STAQUET RMC 2013 2.pub

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Article de synthèse
Une histoire de Crabe et d’Homme
D. STAQUET
Plan cancer - Equipes multidisciplinaires
Mots-clés : annonce, diagnostic, cancer, communication
J’utiliserai, dans cet article, les mots suivants comme des synonymes :
médecin, soignant, praticien, clinicien, intervenant.
Par ailleurs, les mots « soignant » et « intervenant » peuvent également
faire référence au personnel infirmier voir même plus largement à toute
personne du secteur médical ou paramédical ayant un contact avec
le patient (et sa famille) qui joue un rôle dans l’accompagnent de celui-ci.
L’annonce du diagnostic de cancer
L
’annonce d’un diagnostic de cancer est un moment particulier à la fois chez le patient,
ses proches mais aussi chez le médecin qui va révéler cette terrible information. Les médecins et le personnel infirmier sont généralement conscients des conséquences physiques, socio-économiques, professionnelles, psychologiques, émotionnelles et relationnelles engendrées par ce tremblement de terre qui va venir éprouver un individu et sa
famille et menacer l’équilibre psychique de chacun ; les obligeant à réaliser d’importants efforts d’adaptation. Tous leurs repères vont être bouleversés.
L
es cancers sont multiples, complexes, leurs conséquences également. Parallèlement
à cela, les individus sont très différents tant sur le plan physiques, émotionnel, socioculturel qu’au niveau de leur personnalité. On peut dès lors se poser la question suivante : « quelles vont être les conséquences émergeantes de la rencontre du troisième
type entre un crabe et un homme ? ».
L
’annonce du diagnostic de cancer s’ancre dans l’histoire du patient et de ses proches
(le plus souvent, de manière indélébile) voire même peut s’y cristalliser. Cette mauvaise
nouvelle va prendre une place dans leurs histoires de vie et va colorer leurs capacités à
mettre en place les perspectives liées à la prise en charge oncologique débutante.
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Cette annonce, en terme de vécu psychologique, représente l’entrée dans une autre dimension car elle va permettre au patient et à ses proches de « clore » la fin de la période
d’incertitude quant au diagnostic et d’entrer dans un autre temps, celui de la maladie et
de ses traitements (« je sais ce que j’ai maintenant», « mes symptômes s’expliquent »,
« on va pouvoir me soigner… », etc.).
A
près avoir transmis l’annonce du diagnostic de cancer, le médecin va pouvoir établir, en partenariat avec les autres acteurs de terrain mais aussi avec la collaboration du
patient (et de sa famille) un plan de soin qui régulièrement sera semé d’embuches, telles
que les effets secondaires des traitements (perte de cheveux, nausées, boutons, affaiblissement général, perte de poids, mutilations, …), la souffrance c’est-à-dire un état
d’inconfort physique et/ou psychique (par exemple, l’état du patient se dégrade suite à
une chimiothérapie). Il y a également toutes les autres mauvaises nouvelles qui vont
devoir être transmises au patient, le cas échéant : l’annonce d’absence de traitements
curatifs ou bien l’arrêt de ces traitements curatifs ; l’annonce d’une récidive de la maladie,
de la présence de métastases ; le passage vers les soins palliatifs, etc.
Cette communication autour d’informations négatives s’inscrit donc dans un contexte où
divers protagonistes vont coexister dans une relation soignant-soigné et où toutes ces
informations seront à la fois difficiles pour celui qui les transmet mais aussi pour celui
qui les reçoit.
L
’entrée dans ce monde étrange du cancer, avec son vocabulaire spécifique, ses examens parfois douloureux et inquiétants est associée à une notion du temps bien différente du temps d’« avant la maladie ». En effet, le temps va être perçu et vécu d’une manière toute autre. Il faudra même du temps pour s’ajuster à cette nouvelle façon de le percevoir.
A
l’intérieur de cette notion de « perception de temps modifié », on voit aussi apparaître des temps différents : le temps des traitements, le temps des consultations, le
temps « habituel du quotidien » (payer ses factures, s’occuper de ses enfants) ; comme
si la maladie s’inscrivait dans un temps suspendu inscrit lui-même dans un temps
de vie quotidien. Les consultations, les examens médicaux, la chimiothérapie, la radiothérapie, … vont établir un temps et une organisation bien précise que le patient et ses
proches devront suivre plus ou moins activement et intégrer dans leur vie quotidienne car
pour un temps (plus ou moins long), c’est tout cela qui deviendra leur nouveau quotidien.
A ceci, peut-être également associé la disparition de projets futurs ; le patient se trouve
alors dans une optique de temps de « l’ici et maintenant ».
