CNRD 2017
La négation de l’homme dans l’univers concentrationnaire nazi
Dossier du Musée de la Résistance nationale
Partie 2 Dans les camps de concentration,
nier l’homme pour le briser plus rapidement (1940-1945)
Informations et documents complémentaires
Les textes non référencés sont des productions du MRN.
1 L’évolution du système concentrationnaire
Le déclenchement de la guerre en Europe entraîne une mutation du système concentrationnaire. Au fur
et à mesure des conquêtes territoriales, de nouveaux camps sont ouverts (Auschwitz en 1940 ; Natzweiler-
Struthof, Stutthof, Majdanek, Theresienstadt en 1941). Ce nouvel ensemble de camps de concentration
devient évidemment un instrument de répression pour les opposants et les résistants des territoires
annexés et occupés par l’Allemagne nazie, ce qui entraîne une internationalisation des détenus. Entre 1939
et 1942, la population totale des camps passe de près de 20 000 à près de 90 000 détenus.
Les revers militaires de l’Allemagne nazie à partir de 1942 conduisent Hitler à mettre en œuvre la guerre
totale, officiellement proclamée en janvier 1943.
Afin de remplacer les ouvriers allemands mobilisés pour compenser les pertes et de lancer un vaste
programme d’armement visant à redonner la supériorité matérielle à l’armée allemande, il faut trouver la
main-d’œuvre nécessaire. Partout dans l’Europe occupée, les nazis recherchent les hommes et les femmes
aptes au travail. Toutes les méthodes sont utilisées, depuis l’appel au volontariat jusqu’au travail forcé, en
passant par la réquisition obligatoire. L’engagement dans la guerre totale ouvre donc de nouvelles
perspectives à la SS qui développe ses propres entreprises et n multiplie les partenariats avec des
entreprises privées en mettant à leur disposition la main-d’œuvre concentrationnaire.
La création en février 1942 de l’Office central d’administration et de gestion économique de la SS
(Wirtschaft- und Verwaltungshauptamt ou WVHA) correspond à la mainmise de la SS sur le système
concentrationnaire pour son seul intérêt. Son chef, Oswald Pohl, préconise l’utilisation de la main-d’œuvre
des camps de concentration et l’adaptation des conditions de détention aux nouveaux objectifs
économiques. Il en fait part à Himmler dans un mémoire qu’il lui adresse le 30 avril 1942. L’unification des
services économiques, financiers et administratifs de la SS et les changements d’orientation inquiètent les
responsables du RSHA, dorénavant intégrés au WVHA. En tant que SS-Reichsführer, Himmler doit arbitrer et
rassurer. Il rappelle que le RSHA, par le biais de la Gestapo, conserve la maîtrise des arrestations et des
internements, mais il lui demande de faire le nécessaire pour fournir au WVHA les dizaines de milliers
puis les centaines de milliers de détenus devant être mis au travail. En Allemagne, une grande partie des
travailleurs originaires d’Europe de l’Est sont arrêtés et envoyés en camp de concentration. En France, la
plupart des opposants et des résistants qui ne sont pas exécutés sont désormais déportés vers ces mêmes
camps. Cette réorientation de la politique répressive s’opère dans l’ensemble de l’Europe sous domination
allemande.
L’expansion du système concentrationnaire au cours des dernières années de la guerre trouve donc sa
justification dans le besoin de main-d’œuvre mais celle correspond aussi à la volonté de la SS d’étendre son
pouvoir aux missions économiques et, ainsi, de se rendre indispensable. Plus le système concentrationnaire
est développé, plus la SS est en position de force pour négocier avec ses concurrents, plus l’ensemble de
l’appareil de sécurité et de répression devient indispensable. Pour la SS, il n’y a pas de contradiction entre
la logique répressive et la logique économique. L’intensification du travail des détenus et leur exploitation
jusqu’à la mort sont uniquement un changement de moyen de terreur. En janvier 1945, près de 715 000
détenus sont sous le contrôle de la SS dans les camps de concentration.
Pour en savoir plus
Le travail dans l’univers concentrationnaire nazi, dossier pour le CNRD 2007, Musée de la Résistance
nationale, 2006, téléchargeable sur le site du MRN (www.musee-resistance.com/cnrd)
2 Un système pensé pour désorienter et briser l’homme
L’encadrement des camps, pour surveiller, réprimer et punir
Pour faire fonctionner les camps, les autorités SS s’inspirent pour l’essentiel de ce qui a été mis en place
pour les camps ouverts sous l’autorité de l’KL. Une double hiérarchie encadre les détenus, celle des SS et
celle des chargés de fonctions, même si la seconde et étroitement soumise à la volonté de la première.
