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VIE FRANCISCAINE ET DISCERNEMENT. (A partir d’une lecture des Admonitions de Saint François.)
VIVRE LE SAINT EVANGILE, C’EST VIVRE DE L’ESPRIT DU SEIGNEUR.
La vie des frères mineurs est de vivre le Saint Evangile, de suivre l’enseignement et les traces
de Notre Seigneur Jésus Christ. A l’exemple du Christ, il s’agit de conformer toute son existence, tout
son être à la volonté du Père.
« Maintenant que nous avons quitté le monde, nous n’avons rien d’autre à faire que de suivre
la volonté du Seigneur et de lui plaire…Et gardons-nous bien de la malice et de la subtilité de Satan
qui veut que l’homme ne tienne pas son esprit et son cœur tourné vers Dieu… » (Reg nb22, 9 et 19)
« Que les frères considèrent qu’ils doivent par-dessus tout désirer avoir l’Esprit du Seigneur et
sa saint opération… » (Rg b 10, 8)
Suivre la volonté du Seigneur, tourner son cœur et son esprit vers Dieu, désirer avoir l’Esprit
du Seigneur et agir selon son Esprit, tel est le but de la vie des frères, qu’ils travaillent, qu’ils prêchent
ou qu’ils prient, en quel que lieu qu’ils vivent.
FRANCOIS AIDE SES FRERES A DISCERNER.
Mais il n’est pas facile de discerner où est l’Esprit du Seigneur a fortiori dans un genre de vie
tout nouveau, en plein monde et qui n’est plus balisé par les murs et les usages monastiques. Le
mouvement franciscain s’est répandu très rapidement sur les chemins de l’Europe, il constitue un
groupe en pleine expansion où affluent des personnalités très diverses et très contrastées ; dans ce
bouillonnement de vie comment trouver la bonne direction ? Nous savons par les biographes que
François lors des chapitres qui réunissaient les frères, leur adressait des conseils, des
« Admonitions ». Nous avons des traces de ce style exhortatif dans les lettres, dans les Règles (Reg nb
17 et 22) et François déclare lui-même dans son Testament : « que les frères ne disent pas : « ceci est
une autre Règle », car c’est un souvenir, une admonition, une exhortation et mon testament que, moi
frère François, tout petit, je fais pour vous, mes frères bénis, pour que nous observions mieux
catholiquement la Règle que nous avons promise au Seigneur. » (Test 34) Mais nous possédons un
recueil intitulé « Admonitions » qui nous intéresse particulièrement à propos du discernement.
Recueil qui semble avoir été peu travaillé systématiquement jusqu’à une période récente et pose de
sérieux problèmes de datation et de composition. Il convient donc de faire une brève présentation
de ces « Admonitions ».
PRESENTATION DES ADMONITIONS.
(D’après Pierre BUNETTE ofm. Essai d’analyse symbolique des Admonitions de St François. Une
herméneutique de son expérience spirituelle à travers ses Ecrits. Thèse à l’institut de spiritualité,
Université Pontificale de la Grégorienne. Rome 1986)
1° Circonstances de la composition et datation.
Il semble d’après notre auteur qu’il s’agisse d’une composition orale qui se situerait vers la fin de la
vie de François. Nous n’avons pas d’arguments externes mais des arguments internes pour fonder
cette hypothèse :
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° Il s’agit d’une composition dans un espace de temps assez bref à cause de l’unité interne des
Admonitions et de la cohérence de leur forme littéraire.
° Différence entre les Adm et la Rnb : ici l’Evangile est cité par simples allusions. La référence à
l’Ecriture plus intégrée révèle une assimilation plus profonde.
° On trouve dans les Adm une thématique de la spiritualité monastique qui fait penser à un écrit
tardif.
