Journées de Micro-intermédiation financière Cotonou Bénin 7- 9 décembre 2009 La commercialisation de la microfinance Louise Tchamanbé Djiné Université de Yaoundé II Cameroun E mail : [email protected] Introduction La commercialisation de la microfinance entendue simplement comme une orientation plus lucrative des activités accomplies par ses opérateurs, est une tendance générale de l’évolution du secteur depuis un peu plus d’une décennie, cela aussi bien, à l’échelle nationale comme internationale. Dans une récente étude Halpern (2000)1, la commercialisation de la microfinance est définie comme l’application des principes de marché à la microfinance. Cette notion y est ainsi présentée comme un processus en trois phases. La première phase a débuté lorsque les ONG de microfinance ont commencé à adopter des principes de fonctionnement commerciaux, notamment l’établissement de comptes de résultat et d’utilisation de mesures de rentabilité classique. La deuxième phase a été marquée par la transformation des ONG de microfinance en institutions commerciales réglementées. Celle-ci s’est accompagnée simultanément de l’entrée des banques traditionnelles dans le secteur de la microfinance. La phase finale débute d’après cette analyse, lorsque la microfinance attire un nombre significatif d’investisseurs privés, souhaitant devenir actionnaires d’IMF commerciales et dont l’investissement est motivé par le potentiel de profit de ces institutions. Poyo et Young (1999) présentent quant à eux, la commercialisation de la microfinance comme une tendance double, caractérisée par deux mouvements d’une certaine manière symétriquement opposés : d’une part, la tendance à l’institutionnalisation des IMF existantes jusqu’ici caractérisées par leur nature non lucrative, et d’autre part, l’entrée dans le secteur des institutions financières règlementées traditionnellement (banques, compagnies financières, etc.) attirées par le potentiel de profit de ce créneau. Dans cette optique, la commercialisation de la microfinance se définit comme l’augmentation du nombre d’institutions financières au profil commercial et à but lucratif se positionnant sur le créneau du financement de la microentreprise. L’accent étant mis sur les performances financières des institutions, le processus s’accompagne de la multiplication des instruments de mesure des performances, d’agences et de services de rating, de guides de bon usage des ratios financiers, et la définition de normes sectorielles. Barlet (2000)2 retrace l’évolution du secteur qui a favorisé cette orientation. Elle remonte au constat des bailleurs de fonds internationaux qui ont appuyé la croissance des services de 1 Halpern S. (2000) (ed), ‘‘Microfinance in the Naw Millennium : Efficiency, Costomer Satisfaction, and Commercialization of Microfinance Institution, Microfinance Network 2 Barlet K. (2000), Microfinance et commercialisation : de quoi parle t- on ?, BIM, n° 74, 13 juin 1 crédit au secteur des microentreprises dans le monde entier depuis le milieu des années 1980. Ces programmes visaient essentiellement à financer les activités génératrices de revenus de petits entrepreneurs, à accroître les activités productives pour augmenter les revenus et à favoriser l’emploi. Il apparaît malgré près de deux décennies d’expérience, de centaines de millions de dollars de subventions et de financement concessionnels de la part d’agences de bailleurs internationaux et d’institutions de microfinance multilatérales, que la demande potentielle en services de microfinance continue d’excéder l’offre existante dans la plupart des pays à faible revenus. Ces derniers notent en effet, que les infrastructures institutionnelles et les marchés de services de microcrédit sont restés très limités, institutionnellement fragiles, et dans la plupart des cas isolés du courant dominant du secteur des services financiers et des systèmes de paiement. Avec l’expérience, il est devenu couramment admis que la pérennité financière et la stabilité institutionnelle étaient deux des principaux objectifs à atteindre afin d’élargir encore l’accès aux services financiers des microentreprises et des ménages pauvres. Car, sur la plupart des marchés le problème principal n’est pas l’insuffisance des fonds disponibles pour le crédit, ni l’insuffisance de la demande effective de la part de microentrepreneurs viables, mais la faiblesse des infrastructures institutionnelles et des capacités de services aux particuliers requises pour faciliter ces opérations financières. Ainsi, après tant d’années d’expérimentation, il est apparu que pour élargir de manière significative l’accès aux services financiers des microentrepreneurs, les institutions financières réglementées du secteur bancaire traditionnel devaient servir ce segment de marché. Cette orientation commerciale de la