Arbitrage inflation – chômage et organisation monétaire optimale : une illustration en économie ouverte Céline BARRE∗ RESUME : Dans le contexte d’un modèle à deux pays symétriques, nous cherchons à relier la question de la crédibilité et du jeu de délégation à celle de la coordination des politiques monétaires entre pays. Nous examinons et comparons deux formes d’arrangements monétaires : le premier est un système de change fixe avec contrôle sur les mouvements de capitaux dans lequel les politiques monétaires peuvent être choisies indépendamment ; le second est une union monétaire dans laquelle les deux pays participent ensemble à la conduite de la politique monétaire par la création d’une banque centrale commune. Nous montrons que le choix d’une union monétaire est lié à celui du “ bon ” objectif de la banque centrale commune. En particulier, si le poids de conservatisme attribué à la banque centrale est celui qui résulte de la maximisation de l’objectif social dans chaque pays, alors la coopération n’est jamais contre-productive. A l’opposé, l’absence de coopération internationale peut être bénéfique si la banque centrale commune est ultra-conservatrice alors que l’inflation peut exercer un effet favorable sur l’emploi. ∗ CEDERS, Université de la Méditerranée – 14 Avenue Jules Ferry – 13621 Aix-en-Provence – Tél : 04 42 91 48 34 – Fax : 04 42 91 48 29 – E.mail : [email protected] 1 1. Introduction Les travaux relatifs à l’incohérence temporelle de la politique monétaire faiblement inflationniste, initialement traités en économie fermée, ont été étendus dans un cadre international, principalement par la transposition, en économie ouverte, de l’analyse de BARRO et GORDON [1983a]. Dès lors, l’interaction stratégique, au niveau interne, entre un gouvernement et le secteur privé, se double d’une interaction stratégique, au niveau externe, entre plusieurs décideurs monétaires. La question de la crédibilité de la politique monétaire faiblement inflationniste renvoie désormais à celle de la coordination des politiques monétaires en économie ouverte De manière générale, le jeu de politique monétaire en économie ouverte est traité en termes d’interdépendances stratégiques entre deux pays symétriques, et souligne la supériorité, en terme de bien-être social, de la solution coopérative sur les solutions non coopératives (HAMADA [1976], OUDIZ et SACHS [1984], COOPER [1985], CANZONERI et GRAY [1985], CANZONERI et HENDERSON [1988]). Plus précisément, l’incitation à la coopération internationale provient de l’efficacité relative d’un régime monétaire coopératif concernant sa réponse à des chocs symétriques ou asymétriques. Il apparaît, en effet, que les comportements non coopératifs créent des externalités dans les relations internationales ; la coopération permet alors d’internaliser et, conséquemment, d’éliminer les inefficiences dues à des politiques monétaires unilatérales. Toutefois, ces analyses présentent deux principales limites. D’une part, les résultats auxquels elles aboutissent sont sensibles à la nature des chocs ; le corollaire est qu’en l’absence de perturbations aléatoires, le conflit entre les deux pays disparaît. Les régimes non coopératif et coopératif sont alors équivalents : le niveau de bien-être national, généralement mesuré en termes d’emploi et d’inflation, est maximal et indépendant du régime monétaire. La spécification de ces modèles implique, en effet, que le conflit politique international découle systématiquement de la réaction aux aléas subis par les économies. D’autre part, ils supposent une absence de conflit interne entre le gouvernement et le secteur privé : le secteur privé fixe un salaire nominal compatible avec la cible de plein-emploi du gouvernement (CANZONERI et HENDERSON [1991], BRYSON [1993]). Or, la présence de distorsions sur le marché du travail peut remettre en cause la supériorité de la coopération internationale. ROGOFF [1985b] montre ainsi qu’une coopération monétaire accrue entre deux gouvernements n’améliore pas forcément le bien-être de l’union des deux pays. La contre-production de cette organisation monétaire peut conduire à un surplus d’inflation parce qu’elle accroît le problème de crédibilité des gouvernements vis-à- 2 vis du secteur privé. La coopération monétaire internationale peut, en effet, inciter le secteur privé à fixer un salaire nominal plus élevé parce qu’il sait qu’un régime non coopératif aurait exercé une contrainte supplémentaire à la discipline1. Le régime coopératif élimine cette incitation à ne pas produire de l’inflation surprise et, par conséquent, accroît le biais inflationniste de la politique monétaire. Bien que la coopération améliore les réponses des économies face à des chocs d’offre ou de demande (CANZONERI et HENDERSON [1991]), elle procure des gains en terme de bien-être global seulement si le problème de crédibilité du gouvernement vis-à-vis du secteur privé est résolu. LASKAR [1989] introduit, dans le cadre d’analyse de ROGOFF [1985b], des banques centrales indépendantes, i.e. dont le degré d’aversion à l’égard de l’inflation est supérieur à celui de la société. En comparant différents types d’arrangements concernant le système de change (régime de change flexible et régime de change fixe asymétrique ou union monétaire), LASKAR [1993a] obtient des résultats favorables à une union monétaire puisqu’elle permet d’éliminer la perte qui, dans un système de change flexible, provient du manque de coopération internationale dans le choix des banquiers centraux. Un choix approprié du degré de conservatisme optimal des banquiers centraux permet d’éviter que la coopération soit contre-productive : l’inflation doit être davantage pénalisée dans le régime de coopération monétaire. Cet article étudie la question de l’organisation monétaire optimale en économie ouverte, et se propose de relier le problème de la crédibilité et du jeu de délégation à celui de la coordination des politiques monétaires entre pays. Dans le contexte d’un modèle à deux pays symétriques, deux formes d’arrangements monétaires2 sont examinées et comparées : la première est un système de change fixe avec contrôle sur les mouvements de capitaux dans lequel les politiques monétaires peuvent être choisies indépendamment l’une de l’autre (GIAVAZZI et PAGANO [1988])3 ; la seconde est une union monétaire dans laquelle les deux pays participent ensemble à la conduite de la politique monétaire par la création d’une banque centrale commune. 