« En confrontant le ton et le contenu de l’opuscule avec des facteurs historiques internes à la
fraternité, il devient clair qu’il ne s’agit pas que d’un discours spirituel reflet d’une vie évangélique
personnelle, mais aussi d’un discours de correction, d’exhortations et d’encouragements à des frères,
dans son sens le plus fort. La motivation de fond dépasse largement le cadre d’un chapitre
communautaire : « la raison qui a poussé saint François à offrir à ses frères cette synthèse de sa
pensée nous semble fournie par le contexte historique dans lequel nous avons expliqué la 3° Adm.
Si l’on ne peut accepter les thèses de Sabatier concernant l’antagonisme violent qui aurait opposé le
Saint aux Ministres de l’ordre, on a vu néanmoins qu’il existait un certain malaise dans la fraternité.
Certains religieux à l’idéalisme intransigeant et peu éclairés se pliaient mal au développement plus
organisé de l’Ordre. Les éléments les plus douteux s’évadaient purement et simplement d’un cadre
qui leur semblait incompatible avec leurs aspirations personnelles à la perfection. L’étude de la
manière dont St François fait face à ce problème dans plusieurs de ses Ecrits permet avec une assez
grande probabilité de situer la composition de nos textes entre celle de la Lettre adressée au chapitre
(L.Ord) et celle du testament. Peut-être lors de son séjour à Sienne six mois avant sa mort. » (Jérôme
POULENC. Les Admonitions de saint François. Ed critique et commentaire. Thèse doctorale de
l’Université grégorienne. Rome 1964)
Si cette tentative de datation reste à l’état d’hypothèse, il semble très probable que le « Sitz im
Leben » du Texte, sauf motif de mise à jour, dépende étroitement de la dernière période de la vie du
Saint. Celui-ci forcé à l’inactivité par sa maladie, converse avec les frères qui l’assistent, le visitent ou
viennent lui demander conseil. Nous ne perdons pas de vue le caractère oral de ses confidences
mises ensuite par écrit… »
2° Structures et contenu.
22 Adm sur 28 s’articulent autour de 49 citations bibliques.
11 Adm sont directement introduites par une citation biblique.
11 autres sont construites autour d’un concept ou d’une référence biblique.
Les 6 dernières sans citation scripturaire dégagent « des normes spirituelles ». Nous avons à faire à
un langage parlé imbu de l’Ecriture.
On peut distinguer :
- Adm 1 : le Corps du Seigneur (cf. le commencement des Lettres de François.)
- Adm 2, 3, 4 : renoncement à la volonté propre.
- Adm 5, 6, 7 : la vaine gloire.
Adm 8 : renforce la précédente.
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- Adm 9, 10, 11 : le vrai ennemi à combattre : son corps (= son égoïsme)
- Adm 12 18 : ouvrant le cycle des Béatitudes, définit comment se reconnaît et s’applique
l’Esprit du Seigneur. (Parallèles avec Rnb 17)
- Adm 19 28 : Béatitudes qui s’articulent par couples : Adm 20-21 : le vain bavardage ; Adm
22 -23 : l’aveu des fautes ; Adm 24 25 : la charité fraternelle.
Chaque finale de concentration converge en fonction d’une même exigence :
La désappropriation de sa volonté propre : « sans rien en propre » Adm 11
Et la remise de tout bien au Seigneur Dieu : « à qui appartient tout bien » Adm 7.
- Adm 28 : Conclusion : indique la visée des Béatitudes : « Thésauriser pour le ciel. »
Ce que François veut faire comprendre : la quête du Royaume est indissociable du renoncement à
soi et d’une pratique de la charité et de la bonté.
3° GENRE LITTERAIRE ET STYLE.
Genre exhortatif : caractère d’immédiateté et d’exigence humaine et spirituelle.
S’exprime par sentence ou par maximes commentées.
S’inspire directement ou indirectement de l’Ecriture.
Rapport intime entre l’Ecriture et la Vie Religieuse.
François est en situation de « Père spirituel », il encourage et corrige.
On peut parler d’un genre exhortatif-sapiential à finalité pédagogique et salvifique.