microfinance est au centre de débats controversés. Reinke ( ) relève que qui dit pérennité financière, dit approche centrée sur la rentabilité et la recherche du profit, et il y a contradiction entre les objectifs de recherche de profits et les objectifs sociaux des pionniers de la microfinance. Ce dernier souligne que faire de la pérennité une priorité des programmes de microfinance implique une approche radicale, centrée sur l’efficacité et l’application au crédit de principes de production de masse, et rejetant l’approche participative, de type communautaire, qui caractérise souvent les programmes de crédit des ONG. Yunus, Nobel de Paix 2006 critique le désintérêt de la Banque mondiale 1 Reinke J., « Charity for Profit ? The Commercialisation of the Start-Up Fund in South Africa », version augmentée et actualisée de « How to Lend Like Mad and Make Profit: A Microcredit Paradigm versus the StartUp Fund in South Africa », Journal of Development Studies, vol. 34, n°3. 2 pour le microcrédit et rappelle que la microfinance doit demeurer une œuvre sociale et non viser à maximiser des profits. Plusieurs praticiens pensent que la seule voie pour la desserte de produits financiers de qualité aux populations démunies passe par la commercialisation de la microfinance. Des voix plus mitigées Labie ( ) suggèrent, ni de sous-estimer l’approche commerciale, ni de la sur-estimer car, au stade actuel de la microfinance, il y a de la place pour une grande variété d’approches fondées sur une réelle diversité d’organisations. Au regard de cette position, suscite la question à savoir, pourquoi la commercialisation de la microfinance ? Quelles en sont les implications ? Cet article analyse les fondements de la commercialisation de la microfinance et ses implications tant sur la clientèle que sur les IMF, ainsi que les changements qui en résultent. Dans cette perspective, on examine en premier lieu, les fondements de la commercialisation de la microfinance, et en second lieu, les implications de la commercialisation de la microfinance. I- Les fondements de la commercialisation de la microfinance De l’expérience des bailleurs de fonds, il ressort que la commercialisation de la microfinance trouve son fondement dans deux principaux faits : d’une part, la fragilité des institutions de microfinance due à leur faible pérennité financière et d’autre part, le constat de besoins encore non couverts par ces dernières. 1- La commercialisation de la microfinance, un processus de pérennité financière et de stabilité institutionnelle des IMF. Felloni et Seibel (2003) font observer que ces dernières années, la microfinance -l’octroi des services financiers à petite échelle à des clients ayant de faibles revenus- en tant que moyen de réduire la pauvreté en milieu rural, a attiré l’attention croissante de la communauté des bailleurs de fonds sur la pérennité des IMF. En effet, Lapenu et Zeller (2001)3 révèlent que sur un nombre total de 1500 institutions de microfinance (IMF) connues, seules 60 sont financièrement pérennes4. L’enjeu de la pérennisation a alimenté les discussions sur la ‘‘commercialisation’’ de la microfinance. Selon Drake et Rhyne (2002), les IMF formelles à ‘‘but lucratif’’ telles que les banques peuvent et devraient s’impliquer davantage dans les 3 Lapenu C. & Zeller M. (2001), ‘’Distribution, Growth and Performance of Microfinance Institutions in Africa, Asia and Latin América’’, IFPRI FCND Discussion paper 114, Washington DC (USA). 4 Microbanking B ulletin, novembre 2002 3 prestations de services de microfinance pour les pauvres. Par ailleurs, tout type d’IMF, afin d’être pérenne, devrait adopter une ‘‘approche de marché’’ et gérer son fonctionnement selon des bases commerciales. L’idée de la pérennité des institutions de microfinance est un élément essentiel de la microfinance. Il s’agit de mettre en place des institutions viables sur la durée et non de ‘’distribuer’’ gratuitement des fonds à ces populations pauvres. La notion de pérennité recouvre en fait trois éléments : - la viabilité financière exprimant le fait que ces institutions puissent couvrir par leurs revenus, l’ensemble de leurs charges. L’équilibre financier dépend notamment du taux d’intérêt appliqué sur les crédits, qui doit être suffisamment élevé pour assurer cette couverture des charges. Il dépend aussi du fait que les prêts accordés soient bel et bien remboursés à temps ; - l’autonomie organisationnelle c’est-à-dire que ces institutions puissent fonctionner par ellesmêmes. - et enfin qu’elles obtiennent, d’une façon ou d’une autre, une reconnaissance juridique. Dans cette perspective, la microfinance doit pouvoir s’adapter au marché pour fidéliser sa clientèle et se pérenniser, cela d’autant plus qu’elle joue aussi un rôle d’intermédiation financière et sociale. Pour cela, elle se distingue