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économistes « classiques »10 jouent un rôle central dans le débat ayant conduit à cette
réorientation de l’assistance sociale en 1834, dénonçant avec virulence l’impact de la loi
de Speenhamland. Parmi ceux-ci, Thomas Malthus s’illustre particulièrement. On lui doit
cette fameuse phrase concernant les lois d’assistance britanniques : « ces lois créent les
pauvres qu’elles assistent »11. Sa pensée économique libérale « anti-lois sur les
pauvres », comme celle de David Ricardo12, influencera le rapport des commissaires de la
Commission d’enquête sur les lois sur les pauvres (Commission of Inquiry into the Poor
Laws) (1832). Ainsi, selon eux, le système d’aide existant faisait en sorte que « l’indigent
demandait de l’aide sans que l’on tienne compte de ses mérites » ; il en résultait une
incitation à des mariages imprévoyants, à l’immoralité, « les femmes demandant de l’aide
pour leurs bâtards », et à la paresse de la part des travailleurs qui pouvaient gagner
davantage par ce système que par « un travail honnête » (Crowther 1982 : 12). De plus,
analysaient les commissaires, les interférences du système de Speenhamland avec les
règles salariales étaient nuisibles : « les employeurs, sachant que leurs travailleurs étaient
subventionnés par le “poor rate”, maintenaient les salaires artificiellement bas ». La loi
sur les pauvres « démoralisait les classes laborieuses et interférait avec leurs relations
naturelles tant avec leurs employeurs qu’avec leur famille » (Crowther 1982 : 12). Pour
mettre un terme à ce qui leur apparaissait comme des abus, il était nécessaire, selon eux,
de revoir les principes de base de l’assistance publique, en favorisant notamment un
traitement mieux adapté à la condition des différentes catégories d’indigents.
Pour ce faire, la loi de 1834 retiendra fondamentalement trois éléments : le principe de
« less eligibility », le « test de la workhouse (ou maison de travail) » et la centralisation
administrative (Barr 1993 : 15). Cette loi représente une révision fondamentale et
punitive de l’assistance sociale, dont les principes orienteront ensuite l’ensemble des lois
10 On qualifie ainsi l’école de pensée ayant précédé celle des néoclassiques (d’où dérive leur appellation)
qui s’impose dans la pensée économique de 1775 jusqu’au milieu du 19e siècle. Ses représentants les plus
connus sont Adam Smith, David Ricardo et Thomas Malthus. L’idée de lois naturelles en économie, si
prééminente chez les économistes néoclassiques, a été reprise des classiques, qui l’avaient eux-mêmes
puisée dans la pensée de l’école physiocratique, laquelle énonce, au milieu du 18e siècle, la première
formulation économique de la doctrine libérale.
11 Thomas Malthus. 1798. Essai sur le principe de population. Paris, Éditions Gonthier, 1963, p. 76.
12 David Ricardo. 1835. Des principes de l’économie politique et de l’impôt, Paris, J. P. Aillaud, Librairie
(1ère éd. 1817).