Apprendre à parler, apprendre à penser Les ateliers de philosophie

Apprendre à parler, apprendre à penser
Les ateliers de philosophie.
Carole Calistri Christiane Martel Béatrice Bomel-Raineli. / Scéren
« Il pourra paraître ambitieux, fou, enthousiasmant, décalé, génial, farfelu, invraisemblable, de parler de philosophie
à l’école élémentaire. En tout cas cela ne laissera pas indifférent et ce n’est pas une mince victoire lorsqu’il s’agit de
présenter une innovation. »
1 - Les sources
Le modèle américain : Mattew Lippman
Concepteur de la « philosophie pour les enfants »
Programme général conçu pour former les enfants à être des « citoyens dans une démocratie ».
Il s’appuie sur la notion de communauté d’enquête et de réflexion celle qui est constituée par les enfants d’une
classe qui pensent et il s’intéresse également aux apprentissages de la pensée critique, créative, politique et éthique.
La philosophie pour les enfants devient la philosophie avec les enfants. Une considération pour les capacités
philosophiques des élèves en rupture avec la conception de l’ «apprenant-vase vide ».
Jacques Lévine
Il est essentiel que l’enfant puisse faire l’expérience de sa propre pensée et cela autrement que sur un mode
scolaire. C’est dans ce but qu’il établit le protocole suivant :
Poser une seule question existentielle ou concernant la relation aux autres et à soi-même durant un atelier
hebdomadaire qui dure 10 minutes au maximum et pendant les lesquels les enfants sont assis en cercle. Le maître
n’intervient qu’en début de séance pour présenter la question, il est le garant des conditions de prise de parole et
des modes de gestion du temps.
Michel Tozzi et Anne Lalane
Le maître assure dans l’atelier de philo une fonction de guidage.
L’objectif est d’y apprendre à penser, à réfléchir « philosophiquement ». Le maître n’est pas en position/obligation
de transmettre un savoir établi.
La philo ne compte pas parmi les disciplines à enseigner à l’école primaire ; on en réclame donc du maître à aucun
moment, l’attestation de connaissances spécifiques du domaine, on ne prévoit pas de formation spécifique. Il
demeure celui qui aide au travail qui sait aider au perfectionnement de compétences qu’il est le seul à pouvoir
repérer et analyser comme telle.
L’enfant a la capacité très tôt à penser. Cela légitime de ne pas attendre la classe de terminale. Il peut apprendre à
(mieux) penser précocement et avoir un regard réflexif sur son propre langage.
Bruno Guiliani : aucune définition de la philo n’est meilleure que son étymologie : l’amour de la sagesse. Il écrit :
La philo n’est pas un savoir mais une activité accessible à tous dès l’enfance. Elle ne consiste pas à tenir des discours
abstraits ou à connaître des doctrines mais à utiliser sa raison pour devenir plus sage et être ainsi plus heureux dans
sa vie.
Il existe un cadre théorique connu qui possède toutes les propriétés exploitées dans l’atelier de philo : le
constructivisme.
Jean-Louis Le Moigne :
La position constructiviste assure une légitimité à la pratique de l’atelier de philo. Si le réel n’est pas indépendant de
l’action humaine qui le construit, le dispositif de l’atelier de philo place exactement l’enfant dans une situation
cette construction du réel va se faire. L’enfant y est également susceptible de développer une attitude d’interaction
avec le monde d’une manière générale. L’instrument qui construit est pour nous le langage et lui-même se trouve
modifié et donc construit par l’activité.
Mikhaïl Bakhtine (1981) :
Nous pouvons considérer l’atelier de philo comme le lieu/le tissage d’un véritable échange, comme le lieu d’une
construction collective.
Quelle situation est plus stable que la situation scolaire, 5 jours sur 7, dans le même lieu avec les mêmes camarades,
le même maître, ses temps cycliques, ses rites ? L’atelier de philosophie inscrit sa régularité propre dans ce temps
scolaire quotidien.
Les enfants grâce au langage ont une manière d’appropriation du monde et cette appropriation modifie le langage.
C’est bien grâce au langage, « instrument sémiotique » par excellence, que les activités spécifiquement humaines
ont pu se construire. C’est la création et l’usage de cet instrument qui fait de l’homme précisément un homme.
