Journées de Micro-intermédiation financière
Cotonou Bénin
7- 9 décembre 2009
La commercialisation de la microfinance
Louise Tchamanbé Djiné
Université de Yaoundé II Cameroun
1
Introduction
La commercialisation de la microfinance entendue simplement comme une orientation plus
lucrative des activités accomplies par ses opérateurs, est une tendance générale de l’évolution
du secteur depuis un peu plus d’une décennie, cela aussi bien, à l’échelle nationale comme
internationale. Dans une récente étude Halpern (2000)1, la commercialisation de la
microfinance est définie comme l’application des principes de marché à la microfinance.
Cette notion y est ainsi présentée comme un processus en trois phases. La première phase a
débuté lorsque les ONG de microfinance ont commencé à adopter des principes de
fonctionnement commerciaux, notamment l’établissement de comptes de résultat et
d’utilisation de mesures de rentabilité classique. La deuxième phase a été marquée par la
transformation des ONG de microfinance en institutions commerciales réglementées. Celle-ci
s’est accompagnée simultanément de l’entrée des banques traditionnelles dans le secteur de la
microfinance. La phase finale débute d’après cette analyse, lorsque la microfinance attire un
nombre significatif d’investisseurs privés, souhaitant devenir actionnaires d’IMF
commerciales et dont l’investissement est motivé par le potentiel de profit de ces institutions.
Poyo et Young (1999) présentent quant à eux, la commercialisation de la microfinance
comme une tendance double, caractérisée par deux mouvements d’une certaine manière
symétriquement opposés : d’une part, la tendance à l’institutionnalisation des IMF existantes
jusqu’ici caractérisées par leur nature non lucrative, et d’autre part, l’entrée dans le secteur
des institutions financières règlementées traditionnellement (banques, compagnies financières,
etc.) attirées par le potentiel de profit de ce créneau. Dans cette optique, la commercialisation
de la microfinance se définit comme l’augmentation du nombre d’institutions financières au
profil commercial et à but lucratif se positionnant sur le créneau du financement de la
microentreprise. L’accent étant mis sur les performances financières des institutions, le
processus s’accompagne de la multiplication des instruments de mesure des performances,
d’agences et de services de rating, de guides de bon usage des ratios financiers, et la définition
de normes sectorielles.
Barlet (2000)2 retrace l’évolution du secteur qui a favorisé cette orientation. Elle remonte au
constat des bailleurs de fonds internationaux qui ont appuyé la croissance des services de
1 Halpern S. (2000) (ed), ‘‘Microfinance in the Naw Millennium : Efficiency, Costomer Satisfaction, and
Commercialization of Microfinance Institution, Microfinance Network
2 Barlet K. (2000), Microfinance et commercialisation : de quoi parle t- on ?, BIM, n° 74, 13 juin
2
crédit au secteur des microentreprises dans le monde entier depuis le milieu des années 1980.
Ces programmes visaient essentiellement à financer les activités génératrices de revenus de
petits entrepreneurs, à accroître les activités productives pour augmenter les revenus et à
favoriser l’emploi. Il apparaît malgré près de deux décennies d’expérience, de centaines de
millions de dollars de subventions et de financement concessionnels de la part d’agences de
bailleurs internationaux et d’institutions de microfinance multilatérales, que la demande
potentielle en services de microfinance continue d’excéder l’offre existante dans la plupart
des pays à faible revenus. Ces derniers notent en effet, que les infrastructures institutionnelles
et les marchés de services de microcrédit sont restés très limités, institutionnellement fragiles,
et dans la plupart des cas isolés du courant dominant du secteur des services financiers et des
systèmes de paiement. Avec l’expérience, il est devenu couramment admis que la pérennité
financière et la stabilité institutionnelle étaient deux des principaux objectifs à atteindre afin
d’élargir encore l’accès aux services financiers des microentreprises et des ménages pauvres.
Car, sur la plupart des marchés le problème principal n’est pas l’insuffisance des fonds
disponibles pour le crédit, ni l’insuffisance de la demande effective de la part de
microentrepreneurs viables, mais la faiblesse des infrastructures institutionnelles et des
capacités de services aux particuliers requises pour faciliter ces opérations financières. Ainsi,
après tant d’années d’expérimentation, il est apparu que pour élargir de manière significative
l’accès aux services financiers des microentrepreneurs, les institutions financières
réglementées du secteur bancaire traditionnel devaient servir ce segment de marché.
Cette orientation commerciale de la microfinance est au centre de débats controversés. Reinke
( ) relève que qui dit pérennité financière, dit approche centrée sur la rentabilité et la recherche
du profit, et il y a contradiction entre les objectifs de recherche de profits et les objectifs
sociaux des pionniers de la microfinance. Ce dernier souligne que faire de la pérennité une
priorité des programmes de microfinance implique une approche radicale, centrée sur
l’efficacité et l’application au crédit de principes de production de masse, et rejetant
l’approche participative, de type communautaire, qui caractérise souvent les programmes de
crédit des ONG. Yunus, Nobel de Paix 2006 critique le désintérêt de la Banque mondiale
1
Reinke J., « Charity for Profit ? The Commercialisation of the Start-Up Fund in South Africa », version
augmentée et actualisée de « How to Lend Like Mad and Make Profit: A Microcredit Paradigm versus the Start-
Up Fund in South Africa », Journal of Development Studies, vol. 34, n°3.
