53 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2006, 145, 53-60 DÉTECTION BIOCHIMIQUE D’ERWINIA CAROTOVORA SUBSP. CAROTOVORA DE TUBERCULES DE BETTERAVE SUCRIÈRE ATTEINTS DE POURRITURE MOLLE (*) Jaafar SNAIKI (1), Abdelmajid NADIF (2), Mohammed OUHSSINE (1) La bactérie Erwinia carotovora subsp. carotovora a été identifiée par des tests biochimiques et physiologiques comme agent responsable de la pourriture molle de la Betterave sucrière dans la région du Gharb au Maroc. INTRODUCTION La production de Betterave sucrière, bien développée dans la région du Gharb au Nord Ouest du Maroc, subit des fluctuations liées aux ravageurs et aux maladies, tout particulièrement la pourriture molle. Elle est due essentiellement à des bactéries de la famille des Entérobactériacées, du genre Erwinia, pathogènes primaires redoutables des cultures, en végétation comme en post-récolte [13 ]. Ces bactéries sécrètent des enzymes, notamment des pectates lyases, qui hydrolysent les tissus, engendrent une (*) (1) (2) Manuscrit reçu le 19 mars 2006. Laboratoire de Biotechnologie microbienne, Département de Biologie, Faculté des Sciences de Kénitra, Université Ibn Tofaïl, BP 133, 14000 Kénitra, Maroc. [email protected], [email protected] ORMVAG (Office Régional de Mise en Valeur Agricole Du Gharb) / CTCS (Centre Technique des Cultures Sucrières), BP 79, 14000 Kénitra, Maroc. 54 perte d’électrolytes et la mort des cellules des tubercules [1-3,5,8,12,14] d’où d’énormes pertes économiques [16 ]. Le signal initial l’infection est un ramollissement des tissus parenchymateux [6]. En 2001 la pourriture molle a été observée pour la première fois dans la plaine du Gharb et le genre Erwinia mis en cause au Centre technique des Cultures sucrières [10] par isolement de la bactérie sur milieu de culture et la vérification de sa pathogénicité sur tranches de pomme de terre et de carotte. En 2005, l’utilisation du test ELISA direct (méthode sandwich) a permis l’identification des bactéries Erwinia carotovora subsp. atroseptica et E. chrysanthemi [15]. Les tests chimiques constituent une approche classique, mais particulièrement utile, pour la détermination de certaines espèces et sousespèces de bactéries phytopathogènes. Dans ce travail, Erwinia carotovora subsp. carotovora a été identifiée par des tests biochimiques et physiologiques comme agent pathogène responsable de la pourriture molle de la Betterave à sucre. MATÉRIEL ET MÉTHODES Échantillonnage 29 échantillons de Betterave sucrière présentant des symptômes de pourriture molle ont été collectés de trois centres de développement agricoles de la région du Gharb : Mechraä Bel Ksiri (5), Sidi Allal Tazi (12) et Sidi Slimane (12 échantillons). Ils ont été immédiatement analysés au laboratoire. Obtention des isolats Dix grammes d’échantillon malade sont broyés dans 90 ml d’eau physiologique stérile et on réalise une série de dilutions décimales allant de 10-1 à 10-6. Les bactéries des macérats sont isolées sur le milieu de culture gélosé King B (10 ml glycérol, 1,5 g KH2PO4, 1,5 g MgSO4, 7 H2O, 15 g agar, 1000 ml eau distillée, pH ajusté à 7,2). Après 24 h d’incubation, différents isolats sont obtenus et une bactérie n’est présumée pure qu’après quatre repiquages successifs sur le même milieu. 55 Mise en évidence de l’activité pectinolytique Le milieu pectinase (15 g agar dans 519 ml eau distillée, 1 g extrait de levure dans 20 ml eau distillée, 5 ml (NH4)2SO4 20 %, 5 ml solution aqueuse de glycérol à 87 %, 250 ml solution aqueuse d’acide polygalacturonique à 2 %, 200 ml tampon phosphate 0,1 M à pH 8, 100 ml d’eau distillée, 1 ml de MgSO4, 7H2O 1 M) a permis la mise en évidence de l’activité pectinolytique des bactéries du genre Erwinia. Les isolats obtenus sont inoculés par piqûre centrale. Après 24 h d’incubation à 27°C, la boîte est inondée par une solution aqueuse d’acétate de cuivre à 7,5 % et la présence d’un halo blanc indique la présence d’une activité pectinolytique. Identification Les isolats à activité pectinolytique ont fait l’objet d’une identification inspirée des caractères biochimiques de Cedeño et al. [4]. Les tests sont réalisés en tubes et reposent sur l'utilisation de substrats carbonés : test Kligler, test ONPG [ortho-nitro-phényl-galactopyranoside] de recherche de la ß-galactosidase, milieu citrate de Simmons, test à l’uréase sur milieu urée-indol, milieu mannitol-mobilité, test rouge de méthyle. Chaque tube est inoculé avec une suspension bactérienne préparée dans de l'eau physiologique stérile à partir d'une colonie fraîche. Les souches se multiplient seulement si elles sont capables d'utiliser le substrat correspondant. Confirmation sur milieu différentiel Un milieu différentiel permet de reconnaître un genre ou une espèce grâce à son apparence unique et caractéristique. Le milieu PH (pectine Hildebrand) [7] permet la caractérisation d’Erwinia carotovora subsp. carotovora (0,015 g BBT, 10 ml solution CaCl2, 2H2O 10 %, 22 g acide polygalacturonique, 15 g agar, 1000 ml eau distillée stérile, ajusté à pH 8,4). Après inoculation par piqûre centrale et incubation 24 h à 27°C, on a une zone de dépression entourant la colonie. 