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D
e plus, les soignants observent que leurs patients éprouvent habituellement une
perte subjective du sentiment d’immortalité et se trouvent confrontés de manière directe et irréversible à la notion de finitude. Cela peut générer, chez ces derniers, l’idée
que le processus vital est engagé (qui peut générer une crise) et impliquer le passage
d’une logique de vie à une logique de survie ; les espoirs de vie se trouvant suspendus
à l’évolution, à la rémission, au(x) éventuelle(s) rechute(s) de la maladie, etc.
L
e vécu de cancer est donc influencé par bon nombre de variables. Il représente
généralement un traumatisme psychique, c’est-à-dire « un événement de la vie du sujet se définissant par son intensité et l’incapacité où se trouve celui-ci d’y répondre adéquatement » (Laplanche et Pontalis, 1997). Néanmoins, ce traumatisme n’a pas pour
tous les patients, des « effets pathogènes durables dans leur organisation psychique» (Laplanche et Pontalis, 1997).
C
e qui constitue un effet traumatique commun est la rencontre avec l’incertitude et
surtout l’angoisse de mort. Les capacités psychiques habituelles des individus risquent
d’être débordées, au moins dans le décours de l’annonce du diagnostic, nécessitant un
réaménagement psychique pour rétablir cette continuité perdue (Pucheu, 2004).
L’annonce = (psycho)traumatisme ?
C
omme nous l’avons vu ci-dessus, l’annonce peut donc représenter un événement
traumatique. Généralement, les patients et leurs proches expliquent qu’ils l’ont vécue en
termes de : « coup sur la tête », « le monde qui s’écroule », « ça été un choc, je ne m’y
attendais pas du tout », etc.
D
ans la littérature, on trouve d’ailleurs une association entre les notions
d’« annonce de cancer » et de « (psycho) traumatisme ».
L
a notion de traumatisme renvoie à deux idées fondamentales : la confrontation à
une situation menaçante et inattendue provoquant des émotions d’une intensité
très violente. Selon le DSM-IV, l’événement traumatique est « une menace de mort ou
menace grave de l’intégrité physique d’une personne entraînant une peur intense d’impuissance ou d’horreur chez celle-ci ».
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Article de synthèse
Voici un tableau reprenant la prévalence des événements traumatiques
(Breslau et al.,1998)
Prévalence des événements traumatiques
1. Mort soudaine et imprévue d’un proche
60%
2. Agressions
38%
3. Voir quelqu’un gravement blessé
29%
4. Accident grave de véhicule
18%
5. Désastre naturel
17%
6. Diagnostic imprévu de maladie mortelle
5%
O
n peut par conséquent se demander quelles seront les répercussions en terme de
psychotraumatisme pour une personne qui est confrontée à l’annonce d’un diagnostic
imprévu de maladie mortelle telle qu’un cancer du poumon par exemple. Et pour ses
proches ? Ceux-ci se retrouvent dans un rôle d’accompagnant et de soutien
(physiquement et psychologiquement), parfois d’infirmier ; ils sont confrontés, tout comme le membre de leur entourage atteint d’une maladie grave, aux mutilations liées aux
traitements de cette affection, aux imprévus (par exemple, décès de manière soudaine
et imprévue après avoir eu une chimiothérapie), au risque vital.
Les temps psychiques lors de l’annonce
I
l faut donc bien évidemment du temps pour que le patient puisse intégrer ce qui a été
dit, ce qu’il a entendu et ce qu’il a compris.
I
l existe aussi une temporalité spécifique à l’annonce de mauvaises nouvelles chez le
patient et ses proches. Il existe ainsi le temps de sidération correspondant au moment
où le patient n’entend plus rien du discours du médecin lors de la consultation. L’état de
sidération va induire une perte d’informations médicales et une focalisation sur certains
détails du discours médical. Il est donc important pour le patient d’être accompagné d’un
proche et que le médecin, ou tout autre intervenant médical, lui répète plusieurs fois les
informations à des moments différents.
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Article de synthèse
I
l y a aussi le temps d’assimilation et d’intégration du discours médical durant lequel le patient se représente ce qui vient d’être dit. En outre, le temps d’adaptation permet au patient et à ses proches de se réorganiser, de trouver de nouveaux repères et d’essayer de s’adapter à cette nouvelle réalité. Enfin, il existe le temps de deuil de
l’état antérieur associés aux remaniements familiaux, relationnels, professionnels, etc.
C
es temps ne sont pas chronologiques ; ils prennent et nécessitent du temps. Cela
signifie que ce qui a été dit, n’est pas forcément entendu, compris ou intégré.