Qu’en tirons-nous pour notre pratique d’atelier philosophique ? Il est nécessaire d’échanger pour construire notre
être social et notre être langagier. Les enfants parlent, pas de n’importe quoi, et ensemble, en frottant leur langage
et leur pensée au langage et à la pensée des autres et de la même manière que le contact de matières rugueuses
finit par rendre lisses, polies, le frottement de ces paroles, paroles de pairs, paroles d’experts, polit, en retour l’usage
du langage.
2 - L’atelier de philo et les programmes : entre innovation et Instructions
(attention, Livre publié en 2007)
Comment s’organise-t-on à l’école maternelle ?
Tout d’abord, les IO mettent l’accent sur « la maîtrise de la langue française, priorité absolue.»
Le ministère insiste sur l’hétérogénéité des élèves en matière de langage. L’atelier de philosophie s’appuie
précisément sur la diversité des variétés sociales mais aussi personnelles da la langue parlée par les enfants mai loin
d’en faire un obstacle, il l’utilise comme une sorte de sas entre la parole de la maison et celle de l’école.
Ensuite le ministère envisage que les conversations courantes ne soient pas le seul moyen pour construire la maîtrise
de la langue. « Le langage s’exerce d’abord à travers l’expérience quotidienne, mais ses fonctions plus complexes se
découvrent aussi dans des situations organisées de se découvrir, de structurer des manières neuves de comprendre la
parole d’autrui ou de se faire comprendre »
L’atelier de philosophie peut être l’une de ces « situations organisées ». Elles sont programmées dans l’espace (un
lieu différent de la salle de classe) et dans le temps, avec un rythme hebdomadaire, une durée fixe et un contenu
précis.
Il s’agit de « permettre à chaque enfant de participer aux échanges verbaux de la classe et inscrire les activités de
langage dans de véritables situations de communication. »
Il s’agit aussi de « construire cette communication sans cesse relancée entre l’enfant et les adultes, entre l’enfant et
ses camarades […] à l’aider à franchir le complexe passage d’un usage du langage en situation à un langage
d’évocation des événements passés, futurs ou imaginaires.
Le ministère rejoint un des objectifs de l’atelier de philo lorsqu’il pointe également l’authenticité de ce qui est
proposé en matière d’exercice langagier. Le rôle spécifique du maître dans l’atelier de philo est de nature à engager
l’échange, c’est à dire l’expression personnelle de l’enfant. Le maitre ne gomme pas sa fonction régulatrice mais
évite d’encourager un dialogue uniquement entre l’élève et lui.
Qu’attend-on au cycle 2 ?
Le rythme hebdomadaire et la programmation semblent être les clés des progrès constatés chez les élèves en
langue orale : l’atelier prévu chaque semaine le même jour permet aux enfants, une fois l’étrangeté du tout premier
atelier passée, de pouvoir se projeter dans l’exercice oral. Le cadre de l’atelier permettra aux uns de réutiliser sans
crainte des formules déjà testées et aux autres de prendre le risque des nouveautés.
Selon les programmes 2008 (sélection en dehors de l’ouvrage cité en titre, car livre publié en 2007)
Ecole maternelle / S’APPROPRIER LE LANGAGE
Le langage oral est le pivot des apprentissages de l’école maternelle. L’enfant s’exprime et se fait comprendre par
le langage. Il apprend à être attentif aux messages qu’on lui adresse, à les comprendre et à y répondre. Dans les
échanges avec l’enseignant et avec ses camarades, dans l’ensemble des activités et, plus tard, dans des séances
d’apprentissage spécifiques, il acquiert quotidiennement de nouveaux mots dont le sens est précisé, il s’approprie
progressivement la syntaxe de la langue française (l’ordre des mots dans la phrase).
La pratique du langage associée à l’ensemble des activités contribue à enrichir son vocabulaire et l’introduit à des
usages variés et riches de la langue (questionner, raconter, expliquer, penser).
Échanger s’exprimer
Les enfants apprennent à échanger, d’abord par l’intermédiaire de l’adulte, dans des situations qui les concernent
directement : ils font part de leurs besoins, de leurs découvertes, de leurs questions ; ils écoutent et répondent aux
sollicitations. Ils nomment avec exactitude les objets qui les entourent et les actions accomplies. Progressivement, ils
participent à des échanges à l’intérieur d’un groupe, attendent leur tour de parole, respectent le thème abordé.