1 Une politique monétaire expansionniste se traduit ex post par une dépréciation du taux de change réel et, par conséquent, réduit le bien-être social du pays qui la pratique : la dépréciation réelle du taux de change accroît les prix à la consommation, ce qui déprime l’emploi si le secteur privé répercute la hausse des prix sur le salaire nominal. 2 Ces deux organisations monétaires représentent les principales phases de la construction monétaire européenne, l’étape intermédiaire d’un système de change fixe avec mobilité parfaite des capitaux étant ici similaire à l’union monétaire. 3 L’hypothèse d’un système de parités fixes avec contrôle sur les mouvements de capitaux renvoie à l’analyse de GIAVAZZI et PAGANO [1988], dans laquelle chaque réévaluation du taux de change nominal fait revenir le taux de change réel à un niveau de référence donné ; entre ces réalignements, le taux de change réel peut fluctuer en raison d’une substituabilité imparfaite des actifs financiers, son comportement dépendant alors du différentiel des taux d’inflation entre les deux pays. 3 Dans les deux régimes monétaires, il est supposé que chaque gouvernement pratique la politique monétaire optimale. D’une part, chaque gouvernement pratique une politique des subventions destinée à réduire les rigidités réelles qui sont dues à la présence d’un syndicat qui fixe le salaire nominal à un niveau supérieur à celui qui équilibrerait le marché du travail ; dans chaque pays, le gouvernement a donc un moyen de lutter contre le chômage sans utiliser la politique monétaire non anticipée. D’autre part, la question de la crédibilité du pré-engagement concernant la politique monétaire peut être résolue par le biais de la délégation du pouvoir monétaire à une banque centrale indépendante. Le problème de chaque gouvernement revient donc à définir l’objectif de la banque centrale (i.e. le paramètre optimal de délégation) de sorte que la politique discrétionnaire pratiquée par celle-ci coïncide avec la politique monétaire optimale. Par conséquent, dans les deux régimes, le choix des stratégies monétaires optimales renvoie à celui du poids optimal de conservatisme. Le régime non coopératif correspond alors au cas où chaque pays détermine le degré de conservatisme de son banquier central en prenant comme donné le type du banquier central de l’autre. Dans le régime de coopération monétaire, le choix des banquiers centraux est réalisé de façon coopérative. Dans les deux cas, une définition adaptée de l’objectif des banques centrales permet de résoudre le problème de la crédibilité de la politique monétaire. Il apparaît alors qu’en l’absence de coopération internationale, les deux pays choisissent des banquiers centraux qui ne pénalisent pas suffisamment l’inflation, ce qui réduit le bien-être global. Ce résultat est conforme à celui de la littérature existante (ROGOFF [1985b], LASKAR [1993a]) : en éliminant le problème de la crédibilité de la politique monétaire par le biais de la délégation, la coopération internationale n’est jamais contre-productive. Plus particulièrement, la coopération monétaire internationale est toujours préférable à la poursuite de politiques monétaires isolées à condition que le degré de conservatisme de la banque centrale commune résulte de la maximisation du bien-être social dans chacun des pays. Dans le cas contraire, la création d’une banque centrale commune peut-être sous optimale. Ce résultat provient de la possibilité d’affecter l’emploi par une politique monétaire anticipée. 2. Présentation du modèle Le modèle décrit deux économies interdépendantes en régime de change fixe. Nous supposons que les deux pays sont identiques, chacun produisant un bien spécifique consommé par l’ensemble des consommateurs. Dans ce modèle, la 4 politique monétaire peut avoir un effet réel parce que, dans chaque pays, le salaire nominal est indexé sur le niveau des prix à la consommation qui est défini (en logs) comme une somme pondérée des prix (exprimés dans la même monnaie) des deux biens. Chaque économie i ( i = A, B ) est composée de deux agents : le gouvernement et le syndicat. Toutes les variables sont exprimées en logarithmes. Le gouvernement du pays i choisit le taux de subvention à l’emploi financée par l’imposition ( s i ) et le niveau des prix à la production ( p i ), tandis que le syndicat du pays i fixe le salaire nominal ( wi ). Finalement, le niveau de l’emploi l i est donné par l’équation de la demande de travail : l i = a − b( wi − pi ) + si + cπ i (1) où c ≥ 0 représente l’effet de la politique monétaire du pays i ( π i = p i − p i (−1) ) sur l’emploi l i . Les deux pays étant de même taille et de même structure, les coefficients des variables correspondantes sont identiques ; en particulier, la technologie est similaire : a ∈ R, b > 0 . Pour corriger l’effet néfaste du salaire réel (payé par la firme) sur le niveau de l’emploi, le gouvernement met en œuvre une politique de l’emploi qui prend la forme générale d’une subvention des salaires. Cette subvention est financée partiellement par les taxes fiscales s i , et partiellement par l’inflation cπ i (taxe inflationniste). En notant n le logarithme de plein emploi, le taux de chômage dans le pays i est mesuré par : u i = n − l i = n − a + b( wi − p i ) − s i − c( pi − p i (−1) ) (2) Les objectifs des syndicats dans les deux pays sont représentés par les formes quadratiques suivantes : S A ≡ −(ω − ( w A − q A )) 2 (3a) S B ≡ −(ω − ( wB − q B )) 2 (3b) Dans chaque pays i ( i = A, B ), le syndicat cherche à minimiser les déviations du salaire réel en termes de biens de consommation par rapport à une cible ω strictement positive. En raison de la symétrie du modèle, la cible de salaire réel ω 5 est identique dans les deux pays. On suppose, de plus, une absence de coopération entre les deux syndicats4. Les niveaux des prix à la consommation ( q A , q B ) sont définis par une moyenne pondérée du prix de chacun des deux biens : q A = (1 − β ) p A + βp B = p A + βz (4a) q B = (1 − β ) p B + βp A = p B − βz (4b) où β ( 0 < β < 1 ) est le poids affecté au bien importé dans la consommation de chaque pays. Le taux de change réel ( z ) mesure le prix relatif de la production