des banques classiques par une double fonction d’intermédiation financière et sociale. Du fait de cette nécessité d’adaptation et des fortes différences culturelles, notamment concernant les exemples de finance informelle, des modèles très diversifiés d’institutions de microfinance se sont mis en place de part le monde, avec des méthodologies très différentes suivant les acteurs, la clientèle ciblée, la zone géographique... Très schématiquement, on peut dire qu’entre continents par exemple les caractéristiques suivantes peuvent se retrouver : - Amérique Latine : expériences de microcrédit centrées sur les micro-entrepreneurs urbains ; un lien étroit a pu se développer entre IMF et système bancaire ; - Afrique : tradition du mutualisme, rôle des systèmes informels, importance de l’épargne comme service financiers ; - Asie : densité forte dans certains pays, importance du milieu rural, exemples de banques d’Etat intervenant dans la microfinance. 4 Les acteurs de la microfinance sont aussi variés, et se diversifient d’ailleurs de plus en plus : il peut s’agir d’organisations non gouvernementales, -ONG internationales ou nationales-, de banques commerciales, de mutuelles d’épargne et de crédit, de banques publiques, mutuelles et coopératives, d’institutions financières non bancaires, ou bien encore d’ONG se transformant en banque commerciale, ou en institution non bancaire... particulières pour notamment avoir de bon taux de remboursement sur les crédits, ce qui est une des conditions pour être viables financièrement. Et ces techniques reposent sur une bonne connaissance des mécanismes sociaux. Une idée est que la pression sociale peut remplacer la garantie matérielle, pour garantir un bon remboursement des prêts ; par exemple, dans des « groupes de caution solidaires », chaque emprunteur se porte garant pour les autres emprunteurs de son groupe, et si l’un ne rembourse pas, il le fera à sa place. Reinke ( ) démontre à partir de l’étude de cas Start-Up Fund, que la micro-finance peut être à la fois financièrement pérenne et socialement bénéfique. Son article vise à montrer qu’une structure institutionnelle bien conçue peut permettre de faire du crédit « fou » (‘‘mad lending’’ – sans garantie, impersonnel et sans dispositif traditionnel de suivi et de supervision des retards – de manière financièrement pérenne. En somme objectif de pérennité financière des IMF recommandé par les bailleurs de fonds se révèle être une nécessité, un impératif, une condition de survie et de compétitivité des IMF. Bref, un fondement pertinent de la commercialisation de la microfinance qui est également une voie de couverture pérenne des besoins élargie de la clientèle. 2- La commercialisation, une voie de couverture pérenne des besoins de la clientèle La commercialisation repose sur l'idée que la couverture pérenne des besoins financiers à l'échelle de 600 millions à un milliard de personnes pauvres ou à faibles revenus requiert l'intervention d'un ensemble varié d'institutions financières rentables et réglementées en mesure de proposer une gamme étendue de services financiers adaptés. Ce faisant, elle permet de couvrir les besoins à travers la stratégie de diversification des IMF d’un côté, et le développement de la mésofinance de l’autre. 2.1- commercialisation de la microfinance et diversification des produits 5 Le développement spectaculaire de la microfinance a permis, avec la mise en place d’un grand nombre d’institutions de microfinance (IMF), de couvrir un nombre significatif de personnes dans le monde -environ 60 millions-. Parce qu’il reste des besoins importants à couvrir -on estime à 600 millions le marché potentiel de la microfinance- et parce que la demande de la clientèle actuelle des IMF évolue, la diversification des produits financiers offerts par les IMF est aujourd’hui au premier plan. Dans une première phase de développement de la microfinance, le savoir-faire des IMF est resté focalisé sur des produits faciles à gérer -souvent, le micro-crédit solidaire-, permettant une certaine ‘’standardisation’’, donc une croissance rapide permettant l’atteinte de l’équilibre financier. Une hypothèse implicite était que le client serait satisfait de tels services – puisque ce client était par ailleurs exclu des systèmes financiers formels, et était prêt à payer un taux d’intérêt élevé contre un accès à ces services. L’arrivée à maturité du secteur de la microfinance change cette donne : d’une part, les IMF matures ont une meilleure capacité à gérer des produits financiers diversifiés ; d’autre part, la concurrence naissante entre institutions pousse les IMF à vouloir davantage fidéliser leurs clients, et mieux analyser leurs besoins pour adapter leurs produits. L’abandon de certaines IMF par leur clientèle insatisfaite, phénomène observé récemment, met en valeur la nécessité d’élargir la gamme des produits, pour répondre à des besoins en évolution. 