Ils redisent de manière expressive des comptines et interprètent des chants qu’ils ont mémorisés.
Ils apprennent peu à peu à communiquer sur des réalités de moins en moins immédiates ; ils rendent compte de
ce qu’ils ont observé ou vécu, évoquent des événements à venir, racontent des histoires inventées, reformulent
l’essentiel d’un énoncé entendu. Ils acquièrent progressivement les éléments de la langue nécessaires pour se faire
comprendre, c’est-à-dire pour : désigner correctement les protagonistes concernés, marquer les liens entre les
faits, exprimer les relations temporelles par le temps adéquat des verbes et les mots ou expressions pertinents,
situer les objets ou les scènes et décrire les déplacements de manière pertinente.
Cycle 2 / Langage oral :
- Prendre part à des échanges verbaux tout en sachant écouter les autres ; poser des questions.
- S’exprimer avec précision pour se faire comprendre dans les activités scolaires.
- Participer à un échange : questionner, apporter des réponses, écouter et donner un point de vue en respectant les
règles de la communication
PALIER 1 - COMPÉTENCE 1 du Socle commun - LA MAÎTRISE DE LA LANGUE FRANÇAISE
Dire
Items
Explications des items
Indications pour l’évaluation
S’exprimer clairement à
l’oral en utilisant un
vocabulaire approprié
S’exprimer avec précision pour
se faire comprendre
dans les activités scolaires.
- Partager le sens des mots,
s’exprimer à l’oral pour
communiquer dans un cercle
élargi.
- Faire un récit structuré à l’oral
(relations causales,
circonstances temporelles et
spatiales précises) et
compréhensible pour un tiers
ignorant des faits
rapportés ou de l’histoire
racontée.
L’évaluation est réalisée dans des situations de
classe ordinaire, lors de conduite de projets ou dans
des activités
spécifiquement conçues pour l’évaluation.
Elle repose sur des activités dans tous les domaines
l’oral est sollicité en situation de communication
et d’évocation.
L’évaluation porte sur la capacité à :
- évoquer des faits (événement, expérience, sortie
…) ;
- raconter une histoire entendue ou lue par l’élève,
ou par l’enseignant ;
- décrire un lieu (se situer dans l’espace proche,
école, maison, gymnase, rue), une expérience, un
personnage, un objet.
L’observation porte sur :
- la clarté de l’expression ;
- la pertinence du propos ;
- le vocabulaire employé ;
- l’emploi des connecteurs appropriés pour marquer
les relations causales et les circonstances
temporelles et
spatiales ;
- la capacité à s’exprimer en situation duelle, en petit
groupe ou devant la classe.
L’item est évalué positivement lorsque l’enfant
parvient à construire un discours continu même
court, en se
faisant comprendre, en adaptant son propos aux
interlocuteurs et en utilisant le vocabulaire qui
convient.
A l’oral, pour les élèves qui ne parviennent pas à
s’exprimer en grand groupe, l’enseignant proposera
le même
type de travail en petit groupe et si nécessaire en
situation duelle.
Participer en classe à un
échange verbal en
respectant les règles de
communication
Participer à un échange :
questionner, apporter des
réponses, écouter et donner un
point de vue en
respectant les règles de
communication.
L’évaluation est conduite dans des situations de
communication en classe dans les différents
domaines d’enseignement. Elle repose sur des
activités d’échange, de bat, le petit groupe étant
propice au dialogue.
L’observation porte sur :
- le respect des règles d’écoute, de prise de parole et
d’échanges ;
- la précision et la clarté du propos ;
- la capacité à questionner, à demander des
explications, à apporter des réponses à des
questions posées ;
- l’utilisation d’un registre de langue adapté ;
- la capacité à réagir en fonction de ce qui a été dit ;
- la capacité à tenir compte de son / ses
interlocuteur(s) et de s’en faire comprendre ;
- la capacité à exprimer un accord ou un désaccord
et à justifier son point de vue.