Lien entre Ecriture et comportement : « Il serait intéressant de montrer comment la plupart des
Adm relèvent d’une méditation du sens tropologique de l’Ecriture (sens moral). Partant du langage
biblique, François sans sortir de ce langage, en interprète le sens tropologique et dégage des leçons
de morale particulières, adaptées à ses besoins du moment. »
Le style rappelle les apophtegmes des Pères du désert : la concision des sentences n’évacue aucun
des aspects de la vie spirituelle, depuis la lutte élémentaire contre les vices et les défauts jusqu’aux
plus hauts sommets de la contemplation. « l’impression laissée est celle d’une spiritualité très haute,
très évangélique, faite toute de renoncement au monde, de lutte contre soi-même, d’amour pour le
Christ et pour Dieu, toute pénétrée d’humilité personnelle, de charité et de bonté foncière pour le
prochain, de discrétion…La fidélité aux observances est recommandée mais plus encore…la
condescendance à l’égard des faibles et l’édification mutuelle. »
Les Adm se situent dans le courant de la Sagesse et des Pères du désert, avec une intention
pédagogique. On y sent le poids d’une expérience intime, celle de François : son projet d’homme et
de frère mineur, sa confrontation avec le projet évangélique, sa confrontation avec une fraternité
croissante.
Influence : de la liturgie (c’est par là que François a accès à l’Ecriture) et de la tradition monastique.
Importance de l’aspect relationnel : les frères, le prochain, les parents, les amis, le monde, les clercs,
le prêtre…
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4° UNE VISION DE LA VIE CHRETIENNE.
Les Adm envisagent le comportement de l’homme vis-à-vis de Dieu, du prochain et de soi-même ;
bien plus elles envisagent l’inspiration profonde de ce comportement.
La vision globale : il s’agit du cheminement vers le Royaume : les points de départ et d’arrivée sont
théocentriques (cf. 1° et dernière Adm). On part du Christ : « Voie, Vérité, Vie » (Adm 1), pour aboutir
au Très Haut », là où l’on aura « thésaurisé » tous les biens (Adm 28, 1) ; entre départ et arrivée on
place des jalons à soumettre à purification et à confronter à la promesse du bonheur.
Les propres expériences de François à son retour de Palestine servent de guide. Son cheminement se
simplifie : désintéressement, acceptation de l’échec, remise à Dieu de tout succès et de tout mérite.
Il propose un long cheminement évangélique : patience et humilité (Adm 13 ; 22 ; 23 ; 27).
L’Adm 27 propose une synthèse de ce cheminement, aboutissement de la purification de soi, de son
rapport avec Dieu et avec l’autre. « Toute reddition de soi à Dieu est impensable en dehors d’une
charité patiente et désintéressée. »
« Le ton a beau être simple et incisif, il ne fait pas que dénoncer. Il encourage au sens multiple du
terme (moneo) : il éveille, corrige, touche la volonté et le cœur, suscite la prise de décision et le
comportement adéquat, prodigue des encouragements, etc…Le contenu présente une petite somme
théologique bien orchestrée ; mais il lègue aussi un héritage contenant une spiritualité et une
morale. Il s’agit à la fois d’un projet religieux et d’un projet de vie : l’idéal le plus élevé y côtoie une
pratique de charité « enfouie ». Le contenu sait respecter l’heureux commerce entre l’expérience
personnelle et communautaire.
Ce regard nous laisse devant une sorte de Cantique de la minorité ou encore un petit évangile
franciscain, pour cheminer vers le Royaume. »
5° LES ADMONITIONS ET LE DISCERNEMENT.
1° La désappropriation, signe de l’Esprit du Seigneur.
Les admonitions se présentent donc comme des exhortations, des conseils de François pour aider ses
frères à ne pas s’égarer sur le chemin du Royaume. Les pratiques, fussent-elles « religieuses », ne
suffisent pas à assurer la véracité et la rectitude de la route ; François en maître spirituel aide au
discernement. L’admonition 12, dans son fond et jusque dans sa formulation semble bien « cibler » le
problème qui nous préoccupe :
«Voici comment on peut connaître si un serviteur de Dieu possède de l’esprit du Seigneur : quand le
Seigneur opérerait par lui quelque bien, sa chair ne s’en exalterait pas, elle qui est contraire à tout
bien, mais il se tiendrait plutôt pour plus vil à ses propres yeux et s’estimerait plus petit (minor) que
tous les autres hommes ».