Les enjeux de l’annonce
L’annonce va avoir un impact différent, une signification différente pour chacun des protagonistes (Purandare, 1997 ; Maguire and Pitceathly, 2003 ; Staquet, 2008).
En outre, la relation est d’emblée déséquilibrée
Du côté du patient : il est dans un rôle passif, il subit et ne contrôle en rien ni
les tenants ni les aboutissants, il est plutôt dans un isolement subjectif. Il peut même entrer dans une phase de déstabilisation psychique générant de la détresse avec les aspects émotionnels et cognitifs associés qui vont solliciter ses capacités adaptatives.
Du côté du proche : il est dans un rôle similaire à celui du patient ; lui aussi se
trouve dans un rôle passif, subissant et ne contrôlant en rien ni les tenants ni les aboutissants. Il se trouve tout comme le patient dans un isolement subjectif et peut également
entrer dans une phase de déstabilisation psychique.
Par ailleurs, le proche représente durant la consultation, une personne supplémentaire
que le soignant va devoir gérer mais il est un atout non négligeable pour le patient. Il est
un soutien pour celui-ci. En effet, le proche offre généralement un accompagnement, une
aide à la gestion de toute l’organisation de la prise en charge oncologique et aux besoins
du patient. Néanmoins, le proche a également des besoins, un ressenti. Il a donc besoin
de reconnaissance et que le soignant tienne compte de son vécu.
Du côté du soignant : il se trouve dans un rôle actif, choisi et autodéterminé. Il
a une position de savoir et peut avoir recours éventuellement aux collègues et/ou à son
équipe. Il a par contre la délicate mission de transmettre des mauvaises nouvelles le cas
échéant.
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Les réactions possibles lors de l’annonce
L
orsque le diagnostic est annoncé par le médecin, le patient et sa famille vont réagir
d’une manière qui leur est propre. Par exemple, on peut observer des réactions de deuil
ou de refus («non, ce n’est pas possible») ; de révolte ou de colère («pourquoi moi,
c’est injuste») ; de marchandage et de négociation («c’est une erreur dans les examens») ; de désespoir («combien de temps il me reste ?») ou encore de résignation
(« à quoi bon se battre »).
Ces réactions peuvent influencer la suite de l’entretien ainsi que l’attitude du médecin.
Celui-ci, à son tour, par sa propre attitude va influencer la suite de l’entretien ainsi que
l’attitude du patient (et celle de son (ses) proche(s) présent(s)). Un cycle d’obstacles et
d’influences va alors s’inscrire dans la consultation ; tout cela se faisant de manière inconsciente la plupart du temps.
De plus, à cela peut s’ajouter la présence d’un décalage perceptif entre l’un ou l’autre des
protagonistes. Ainsi, il peut y avoir un décalage entre le ressenti du soignant et celui
du patient : le soignant, par exemple, se sent impuissant et se dit qu’il en est de même
pour le patient alors que celui-ci pas du tout. Il peut également y avoir un décalage entre
le ressenti du patient et la perception qu’en a le soignant : le patient pleure ; le soignant interprète cela comme de la tristesse alors que pour le patient, c’est du soulagement.
Q uels pourraient être ces obstacles liés au fait d’aborder certaines informations
médicales, psychosociales ainsi que le vécu émotionnel des patients
Voici quelques exemples liés à la fois au patient (et/ou à sa famille), au soignant mais
aussi plus largement à l’institution dans laquelle la consultation se déroule (Purandare,
1997 ; Maguire and Pitceathly, 2003 ; Staquet, 2008).
Obstacles du côté du patient
(et/ou de sa famille)
Perturbations de l'état émotionnel générant de la détresse (de nature et d'intensité variable), telles que des troubles anxieux, de la sidération psychique, …).
Crainte d'une double stigmatisation : un sentiment de marginalisation lié au diagnostic de cancer vis-à-vis des individus en bonne santé. Par exemple, il arrive que
des patients hésitent ou se refusent à faire part à leur oncologue de leur ressenti ou
de leur sentiment de détresse car ils croient que cela représente un signe de « faiblesse » voire de « folie » et que la présence d’un trouble psychopathologique serait un deuxième facteur d'exclusion.
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Tentative de contrôle de l'expression de la détresse, issue de la crainte que celle-ci ne vienne perturber négativement la relation au médecin, constituer un poids
pour le praticien et/ou entraver la prise en charge du problème somatique avec la
croyance parfois que le clinicien n’est pas là pour ça.
Croyance de pouvoir et devoir s'en sortir par soi-même, d’assumer seul les
conséquences émotionnelles de l'annonce diagnostique.