La hiérarchie des SS est imposée par le RSHA. Dans les camps principaux, le Lagerkommandant a sous ses
ordres le Lagerführer, qui dirige le camp de détention (partie sont les détenus), assistés de
l‘Arbeitdienstsführer (qui gère les affectations des détenus dans les Kommandos de travail), de Rapport-
führer (qui contrôlent les effectifs, notamment lors des appels) et de Blockführer (qui sont chacun chargé
d’une baraque). Viennent ensuite quelques centaines ou milliers de gardiens SS, affectés à la surveillance et
à la garde statiques du camp ou qui accompagnent les détenus lorsqu’ils se rendent au travail dans les
Kommandos. Ces SS-Totenkopf (distingués par un insigne portant une tête de mort) sont formés à obéir aux
ordres et à appliquer avec la plus grande rigueur le règlement. Leur niveau d’éducation est le plus souvent
sommaire et leur comportement envers les détenus est constamment brutal, soit qu’ils frappent ou tirent
soit qu’ils donnent l’ordre à d’autres de le faire.
L’encadrement SS doit faire face à un problème de recrutement durant la guerre. La mobilisation de tous
les Allemands en mesure de combattre entraîne l’intégration dans la SS de Volksdeutschen (Allemands non
originaires du Reich), de plus en plus nombreux. Les camps de concentration sont dont gardés par des
« Allemands » originaires de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, etc. mais aussi par des Waffen-SS ou par
des soldats de la Wehrmacht qui ont revêtu l’uniforme SS. Dans les dernières semaines, dans le chaos de la
fin du système concentrationnaire, les déportés seront parfois placés sous la surveillance de membres des
Jeunesses hitlériennes ou de civils trop âgés pour avoir été intégrés dans l’Armée. Les plus fanatisés
constituent encore une menace pour les détenus qui ont survécu jusque-là.
La seconde hiérarchie qui encadre les déportés est issue de leur rang. Selon une pratique établie dans les
camps d’avant-guerre, les SS délèguent une partie de leur autorité à des détenus repérés pour leur capacité
à se faire respecter, d’abord par le recours à la force, dans sa forme la plus violente. La hiérarchie SS est
doublée par la hiérarchie des détenus chargés de fonction. Le Lagerältester (le « doyen du camp », dont les
compétences s’étendent sur le camp de détention) est chargé de l’administration et a sous ses ordres les
Blockälteste (chefs de Block), les Stubenälteste (chefs de chambrée) et les Stubendienst (chargés de
l’entretien des locaux). La pression qui s’exerce sur ces détenteurs d’une partie du pouvoir délégué par les
SS les incite à se montrer intraitables et brutaux pour obtenir dans les délais les plus courts l’application de
ce qu’ils pensent être attendu de ceux dont ils dépendent. Comment respecter des règles d’hygiène
élémentaires quand la priorité est de bien faire les lits sans s’inquiéter de la vermine qui y grouille ?
Comment faire passer tous les hommes d’une baraque aux lavabos en un minimum de temps alors que la
dysenterie chronique nécessiterait que chacun prennent le temps de bien se laver ? Ce mode de
fonctionnement a forcément des effets contreproductifs, mais l’essentiel est de sauver les apparences.
La clique des Kapos, à qui sont confiées les missions de basses œuvres, est soumise aux mêmes
impératifs. Ne disposant pas le plus souvent d’autre qualification que le fait de savoir aboyer des ordres et
de frapper à coup de schlague sur les détenus, les Kapos savent que leur petit pouvoir du point de vue
des SS, mais immense du point de vue des détenus peut leur être enlevé sans motif autre que l’envie d’un
SS de le faire. C’est pourquoi les Kapos entretiennent sciemment le règne de l’arbitraire, suscitant un
climat d’inquiétude permanent et favorisant un certain chaos qui justifie leur utilité et leur permet de
montrer leur aptitude à rétablir l’ordre.
La mise au travail des déportés dans le cadre de la Guerre totale se traduit par une modification de
l’encadrement. Les détenus doivent devenir productifs. C’est pourquoi les déportés se retrouvent
subordonnés à des civils dans les usines ou sur les chantiers ils sont dorénavant affectés. Ces ingénieurs
ou ces contremaîtres (les Meister) peuvent se montrer plus respectueux, au moins dans un premiers temps.