2.2- commercialisation de la microfinance, et développement de la mésofinance Paradoxalement, alors que se sont multipliées ces dernières années les institutions de microfinance, et que la concurrence entre systèmes de microfinance commence à apparaître sur certaines zones, ou auprès de certaines clientèles spécifiques, le constat des limites des services offerts par ces institutions apparaît plus nettement. D’une part, la tendance naturelle à répliquer des méthodologies et « modèles » dominants sur une région a souvent conduit à focaliser les institutions existantes sur des segments de marché étroits. Sur un pays donné, dans un secteur dont le financement est très largement assuré par quelques bailleurs de fonds, il est tentant de reproduire ce qui marche, plutôt que de se lancer dans de l’expérimental, aussi novateur soit-il. L’exemple le plus frappant de cette dérive est celui de la Bolivie : dans ce petit pays d’Amérique Latine ; la microfinance s’est développée à un rythme impressionnant à partir de 1990, dans un contexte d’environnement réglementaire favorable. 6 Ce développement accéléré des microcrédits offerts par différents types d’institutions touchaient 120 000 clients en 1998, et 416 000 en 1998, a débouché sur une situation de compétition entre différents systèmes financiers -banques, crédit à la consommation, IMF- sur la même clientèle urbaine, principalement dans la ville de La Paz. Cette concurrence exacerbée s’est traduite non par une baisse massive des taux proposés aux emprunteurs, mais par une surenchère sur les montants de prêts octroyés, aboutissant à un surendettement des clients – et des difficultés fortes pour les institutions, en contrecoup. Paradoxalement, alors que la situation de concurrence extrême sur la capitale remettait en cause la pérennité des services accordés et donc la couverture de la clientèle urbaine -416 000 clients à fin 1998, moins de 380 000 mi 2001-, aucune offre de services financiers n’existait ou presque en milieu rural – réputé plus risqué, non adapté aux techniques de prêts aux micro-entrepreneurs développées massivement par les institutions de crédit en milieu urbain. D’autre part, on l’a vu, le savoir-faire des IMF est resté essentiellement focalisé sur des produits faciles à gérer, permettant une certaine « standardisation », donc une croissance rapide permettant l’atteinte de l’équilibre financier. Une vision dite « minimaliste » de la microfinance, plaidant pour une mise en place rapide d’institutions offrant des produits simples et déconnectés des services non financiers, a dominé le secteur – mais on en voit aujourd’hui les limites. Le cœur des services financiers offerts par les IMF hormis des produits d’épargne simples- est en général le micro-crédit à court terme. Ce microcrédit est en général adapté pour financer la trésorerie des activités génératrices de revenus et de la micro-entreprise. Cela couvre bien évidemment une partie des besoins seulement ; dès que l’on parle d’investissements -pour l’agriculture comme pour les micro-entreprises-, il est nécessaire de prêter plus d’argent, sur une plus longue durée. Or cela n’est pas si simple pour les IMF : pour des crédits plus élevés, les mécanismes de garantie type caution solidaire ne peuvent s’appliquer et l’institution ne peut pas pour autant se limiter aux garanties classiques prises par les banques ; pour des crédits d’investissement à moyen terme, l’analyse et le suivi des prêts doivent intégrer à la fois la personne (approche de la plupart des IMF, qui « présélectionnent » l’emprunteur mais n’analysent pas ou très peu l’activité ; l’objet du crédit est libre) et l’activité/l’entreprise (approche bancaire d’analyse de la rentabilité, de la trésorerie…). Plus particulièrement, deux domaines sont insuffisamment couverts par l’offre en microfinance : le segment des micro- et petites entreprises et le segment des activités agricoles 7 Le segment des micro et petites entreprises : Les IMF ne couvrent pas le plus souvent un certain nombre de besoins en investissement ou renouvellement de l’équipement de l’entrepreneur, qui exigeraient des crédits à moyen terme. Par ailleurs, l’approche « minimaliste » du crédit implique que la plupart du temps, il n’est pas souhaitable que les IMF offrent un appui-conseil ; or lorsque l’on parle de microentreprise ou de petites entreprises d’une certaine taille, la question de l’appui-conseil se pose réellement en termes, d’accès à l’information, d’appui en gestion, de recherche de débouché-. Par ailleurs, compte tenu des risques de l’activité, -notamment en termes de saturation de secteur- et des montants de crédits considérés il peut sembler nécessaire d’étudier davantage les demandes de crédit alors que les IMF