du pays B en terme de production du pays A , et s’écrit : z = pB − p A (5) où le taux de change nominal fixé a été normalisé à e = 0 . Toute hausse de z s’interprète en terme de dépréciation du taux de change réel. Par ailleurs, l’hypothèse d’anticipations rationnelles équivaut, en l’absence de chocs stochastiques, à l’hypothèse de prévisions parfaites : le syndicat connaît les niveaux de prix de sorte que son choix se fait en terme de salaire réel (i.e. salaire nominal à politiques monétaires nationales et étrangères données), et non de salaire réel anticipé. Dans chaque pays, les objectifs des gouvernements représentent les préférences sociales ; ce sont des fonctions quadratiques dont les arguments sont le taux de chômage, le taux de subvention et le taux d’inflation des prix à la consommation. Le problème de chaque gouvernement revient, respectivement, à maximiser : G A ≡ − µu A2 − (1 − µ ) s A2 − ν (q A − q A( −1) ) 2 (6a) G B ≡ − µu B2 − (1 − µ ) s B2 − ν (q B − q B ( −1) ) 2 (6b) Le paramètre µ ( 0 < µ < 1 ) pondère la cible de plein-emploi des gouvernements, (1 − µ ) est le poids assigné au coût de la subvention : les gouvernements cherchent à minimiser les écarts du chômage et de la subvention à leurs cibles, supposées égales à zéro. Le paramètre ν > 0 est le poids affecté à la stabilité des prix à la consommation : tout excès de l’inflation des prix à la consommation par rapport à la cible (zéro) diminue le bien-être social. Par la suite, nous supposerons que 4 Le problème de la coopération internationale entre syndicats est analysé par ZERVOYIANNI [1997] dans le cadre du modèle de BARRO et GORDON [1983a] en économie ouverte. 6 q A( −1) = q B ( −1) = 0 , de sorte que les niveaux et les taux d’inflation des prix à la consommation seront confondus. 3. L’optimum du pays i (à prix du pays j donné) Nous étudions l’équilibre de Stackelberg dans lequel le gouvernement i contrôle la subvention s i et l’inflation p i 5 ( à p j donné). Au niveau du pays i , il s’interprète comme un équilibre dans lequel le gouvernement peut pré-engager les décisions de politiques monétaire et fiscale6. Dans ce cadre, les deux joueurs interviennent successivement : le gouvernement (le leader) joue en premier et connaît la fonction de réaction du syndicat. En fonction des décisions s i et p i du gouvernement, étant donné p j , le syndicat du pays i choisit le salaire nominal de façon à maximiser son objectif sous la contrainte (1). La décision de chaque syndicat doit alors respectivement vérifier : wA − q A = ω (7a) wB − q B = ω (7b) En remplaçant q A et q B respectivement par les relations (4a) et (4b), chaque syndicat choisit le salaire nominal tel que : w A − p A = ω + βz (8a) wB − p B = ω − βz (8b) Le salaire nominal w A ( wB ) est une fonction croissante (décroissante) du taux de change réel : toute dépréciation du taux de change réel accroît (réduit) le salaire réel versé aux salariés dans le pays A (dans le pays B ). Le salaire nominal croît également avec la cible ω de salaire réel : une hausse de la cible accroît les 5 Nous supposons que pi ( −1) = 0 : les niveaux et les taux d’inflation des prix à la production sont identiques. Cet équilibre interne est étudié comme un cas de référence. En d’autres termes, il est supposé que la politique monétaire optimale est applicable, sachant que l’optimalité dont il s’agit est relative à un engagement partiel, i.e. réalisée ici en l’absence d’action coopérative entre les deux gouvernements. 6 7 distorsions présentes sur le marché du travail, le syndicat représentant davantage les travailleurs qui disposent déjà d’un emploi. En substituant les expressions (8a) et (8b) dans la relation (2) du taux de chômage, on obtient : u A = n − a + bω + bβz − ( s A + cp A ) (9a) u B = n − a + bω − bβz − ( s B + cp B ) (9b) Il apparaît que le taux de chômage dans le pays A (dans le pays B ) est une fonction décroissante de la politique des subventions pratiquée par le gouvernement A (le gouvernement B ), et une fonction croissante (décroissante) du taux de change réel. Une dépréciation du taux de change réel due, par exemple, à un gain de compétitivité favorable, accroît le chômage dans le pays A par un effet indirect dû à la réaction du syndicat qui fixe un salaire nominal plus élevé pour compenser la perte en pouvoir d’achat qu’il subit sur les importations : une augmentation du prix relatif du bien produit par le pays B accroît le salaire réel versé aux salariés du pays A (relation (8a)) et réduit l’emploi (relation (1)). Cet effet est d’autant plus important que la propension à importer ( β ) est élevée. Dans le pays B , la hausse de z se traduit par une réduction du salaire réel versé par les entreprises locales (relation (8b)), ce qui stimule l’emploi (relation (1)). Ce résultat s’explique : le syndicat ne répercute pas entièrement la hausse du prix p B sur le salaire nominal qu’il choisit (relation (7b)) ; la politique monétaire ( p B ) affecte alors systématiquement le chômage ( u B ). En dépit de l’hypothèse d’anticipations rationnelles, la politique monétaire exerce donc un effet réel qui est indépendant de la valeur du paramètre c . La non neutralité de la politique monétaire s’explique par l’indexation partielle du salaire nominal sur le niveau des prix intérieurs. L’effet réel de la politique monétaire est d’autant plus élevé que l’économie est ouverte sur l’extérieur ( β proche de 1) ; à l’inverse, plus la propension à importer est faible ( β proche de 0), plus le syndicat neutralise la hausse du prix intérieur en fixant un salaire nominal plus élevé, ce qui réduit l’efficacité de la politique monétaire. Le problème du gouvernement A (gouvernement B ) revient à choisir la subvention s A ( s B ) et l’inflation p A ( p B ) de façon à maximiser son objectif G A ( G B ) sous la contrainte du taux de chômage exprimée par (9a) (la contrainte (9b)). Les arbitrages respectifs sont donnés par les conditions du premier ordre : (1 − µ ) s A = µu A (10a) 8 (1 − µ ) s B = µu B (10b) ν (1 − β )q A = µ ( βb + c)u A (11a) ν (1 − β )q B = µ ( βb + c)u B (11b) En substituant u A et u B dans les relations (10a) et (10b), on obtient : s A = µ (n − a + bω + βbz − cp A ) (12a) s B = µ (n − a + bω − βbz − cp B ) (12b) La subvention s A ( s B ) est décroissante par rapport à cp A ( cp B ) : la subvention à l’emploi financée