitains de système de santé et des politiques
socio-sanitaires publiques montre que les résultats sont loin d’être concluants dans le cas de
Mayotte et de La Réunion, pour faire face à ces risques majeurs (en matière d’équipements
hospitaliers, de financement de la prise en charge patients,…).
Par rapport aux objectifs fixés par les Plans et programmes élaborés à l’échelle
nationale (Plan Hôpital, Loi HPST,…) des années 2000, ou au niveau régional (Projet
Régional de Santé, PRSE2,…), des dispositifs techniques et institutionnels particuliers de
régulation semblent nécessaires afin de pouvoir adapter les missions des établissements
hospitaliers aux risques insulaires caractérisés. Sans doute faudrait-il alors intégrer l’exception
insulaire «outre-mer» dans les politiques publiques de système de santé et hospitalier pour
mieux appréhender, et maîtriser ces risques spécifiques en matière de santé environnement
dans ces territoires?
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