Klesis – Revue philosophique – 2012 : 24 – La philosophie de David Lewis
Lewis ajoute une dernière précision (qui n’est pas une nouvelle condition
mais une explicitation de la condition 3) provenant de la théorie des jeux.
Selon cette dernière, un tel système de préférences conditionnelles n’a lieu
que parce que les agents qui suivent la convention se trouvent face à un
« problème de coordination » dans lequel la « conformité uniforme » à la
régularité comportementale adoptée s’avère un « équilibre propre de
coordination » dans cette situation.
Expliquons donc avec Lewis quel nouvel éclairage apportent les
deux notions soulignées, avec celles qui l’accompagnent, à savoir le
« système d’attentes mutuelles concordantes » à même selon Lewis de
résoudre de tels problèmes de coordination, et les trois « sources » qu’il
assigne à un tel système, à savoir l’accord, la saillance et le précédent.
Un « problème de coordination » se définit selon Lewis comme une
situation dans laquelle (1) deux agents ou plus forment des décisions
interdépendantes, (2) ces agents ont des intérêts dont la coïncidence
l’emporte sur leur opposition (ce qui fait entrer cette situation dans la classe
des « jeux mixtes » définis par Schelling
), et (3) il existe au moins deux
« équilibres propres de coordination » (CT, p. 24). Un « équilibre propre de
coordination » désigne quant à lui une combinaison de coups que chaque
agent préfère à toute autre combinaison qu’il aurait pu atteindre avec le
même choix, quel qu’il soit, de la part des autres
(il s’agit, autrement dit,
d’un équilibre strict de Nash, bien que Lewis n’emploie pas cette
terminologie). On comprend donc pourquoi le fait que la conformité
uniforme à R constitue un « équilibre propre de coordination » explique que
chacun préfère se conformer à R à condition que les autres le fassent aussi.
Supposer, comme le fait Lewis, que la situation récurrente donnant
lieu à l’apparition d’une convention s’identifie à un « problème de
coordination » entraîne à sa suite une solution également issue de la théorie
des jeux, et dont on trouve une fois encore un antécédent chez Schelling
.
Ainsi, selon Lewis, la formation d’un « système d’attentes mutuelles
concordantes » s’avère être la solution à tout problème de coordination : « la
coordination peut être rationnellement atteinte à l’aide d’un système
d’attentes mutuelles concordantes, d’ordre 1 ou au-delà, quant aux actions,
aux préférences et à la rationalité des agents » (CT, p. 33). En effet, plus un
agent a de degrés d’attentes
quant à l’action des autres (à supposer que
Cf. Schelling (1986, p. 119), où Schelling définit le « jeu mixte » comme un jeu dans
lequel la relation entre les joueurs est un « mélange de dépendance réciproque et de
conflit ».
Lewis (CT, p. 22) suit ici Schelling (1986, n. 13, p. 277).
L’idée de « convergence des attentes » se trouve chez Schelling (1986, p. 121 et p. 96).
J’en donne un exemple dans le paragraphe suivant.