1
Risques sanitaires et politiques de prise en charge hospitalière dans les régions
outre-mer de l’Océan Indien: insularité et facteurs environnementaux
aggravants?
Auteur: Pascal Razanakoto
Résumé :
Les deux départements ultra-marins de La Réunion et de Mayotte présentent des risques
sanitaires majeurs, souvent aggravés par les conditions de vie précaires de certaines
populations en outre-mer.
Cet article a pour but d’étudier les profils et évolutions des risques sanitaires, ainsi que les
impacts de la prise en charge hospitalière issue des politiques publiques françaises en matière
socio-sanitaire dans les territoires outre-mer, notamment pour les deux départements de La
Réunion et de Mayotte. Les risques épidémiques insulaires et de développement de maladies
transmissibles élevés dans cette région, influencés par des facteurs humains favorisant (afflux
de migrants, populations hétéroclites), mais surtout environnementaux (climatiques, physico-
chimiques) sont mis en évidence.
Face à ces risques, les résultats ont montré pour les deux Départements des problèmes de
maillage territorial et de capacités d’accueil des infrastructures hospitalières, une insuffisance
de qualité des soins, ainsi que la non-conformité aux normes de certification HAS. La
nécessité d’intégrer l’exception « insulaire outre-mer» dans les politiques publiques de
système de santé et hospitalier s’impose pour maîtriser ces risques spécifiques en matière de
santé environnement dans ces territoires.
Mots clés : Risques socio-sanitaires, politiques hospitalières, outre-mer, La Réunion, Mayotte
Code Classification JEL: D63, H51, I12, I18, J28, P36, Q51, Q54.
Pascal Razanakoto
Docteur en Sciences économiques, Docteur en Sciences Humaines
Enseignant Chercheur des Universités (Université d’Antananarivo, Université Catholique de
Madagascar)
Enseignant associé (Université de Toulouse)
Consultant
Adresse Postale : Lot SIAF 7 Ambondrona-101 Antananarivo - MADAGASCAR
+(261)3440.404.20 (Madagascar)
+(33)07.50.82.09 (France)
email: pascal_[email protected]
pascal.razanakoto@iae-toulouse.fr
2
Risques sanitaires et prise en charge des hôpitaux dans les régions outre-mer de
l’Océan Indien: insularité et facteurs environnementaux aggravants?
Introduction
Le Rapport de la Cour des Comptes de Juin 2014 fait état de «l’existence de risque
sanitaire majeur, aggravé par les conditions de vie précaires en outre-mer»
1
. L’épidémie de
chikungunya de 2005-2006 à Mayotte et à La Réunion a atteint près de 40% de la population.
Depuis cet évènement, un modèle accompagné de dispositifs préventifs a été mis en place par
l’Agence Régionale de Santé Océan Indien, mais les risques spécifiques n’ont pu être
totalement maîtrisés, ni réduits
2
.
Les risques épidémiques insulaires dans cette région, influencés par des facteurs humains
favorisant (flux de migrants, populations hétéroclites), mais surtout environnementaux ont été
démontrés par des travaux scientifiques. Ainsi, la plupart des vecteurs de maladies détectés se
sont développés avec des facteurs plus ou moins favorables en milieu insulaire dont le pH, la
température, les rivières ombragées, les conditions d’habitat et les migrations d’oiseaux, mais
surtout la pluviométrie qui a une forte corrélation avec la séroprévalence de dengue type 1 et
type 2, du chikungunya, et du paludisme (Julvez, 1993, Michault, 1997,)
De son côté, le Plan Stratégique de Santé 2012-2016 élaboré par l’Agence Régionale
de santé évoque les risques liés à l’environnement avec différents facteurs de mise en péril de
la vie humaine dans ces îles de l’Océan Indien (conditions climatiques extrêmes, sismicité
élevée,...).
