Journée d’étude « Sur le divan des guérisseurs… » Résumés des communications
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Résumés des communications
par ordre alphabétique des auteurs
Sur le divan des guérisseurs
Quelle place pour les dispositifs alternatifs en santé mentale ?
Vendredi 14 octobre 2016
Amiotte-Suchet : 9h10-9h40
Avocat du diable et nouveau thérapeute. Ou comment le prêtre-
exorciste élabore sa légitimité
par Laurent Amiotte-Suchet (Université de Lausanne)
A la fin des années 90, la présence de prêtres-exorcistes officiels dans les diocèses
catholiques avait pour l’observateur quelque chose d’anachronique. De plus en plus
encadrée par les évêques, la pratique de l’exorcisme s’est même vue progressivement
délaissée dans la seconde moitié du XXe siècle par une institution soucieuse de sa
réputation, et souhaitant rompre avec l’image traditionnelle et les stéréotypes
cinématographiques associés à ce ministère « sensible ». Si des rituels d’exorcisme
continuaient d’être pratiqués par divers « thérapeutes » plus ou moins
recommandables dans la nébuleuse des spiritualités émergentes et/ou néo-
traditionnelles, on pouvait néanmoins s’attendre à ce que l’Eglise catholique continue
de prendre ses distances. Pourtant, les prêtres-exorcistes furent maintenus (voir
même réintroduits) dans tous les diocèses français.
Néanmoins, depuis le Concile Vatican II, le ministère d’exorcisme a connu des
évolutions importantes. Il est passé d’une tendance dite « diabolisante » à une
tendance dite « psychologisante ». Aujourd’hui, le prêtre-exorciste cherche surtout à
aider les personnes venues le trouver à ne pas voir le diable partout. Mais entre les
directives de l’institution et les attentes des personnes venues le consulter, le prêtre-
exorciste doit chaque jour élaborer des solutions personnalisées. Il est donc tout
autant prêtre, psychothérapeute et chasseur de démon. Car aujourd’hui, c’est en
devenant passeur de frontières qu’il établit et renforce la légitimité de son ministère.
Cette communication prendra appui sur plusieurs années d’enquête auprès d’un
prêtre-exorciste d’un diocèse français qui rend compte des tensions propres à son
ministère et nous montre comment, à travers une pratique bricolée et hybride, il
élabore son propre système thérapeutique ; quitte à transgresser quelque peu les
consignes de l’institution en matière de rituel et la déontologie médicale en matière
de thérapie.
Laurent Amiotte-Suchet est responsable de recherche en sociologie des religions à
l’Institut de sciences sociales des religions contemporaines, Université de Lausanne.
Amiotte-Suchet, L. (2016) Un ministère de dédiabolisation et de bricolage rituel. Le cas d’un exorciste
diocésain. Ethnologie française, 46(1), 115-126.
Champion, F. (2007). Figures du glissement du psy au spirituel. In : F. Champion et al. (dir.), Le sacré
hors religion. Paris : L’Harmattan.
Favret-Saada, J. (1981). Désorceler. Paris : Gallimard.
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Guillemain, H. (2001). Déments ou démons ? L'exorcisme face aux sciences psychiques. 19-20ème
siècles. Revue d'histoire de l'Eglise de France, 87-219 ; 439-471.
Muchembled, R. (2000). Une histoire du diable : XIIe-XXe siècle. Paris : Seuil.
Rossi, I. (2007). Quête de spiritualité et pluralisme médical : reconfigurations contemporaines. In : N.
Durisch-Gauthier, I. Rossi, J. Stolz (dir.), Quêtes de santé : entre soins médicaux et guérisons
spirituelles. Genève : Labor et Fides.
Talamonti, A. (2008). Exorciser le Diable (Rome, années 1990). Terrain, 50, 62-81.
Wilkinson, T. (2007). Les exorcistes du Vatican : chasseurs de diable au 21e siècle. Paris : ViaMedias.