privilégient le plus souvent des modes de sélection et de remboursement rigoureux. Ainsi, le créneau que l’on appelle souvent « méso-finance », entre micro-crédit pour de petites activités, et crédits classiques, reste très peu couvert par les services financiers existants. Le segment des activités agricoles Les institutions de microfinance sont, du moins dans certaines régions, largement issues du milieu rural -Afrique de l’Ouest, Asie du Sud-Est-, et restent souvent, après la faillite des banques publiques de développement, la seule offre de services financiers accessible -avec les services informels- pour les familles rurales. Mais deux facteurs limitent l’intervention des IMF en milieu rural : d’une part, elles sont focalisées sur le court terme, avec souvent une exigence de remboursements réguliers, ce qui permet de financer principalement des activités de commerce, de petit artisanat, de transformation agro-alimentaire. Les activités de moyen terme restent en dehors de leur champ. Par ailleurs, les activités agricoles sont soumises à des risques importants, qui tendent à décourager un certain nombre d’IMF soumises à des impératifs rapides d’équilibre financier, en l’absence d’outils de sécurisation efficaces des crédits. En réponse à ces limites identifiées, des exemples d’institutions spécialisées se développent (ACEP en Afrique, plusieurs exemples en Europe de l’Est pour les crédits à des microentreprises), et les IMF existantes n’ont pas dit leur dernier mot ; des expérimentations de produits novateurs, et intéressants, sont en cours (crédit-stockage, crédit-bail…) au même titre que des outils de sécurisation du crédit (sociétés de caution mutuelle, centrales de risque…). Les innovations des IMF essaiment donc, et de nombreux nouveaux produits et 8 services ont été développés ces dernières années en microfinance. Les produits courants de diversification en microfinance sont : le crédit aux TPE, crédit bail (leasing), crédit à l’habitat, services d’épargne, microassurance, services de transfert d’argent national et international. De l’analyse des fondements de la commercialisation de la microfinance, il ressort qu’elle se révèle être un moyen, de pérennité financière des IMF, de diversification des produits financiers et une voie de développement de la mésofinance. Tout ceci suscite la question de savoir quelles sont les implications de cette tendance de commercialisation de la microfinance? II- Les implications de la commercialisation de la microfinance La commercialisation de la microfinance a des implications tant sur la clientèle que sur les IMF 1- Les implications pour la clientèle Des études de terrain (Felloni et Seibel, 2003) ont montré que l’octroi de prêts de faibles montants a bénéficié aux pauvres, en termes d’amélioration des revenus, d’augmentation et de diversification des actifs, de lissage de la consommation, de réduction de la variation saisonnière des revenus, et donc de la consommation, et en terme de meilleures opportunités de gestion des risques (FIDA, 2002). Cela était vérifié pour tous les types d’IMF. Cependant, les recherches sur le terrain ont également montré que tant l’augmentation que la réduction d’échelle avait pour résultat une plus grande attention portée aux produits financiers et aux besoins des emprunteurs. Dans leur formulation originelle, les services du modèle Grameen comprenaient des prêts pour des entreprises avec une caution solidaire, un système d’assurance en cas de décès d’un membre de la famille et la collecte de l’épargne obligatoire (mais pas de l’épargne volontaire), qui ne sont pas considérés comme des produits séparés, mais comme partie prenante du système de garantie du prêt. Dans le cadre de cette étude, il a été observé que les banques rurales et les ONG commercialisées ont été capables d’introduire des produits innovants, qui incluaient : - Des produits d’épargne spécifiques, tels que des dépôts volontaires de groupes, des dépôts individuels et des comptes courants, en plus des dépôts obligatoires ; - Différents types de prêts, tels que des prêts pour le commerce, des prêts d’éducation, d’urgence, d’habitation, etc., avec différents termes ; 9 - L’opportunité pour les meilleurs clients de passer de prêts à des groupes à des prêts individuels, pour des investissements plus importants ; - La possibilité pour les clients de demeurer dans les groupes Grameen sans emprunter ; - Des services supplémentaires, non financiers, tels que la formation à la gestion de trésorerie, et des cartes de réduction valables dans les magasins locaux. Les deux premières catégories d’innovations font partie des enjeux qui ont été largement débattus dans la littérature sur la microfinance (Zeller et Meyer, 2002). Les populations pauvres sont capables d’épargner et accordent une grande valeur à la possibilité