par l’imposition est d’autant plus faible que l’effet du seigneuriage sur l’emploi est élevé. Une dépréciation du taux de change réel accroît (réduit) la subvention s A ( s B ). Dans le pays A , la hausse du prix relatif du bien importé accroît le salaire réel versé aux salariés et, par conséquent, incite le gouvernement à réagir en stimulant l’emploi par le biais de la subvention. Dans le pays B , une hausse de z stimule directement l’emploi : le gouvernement réduit la subvention s B . Par ailleurs, s A et s B sont des fonctions croissantes de ω : les subventions sont d’autant plus élevées que les distorsions induites par la cible de salaire réel visée par les syndicats sont importantes. Le paramètre µ est le poids relatif du chômage par rapport au coût de la subvention dans l’objectif des gouvernements : les subventions s A et s B sont d’autant plus élevées que les gouvernements pénalisent le chômage. En substituant u A et u B dans les relations (11a) et (11b), il vient : qA = µ ( βb + c ) [n − a + bω + bβz − (s A + cp A )] ν (1 − β ) (13a) qB = µ ( βb + c ) [n − a + bω − bβz − (s B + cp B )] ν (1 − β ) (13b) L’inflation q A ( q B ) est une fonction croissante (décroissante) du taux de change réel. Dans le pays A , une dépréciation du taux de change réel engendre des revendications salariales plus élevées (relation (8a)) dans le but de maintenir le niveau de vie des salariés face à une augmentation du prix relatif des importations et, par conséquent, accroît le chômage u A ; le gouvernement réagit en pratiquant alors une politique monétaire expansionniste qui accroît l’inflation nationale q A (relation (4a)). Pour le pays B , la dépréciation du taux de change réel correspond à une 9 diminution du prix relatif de la production du pays A qui, par le biais d’une diminution du salaire réel versé par les entreprises locales, réduit le chômage u B . La relation (4b) indique que l’inflation q B diminue avec la hausse de z . Par ailleurs, la relation q A ( q B ) est une fonction décroissante de la subvention s A ( s B ) : dans chaque pays, un accroissement de la subvention financée par la taxation réduit l’inflation ; et une fonction décroissante de l’effet du seigneuriage cp A ( cp B ) sur l’emploi : si c > 0 , chaque gouvernement agit directement sur le marché de l’emploi en finançant par la création monétaire (taxe inflationniste) une partie de la subvention sur le travail. Une augmentation de p A ( p B ) provoque une diminution du prix relatif des biens importés qui réduit le chômage (relations (9a) et (9b)) et, par conséquent, l’inflation q A ( q B ) (relations (11a) et (11b)). De plus, l’inflation q A ( q B ) est croissante avec la cible de salaire réel des syndicats ( ω ) : l’inflation est d’autant plus élevée que les distorsions présentes sur les marchés du travail sont importantes. Et enfin, l’inflation q A ( q B ) dépend positivement du poids µ ν du chômage dans l’objectif des gouvernements : plus ils sont concernés par la lutte contre le chômage, plus ils seront enclins à créer de l’inflation. En substituant les relations (4a) et (4b) dans (13a) et (13b), puis en remplaçant ces expressions, ainsi que (12a) et (12b) dans les expressions (9a) et (9b), on obtient les taux de chômage à l’équilibre avec engagement : [ ] (14a) [ ] (14b) u *A = 1 M + β (b + c) z * D u B* = 1 M − β (b + c) z * D µ µ ( βb + c ) c + 1 − µ ν (1 − β ) où D = 1+ et M = n − a + bω , z * = p *B − p *A . (15) Le dénominateur D combine les deux poids relatifs du chômage par rapport aux coûts de la subvention et de l’inflation dans l’objectif des gouvernements : chaque accroissement de ces poids relatifs réduit le chômage d’équilibre. Par conséquent, les politiques monétaire et fiscale sont efficaces dans la lutte contre le chômage. Toutefois, il convient de noter que le poids relatif du chômage par rapport à l’inflation n’intervient plus dans la définition de u *A et u *B lorsque l’impact du 10 seigneuriage sur l’emploi est nul ( c = 0 ). Par ailleurs, les taux de chômage sont d’autant plus faibles que les gouvernements pénalisent le chômage relativement à la subvention et à l’inflation ( µ élevé). Les taux de chômage d’équilibre dépendent aussi de la valeur d’équilibre du taux de change réel : un taux de change réel positif accroît le chômage dans le pays A , et le réduit dans le pays B 7. Les décisions de politiques fiscales ( s A et s B ) et monétaires ( q A et q B ) correspondantes sont données par les relations (10) et (11) avec u A = u *A et u B = u B* , tandis que les salaires nominaux sont obtenus à l’aide des relations (7). La solution optimale vient d’être étudiée pour chaque pays. Pour cela, il a été supposé que les gouvernement n’étaient confrontés à aucun défaut de crédibilité visà-vis des secteurs privés auxquels ils font face. Or si un engagement à une règle fiscale peut être relativement aisé puisqu’elle s’inscrit dans un cadre budgétaire prédéterminé, l’engagement à une règle monétaire n’est, en réalité, pas crédible sans un mécanisme institutionnel. Mais, chaque gouvernement a la possibilité de déléguer la politique monétaire à une banque centrale indépendante qui, en agissant de manière discrétionnaire, conduit à la solution optimale. L’annexe montre que l’objectif de chaque gouvernement peut s’écrire en fonction du paramètre de délégation optimale. 4. Equilibre non coopératif Par hypothèse, à l’équilibre non coopératif, chaque gouvernement i ( i = A, B ) adopte un comportement de Nash et fixe ses décisions optimales s i et pi en prenant les stratégies optimales s j et p j comme données. Concernant la politique monétaire, nous avons fait l’hypothèse d’une restriction réglementaire sur les mouvements de capitaux, ce qui offre la possibilité d’une indépendance des politiques monétaires8 : les gouvernements perçoivent donc, ex ante, une possibilité d’influencer le comportement du taux de change réel. 7 Par conséquent, en l’absence d’engagement international, chaque gouvernement va tenter d’exporter son chômage par le biais d’une appréciation compétitive du taux de change. 8 Avec un contrôle sur les mouvements de capitaux, les gouvernements n’autorisent que les échanges concernant les marchandises ; par conséquent, toute variation de l’offre de monnaie unilatérale entraîne des effets réels, au moins à court terme, puisque le secteur privé n’a pas la possibilité de réagir à la politique monétaire en effectuant des transactions financières avec le pays partenaire. 