Croyance liée au clivage entre « émotions » et « médical » : idée que le médecin n’est pas là pour les émotions mais est là pour les préoccupations et questions
médicales ou que l'exploration des émotions viendrait s'opposer à l’approche scientifique.
Représentations portant sur le sentiment de ne pas pouvoir être aidé : le vécu
physique, émotionnel et cognitif sont une conséquence inévitable de la maladie
dans laquelle le patient se sent pris.
Différentes stratégies d'adaptation dont le déni ou l'évitement, l’adoption d'une
attitude passive, d'une absence de recherche d'informations, d'un optimisme inadapté concernant l'évolution de la maladie ou encore des mécanismes de distorsion
de l'information afin de la percevoir sous un jour meilleur.
Ces obstacles liés au patient (et à ses proches) peuvent donc représenter des
contraintes, des freins et/ou des blocages au sein de la communication soignantsoigné.
Obstacles du côté du soignant
Crainte de devoir consacrer beaucoup de temps au ressenti du patient alors
que les conditions de la consultation sont elles-mêmes si contraignantes.
Sentiment lié à la gestion des situations émotionnelles : par exemple, la peur
de « mal faire » ou encore de « faire du mal » ; la peur d'ouvrir la « boîte de Pandore ») ; la croyance de pouvoir faire face ou pas aux émotions intenses (de désespoir, d'angoisse ou de colère).
Difficulté de repérer les manifestations émotionnelles : par exemple, de détresse chez leurs patients et la croyance qu’elles sont susceptibles d'altérer la qualité
de la communication lors de ce temps d'annonce.
Peur d'être confronté à ses propres sentiments d'impuissance, son propre ressenti.
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Diverses croyances : idée que les patients aborderaient ces questions si elles
étaient pertinentes pour eux ; croyance que s’adresser aux proches quant à la maladie grave d’un patient n’atteint pas le même degré d’intensité car ils seraient considérés comme « plus à même» de supporter le choc de la mauvaise annonce puisqu’ils ne sont pas porteurs de la maladie grave (Larue, 2005-2006).
Différentes stratégies d'adaptation dont l'évitement, la fuite en avant, la rationalisation, la fausse réassurance, etc.
Obstacles du côté de l’Institution
Sous-évaluation de l'impact des difficultés émotionnelles et plus globalement
psychosociales des patients.
Sous-évaluation du bénéfice des interventions existant dans le registre de la communication.
Crainte du surcoût potentiel.
C
es obstacles liés à la fois aux soignants et à l’institution entrent également au sein de
la communication soignant-soigné et peuvent représenter des contraintes, des freins
et/ou des blocages.
E n outre, il arrive que les proches du malade demandent au médecin d’épargner à ce
dernier le traumatisme psychologique de la mauvaise nouvelle :
« ne lui dites rien Docteur !», « En a-t-il pour longtemps ? » (Le Coz, 2006 In Larue
2005-2006).
C’est une situation dans laquelle beaucoup de soignants se sont déjà retrouvés.
La situation se complique encore davantage lorsque le patient, mis à l’écart du diagnostic
de sa maladie au départ, par une « alliance » entre le médecin et la famille, change
d’équipe soignante. Le malade peut du coup se retrouver mis à l’écart, ses proches
assumant à sa place et à son insu les décisions thérapeutiques qui le concernent.
Situation clinique
ANAMNÈSE
Monsieur « X », patient de 75 ans, veuf, ayant trois enfants, atteint d’un cancer gastrique
mais ignore cela ainsi que la mise en place d’emblée d’un accompagnement palliatif.
Les trois enfants, étant eux, bien au courant de la situation médicale de leur père et de
l’absence de traitements curatifs.
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Article de synthèse
Ce patient se présente aux urgences avec ses trois enfants. Ceux-ci souhaitent d’emblée
discuter avec le médecin des urgences, avant même que les soins ne débutent, en dehors, de la présence de leur père.
POURQUOI
M
ême si le mensonge, la fuite en avant, la fausse réassurance, la rationalisation,
l’évitement évitent la montée de l’angoisse, cela empêche le malade de mettre en
place ses mécanismes d’adaptation et donc de s’ajuster progressivement à la
réalité (Agence Nationale pour le Développement de l’évaluation médicale, 1995).
Une évolution défavorable de la maladie risque de mettre à mal la relation qui se tisse
entre les protagonistes concernés.
De plus, la vérité émerge très souvent. Le problème c’est de savoir de quelle manière ;
laissant alors les patients dans une angoisse majeure, d’autant plus que la révélation se
fait de manière hasardeuse et n’est pas le résultat d’une annonce déterminée, réfléchie
et rassurante qui permettrait au patient de poser ses questions, ses incompréhensions,
etc..
