Article de synthèse
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Une histoire de Crabe et d’Homme
D. STAQUET
Plan cancer - Equipes multidisciplinaires
L
’annonce d’un diagnostic de cancer est un moment particulier à la fois chez le patient,
ses proches mais aussi chez le médecin qui va révéler cette terrible information. Les mé-
decins et le personnel infirmier sont généralement conscients des conséquences physi-
ques, socio-économiques, professionnelles, psychologiques, émotionnelles et relation-
nelles engendrées par ce tremblement de terre qui va venir éprouver un individu et sa
famille et menacer l’équilibre psychique de chacun ; les obligeant à réaliser d’impor-
tants efforts d’adaptation. Tous leurs repères vont être bouleversés.
L
es cancers sont multiples, complexes, leurs conséquences également. Parallèlement
à cela, les individus sont très différents tant sur le plan physiques, émotionnel, socio-
culturel qu’au niveau de leur personnalité. On peut dès lors se poser la question suivan-
te : « quelles vont être les conséquences émergeantes de la rencontre du troisième
type entre un crabe et un homme ? ».
L
’annonce du diagnostic de cancer s’ancre dans l’histoire du patient et de ses proches
(le plus souvent, de manière indélébile) voire même peut s’y cristalliser. Cette mauvaise
nouvelle va prendre une place dans leurs histoires de vie et va colorer leurs capacités à
mettre en place les perspectives liées à la prise en charge oncologique débutante.
Mots-clés :
annonce, diagnostic, cancer, communication
J’utiliserai, dans cet article, les mots suivants comme des synonymes :
médecin, soignant, praticien, clinicien, intervenant.
Par ailleurs, les mots « soignant » et « intervenant » peuvent également
faire référence au personnel infirmier voir même plus largement à toute
personne du secteur médical ou paramédical ayant un contact avec
le patient (et sa famille) qui joue un rôle dans l’accompagnent de celui-ci.
L’annonce du diagnostic de cancer
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Cette annonce, en terme de vécu psychologique, représente l’entrée dans une autre di-
mension car elle va permettre au patient et à ses proches de « clore » la fin de la période
d’incertitude quant au diagnostic et d’entrer dans un autre temps, celui de la maladie et
de ses traitements je sais ce que j’ai maintenant», « mes symptômes s’expliquent »,
« on va pouvoir me soigner… », etc.).
A
près avoir transmis l’annonce du diagnostic de cancer, le médecin va pouvoir éta-
blir, en partenariat avec les autres acteurs de terrain mais aussi avec la collaboration du
patient (et de sa famille) un plan de soin qui régulièrement sera semé d’embuches, telles
que les effets secondaires des traitements (perte de cheveux, nausées, boutons, affai-
blissement général, perte de poids, mutilations, …), la souffrance c’est-à-dire un état
d’inconfort physique et/ou psychique (par exemple, l’état du patient se dégrade suite à
une chimiothérapie). Il y a également toutes les autres mauvaises nouvelles qui vont
devoir être transmises au patient, le cas échéant : l’annonce d’absence de traitements
curatifs ou bien l’arrêt de ces traitements curatifs ; l’annonce d’une récidive de la maladie,
de la présence de métastases ; le passage vers les soins palliatifs, etc.
Cette communication autour d’informations négatives s’inscrit donc dans un contexte
divers protagonistes vont coexister dans une relation soignant-soigné et toutes ces
informations seront à la fois difficiles pour celui qui les transmet mais aussi pour celui
qui les reçoit.
L
’entrée dans ce monde étrange du cancer, avec son vocabulaire spécifique, ses exa-
mens parfois douloureux et inquiétants est associée à une notion du temps bien différen-
te du temps d’« avant la maladie ». En effet, le temps va être perçu et vécu d’une maniè-
re toute autre. Il faudra même du temps pour s’ajuster à cette nouvelle façon de le perce-
voir.
A
l’intérieur de cette notion de « perception de temps modifié », on voit aussi appa-
raître des temps différents : le temps des traitements, le temps des consultations, le
temps « habituel du quotidien » (payer ses factures, s’occuper de ses enfants) ; comme
si la maladie s’inscrivait dans un temps suspendu inscrit lui-même dans un temps
de vie quotidien. Les consultations, les examens médicaux, la chimiothérapie, la radio-
thérapie, vont établir un temps et une organisation bien précise que le patient et ses
proches devront suivre plus ou moins activement et intégrer dans leur vie quotidienne car
pour un temps (plus ou moins long), c’est tout cela qui deviendra leur nouveau quotidien.
A ceci, peut-être également associé la disparition de projets futurs ; le patient se trouve
alors dans une optique de temps de « l’ici et maintenant ».
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e plus, les soignants observent que leurs patients éprouvent habituellement une
perte subjective du sentiment d’immortalité et se trouvent confrontés de manière di-
recte et irréversible à la notion de finitude. Cela peut générer, chez ces derniers, l’idée
que le processus vital est engagé (qui peut générer une crise) et impliquer le passage
d’une logique de vie à une logique de survie ; les espoirs de vie se trouvant suspendus
à l’évolution, à la rémission, au(x) éventuelle(s) rechute(s) de la maladie, etc.
L
e vécu de cancer est donc influencé par bon nombre de variables. Il représente
généralement un traumatisme psychique, c’est-à-dire « un événement de la vie du su-
jet se définissant par son intensité et l’incapacité se trouve celui-ci d’y répondre adé-
quatement » (Laplanche et Pontalis, 1997). Néanmoins, ce traumatisme n’a pas pour
tous les patients, des « effets pathogènes durables dans leur organisation psychi-
que» (Laplanche et Pontalis, 1997).