de recourir à des services d’épargne sûrs et pratiques. Elles peuvent rembourser et bénéficier de prêts modestes pour des buts non professionnels, tels que les cérémonies, l’éducation des enfants, ou d’autres besoins d’urgence. De tels services financiers peuvent aider les populations pauvres à gérer des chocs temporaires ou des problèmes de liquidité, et protègent le remboursement des prêts professionnels, plus élevés. Alors que les ONG et les coopératives n’offraient pas de services d’épargne volontaire et hésitaient à proposer des prêts à la consommation, les banques étaient moins prudentes et testaient des services financiers supplémentaires. L’opportunité d’accéder aux prêts individuels est importante pour les microentreprises qui ont un espace de développement futur, et pour le développement des petites entreprises en général. Ces entreprises à développement exponentiel sont plus l’exception que la règle : l’entreprise type dans le système Grameen -épiceries de villages, activités de commerce, petit élevage- saturent rapidement les marchés locaux, et les clients de Grameen essaient de se diversifier avec trois ou quatre micro-entreprises plutôt que de se concentrer sur l’expansion d’une seule. Cependant, dans les cas où une expansion majeure est possible, les prêts individuels sont nécessaires, car les membres d’un groupe de caution solidaire refuseraient de garantir des prêts aux montants trop élevés. L’option permettant de demeurer dans le système Grameen sans emprunter, mais seulement en déposant son épargne, a été consentie afin de contrôler le phénomène de départ des clients, problème typique du système Grameen. L’approche Grameen considère que les clients 6 voudront emprunter continuellement. L’expérience montre cependant qu’après quelques cycles de prêts, certains clients ne sont pas immédiatement intéressés par d’autres prêts. Même dans ces cas, les clients du système Grameen accordent de la valeur à l’épargne collective, et peuvent rester intéressés par l’accès à de futurs prêts. Dans la vision traditionnelle du système Grameen, les clients qui ne souhaitent pas renouveler leur prêt sont contraints à abandonner leur groupe, et à retirer leur épargne obligatoire. Mais les banques 10 rurales avaient conscience du risque de perte des clients, et leur ont permis de suspendre leurs emprunts. Finalement, les services non-financiers, tels que la formation à la comptabilité ou la gestion de trésorerie, les cartes de réduction dans les commerces locaux, ont été introduits comme des mesures permettant de promouvoir de bonnes relations avec les clients. Enfin, on peut légitimement se demander quelles seront les conséquences de cette évolution pour les bénéficiaires des services de microfinance. Ont-ils plutôt à gagner ou à perdre dans ce processus ? Quels effets sur l’impact et la portée des services, sur la réduction de la pauvreté et de l’exclusion ? Le risque est que seule une partie d’entre eux bénéficie de cette évolution. Les implications seront sans doute différentes selon que l’on considère une clientèle de micro-entrepreneurs aux activités viables ou une clientèle de ménages indigents. Le risque est que les plus démunis soient encore moins bien servis qu’avant. Mc Connell ( ) souligne qu’il y aura aussi sans doute des différences régionales, en raison des spécificités de chacune des trois régions Afrique, Asie et Amérique latine vis-à-vis du processus de commercialisation. Il note qu’en Afrique par exemple, le manque d’investisseurs privés ralentira probablement de façon considérable la progression de ce processus ; en Asie, du moins dans la plupart de ses régions, l’attitude prédominante est opposée au profit, tandis qu’en Amérique latine, l’accroissement de la concurrence dans le secteur de la microfinance conduira sans doute rapidement les IMF à prendre la question de la performance très au sérieux. Tout ceci montre bien les implications de la commercialisation sur les IMF et les changements sensibles qui l’accompagneront dans certains domaines. 2- Les implications sur les institutions de microfinance (IMF) Du point de vue des institutions de microfinance, le statut de banque formelle, grâce à la collecte de l’épargne, a considérablement augmenté les fonds disponibles pour les prêts. Selon les régulations sectorielles aux Philippines, les ONG peuvent uniquement mobiliser l’épargne obligatoire de leurs emprunteurs, mais pas l’épargne volontaire du grand public. De ce fait, pour financer leur expansion, les ONG sont lourdement dépendantes des bailleurs de fonds, étant donné que les emprunts commerciaux sont très chers et rendraient leurs gains insuffisants. Les banques et les ONG transformées en banques peuvent collecter l’épargne du grand public et sont donc en avance d’une étape sur la voie de l’autonomie, car moins dépendantes