I
l arrive fréquemment que le patient, se trouvant dans un contexte similaire, évoque lui
-même la maladie. Inconsciemment, il évite ainsi au médecin d’aller contre la volonté de
ses proches et de contredire, par exemple, ceux-ci ou d’autres soignants.
Généralement, le patient sait ce qu’il a ou s’en doute, alerté par des signaux
verbaux et non verbaux (attitudes d’anxiété chez le conjoint ou les enfants lors des hospitalisations, ressenti corporel propre, symptômes, etc.).
On peut imaginer aussi que pour le patient, avoir entretenu lui aussi ce mensonge lui a
permis, pendant un temps, de postposer la confrontation à la réalité et la perte du
sentiment d’immortalité (Larue, 2005-2006).
L
es médecins ont bien conscience de l’importance de la famille dans l’accompagnement des malades, notamment dans un contexte de maladie grave et/ou de fin de vie.
L’entourage familial et amical représente un précieux point d’appui pour toute l’équipe
soignante (Larue, 2005-2006).
Je pense qu’il est fondamental de garder à l’esprit à quel point il est difficile
d’annoncer une mauvaise nouvelle qui va ébranler des Hommes et leur vie
et libérer des émotions parfois très vives telles qu’un sentiment de révolte avec
de la colère, du désespoir, de la culpabilité, de l’effroi devant l’inconnu, etc.
Par ailleurs, la vérité peut parfois être dangereuse vis-à-vis d’un malade fragile
mentalement par exemple (Lejoyeux, 1994).
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Article de synthèse
P
ar exemple, il n’est pas rare que le patient (et ses proches) ressente(nt) du découragement, de l’abattement, du désespoir et/ou une perte d’envie de lutter. Et dans la mesure où le soignant sait que son annonce risque d’entraîner, comme nous l’avons vu, des
émotions, des difficultés, des changements (au niveau de l’humeur, du comportement et/
ou dans la vie quotidienne).
Il est donc naturel que le soignant puisse éprouver quelques hésitations à l’idée de
révéler un diagnostic dont il sent à quel point il sera malvenu et mal vécu (Larue, 20052006).
Cependant, comme le souligne Larue (2005-2006), c’est aussi le rôle du soignant que de
chercher à contenir l’angoisse du patient afin qu’elle ne le détruise pas, et à conserver
l’espoir pour se projeter dans un avenir si restreint soit-il.
En effet, les travaux d’Elisabeth Kübler-Ross (1975) et ceux de Jeannine Pillot (1994)
mettent en évidence qu’après les phases de dénégation, colère, marchandage,
dépression, le patient évolue vers l’acceptation, la lucidité, la sérénité et parfois même la
soif de vivre.
Par ailleurs, il semble que l’information donne au patient plus de confort et diminue sa
consommation d’antalgiques. En outre, les patients qui connaissent leur diagnostic sont
moins anxieux, présentent une meilleure compliance au(x) traitements, gèrent mieux leur
maladie et se sentent moins isolés et moins dépressifs
(Service Régional des Soins
Palliatifs, consultation de la douleur In Larue, 2005-2006).
Le médecin quant à lui lorsqu’il donne l’information, il se sent moins anxieux, plus
confiant quand il doit discuter un cas avec ses confrères et a plus de maîtrise affective pour communiquer avec ses patients (Larue, 2005-2006).
EN CONCLUSION
En guise de conclusion, je ne ferais appel qu’à la parole de Nicole Alby,
psychologue travaillant en oncologie (France) car comme elle le résume :
« Le cancer reste ce qu’un médecin ne voudrait pas avoir à dire
à un patient qui ne voudrait pas avoir à l’entendre »
(Alby, 1983).
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Article de synthèse
Lexique
La fuite en avant : par exemple, devancer les questions en brûlant les étapes, s’empresser de tout dire.
La fausse réassurance : par exemple optimiser des résultats alors que le patient luimême n’y croit plus ; tenter de retarder la confrontation à la réalité.
La rationalisation : par exemple, discours très technique et incompréhensible pour le
malade ; le soignant tente de se retrancher derrière son savoir.
L’évitement : le médecin peut craindre d’être mis en difficulté par les questions du
malade, par sa quête d’espoir, par la confrontation à sa dégradation physique, il cherche
alors à réduire au minimum le contact physique et psychique avec le malade en prenant
comme interlocuteur quasi exclusif un tiers (famille, infirmière), en limitant le temps de
visite, d’écoute.
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