56 RÉSULTATS L’isolement et la purification des souches bactériennes sur le milieu de culture King B a permis d’obtenir 23 souches à partir de tubercules de Betteraves présentant les symptômes de la pourriture molle (Figure 1). Fig. 1 : Souches en cours de purification sur milieu King B à partir de tubercules de Betterave présentant des symptômes de pourriture molle. Au microscope, après coloration de Gram, il s’agit généralement de bacilles ou cocobacilles très mobiles et à Gram-négatif. Mais on trouve aussi des coccis simples, des diplocoques et des bacilles à Gram-positif. Neuf souches cultivées sur milieu pectinase ont présenté une activité pectinolytique (Figure 2). Souche Témoin Fig. 2 : Mise en évidence de l’activité pectinolytique sur le milieu pectinase après 24 heures à 27°C. La dégradation de la pectine se traduit par un halo qui entoure le point d’inoculation après addition d’acétate de cuivre. 57 Les souches à activité pectinolytique se présentent sous forme de bâtonnets, généralement disposés par deux, sont Gram négatives, anaérobies facultatives, non sporulantes et mobiles. Les caractéristiques physiologiques et biochimiques de quatre d’entre elles correspondent à Erwinia carotovora subsp. carotovora (Tableau I). Tableau I : Caractérisation physiologique et biochimique de souches d’Erwinia carotovora subsp. carotovora obtenues à partir de Betteraves présentant des symptômes de pourriture molle. Caractères Type respiratoire Glucose Catalase Lactose Gaz H2S ONPG Citrate Indole Urée Rouge de méthyle Mobilité Coagulation du lait Utilisation du saccharose Hydrolyse de la gélatine anaérobie facultative + + + + + + + + + Pour ces quatre souches, sur milieu PH, on observe une dépression entourant le point d’inoculation (Figure 3). Souche Témoin Fig. 3 : Confirmation d’Erwinia carotovora subsp. carotovora sur le milieu différentiel PH. 58 DISCUSSION - CONCLUSION Les symptômes de la pourriture molle peuvent être induits par des espèces autres que celles du genre Erwinia en accord avec des travaux antérieurs [9,11]. Sur les 23 souches à activité pectinolytique isolées de tubercules de Betterave sucrière attaquées par la pourriture molle, quatre correspondent à Erwinia carotovora subsp. carotovora. Le genre Erwinia responsable de la pourriture molle de la betterave sucrière est donc bien installé dans la région du Gharb, avec Erwinia chrysanthemi et Erwinia carotovora subsp. atroseptica déterminés par la voie sérologique [15] et maintenant E. carotovora subsp. carotovora, sousespèce carotovora qui s’attaque essentiellement aux plantes maraîchères et plus particulièrement à la carotte. Les programmes de développement de la betterave sucrière devront préciser les conditions favorables au développement de la pourriture molle, identifier les souches d’Erwinia responsables de la pourriture molle, et chercher des variétés résistantes. RÉFÉRENCES 1- Andersson (R.A.), Kõiv (V.), Norman-Setterblad (C.), Pirhonen (M.) 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Venez., 1990, 3(1), 6-9. 5- Charkowski (A.O.), Alfano (J.R.), Preston (G.), Yuan (J.), He (S.Y.), Collmer (A.) - The Pseudomonas syringae pv. tomato HrpW protein has domains similar to harpins and pectate lyases and can elicit the plant hypersensitive response and bind to pectate. - J. Bacteriol., 1998, 180(19), 5211-5217. 6- Collmer (A.), Keen (N.T.) - The role of pectic enzymes in plant pathogenesis. - Annu. Rev. Phytopathol., 1986, 24, 383-409. 7- Hildebrand (D.C.) - Pectate and pectin gels for differentiation of pseudomonas sp. and other bacterial plant pathogens. - Phytopatology, 1971, 61(12), 1430-1436. 8- Kotoujansky (A.) - Molecular genetics of pathogenesis by soft-rot erwinias. - Annu. Rev. Phytopathol., 1987, 25, 405-430. 9- Lund (B.M.) - Bacterial soft-rot of potatoes. In Lovelock (D.W.), Davies (R.) (Eds.), Plant pathogens. London: Academic Press, Soc. Appl. Bacteriol. Tech. 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ABSTRACT Biochemical detection of Erwinia carotovora subsp. carotovora of sugar beat rhizomes affected by soft rot The bacteria Erwinia carotovora subsp. carotovora was identified with biochemical and physiological tests as the responsible agent for soft rot of sugar beat in the Gharb region, Morocco. Key-words: bacterial soft rot, Beta vulgaris, Erwinia carotovora, sugar beat. __________