Les risques environnementaux liés à la situation d’insularité des départements d’outre-mer y
sont aggravés car La Réunion est par exemple l’une des régions françaises les plus exposées
aux risques naturels en raison des cyclones (zone de cyclogenèse), fortes pluies et
précipitations
3
. Les caractéristiques géodynamiques de ces territoires sont aussi attribuées à
un volcanisme très actif avec une éruption régulière (Piton de la Fournaise à La Réunion), et
un risque sismique certes modéré, mais réel. Ensuite, le passé géologique récent marque la
morphologie de ces îles, avec des glissements de terrain et de l’érosion importante sur la côte
Est et au Sud de l’île de La Réunion. Enfin, le risque tsunami s’est avéré important dans
l’Océan Indien depuis l’épisode de 2005 en Indonésie durant laquelle La Réunion et Mayotte
ont connu d’importants raz de marée, et une montée dangereuse du niveau de la mer.
Face à cela, certaines catégories de populations insulaires sont fortement exposées aux
risques socio-sanitaires et d’épidémies du fait de la situation de grande précarité.
Les inégalités d’accès aux soins au sein des populations se traduisent par une grande
vulnérabilité de couches sociales marginalisées dont les chômeurs, les bénéficiaires de
minimas sociaux RSA, détenus, étrangers migrants, mineurs isolés,... D’une façon globale, les
conditions sanitaires contrastent d’abord considérablement avec celles de la métropole. Les
écarts de dépenses par habitant de l’assurance maladie existent entre les régions outre-mer
(Tableau 1).
1
Cour des Comptes, 2014, La santé dans les outre-mer, une responsabilité de la République, juin 2014, p.134
2
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.146
3
Agence Régionale de Santé Océan Indien ARS OI, 2011
3
Dans son analyse, le même rapport de la Cour des Comptes relève une «absence de stratégies
publiques en outre-mer»
4
en matière de soins, et de performance hospitalière.
La problématique est donc de s’interroger d’une part sur l’insularité comme facteur
aggravant de risques sanitaires environnementaux, et d’autre part, sur la gestion du système de
santé et de soins, notamment hospitalier dans les régions outre-mer de l’Océan Indien face à
ces risques sanitaires insulaires. L’intérêt de l’étude de ces deux partements réside dans
leur localisation au sein de la même zone de risques insulaires de l’Océan Indien, mais
également dans un certain contraste du niveau de développement et de structures socio-
sanitaires entre ces îles.
Encadré 1: Méthodologie
La méthodologie procède au recours à trois principaux outils de collecte de données dans le
cadre de la démarche empirique. Le premier outil consiste dans des entrevues semi-directives
avec une soixantaine d’entretiens en profondeur menées en 2013 et 2014 auprès d’usagers et
d’acteurs clés (médecins et personnel soignant impliqués dans les Projets hospitaliers de
Mayotte et de La Réunion, agents des Caisses Maladie). Le second outil est une collecte de
données quantitatives de type pré-post sur la qualité de gestion hospitalière (fréquence de
saturation, attentes, consultations non prises en charge), l’utilisation du système de soins
(nombre d’opérations réalisées, demandes traitées et délais,…), les impacts (fréquence de
blocages ou d’incidents de transmissions des services connexes ou interconnectés dont la
Caisse Maladie et les Mutuelles, délais moyens de rendez-vous d’opérations ou de
consultations). Le troisième outil est constitué d’observations sur le terrain, notamment au
Centre hospitalier de Mayotte (CHM) à Mamoudzou, et à l’Hôpital de La Réunion.
Dans un premier temps, il sera question dans cet article de retracer les profils et
évolutions des risques sanitaires dans ces deux départements outre-mer. Les structures
hospitalières en termes de qualité et de prise en charge des pathologies seront étudiées dans un
second temps. Enfin, les régulations et ajustements des systèmes de santé et des hôpitaux
seront analysés, non seulement dans la logique d’harmonisation avec la France
métropolitaine, mais également pour tenir compte des risques socio-sanitaires spécifiques
dans ces Départements.
Profils de risques sanitaires insulaires outre-mer
Dans les Départements de Mayotte et de La Réunion
5
, les données de prévalence et de
risques sanitaires de ces territoires présentent des profils spécifiques nécessitant l’ajustement
des structures médicales et hospitalières. Avant d’identifier ces profils de risques
environnementaux et socio-sanitaires, une revue des débats sur les risques et les inégalités
face aux risques s’impose.