3
pour le microcrédit et rappelle que la microfinance doit demeurer une œuvre sociale et non
viser à maximiser des profits. Plusieurs praticiens pensent que la seule voie pour la desserte
de produits financiers de qualité aux populations démunies passe par la commercialisation de
la microfinance. Des voix plus mitigées Labie ( ) suggèrent, ni de sous-estimer l’approche
commerciale, ni de la sur-estimer car, au stade actuel de la microfinance, il y a de la place
pour une grande variété d’approches fondées sur une réelle diversité d’organisations. Au
regard de cette position, suscite la question à savoir, pourquoi la commercialisation de la
microfinance ? Quelles en sont les implications ?
Cet article analyse les fondements de la commercialisation de la microfinance et ses
implications tant sur la clientèle que sur les IMF, ainsi que les changements qui en résultent.
Dans cette perspective, on examine en premier lieu, les fondements de la commercialisation
de la microfinance, et en second lieu, les implications de la commercialisation de la
microfinance.
I- Les fondements de la commercialisation de la microfinance
De l’expérience des bailleurs de fonds, il ressort que la commercialisation de la microfinance
trouve son fondement dans deux principaux faits : d’une part, la fragilité des institutions de
microfinance due à leur faible pérennité financière et d’autre part, le constat de besoins encore
non couverts par ces dernières.
1- La commercialisation de la microfinance, un processus de pérennité financière et de
stabilité institutionnelle des IMF.
Felloni et Seibel (2003) font observer que ces dernières années, la microfinance -l’octroi des
services financiers à petite échelle à des clients ayant de faibles revenus- en tant que moyen
de réduire la pauvreté en milieu rural, a attiré l’attention croissante de la communauté des
bailleurs de fonds sur la pérennité des IMF. En effet, Lapenu et Zeller (2001)3 révèlent que
sur un nombre total de 1500 institutions de microfinance (IMF) connues, seules 60 sont
financièrement pérennes4. L’enjeu de la pérennisation a alimenté les discussions sur la
‘‘commercialisation’’ de la microfinance. Selon Drake et Rhyne (2002), les IMF formelles à
‘‘but lucratif’’ telles que les banques peuvent et devraient s’impliquer davantage dans les
3 Lapenu C. & Zeller M. (2001), ‘’Distribution, Growth and Performance of Microfinance Institutions in Africa,
Asia and Latin América’’, IFPRI FCND Discussion paper 114, Washington DC (USA).
4 Microbanking B ulletin, novembre 2002
4
prestations de services de microfinance pour les pauvres. Par ailleurs, tout type d’IMF, afin
d’être pérenne, devrait adopter une ‘‘approche de marché’’ et gérer son fonctionnement selon
des bases commerciales.
L’idée de la pérennité des institutions de microfinance est un élément essentiel de la
microfinance. Il s’agit de mettre en place des institutions viables sur la durée et non de
‘’distribuer’’ gratuitement des fonds à ces populations pauvres. La notion de pérennité
recouvre en fait trois éléments :
- la viabilité financière exprimant le fait que ces institutions puissent couvrir par leurs
revenus, l’ensemble de leurs charges. L’équilibre financier dépend notamment du taux
d’intérêt appliqué sur les crédits, qui doit être suffisamment élevé pour assurer cette
couverture des charges. Il dépend aussi du fait que les prêts accordés soient bel et bien
remboursés à temps ;
- l’autonomie organisationnelle c’est-à-dire que ces institutions puissent fonctionner par elles-
mêmes.
- et enfin qu’elles obtiennent, d’une façon ou d’une autre, une reconnaissance juridique.
Dans cette perspective, la microfinance doit pouvoir s’adapter au marché pour fidéliser sa
clientèle et se pérenniser, cela d’autant plus qu’elle joue aussi un rôle d’intermédiation
financière et sociale. Pour cela, elle se distingue des banques classiques par une double
fonction d’intermédiation financière et sociale. Du fait de cette nécessité d’adaptation et des
fortes différences culturelles, notamment concernant les exemples de finance informelle, des
modèles très diversifiés d’institutions de microfinance se sont mis en place de part le monde,
avec des méthodologies très différentes suivant les acteurs, la clientèle ciblée, la zone
géographique... Très schématiquement, on peut dire qu’entre continents par exemple les
caractéristiques suivantes peuvent se retrouver :
- Amérique Latine : expériences de microcrédit centrées sur les micro-entrepreneurs urbains ;
un lien étroit a pu se développer entre IMF et système bancaire ;
- Afrique : tradition du mutualisme, rôle des systèmes informels, importance de l’épargne
comme service financiers ;
- Asie : densité forte dans certains pays, importance du milieu rural, exemples de banques
d’Etat intervenant dans la microfinance.
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