Bellio : 9h40-10h10
Franchir le seuil de la lumière pour guérir. Passeurs dâmes en France
par Alfonsina Bellio (IEA de Nantes)
Dans l’ample panorama des professionnels de soins alternatifs en France, les
« passeurs d’âmes » représentent un groupe nombreux et en expansion. Choisis par
des guides spirituels pour aider les âmes des défunts qui ne parviennent pas à
franchir le seuil de l’au-delà, à quitter ce monde pour poursuivre leur voyage, ils
exercent dans plusieurs villes et villages. D’âges variés et provenant de milieux
différents, ils se définissent aussi comme « travailleurs de lumière et personnes en
voie d'éveil » et appellent « soins spirituels » leur action d’aide aux gens dont la vie
serait difficile à cause de l’âme d’un défunt qui ne peut ou ne veut pas quitter les
lieux de son parcours terrestre. Par le biais d’une enquête ethnographique qui a
débuté en 2013, cette communication abordera l’aspect thérapeutique des pratiques
de « passages d’âmes ». Alternative aux services de soin officiels, leur action
intervient dans des formes de malaise qui peuvent s’inscrire dans le domaine du
pathologique et du psychopathologique. Les histoires de vies dans le périmètre de
crédibilité qui concerne ce phénomène, démontrent déjà que l’efficacité
thérapeutique de ce type de dispositif se réalise sur deux, voire trois, plans
complémentaires. Les résultats concernent la guérison de la personne qui s’adresse à
un passeur suite à des problèmes intervenus dans sa propre vie, le processus de
guérison de celles et ceux qui acceptent de devenir passeurs suite à une sollicitation
provenant du monde du non visible, mais aussi la guérison des âmes des funts en
souffrance.
Alfonsina Bellio, anthropologue, est membre de l’Institut d’études avancées à
Nantes, chargée d’enseignement en Anthropologie de l’Europe à l’Université de
Bordeaux et de Sociologie des religions à l’UCO d’Angers. Elle a soutenu sa thèse de
Doctorat en Anthropologie et Littérature à l’Université de Calabre, après un DEA en
Anthropologie sociale et historique de l’Europe, à l’EHESS de Paris, sous la direction
de Daniel Fabre.
Evrard : 13h40-14h10
Les expériences exceptionnelles, au cœur de la clinique ou à ses
marges ?
par Renaud Evrard (Université de Lorraine)
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Il est connu depuis longtemps que des personnes font des expériences qu’elles
interprètent de façon paranormale : sortie du corps, expérience de mort imminente,
transmission de pensées, observation de fantômes ou d’ovni, etc. On sait également,
depuis la fin du XIXe siècle, qu’un nombre important d’individus issus de la
population générale font l’une de ces expériences au moins une fois au cours de leur
vie (Evrard, 2014). Or, même si ce n’est pas systématique, ces vécus hors normes
peuvent mettre en difficulté ou s’associer à des problématiques psychopathologiques.
Vers qui se tourner lorsqu’on a besoin d’aide pour une telle expérience ?
L’adhésion à des systèmes de croyance paranormale pousse souvent à aller voir du
côté des dispositifs alternatifs : voyants, médiums, groupes spirituels, etc., qui
renforcent ces interprétations et peuvent même engendrer des formes d’addictions
(Grall-Bronnec et al., 2015). Mais, depuis quelques temps, une offre spécialisée a été
développée au niveau international : la clinique des « expériences exceptionnelles »
(Kramer, Bauer, & Hövelmann, 2012). Celle-ci propose une « thérapie normale »
(associée aux divers courants psychothérapeutiques) à des désordres perçus comme
« paranormaux ». Elle s’appuie sur une connaissance des travaux dans le champ de
la parapsychologie et de la psychologie anomalistique, tout en s’en dégageant par
une visée clinique centrée sur le point de vue subjectif du patient. Une telle offre a-t-
elle sa place aux marges de la clinique ?
Des chercheurs explorent désormais la place des expériences exceptionnelles au sein
même des dispositifs cliniques conventionnels (Roxburgh & Evenden, 2016a, 2016b).