11 Par conséquent, chaque gouvernement détermine sa politique monétaire de façon non coopérative. Dans cette situation, chaque pays met en œuvre sa politique monétaire optimale compte tenu de la stratégie monétaire de l’autre. Formellement, le choix du niveau des prix d’un gouvernement est celui qui maximise son objectif étant donné le niveau des prix qui est déterminé par l’autre gouvernement ; les choix correspondants sont notés : p A ( p B ) et p B ( p A ) . Nous pouvons représenter graphiquement les courbes de réaction p A ( p B ) et p B ( p A ) ; elles indiquent le niveau des prix du pays A (du pays B ) en fonction du niveau des prix dans le pays B (dans le pays A ). En supposant, par exemple, que le pays B sélectionne p B0 , le pays A choisira p 0A , auquel cas le pays B fixera p 1B et le pays A p 1A , et ainsi de suite. Les prix tendent ainsi vers le couple d’équilibre ( p *A , p *B ) . Figure 1 - Equilibre symétrique non coopératif pB ( p A ) Courbe de réaction p A = pB p A ( pB ) p B0 p 1B p B* Courbe de réaction pB ( p A ) 45° p 0A p 1A p *A p A ( pB ) Puisque les deux pays sont identiques, chaque gouvernement choisira le même niveau de prix ; les courbes p A ( p B ) et p B ( p A ) se coupent sur la 1ère bissectrice, et l’équilibre symétrique de Nash à deux pays vérifie : p A = p B . A partir d’une situation où z = 0 , supposons, par exemple, que le pays A décide d’accroître p A dans le but d’apprécier le taux de change réel, et conséquemment de réduire son chômage : la hausse du prix relatif des importations 12 accroît le salaire réel versé dans le pays B (relation (8b)), ce qui déprime l’emploi et augmente le chômage (relation (9b)) ; en l’absence de coopération internationale, le pays B réagit à son tour en augmentant son niveau des prix pour soutenir l’emploi et apprécier son change. Tout effort d’appréciation du change est donc stérile puisqu’il est annulé par la politique menée dans l’autre pays. En fixant p A = p B = q NC dans les relations (10) et (11), les décisions optimales, pour chacun des gouvernements, doivent vérifier : (1 − µ ) s A = µu A (16a) (1 − µ ) s B = µu B (16b) ν (1 − β )q NC = µ ( βb + c)u A (17a) ν (1 − β )qNC = µ ( βb + c)uB (17b) En intégrant les relations (16) et (17) dans les expressions (9), sachant p A = p B = q NC , le taux de chômage à l’équilibre non coopératif9 est identique pour les deux pays, et s’énonce : u *A = u *B = u *NC = avec D NC = 1 + M D NC (18) µ µ (βb + c ) c + (1 − µ ) ν (1 − β ) (19) Pour chacun des gouvernements, les décisions correspondantes sont données par (16) et (17), avec u A = u *NC et u B = u *NC , et le salaire nominal par la relation (7), soit : 9 s *NC = µ * u NC 1− µ (20a) q *NC = µ (βb + c ) * u NC ν (1 − β ) (20b) Plus simplement, il suffit de poser l’équilibre non coopératif. z * = 0 dans la relation (14) pour obtenir le taux de chômage à 13 w*NC = q *NC + ω (20c) Il est possible de réaliser cet équilibre international si les gouvernements délèguent la politique monétaire à deux banques centrales indépendantes qui jouent de façon non coopérative. L’annexe montre qu’une banque centrale indépendante i ( i = A, B ) de paramètre de délégation x choisit nécessairement un taux d’inflation qui vérifie : x(b + c)u i = (1 − β )qi . Par ailleurs, nous savons que l’équilibre symétrique non coopératif vérifie la condition : q i = pi . Par conséquent, la fonction de réaction de la banque centrale i en équilibre symétrique de Nash doit vérifier : q NC = x NC (b + c) ui 1− β (21) Dans ce cas, l’objectif Bi de la banque centrale i permet de réaliser un taux d’inflation qui vérifie les équations (17) dans un équilibre symétrique de Nash avec banques centrales quand le paramètre x NC qui vérifie (21), est donné par : x NC = λ NC µ ( βb + c) = 1 − λ NC ν (b + c) (22) Il apparaît que le poids optimal de délégation est positif : dans chacun des pays, la banque centrale doit être plus averse à l’égard de l’inflation que la société ( x NC est une fonction croissante du poids relatif µ ν ), mais doit aussi pénaliser le chômage. Plus précisément, le degré optimal de conservatisme est une fonction croissante du paramètre c qui mesure l’effet du seigneuriage sur l’emploi. Toutefois, la pondération optimale du chômage est toujours positive lorsque c = 0 : dans ce jeu non coopératif avec mobilité imparfaite des capitaux, chaque gouvernement perçoit ex ante une opportunité d’exporter du chômage vers le pays voisin par l’intermédiaire d’une expansion monétaire, bien que ex post, le taux de change réel reste constant en raison de la symétrie du modèle. Imposer à la banque centrale un poids positif à la lutte contre le chômage traduit alors la tentation des gouvernements à pratiquer des politiques d’appréciation compétitive du taux de change réel. 14 5. Equilibre coopératif Pour étudier la coopération internationale, il est nécessaire de considérer deux régimes de politiques économiques (BRYSON [1993]) : i) le régime où la coopération ne concerne que la politique monétaire, les politiques fiscales étant déterminées de façon indépendante, ii) le régime de coopération combinée dans laquelle les gouvernements se concertent pour optimiser leur objectif, i.e. maximiser ensemble la somme pondérée des deux objectifs. Coopération monétaire Contrairement à l’équilibre de Nash, l’équilibre de coopération monétaire peut être défini comme un processus d’accord dans lequel les pays s’entendent sur le niveau des prix. Par conséquent, chaque gouvernement détermine le niveau des prix qu’il va proposer à l’autre. Le problème du gouvernement A (gouvernement B ) revient, en effet, à choisir le niveau de prix p A ( p B ) qui vérifie : ∂G A ∂G B + =0 ∂p A ∂p A (23a) ∂G B ∂G A + =0 ∂p B ∂p B (23b) Comme les pays sont symétriques, à l’équilibre de coopération monétaire, les gouvernements fixent p A = p B . De même, on a l’égalité : ∂G A ∂p B = ∂G B ∂p A ; par conséquent, les niveaux des prix peuvent être déterminés à partir des conditions 10: 10 Dans ce modèle, la solution de coopération monétaire coïncide avec la solution de CANZONERI et GRAY [1985] puisque les deux économies sont identiques, et ne sont soumises à aucun événement aléatoire. Le gouvernement A , par exemple, s’engage sur la politique monétaire p A , et le gouvernement B s’engage à maintenir le taux de change réel et fixe p B = p A . 