Les débats sur les risques et les inégalités face aux risques sanitaires
Les risques identifiés concernent globalement les domaines pathologiques et
évènements sanitaires d’une part, les populations ou groupes vulnérables exposés à ces
risques d’autre part. La « Déclaration de Parme», largement débattue, puis signée en 2010 par
4
Cour des Comptes, 2014, op.cit., p.3
5
La Réunion accède à la départementalisation en 1946, tandis que Mayotte y accède en 2011 en devenant le
101ème Département français. Les deux Départements font partie des Régions Ultrapériphériques (RUP) de
l’Union européenne dont Mayotte depuis juillet 2012, et bénéficient des Fonds structurels de l’UE du fait de leur
statut.
4
les États membres de l’OMS en Europe, relève les principaux défis sur l’Environnement et la
santé dont « les changements climatiques, les risques sanitaires pour les enfants et groupes
vulnérables, les inégalités socio-économiques et sexo-spécifiques, la charge des maladies non
transmissibles, les produits chimiques nocifs persistants, perturbateurs endocriniens et
bioaccumulatifs et (nano)particules, ainsi que le manque de ressources dans certaines parties
de la Région européenne de l’OMS»
6
.
En fait, la vulnérabilité se traduit par le fait que les individus ne subissent pas d’une manière
équitable les impacts de ces risques. Les impacts d’une dégradation de l’environnement sont
subis par les populations, mais il y a des inégalités sociales face à ces risques (Cornut et al.,
2007).
La justice environnementale peut alors concerner les inégalités ou disparités territoriales
(Nord-Sud, urbain-rural,…), et la différence d’exposition des populations de ces territoires
aux risques. Ainsi, les disparités entre la métropole et les territoires outre-mer font référence à
une telle justice; mais il y a aussi les disparités entre les territoires ultramarins eux-mêmes.
Par ailleurs, comme dans tout système, des interactions se construisent et évoluent entre les
conditions environnementales, les dynamiques socio-économiques, et les inégalités sociales
(Cornut et al., 2007).
Dans ce contexte, émerge alors une justice dite «corrective»
7
qui tend à la réduction et/ou à la
compensation des nuisances et impacts nocifs sur la santé par des mesures matérielles
(techniques à la source, auprès des populations-cibles, et sur le milieu) et immatérielles (seuils
et normes). C’est dans ce cadre que sont élaborés les modèles de réduction des inégalités
sociales de santé en matière d’action publique, orientés vers l’universalisme des droits (avec
la CMU ou la Couverture universelle en matière de santé), ou encore vers la stratégie de
ciblage des «publics prioritaires» pour une justice sociale fondée sur les subventions aux
besoins des plus vulnérables (Lang, 2010).
Mais, ces modèles se focalisent rarement sur la dimension santé environnement, même si la
préservation des milieux de vie par la réduction des niveaux d’expositions aux nuisances et
pollutions (bruit, pollution de l’air, qualité de l’eau, risques industriels, climatiques et
naturels) représente en réalité une condition première de ces modèles (Potvin et al., 2010).
Face à ces risques et surtout ces inégalités, les solutions vont alors dans le sens du
renforcement des logiques de solidarité entre les individus, notamment en direction des plus
pauvres dont ceux du Sud (Rapport Brundtland), de la transformation du système de santé,
notamment la Sécurité sociale en France, pour affronter par exemple les évolutions
d’épidémies et des maladies chroniques contemporaines (Cicollela, 2007). La prise en
compte des risques et impacts sur les sociétés conduit aussi à considérer l’environnement
comme un élément de « reconstruction des temporalités politiques» (Naess, 2008).