Il en ressort un paradoxe : pour accueillir ce matériel clinique si particulier, il ne
serait nul besoin d’une pratique spécifique. Tout clinicien serait susceptible d’en
croiser, mais rares sont ceux qui fondent leur prise en charge sur une approche
éclairée scientifiquement. Or, en s’appuyant sur les discussions sur la place des
hallucinations et des délires dans les classifications des maladies mentales, on peut
convoquer des alternatives au diagnostic de « schizophrénie » et à ses avatars
(Evrard, 2014). Si bien que la clinique des expériences exceptionnelles semble
conduire, au prix d’une analyse différentielle ne confondant pas expériences du
déréel et psychose, à repenser la clinique conventionnelle.
Renaud Evrard est maître de conférences en psychologie à l’Université de Lorraine,
co-fondateur du Centre d’Information, de Recherche et de Consultation sur les
Expériences Exceptionnelles.
Evrard, R. (2014). Folie et Paranormal. Vers une clinique des expériences exceptionnelles. Rennes : Presses
Universitaires de Rennes.
Grall-Bronnec, M., Bulteau, S., Victorri Vigneau, C., Bouju, G., & Sauvaget, A. (2015). Fortune telling
addiction: Unfortunately a serious topic. About a case report. Journal of Behavioral Addictions,
4(1), 27-31.
Kramer, W.H, Bauer, E., Hövelmann, G.H. (2012, dir.). Perspectives of clinical parapsychology. An
Introductional Reader. Utrecht : HGBF.
Roxburgh, E.C., Evenden, R.E. (2016a). ‘They daren’t tell people: therapists’ experiences of working
with clients who report anomalous experiences. European Journal of Psychotherapy and Counseling.
DOI: 10.1080/13642537.2016.1170059
Roxburgh, E.C., Evenden, R.E. (2016b). ‘Most people think you’re a fruit loop’: Clientsexperiences of
seeking support for anomalous experiences. Counseling & Psychotherapy Research. DOI:
10.1002/capr.12077
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Guézennec & Vandeborre : 10h5011h20
Le CCOMS: dispositifs et recherche en santé publique pour la santé
mentale
par Pauline Guézennec et Anne Vandeborre (CCOMS)
Le Centre Collaborateur de l’OMS (CCOMS) est une organisation fonctionnelle
rassemblant un réseau d’actions, de compétences, de programmes, en lien avec la
politique de santé mentale de l'OMS.
Le CCOMS défend plusieurs valeurs: l’amélioration de la prise en charge et les droits
des usagers et des aidants. Cela passe par la pleine participation des citoyens,
usagers ou non de la psychiatrie, au développement de la qualité des services de
santé mentale; par la promotion de services de psychiatrie intégrés dans la cité; par la
lutte contre la stigmatisation des personnes ayant des troubles psychiques et la
promotion de la santé mentale; par le développement de réseaux de recherche, de
formation, d’information en santé mentale; la valorisation, le partage et la diffusion
des expériences innovantes en santé mentale.
Le CCOMS en France a pris résolument la direction d'un centre en santé mentale
orienté vers la santé publique, l'innovation et l'évaluation des dispositifs et des
politiques. Il se base sur une expérimentation pratique de la santé mentale
communautaire, services de psychiatrie intégré dans la cité, et sur un réseau de
partenaires dans le champ de la démocratie sanitaire
Les programmes innovants suivants seront présentés : le programme d’appui au
développement et au renforcement des Conseils locaux de santé mentale (CLSM)
développé depuis 2008, l’enquête Santé mentale en population générale , le
programme des Médiateurs de Santé/ Pair lancé en 2012 dans trois régions ainsi que
la révision de la classification des troubles mentaux et du comportement (CIM-10),
dans les pays francophones.
Pauline Guézennec est chargée de mission du programme CLSM Centre
collaborateur OMS pour la recherche et la formation en santé mentale.
Anne Vandeborre est directrice adjointe du Centre collaborateur OMS pour la
recherche et la formation en santé mentale.
Roelandt, J.-L., Staedel, B. (2016). L'expérimentation des médiateurs de santé-pairs / une révolution
intranquille. Montrouge : Doin.
Déchamp Leroux, C., Rafael, F. (2015). Santé mentale : guérison et rétablissement. Regards croisés. Paris :
John Libbey Eurotext, L’Offre de soins en psychiatrie.
Le Cardinal, P., Roelandt, J.-L., Rafael, F., Vasseur-Bacle, S., François, G., Marsili, M (2013). Pratiques
orientées vers le tablissement et pair-aidance : historique, études et perspectives. L’Information
psychiatrique, 89(3), 365-370.
