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Critique
"Elle s'appelle Sabine" : Sandrine Bonnaire filme sa sœur
autiste pour la sauver
LE MONDE | 29.01.08
De ce film intime et dérangeant, consacré par l'actrice Sandrine Bonnaire à sa sœur autiste,
il faut retenir l'idée de la beauté. Parce que la révélation de ce secret si longtemps scellé
explique sans doute quelque chose de la beauté de Sandrine Bonnaire, de la mélancolique et
sauvage gravité qui en fait le prix. Cette beauté, qui émane d'une certaine disposition morale,
explique à son tour celle de son film, la justesse et la délicatesse de son regard.
L'histoire est celle d'une jeune femme nommée Sabine, cadette d'un an de Sandrine, que
l'évolution de sa maladie et les faiblesses de sa prise en charge vont en l'espace de quelques
années transformer jusqu'à la rendre méconnaissable. Le film, qui se veut à la fois un portrait
sensible et un document dénonçant le manque de structures de soin spécialisées, fait de ce
contraste entre l'avant et l'après la mesure - d'une terrible efficacité - de son propos. Le
montage parallèle en est, par excellence, la figure de style.
Des images de Sabine avant son internement, prises en vidéo par Sandrine, témoignent ainsi
de la grande beauté, du pouvoir de séduction, de la joie de vivre et du réel talent de pianiste
d'une jeune femme qui n'est pas comme toutes les autres, mais qui parvient à vivre parmi les
siens. A l'inverse, les prises de vues au présent, réalisées après un internement de cinq années
dans un hôpital psychiatrique, révèlent une personne à ce point dégradée qu'on ne la reconnaît
qu'à peine, et qui semble devenue définitivement étrangère au monde et à elle-même.
VOYAGE AUX ETATS-UNIS
Ce perpétuel va-et-vient entre passé et présent, avec le choc réitéré qu'il déclenche à chaque
raccord, se suffit en quelque sorte à lui-même pour dresser un acte d'accusation contre
l'inadéquation de la prise en charge de l'autisme dans un cadre traditionnel. Mais le film de
Sandrine Bonnaire se veut moins une œuvre à charge qu'un témoignage sur ce qui peut, et plus
encore sur ce qui doit, être sauvé. C'est d'ailleurs, avec sa voix off qui en ponctue la narration,
ce qui rend son film si émouvant.
Tournées dans une institution spécialisée qui a accueilli Sabine depuis sa sortie de l'hôpital
psychiatrique, les scènes contemporaines du film veulent et réussissent à montrer à quel point,
à travers le filtre déformant de la maladie mentale, subsiste chez ceux qui en sont atteints
quelque chose qui les rattache de plein droit à l'humaine condition. L'attention portée aux
autres pensionnaires de l'institution, la relation entre les sœurs, et jusqu'à cette scène de très
haute intensité émotionnelle au cours de laquelle Sandrine montre à Sabine, qui s'y reconnaît,
les images de leur voyage commun aux Etats-Unis, tout cela relève, jusque dans la cruauté qui
nous frappe, d'une admirable leçon d'humanisme et de cinéma.