Une nouvelle conception globale du système de santé, ne se limitant pas seulement au
système de soins peut être envisagée pour résoudre le déficit aggravé de la Sécurité sociale,
tout en faisant face aux besoins croissants de soins des populations. Des actions publiques en
amont sont essentielles sur les causes environnementales et comportementales des maladies,
sortant ainsi du modèle «tout médicament » (Cicollela, 2007). Un système de santé de
6
Source: Déclaration de Parme, 2010. Le Conseil Ministériel Européen de l’environnement et de la santé
(CMES) ayant piloté les travaux de la Déclaration de Parme a constitué un groupe de travail dit Environment and
Health Task Force (EHTF) pour l’identification de ces défis Environnement-Santé et les politiques y afférentes.
7
Ministère des Affaires sociales et de la Santé, Ministère de l’Ecologie, du veloppement durable et de
l’énergie, 2014, p.9
5
proximité associé à un financement plus juste permettrait aussi d’instaurer une ritable
démocratie sanitaire
8
.
En outre-mer, les inégalités persistent malgré les stratégies socio-sanitaires de l’administration
centrale française ces dernières décennies. Elles y sont particulièrement accentuées dans un
contexte spécifique d’évolutions des pathologies et pandémies actuelles (VIH Sida), sans
doute faut-il y voir une inadaptation des politiques publiques françaises en matière socio-
sanitaire dans les territoires outre-mer? (Carde, 2009)
Malgré la consistance des travaux scientifiques, rares sont cependant les recherches réalisées
jusqu’ici pour analyser les risques sanitaires insulaires, et les inégalités face à ces risques en
outre-mer.
Des contextes sociodémographiques insulaires contrastés
Quelques données socio-démographiques retracent la situation de ces départements en
comparaison avec d’autres départements d’outre-mer. Les populations y sont jeunes avec près
de 70% âgées de moins de 30 ans, contrairement à celles des Antilles françaises en transition
démographique, caractérisées par un vieillissement de la population et un taux de croissance
faible par exemple (INSEE, 2013). L’espérance de vie est plus faible dans les départements
outre-mer qu’en métropole, plus particulièrement à Mayotte et à La union (77 ans à La
Réunion et 74 ans à Mayotte contre 81 ans en métropole. Le taux de chômage y est élevé,
voire très important dépassant 30%, et 60% chez les jeunes de 15-24 ans (INSEE, 2013).
Le taux de croissance de la population est le triple de celle de la métropole malgré une
mortalité infantile élevée. LINSEE prévoit un doublement de la population en 10ans (de
2013 à 2023), notamment à Mayotte.
Mais, la répartition démographique infra-insulaire inégale est source d’aggravation de la
précarité, et de l’insalubrité de certains quartiers ou zones urbaines. La densité de population
mahoraise est très élevée (570 hab./km² en moyenne contre 335 hab./km² à La Réunion en
2012
9
), avec près de la moitié de la population de Mayotte concentrée au Nord-Est de l’île,
dans les communes de Mamoudzou, Koungou et Petite-Terre (Dzaoudzi). Préfecture et
capitale économique du Département, Mamoudzou compte à elle seule près de 60 000
habitants en 2013, soit 30 % de la population. De même, le Sud de La Réunion (Saint Pierre,
Saint Leu, Tampon), et Saint Denis concentrent l’essentiel des habitants soit 78% de la
population, mais c’est la Commune du Port qui a la plus forte densité avec 2300 habitants/km²
en 2012.
L’afflux de migrants en provenance d’îles voisines (notamment de l’Archipel des Comores),
avec les conséquences souvent dramatiques (noyades en mer, affronts et expulsions des
clandestins, entrées illégales de mères à terme de grossesse, afflux de mineurs isolés,
ghettoïsation, etc.,.) a été largement médiatisé à Mayotte qui compte près de 40% d’étrangers
recensés officiellement.
Comme l’indique le tableau suivant, les écarts de dépenses de santé sont relativement
importants entre les départements ultramarins. Malgré qu’il y a une hausse des dépenses de
santé, notamment du budget des établissements de santé (hôpitaux et dispensaires, Centres de
8
Selon les termes de Cicollela (Cicollela, op.cit., 2007)
9
Sources statistiques démographiques : INSEE, 2013
1 / 16 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans l'interface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer l'interface utilisateur de StudyLib ? N'hésitez pas à envoyer vos suggestions. C'est très important pour nous!