Reed, G., Daumerie, N., Marsili, M., Desmons, P., Lovell, A., Garcin, V., & Roelandt, J.-L. (2013).
Développement de la CIM-11 de l’OMS dans les pays francophones. L’Information Psychiatrique, 89(3),
303-309.
Roelandt, J.-L., Guézennec, P. (2015). Les conseils locaux de santé mentale en France : état des lieux en
2015. L’Information Psychiatrique, 91(7), 549-556.
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Roelandt, J.-L., Guézennec, P. (2015). Les conseils locaux de santé mentale : « Décloisonner, verbe
actif ». In : C. Hazif-Thomas & C. Hanon (dir.), Profanes, soignants et santé mentale : quelle ingérence ?
Montrouge : Doin.
Revue L’Encéphale (2010). Numéro thématique Santé Mentale en Population générale, 36(3, supp. 1), 1-64.
Askevis-Leherpeux, F., Crétin, A., Genin, M., Schiaratura, L.T., Hofer, B. (2015). Lay theories on the
role of biomedicalization in the exclusion of depressed people. Journal of Social and Clinical Psychology,
34(4), 290-303.
Sider, C., Kacha, F., Benradia, I., Roelandt, J.-L., Mouchenik, M. (2015). De la stigmatisation à
l’exclusion de la personne désignée comme malade mentale en Algérie. Perspectives Psy, 54(2), 142-147.
Kessler-Bilthauer : 15h40-16h10
La santé mentale des victimes de sorcellerie dans la Lorraine du
XXIe siècle
par Déborah Kessler-Bilthauer (Université de Lorraine)
Cette communication se propose de traiter des conceptions de la santé mentale et de
ses affections à travers le prisme de la sorcellerie en Lorraine contemporaine. Une
riche enquête ethnographique faite d’une cinquantaine d’entretiens et de plusieurs
dizaines d’observations a été menée dans la région pour saisir les idées relatives au
monde des guérisseurs-désenvoûteurs. Ces thérapeutes non conventionnels
détiennent et défendent des compétences sur le corps, le mal-être, la maladie et le
malheur, et les appliquent régulièrement dans des rituels magico-thérapeutiques,
notamment de désenvoûtement. Plus accessibles du point de vue des informateurs
que les psychologues et les psychiatres, ils sont parfois les spécialistes du traitement
des symptômes psychiques nés dans un contexte de sorcellerie.
Les désenvoûteurs et leur clientèle s’accordent à penser que l’ « esprit », le psychique,
comporte une dimension énergétique qui anime les corps du dedans et qu’à ce titre,
il peut être manipulé, fragilisé ou même subtilisé par les voie de la sorcellerie. La
santé mentale est dans ce contexte un objet de vulnérabilité dans le sens où le sorcier
la prendra pour cible dans ses attaques. Touché par ces assauts maléfiques, la «
victime » peut déclarer par exemple, des épisodes dépressifs, des insomnies
persistantes, des sensations « inexpliquées » de profonde tristesse, une irritabilité
intense, etc. Les caractères dits mystérieux de ces symptômes du point de vue des
individus qui se refusent à consulter un psy peuvent être interprétés comme la
conséquence d’un acte maléfique perpétré par un sorcier ou une sorcière capable de
méfaits grâce au pouvoir de son regard, de sa pensée, de sa parole et de ses livres
noirs. Les composantes de la prise en charge de ces troubles qui affectent la santé
mentale par les guérisseurs-désenvoûteurs seront détaillées pour envisager les
manières dont la psyché est pensée, vécue et ressentie dans sa vulnérabilité. En
proposant une interprétation inédite et originale du mal qui envahit son client, le
guérisseur-désenvoûteur devient le seul expert capable de le soulager et le libérer de
cette situation qu’il vit négativement.
Déborah Kessler-Bilthauer est docteur en ethnologie, membre du Laboratoire
Lorrain de Sciences Sociales (2L2S) à l’Université de Lorraine.
Favret-Saada, J. (1977). Les mots, la mort, les sorts. Paris : Gallimard.
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