des bailleurs de fonds. Felloni et Seibel (2003) notent que les ONG philippines qui ont décidé de se transformer en banques ont du faire face à un certain nombre de coûts et de défis. Tout d’abord, la collecte de 11 l’épargne implique des coûts initiaux très importants, tels que la mise en place de bureaux et de guichets supplémentaires, ou l’adoption et le développement d’un système d’information et de gestion efficace. De plus, elles sont entrées en compétition avec les branches de certains réseaux bancaires plus importants et établis depuis longtemps. Enfin, l’un des principaux défis a été celui du changement culturel, étant donné que les banques fournissent des services « à but lucratif ». Mais par dessus tout, l’augmentation d’échelle des ONG aux Philippines semble avoir récolté des bénéfices nets en terme de rapidité d’expansion, d’amélioration du professionnalisme et de santé financière. Cette tendance à la commercialisation va imposer des changements sensibles notamment dans les domaines de la segmentation du marché, de la réglementation, de la propriété et de la concurrence. 2.1- Commercialisation de la microfinance et segmentation du marché La segmentation d’un marché est une démarche classique du marketing qui consiste à identifier au sein du marché d’un produit, des sous-ensembles homogènes ou segments correspondants à la diversité des acheteurs potentiels. Si les ONG restent sur ce marché, les institutions commerciales à but lucratif ne risquent-elles pas d’attirer à elles les segments de clientèle les plus rentables, les détournant des organisations à but non lucratif et affaiblissant ainsi la capacité de survie de ces organisations L’entrée des institutions financières réglementées sur ce créneau va accroître sans doute la segmentation de marché, éloignant les plus gros clients, donc les plus rentables, des IMF traditionnelles et augmentant le niveau de risque de leur clientèle restante. L’observation de la structure du marché avec la commercialisation de la microfinance montre que celui-ci est coupé plusieurs segments : - le secteur du microcrédit pour les petites activités génératrices de revenus (AGR) des petits emprunteurs individuels la clientèle pauvre accordé par les ONG ou par les IMF non commerciales c’est-à-dire les IMF de type 1 si l’on se réfère au règlement CEMAC5 de la microfinance ; - le segment de la mésofinance avec des crédits d’investissement à moyen terme destinés aux microentreprises et aux très petites entreprises (TPE) accordés par les banques, les IMF commerciales les IMF de la 2ème catégorie de la réglementation CEMAC par exemple ; 5 La réglementation CEMAC du secteur de la microfinance distingue trois types d’EMF : les EMF de type 1 qui ne peuvent collecter que l’épargne de leurs membres qu’ils emploient en opération de crédit, exclusivement au profit de ceux-ci ; celle du type II qui peuvent mobiliser l’épargne (du grand public) et accordent des crédits aux tiers, et les EMF de la troisième catégorie qui accordent des crédits aux tiers, sans exercer l’activité de collecte de l’épargne. 12 - le segment de la finance classique c’est-à-dire des crédits aux gros emprunteurs (PME) par les banques et quelques IMF commerciales financées par des fonds d’investissement par exemple et pour lesquels, une différenciation du produit et une approche commerciale particulière sont envisageables. - le segment de la finance informelle Avec la commercialisation de la microfinance, le marché du crédit risque de passer d’une situation de dualisme financier traditionnel -système financier formel et système financier informel- à une structure du marché plus segmenté avec le risque d’assister quelque peu à un délaissement des objectifs sociaux en raison de la concurrence sur le marché. Et cela d’autant plus qu’avec les considérations de profit se posera sans nul doute un problème de propriété ou même de droit de propriété dans la microfinance. 2.2- Commercialisation de la microfinance et droit de propriété Des analyses précédentes, il ressort que l’objectif de pérennité financières la microfinance constitue l’un des principaux fondements de la commercialisation de la microfinance. Or, qui dit pérennité financière, dit approche centrée sur la rentabilité et la recherche du profit. Dans la théorie économique, le profit peut être considéré comme la rémunération de la fonction d’entreprise ou de l’activité de l’entreprise. Ainsi, il est destiné soit à l’entreprise elle-même, soit à être distribué aux propriétaires de l’entreprise. Lorsque les IMF sont fortement subventionnées par les bailleurs de fonds ou alors bénéficient d’un montant de subsides consistant dans un objectif d’atteinte de d’inclusion sociale ou de performance sociale, ses initiateurs sont de manière générale, moins regardants quant au droit de propriété des fondateurs