15 ∂G A ∂G A + =0 ∂p A ∂p B (24) p A = pB (25) Concernant la politique fiscale, le gouvernement A (gouvernement B ) fixe s A ( s B ) qui maximise son objectif G A ( G B ) sous la contrainte (9), étant donné l’accord monétaire p A = p B . Comme les pays sont identiques, les décisions optimales doivent donc vérifier : = s BCM = sCM = s CM A µ u CM (1 − µ ) (26) qCM = q CM = q BCM = A µ cuCM ν (27) En intégrant les relations (26) et (27) dans les expressions (9), sachant p A = p B = qCM , le taux de chômage à l’équilibre de coopération monétaire s’écrit, pour chacun des pays : * u CM = où M DCM DCM = 1 + (28) µ µ + c2 1− µ ν (29) Coopération monétaire et fiscale Dans un régime de coopération combinée, le problème des gouvernements revient à maximiser collectivement la somme pondérée des objectifs. Cela revient à considérer l’existence d’une instance supranationale de décision qui centralise tous les instruments de politique économique. En raison de la symétrie du modèle, chaque pays pèse du même poids dans la définition de l’objectif commun qui s’écrit : G = 12 (G A + G B ) . Les décisions optimales de politiques monétaires doivent toujours vérifier les relations (24) et (25), et les décisions optimales concernant la politique fiscale sont les solutions des conditions de premier ordre suivantes : 16 ∂ 12 (G A + G B ) =0 ∂s A (30a) ∂ 12 (G A + G B ) =0 ∂s B (30b) Or il apparaît que ∂G B ∂s A = ∂G A ∂s B = 0 : les relations (30a) et (30b) coïncident donc avec les arbitrages (26) du régime de coopération monétaire. Par conséquent, le taux de chômage à l’équilibre de coopération monétaire coïncide avec le taux de chômage de l’équilibre coopératif : * u C* = u CM = M DCM Les décisions d’équilibre correspondantes sont donc équivalentes ; en particulier, la politique fiscale s * est identique que la coopération soit partielle ou totale : dans ce modèle, la coopération monétaire internationale suffit pour assurer le niveau de bienêtre associé à l’équilibre coopératif total. Ce résultat s’explique : le gouvernement i ( i = A, B ) choisit la politique fiscale sur la base d’un arbitrage entre le taux de subvention si et le taux de chômage u i , dans lequel les décisions du gouvernement j n’interviennent pas directement ; il n’y a pas d’effet direct de la politique fiscale pratiquée dans l’un des pays sur le bien-être de l’autre. En réalité, la seule externalité du modèle transite par le comportement du taux de change réel, sur lequel les décisions si n’ont aucun impact ( ∂z ∂s i = 0 ). Par conséquent, dès lors que les arbitrages qui concernent les décisions monétaires sont identiques, la politique fiscale optimale est réalisée sans qu’il y ait besoin de centralisation : la solution coopérative et la solution de Nash concordent. A l’équilibre coopératif, les décisions sont donc données par (26) et (27) avec * u CM = u CM , le salaire nominal par la relation (7) dans laquelle q A = q B = qCM , soit : * sCM = µ * uCM 1− µ (31a) * qCM = µ * cuCM ν (31b) * * wCM = qCM +ω (31c) 17 Là encore, il est possible de réaliser cet équilibre international si les deux gouvernements transfèrent le pouvoir de décision monétaire à des banques centrales indépendantes qui jouent de façon coopérative. L’équilibre de coopération monétaire correspond à la situation où il y a deux banques centrales indépendantes qui s’accordent sur le taux d’inflation q A = q B = qCM . Cela revient à étudier le cas où il y a création d’une banque centrale commune dont le 2 2 programme est de Max − λu CM − (1 − λ )qCM . qCM { } A l’équilibre coopératif, la banque centrale commune se comporte de façon discrétionnaire et choisit un taux d’inflation qui vérifie : q CM = xCM (b + c)u CM (32) Ici, l’objectif B de la banque centrale commune permet de réaliser un taux d’inflation qui vérifie la relation (27) dans un équilibre coopératif avec banque centrale quand le poids relatif xCM qui vérifie (32), vérifie aussi la condition : xCM = λ CM µc = 1 − λCM ν (b + c) (33) A l’aide de la délégation (33), la solution de coopération monétaire est réalisable entre les deux économies. Le poids relatif du chômage dans l’objectif de la banque centrale commune est positif pour c > 0 ; si la politique monétaire n’a pas d’effet sur le niveau de l’emploi, alors xC est nul. Par conséquent, la coopération monétaire supprime les inefficiences dues à la tentation des gouvernements à pratiquer ex ante des politiques d’appréciation du taux de change réel. Pour c > 0 , le paramètre de délégation xC est d’autant plus élevé que les gouvernements pénalisent davantage le chômage ; plus l’effet de la politique monétaire sur le niveau de l’emploi est élevé, plus le coût de l’inflation pour réduire le chômage est faible. 6. Comparaison des équilibres non coopératif et coopératif A l’équilibre non coopératif, le taux de chômage est donné par l’expression (18) qui peut se réécrire : 18 µ µ M = u *NC 1 + + cγ NC 1− µ ν avec γ NC = (βb + c ) 1− β A l’équilibre coopératif, le taux de chômage est donné par (28) qui peut s’écrire sous la forme : µ µ * 1 + M = u CM + cγ CM 1− µ ν avec γ CM = c La comparaison des taux de chômage revient à confronter γ NC et γ CM . Or, il * apparaît que γ NC > γ CM , ce qui implique u *NC < u CM : le taux de chômage à l’équilibre coopératif est supérieur à celui qui prévaut en l’absence de coopération internationale. * : à l’équilibre non coopératif, la subvention financée par Il en découle que s *NC < s CM la taxation est plus faible. Concernant le taux d’inflation, la comparaison des deux équilibres donne : * * q NC − q CM = µ γ NC γ CM − ν D NC DCM M Cette expression est du signe de γ NC − γ CM qui est positif. Par conséquent, on déduit * que q *NC > qCM : le taux d’inflation est plus faible à l’équilibre coopératif qu’à l’équilibre non coopératif. A l’équilibre non coopératif, chaque gouvernement ne tient pas compte de l’effet défavorable qu’il provoque sur l’autre lorsqu’il accroît son offre de monnaie ; les pays ignorent donc qu’ils peuvent se générer mutuellement une externalité négative. A l’équilibre de coopération monétaire, l’incitation à pratiquer des politiques d’appréciation compétitives du taux de change réel disparaît. On déduit des expressions (22) et (33), que : x NC > xCM . La délégation optimale à l’équilibre non coopératif attribue un poids du chômage λ NC plus élevé qu’à l’équilibre coopératif. La banque centrale i ( i = A, B ) est donc moins averse à l’inflation que la banque centrale commune. 