Il s’agit bien ici de discernement car le serviteur de Dieu fait le bien, mais sous la motion de quel
« esprit »fait-il le bien ? L’exaltation ou la non exaltation (l’orgueil ou le non orgueil) qui suit le fait de
faire le bien est révélateur du « bon esprit » ou du « mauvais esprit » qui habite l’auteur du bien
réalisé ; Le signe indubitable, pour François, de la présence de l’esprit du mal c’est l’orgueil
(s’exalter) qui est le signe que l’homme s’approprie les dons de Dieu puisque Dieu est la source de
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tout bien : « Il mange de l’arbre de la science du bien, celui qui s’approprie sa volonté et qui s’exalte
du bien que le Seigneur dit et opère par lui ; et c’est ainsi que par la suggestion du diable et la
transgression du commandement, est née la pomme de la science du mal… » (Adm 2)
Par contre, le signe indubitable de la présence de l’esprit du Seigneur, c’est l’ouverture humble et
reconnaissante aux dons de Dieu : « Heureux le serviteur qui rend tous les biens au Seigneur Dieu… »
(Adm 18)
La présence de l’esprit du Seigneur se manifeste par une attitude fondamentale de
désappropriation, la présence de l’esprit du mal par une attitude d’appropriation.
2° Pourquoi la désappropriation est-elle signe de l’esprit du Seigneur ?
Nous ne pouvons redire ici toute la théologie de la pauvreté ou plutôt de la désappropriation vécue
et exprimée par François, mais nous sommes de plus en plus convaincus que c’est par ce biais que
François est entré dans l’Evangile. Vivre l’Evangile de Notre Seigneur Jésus Christ… », « Suivre ses
traces… », N’est pas seulement imiter la pauvreté humaine extérieure de Jésus de Nazareth mais
épouser le mouvement de « kénose », d’abaissement, de désappropriation de NSJC « lui qui de
condition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est
dépouillé, prenant la condition de serviteur… » (Phil 2, 6-11) ; lui qui « de riche qu’il était, s’est fait
pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté… » (2 Co 8, 9 cité en Rb 6,3 et 2Lfid 5).
Vivre de l’esprit du Seigneur c’est donc entrer dans ce mouvement de désappropriation qui est le
chemin du Seigneur Jésus, « la Voie, la Vérité et la Vie ». Et nous retrouvons la fine intuition
théologique de l’Adm 1 : seul l’esprit du Seigneur peut nous faire discerner dans l’abaissement
eucharistique, comme dans l’abaissement de l’Incarnation la présence de NSJC.
La désappropriation est le seul chemin de la vraie vie car elle est le chemin du Fils…donc des fils, qui
seul conduit au Père. La voie spirituelle épouse la voie théologique ! « O admirable profondeur et
stupéfiante faveur ! O humilité sublime ! Que le Seigneur de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie
au point de se cacher pour notre salut sous une modique forme de pain ! Voyez, frères, l’humilité de
Dieu et répandez vos cœurs devant lui ; humiliez-vous, vous aussi, pour être exaltés par lui. Ne
retenez donc rien de vous, afin que vous reçoive tout entier celui qui se donne à vous tout entier. »
(LOrd 27-29).
(Introduire ci-dessous le schéma)
3° La désappropriation dans la vie des frères.
Ces deux attitudes fondamentales de la vie spirituelle, désappropriation et appropriation peuvent
être discernées dans tous les domaines de la vie des frères :
- Domaine de l’obéissance : « Bien des religieux, malheureusement, s’imaginent découvrir qu’il
y a mieux à faire que ce qu’ordonnent leurs supérieurs ; ils regardent en arrière et retournent
à leur volonté propre. » (Adm 3)
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