L’item est évalué positivement lorsque l’élève
parvient à participer aux échanges dans une langue
compréhensible en restant dans le sujet, en donnant
son point de vue tout en prenant en compte celui
des autres
PALIER 1 - COMPÉTENCE 6 du socle commun - LES COMPÉTENCES SOCIALES ET CIVIQUES
Avoir un comportement responsable
Items
Explication des items
Indications pour l’évaluation
Appliquer les codes de la
politesse dans ses
relations
avec ses camarades,
avec
les adultes à l’école et
hors
Participer en classe à un
échange verbal en respectant
les règles de communication.
- Appliquer les usages sociaux
de la politesse
L’évaluation porte sur les attitudes adoptées
habituellement par l’élève dans les différentes
situations de vie de classe et de vie collective au sein
de l’école.
L’élève montre qu’il est capable d’adapter son
comportement selon les moments de la journée
(temps de travail, déplacements, temps libre…) et
de l’école, avec le maître
au
sein de la classe
dans les diverses interactions selon qu’il s’agisse
d’un autre élève, d’un enseignant ou d’autres
adultes…
Il est capable, en participant à un échange collectif,
de passer du tutoiement avec un camarade au
vouvoiement vis-à-vis de l’enseignant.
3 - Les mises en œuvre
Comment engager l’atelier ? Quelle périodicité ? Quelle durée ? Quelle place accordée à l’enseignant ? Aura-t-il les
compétences requises ? Quels objectifs ? Quels thèmes ?
Le protocole Lévine :
Il comporte 3 aspects : l’énoncé du thème, l’annonce que la séance durera 10 minutes, l’annonce que
l’enseignant n’interviendra pas.
La façon dont on présente aux enfants les ateliers est fondamentale.
Il est important de leur dire dans un langage simple que l’on va faire de la philosophie, c’est à dire qu’on va
apprendre à réfléchir à des questions que se posent les hommes depuis longtemps. Apprendre à réfléchir
signifie qu’on va prendre son temps de réfléchir dans sa tête avant de parler que tout le monde n’est pas
obligé de prendre la parole au cours d’une séance et qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses aux
questions sur lesquelles on réfléchit [..] l’enseignant est le garant des conditions de prise de paroles et des
modes de gestion du temps
Le thème de l’atelier est une question pour laquelle on cherche ensemble qui aura aujourd’hui une réponse
incomplète, inachevée, plurielle, et qui évoluera en même temps que la pensée de chacun.
La durée, connue de tous sitôt son ouverture devrait être stimulante pour les élèves : le temps étant compté, si un
élève veut prendre la parole, il lui faut la solliciter assez vite. Cette mise en situation d’oser exprimer ce qu’ils
pensent, d’accepter de de confronter à ce que pensent les autres et de prendre en compte ce que disent les autres
engagent, peut-être, ces élèves trop souvent silencieux à parler.
Les prises de parole de l’enseignant sont limitées. Lévine recommande une intervention à minima : gardien de la
bonne tenue de l’atelier (écoute, respect, maintien dans le sujet, durée…)
Qu’attendre des ateliers de philo ? Annick Perrin :
S’interroger, définir, fonder (problématiser, conceptualiser, argumenter) , voilà le processus à favoriser.
3 questions simples pourront aider à apprécier la pertinence philosophique des thèmes abordés.
- Veut-on clarifier les mots, les notions, les concepts ? (conceptualiser)
- Veut-on poser des questions, de douter de ce qu’on pense, de ce qu’on entend ? (problématiser)
- Veut-on prendre position, répondre à une question, justifier avec des arguments, répondre à des contre-
arguments ? (argumenter)
Le maître dispose de la formation en philosophie de tout bachelier, irriguée éventuellement par la formation
professionnelle dispensée par des enseignants de philo et des lectures personnelles.
Est-ce suffisant pour animer ces ateliers ? OUI : l’enseignant est médiateur. Il crée les conditions d’un climat de
confiance, de respect et d’écoute. Il instaure des modes de distributions régulés de la parole pour que chacun puisse
s’exprimer. C’est lui qui est responsable de la question du jour et de sa formulation. Il rend le questionnement
accessible aux jeunes enfants, ainsi qu’il le fait dans d’autres champs disciplinaires.
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