19 Au total, la fiscalité et le chômage sont plus faibles à l’équilibre non coopératif, tandis que le taux d’inflation est plus élevé : par rapport à l’équilibre coopératif, la politique monétaire est trop expansionniste, et les subventions financées par la taxation sont trop faibles ; la coopération monétaire, en réduisant le taux d’inflation, modifie la contrepartie taxe fiscale/taxe inflationniste de la politique de l’emploi, et oblige les gouvernements à augmenter les subventions financées par l’imposition. L’effet total sur le chômage est négatif par rapport à l’équilibre non coopératif. Il convient maintenant de comparer le niveau de bien-être entre les deux équilibres internationaux : cela revient à comparer la valeur des objectifs GCM et G NC du gouvernement à l’équilibre de coopération monétaire et à l’équilibre non coopératif. A l’équilibre de coopération monétaire, l’objectif du gouvernement prend la valeur : * *2 *2 *2 GCM ≡ − µuCM − (1 − µ ) sCM − νqCM * * En remplaçant sCM et qCM par les expressions correspondantes (31), il vient : 2 *2 µ µ * GCM ≡ − µ 1 + + γ CM u CM 1− µ ν A l’équilibre non coopératif, l’objectif du gouvernement prend la valeur : * 2 G NC ≡ − µu *NC − (1 − µ ) s *NC2 − νq *NC2 * * En remplaçant sCM et q CM par les expressions correspondantes (20), il vient : 2 µ µ * G NC ≡ − µ 1 + + γ NC u *NC2 1− µ ν Le niveau de bien-être associé à l’équilibre de coopération monétaire est supérieur à * * celui associé à l’équilibre non coopératif si : GCM . Le signe de cette < G NC inégalité est donné par celui de : [ ] [ 2 *2 2 µ *2 µ * * u CM − u *NC2 + γ CM uCM GCM − G NC = 1 + − γ NC u *NC2 ν 1− µ 20 ] * En remplaçant les taux de chômage u *NC et u CM par les relations (18) et (28) respectivement, et en réaménageant, on obtient : * * − G NC = (1 + GCM [ µ µ NC ) γ − γ CM 1− µ ν ] µ µ µ µ − cγ NC ) − (γ CM + γ NC )1 + − cγ CM 2c(1 + 1− µ ν 1− µ ν Cette expression est du signe des deux termes entre crochets : clairement, le premier est de signe positif ( γ NC > γ CM ), et on montre aisément que le second est négatif. Par conséquent, la valeur absolue de l’objectif du gouvernement obtenue à l’équilibre coopératif est inférieure à celle de l’équilibre non coopératif : le bien-être social s’améliore lorsqu’il y a coopération monétaire puisque la banque centrale commune internalise les effets négatifs dus à des politiques monétaires indépendantes. La coopération contre-productive étant directement reliée au problème de crédibilité de la politique monétaire qui est ici résolu par le biais de la délégation, l’union monétaire est, par conséquent, toujours préférée à un régime de change non coopératif11. Conformément à la littérature existante, ce résultat est maintenu lorsqu’on suppose que le seigneuriage n’a pas d’effet sur l’emploi ( c = 0 ). Dans ce cas, et suivant l’analyse traditionnelle de la crédibilité, les politiques monétaires sont trop expansionnistes en régime non coopératif, et n’aboutissent qu’à un excès d’inflation * ( q *NC > 0 ) sans réduire le chômage ( u *NC = u CM ). Le régime de coopération * monétaire permet de réaliser la politique monétaire qCM = 0 , et conséquemment 12 d’améliorer le bien-être global . Il est important de replacer ces conclusions dans le contexte de la construction monétaire européenne et, plus particulièrement, dans le débat relatif à l’optimalité de l’UEM. Dans ce cadre, les hypothèses concernant la symétrie du modèle et l’indépendance des banques centrales sont centrales. Par conséquent, l’indépendance de la BCE et le processus de convergence, initié dans le but de réduire les asymétries structurelles entre les pays de la zone, apparaissent indispensables à l’efficacité de l’union. Toutefois, le cadre déterministe utilisé ici rend l’analyse insuffisante : la littérature théorique montre que les résultats sont largement dépendants de l’origine et de la nature des chocs, les conclusions pouvant notamment différer si le degré 11 Dans les deux régimes, les syndicats fixent le salaire réel en termes de biens de consommation à la cible ω (relations (20c) et (31c)) : ils sont donc indifférents à la réalisation de l’union monétaire. 12 Dans les deux régimes, la politique fiscale est identique puisque 21 * u *NC = u CM . d’asymétrie des chocs est élevé (LASKAR [1993b])13. En évitant les manipulations des taux de change, l’union monétaire risque, en effet, de se traduire par des pertes nationales de bien-être si les économies concernées subissent des chocs asymétriques14. Par ailleurs, une autre configuration mérite d’être analysée : si la création d’une banque centrale commune ultra-conservatrice permet d’améliorer le bien-être global dans le cas où, dans chaque pays, l’effet du seigneuriage sur l’emploi est nul ( c = 0 ), cette organisation monétaire est-elle encore supérieure à un régime non coopératif dans lequel les pays utilisent la taxe inflationniste pour financer la politique des subventions ( c > 0 ) ? Cela revient à comparer l’équilibre non coopératif et l’équilibre de coopération monétaire dans lequel la banque centrale commune ne pénalise que l’inflation. Dans ce cas, le chômage à l’équilibre est donné par les relations (28) et (29) avec c = 0 : 1 * * u CM = M DCM où DCM = . Etant données les décisions à l’équilibre, q CM =0 1− µ µ * * et sCM = u CM , l’objectif des gouvernements prend la valeur : 1− µ * *2 *2 *2 GCM (c = 0) = − µu CM − (1 − µ ) s CM − νq CM =− µ M2 2 1 − µ DCM A l’équilibre non coopératif, le taux de chômage est donné par les relations (18) et µ ( βb + c) (19). L’expression (19) peut être réécrite sous la forme : D NC = DCM + c. ν (1 − β ) Les décisions optimales sont toujours données par les relations (20a) et (20b), et l’objectif des gouvernements prend la valeur : G * NC (c > 0) = − µu *2 NC − (1 − µ ) s *2 NC − νq *2 NC µ M2 µ ( βb + c) 2 =− (1 + (1 − µ ) ) 2 ν (1 − µ ) D NC (1 − β ) 2 Le niveau de bien-être global est supérieur à l’équilibre de coopération monétaire * * ( GCM < G NC ) si et seulement si : 2 D NC 2 DCM µ ( βb + c ) 2 < 1 + (1 − µ ) ν (1 − β ) 2 13 Dans le cas d’un choc asymétrique, le pays leader d’un système asymétrique de parités fixes peut préférer ce système à l’union monétaire ou à un système de change flexible. 