ou initiateurs. Dans un cadre commercial ou lucratif où la recherche de profit devient l’un des objectifs majeurs, il va de soi que les droits de propriété revêtent une importance ou prennent de l’importance dans la gouvernance de l’IMF. La théorie s’est constituée du moment où il est nécessaire de s’interroger sur l’effet des formes de propriétés (privée, publique, …) sur le fonctionnement de l’économie. D’après Furuboth et Pejovich (1972), qui ont formalisé les idées précurseurs de Alchian et Demsetz (1972), il y a une supériorité de cette propriété privée sur les autres formes de propriété dans la mesure où l’accroissement de l’efficacité collective passe par la maximisation de chaque utilité individuelle. Le droit de propriété sur un actif se définit à partir de trois attributs : le droit d’utiliser cet actif, le droit d’en tirer un profit/revenu et le droit de le céder de manière définitive à un tiers. Les principales formes de propriétés sont : la propriété privée, la 13 propriété communale, la propriété collective, la propriété mutuelle, la propriété publique et la propriété commune ou absence de propriété. Avec la commercialisation de la microfinance, quelle forme de propriétés permettrait-il la compatibilité commercialisation et inclusion sociale ? La théorie des droits de propriété pose trois problèmes : celui de la nature des relations entre membres d’une entreprise, celui de la nature et de la position des individus et des groupes de l’entreprise et celui de la délimitation des frontières de l’entreprise. La théorie des droits de propriété se présente au sens large de la propriété comme un une théorie des relations sociales et des institutions, les relations entre les biens étant une conséquence des relations entre choses. La fonction principale des droits de propriété privés est de fournir aux individus des incitations à créer, à conserver et à valoriser les actifs. Le concept des droits de propriété est lié à l’analyse des externalités et de coûts de transaction. Les Externalités car, les droits de propriété permettent d’avoir le pouvoir de tirer profit pour soi même ou pour d’autres, de léser soi même ou les autres. Ce qui implique que les droits de propriété ont pour fonction primordiale, l’internalisation des externalités (Demsetz ,1967). Les coûts de transaction proviennent du fait que les agents ne peuvent avoir qu’une information imparfaite sur les propriétés d’un bien et par conséquent, il est impossible de définir de manière complète les droits attachés à la détention d’un actif. Au total, le processus de transformation comme le choix de la forme institutionnelle requiert une bonne vision de la mission de l'institution, du mode de gouvernance associé, des ambitions de croissance à long terme et des moyens humains, technologiques et financiers nécessaires pour y parvenir. Au-delà du montage juridique et des aspects techniques, elle est un processus social d'apprentissage. Le risque majeur réside dans le fait de négliger la prise en compte de ces différents facteurs et les arbitrages complexes afférents sous le fait d'effet de mode ou d'effet d'aubaine suscités par une nouvelle manne financière. Conclusion Des analyses précédentes il ressort que la commercialisation de la microfinance trouve ses fondements dans les préoccupations de pérennité financière et de stabilité institutionnelle des IMF d’une part, et dans le constat de besoins encore non couverts par les IMF d’autre part. L’analyse de ces éléments montre la commercialisation, comme un processus de 14 pérennisation financière des IMF et de couverture des besoins à travers la stratégie de diversification des produits financiers et non financiers par les IMF et le développement de la mésofinance. Cette commercialisation de la microfinance a des implications aussi bien pour les la clientèle que les IMF. En particulier, elle suscite la concurrence qui se traduire par un délaissement de l’objectif pionnier d’inclusion sociale, exige des changements sensibles de la réglementation microfinancière, pose le problème de propriété voire de droit de propriété et augmente la segmentation du marché de crédit susceptible de compromettre les performances sociales des IMF. 15 Références bibliographiques ACPC (1995), An Evaluation of the Grameen Bank Replication Project in the Philippines, Manila (Philippines). Barlet K. (2000), ‘‘Microfinance et Commercialisation : de quoi parle t- on ?’’, BIM, n° 74, 13 juin Baydas M., Graham D. (1997), ‘‘Commercial Banks in Microfinance : New Actors in the Microfinance World’’, Microenterprise Best Practices,. Christen Robert P. (2001), “Commercialization and Mission Drift: The transformation of microfinance in Latin America”, CGAP Occasional Paper 5, Washington DC (USA). Drake D. and Rhyne E. 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