Les Kapos, toujours présents, veillent au respect d’une stricte discipline, continuant à gérer les détenus
comme ils le font dans le camp. Cette situation entraîne des gestes de compassion et de solidarité de la
part de certains civils, mais beaucoup d’autres préfèrent manifester une totale indifférence voire se
mettent à appliquer les méthodes brutales des Kapos pour obtenir la réalisation des objectifs productifs.
Jusqu’à la fin du système concentrationnaire, la logique répressive demeure le fondement du
fonctionnement des camps principaux et des Kommandos, même si des différences importantes peuvent
exister selon le type de travail à effectuer ou le type de surveillants auxquels les déportés ont affaire.
Jusqu’au dernier moment, la gestion des camps sur le terrain repose sur la terreur organisée. Cette priorité
est rappelée par la présence dans le camp de la Politische Abteilung, la section politique, dépendante de la
Gestapo, qui gère les dossiers des personnes arrêtées, procèdent aux interrogatoires et souvent aux
exécutions. La section politique du camp est un pouvoir redouté, à la fois par les déportés, mais pour aussi
par les SS qui y voit une menace à leur petits trafics au nom d’une rigueur morale dont ils savent si bien
s’affranchir, ce qui est la source de nombreux conflits, notamment entre la Politische Abteilung et la
Kommandantur.
Soumettre au pouvoir absolu
Déportées juives entrant dans le secteur B1 du camp de Birkenau, mai 1944 (coll. Yad Vashem / Lili Jacob)
Arrivées à Auschwitz-Birkenau à la fin du mois de mai 1944, ces femmes juives ont été sélectionnées pour
le travail. Passées au Sauna pour la désinfection, totalement rasées et vêtues de robes de toile grise, encore
sous le coup du traitement qu’on leur a fait subir, elles entrent dans le secteur B1 du camp de détention. La
plupart des autres déportés de leur convoi ont été envoyés vers les chambres à gaz.
Distribution de la soupe à Flossenbürg, sans date
(coll. NIOD - Institut néerlandais pour la documentation de guerre, Amsterdam)
Les détenus doivent attendre en rang la distribution de la soupe apportée dans de grands récipients.
Cette photographie SS montre une image de l’ordre strict censé régner dans le camp. Lorsque la
distribution commence, les détenus affamés peuvent être amenés à se battre pour récupérer un peu plus
que leur part ou une part meilleure que celle des autres. Les Kapos munis de matraques sont présents pour
mater les récalcitrants et les perturbateurs.
Prisonniers de guerre soviétiques du camp de Melk peu avant leur exécution,
photographie prise par les SS en 1944 (coll. Mémorial de Mauthausen)
« Gusen II : les "Jud" », dessin de Bernard-Aldebert,
Chemin de croix en 50 stations. De Compiègne à Gusen II,
Librairie Arthème Fayard, 1946, page 73
(coll. Musée de la Résistance nationale /Champigny)
De jeunes juifs sont affectés à la vidange
des latrines. Sous le regard goguenard des
Kapos, ils doivent remonter le contenu des
fosses puantes avec de simples seaux
jusqu’à un wagon citerne.
« Ces gosses, avec des gestes d’un
automatisme résigné, accomplissent leur
besogne sans murmurer. Les aboiements
des Kapos ne semblent pas les tirer de leur
torpeur ils sont enfermés. Peut-être
pensent-ils aux choses auxquelles pensent
les petits, rêvent-ils d’un autre monde, si
près d’eux, l’on ne battrait plus les
enfants, un monde illuminé d’étoiles qui
ne seraient pas jaunes ?... » (page 72).
Détenus de Mauthausen abattus lors d'une prétendue
tentative d'évasion, 28 juillet 1942
(coll. Amicale de Mauthausen / Louis Henri Boussel)
Dans le registre des « morts naturelles,
les deux détenus (identifiés comme juifs)
sont déclarés « abattus lors d’une ten-
tative d’évasion ». Aucun des détenus ne
porte de chaussure, ce qui est surprenant
pour une tentative d’évasion. Soit les
chaussures ont déjà été récupérées, soit
les détenus ont été forcés à se rapprocher
pieds nus de la clôture avant d'être
abattus.
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