14 Cet argument renvoie alors à la théorie des zones monétaires optimales (MUNDELL [1961]). 22 Lorsque c = 0 , cette inégalité est vérifiée ; par continuité, elle l’est aussi pour des valeurs de c proches de zéro. Par contre, on peut facilement montrer qu’il existe une valeur positive de c à partir de laquelle cette inégalité n’est plus vérifiée, et par * * conséquent : GCM > G NC . Pour c positif, les gouvernements détériorent donc le bien-être global s’ils délèguent la politique monétaire à une banque centrale commune dont l’unique objectif est la stabilité des prix. Ce résultat va à l’encontre d’une union monétaire : en privant les gouvernements des recettes de seigneuriage, la coopération monétaire internationale réalisée par le biais de la délégation xCM = 0 se traduit par un accroissement du * chômage ( u CM > u *NC ), malgré l’augmentation des subventions financées par la taxation ; par conséquent, lorsque les gouvernements utilisent la politique monétaire pour financer en partie la politique des subventions, la création d’une banque centrale commune ultra-conservatrice dégrade la situation des deux pays, les gouvernements ne parvenant pas à compenser la perte des revenus issus de la création monétaire. Des politiques monétaires décentralisées et indépendantes procurent de meilleurs résultats, bien qu’il existe, dans cette configuration, un biais inflationniste lié à la tentation des gouvernements à pratiquer des politiques d’appréciation compétitives du change. Toutefois, l’effet favorable de la politique monétaire sur l’emploi dépasse l’effet néfaste de l’inflation causé par l’absence de coopération monétaire internationale. Par conséquent, dans ce cadre déterministe, une condition suffisante pour rendre l’union monétaire favorable, pour l’ensemble des deux pays, est que la politique monétaire de la zone soit définie selon une procédure de délégation à la ROGOFF [1985a], i.e. le conservatisme dont est dotée la banque centrale commune doit maximiser l’objectif social dans chaque pays. 7. Conclusion En considérant, dans un modèle symétrique à deux pays, à la fois les questions relatives à la crédibilité des politiques monétaires et celles liées à la coordination de ces dernières, l’analyse a permis de justifier la création d’une union monétaire. Il apparaît que le choix d’une union monétaire est lié à celui du “bon” objectif de la banque centrale commune. En particulier, si le poids de conservatisme attribué à la banque centrale est celui qui résulte de la maximisation de l’objectif social dans 23 chaque pays, alors la coopération monétaire internationale n’est jamais contreproductive. A l’opposé, l’absence de coopération internationale peut être bénéfique si la banque centrale commune est ultra-conservatrice alors que l’inflation peut exercer un effet direct sur l’emploi. Cette situation est possible si, par exemple, les préférences concernant l’arbitrage entre l’inflation et le chômage diffèrent entre les pays composant la zone : un pays qui a une aversion absolue à l’égard de l’inflation peut imposer son allergie à l’ensemble s’il a une position dominante dans la zone monétaire. ANNEXE Etudier la solution avec délégation revient à considérer un modèle à trois agents : le syndicat, le gouvernement et la banque centrale. A l’équilibre de Nash, chacun des trois agents choisit sa décision pour maximiser son objectif, en considérant comme données les décisions des deux autres. Les objectifs du syndicat et du gouvernement sont décrits, comme dans le texte, par les fonctions quadratiques suivantes : S i = −(ω − ( wi − qi )) 2 (A.1) Gi = − µu i2 − (1 − µ ) s i2 − ν (qi − qi ( −1) ) 2 (A.2) L’objectif de la banque centrale i comporte deux termes, le taux de chômage et le taux d’inflation. Elle cherche à maximiser : Bi ≡ −λu i2 − (1 − λ )(qi − qi ( −1) ) 2 (A.3) où 0 ≤ λ < 1 représente l’importance que la banque centrale accorde au sous-emploi. L’autorité monétaire cible les taux d’inflation des prix à la consommation. Pour simplifier, on posera qi ( −1) = 0 . Le niveau des prix à la consommation est une moyenne pondérée des prix p i et p j : qi = (1 − β ) pi + βp j = p i + βz (A.4) 24 où z est le taux de change réel ( z = p j − p i ). Le gouvernement choisit le taux de subvention s i de façon à maximiser son objectif Gi sous la contrainte du taux de chômage donné par la relation (2) du texte. La condition du premier ordre donne l’arbitrage suivant : (1 − µ ) s i = µu i (A.5) Le syndicat choisit le salaire nominal de façon à maximiser son objectif S i sous la contrainte du niveau d’emploi l i . Cette décision vérifie : wi − qi = ω (A.6) En remplaçant qi par la relation (A.4), on obtient : wi − p i = ω + βz (A.7) La banque centrale choisit le niveau des prix pi de façon à maximiser son objectif Bi . Sa fonction de réaction est : λ (b + c)u i = (1 − λ )(1 − β )qi (A.8) En posant x = λ 1 − λ le poids relatif assigné au chômage dans l’objectif de la banque centrale, l’expression (A.8) devient : qi = x (b + c) ui (1 − β ) (A.9) où le rapport des poids x correspond au paramètre de délégation que le gouvernement i doit choisir lorsqu’il décide de déléguer la politique monétaire à la banque centrale. L’objectif du gouvernement i peut alors s’écrire en fonction du taux de chômage u i et du paramètre de délégation x . Pour cela, il suffit de remplacer le taux de subvention, le salaire réel versé par les entreprises, et le taux d’inflation respectivement par les conditions (A.5), (A.7) et (A.8)1 dans la relation (2), et le taux de chômage devient : 1 Sachant que pi est donné par la relation (A.4). 25 u i* ( x) = où Hi Hi ≡ µ (b + c) D( x) 1+ cx + 1− µ 1− β (A.10) H i = n − a + bω + βbz (b + c) * µ * u i ( x) et de qi* = x u i ( x) , on obtient la valeur 1− µ (1 − β ) de l’objectif du gouvernement i en fonction de x : Par substitution de si* = µ (b + c) 2 2 H i2 Gi* ( x) = − x +ν (1 − β ) 2 D( x) 2 1 − µ La délégation optimale est alors définie par le maximum de Gi* ( x) . 26 (A.11) BIBLIOGRAPHIE BARRO R.J., GORDON D.B. [1983a], « A Positive Theory of Monetary Policy in a Natural Rate Model », Journal of Political Economy, 91(4), august, p.589-610. BRYSON J.H. 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