C
e qui constitue un effet traumatique commun est la rencontre avec l’incertitude et
surtout l’angoisse de mort. Les capacités psychiques habituelles des individus risquent
d’être débordées, au moins dans le décours de l’annonce du diagnostic, nécessitant un
réaménagement psychique pour rétablir cette continuité perdue (Pucheu, 2004).
C
omme nous l’avons vu ci-dessus, l’annonce peut donc représenter un événement
traumatique. Généralement, les patients et leurs proches expliquent qu’ils l’ont vécue en
termes de : « coup sur la tête », « le monde qui s’écroule », « ça été un choc, je ne m’y
attendais pas du tout », etc.
D
ans la littérature, on trouve d’ailleurs une association entre les notions
d’« annonce de cancer » et de « (psycho) traumatisme ».
L
a notion de traumatisme renvoie à deux idées fondamentales : la confrontation à
une situation menaçante et inattendue provoquant des émotions d’une intensité
très violente. Selon le DSM-IV, l’événement traumatique est « une menace de mort ou
menace grave de l’intégrité physique d’une personne entraînant une peur intense d’im-
puissance ou d’horreur chez celle-ci ».
L’annonce = (psycho)traumatisme ?
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l faut donc bien évidemment du temps pour que le patient puisse intégrer ce qui a été
dit, ce qu’il a entendu et ce qu’il a compris.
I
l existe aussi une temporalité spécifique à l’annonce de mauvaises nouvelles chez le
patient et ses proches. Il existe ainsi le temps de sidération correspondant au moment
le patient n’entend plus rien du discours du médecin lors de la consultation. L’état de
sidération va induire une perte d’informations médicales et une focalisation sur certains
détails du discours médical. Il est donc important pour le patient d’être accompagné d’un
proche et que le médecin, ou tout autre intervenant médical, lui répète plusieurs fois les
informations à des moments différents.
Voici un tableau reprenant la prévalence des événements traumatiques
(Breslau et al.,1998)
Prévalence des événements traumatiques
1. Mort soudaine et imprévue d’un proche 60%
2. Agressions 38%
3. Voir quelqu’un gravement blessé 29%
4. Accident grave de véhicule 18%
5. Désastre naturel 17%
6. Diagnostic imprévu de maladie mortelle 5%
O
n peut par conséquent se demander quelles seront les répercussions en terme de
psychotraumatisme pour une personne qui est confrontée à l’annonce d’un diagnostic
imprévu de maladie mortelle telle qu’un cancer du poumon par exemple. Et pour ses
proches ? Ceux-ci se retrouvent dans un le d’accompagnant et de soutien
(physiquement et psychologiquement), parfois d’infirmier ; ils sont confrontés, tout com-
me le membre de leur entourage atteint d’une maladie grave, aux mutilations liées aux
traitements de cette affection, aux imprévus (par exemple, décès de manière soudaine
et imprévue après avoir eu une chimiothérapie), au risque vital.
Les temps psychiques lors de l’annonce
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l y a aussi le temps d’assimilation et d’intégration du discours médical durant le-
quel le patient se représente ce qui vient d’être dit. En outre, le temps d’adapta-
tion permet au patient et à ses proches de se réorganiser, de trouver de nouveaux repè-
res et d’essayer de s’adapter à cette nouvelle réalité. Enfin, il existe le temps de deuil de
l’état antérieur associés aux remaniements familiaux, relationnels, professionnels, etc.
C
es temps ne sont pas chronologiques ; ils prennent et nécessitent du temps. Cela
signifie que ce qui a été dit, n’est pas forcément entendu, compris ou intégré.
L’annonce va avoir un impact différent, une signification différente pour chacun des prota-
gonistes (Purandare, 1997 ; Maguire and Pitceathly, 2003 ; Staquet, 2008).
Du côté du patient : il est dans un rôle passif, il subit et ne contrôle en rien ni
les tenants ni les aboutissants, il est plutôt dans un isolement subjectif. Il peut même en-
trer dans une phase de déstabilisation psychique générant de la détresse avec les as-
pects émotionnels et cognitifs associés qui vont solliciter ses capacités adaptatives.
Du côté du proche : il est dans un rôle similaire à celui du patient ; lui aussi se
trouve dans un rôle passif, subissant et ne contrôlant en rien ni les tenants ni les aboutis-
sants. Il se trouve tout comme le patient dans un isolement subjectif et peut également
entrer dans une phase de déstabilisation psychique.
Par ailleurs, le proche représente durant la consultation, une personne supplémentaire
que le soignant va devoir gérer mais il est un atout non négligeable pour le patient. Il est
un soutien pour celui-ci. En effet, le proche offre généralement un accompagnement, une
aide à la gestion de toute l’organisation de la prise en charge oncologique et aux besoins
du patient. Néanmoins, le proche a également des besoins, un ressenti. Il a donc besoin
de reconnaissance et que le soignant tienne compte de son vécu.
Du côté du soignant : il se trouve dans un rôle actif, choisi et autodéterminé. Il
a une position de savoir et peut avoir recours éventuellement aux collègues et/ou à son
équipe. Il a par contre la délicate mission de transmettre des mauvaises nouvelles le cas
échéant.
Les enjeux de l’annonce
En outre, la relation est d’emblée déséquilibrée
En outre, la relation est d’emblée déséquilibrée
En outre, la relation est d’emblée déséquilibrée
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