Telle est l'originaire radicalité de la Déclaration des Droits de l'Homme, radicalité qui faisait
frémir Burke et ultérieurement Taine : répudiation de toute Tradition, reconstruction purement
théorique ou a priori du Droit, soit " transformation de l'État, en partant du concept du droit ".
Succédant à des siècles d'" institution divine de la souveraineté " quasi indiscutée,
ce fut là " une immense découverte concernant ce qu'il y a de plus intérieur et la liberté ".
On interprétera cette découverte méthodologique antécédente à toute transformation politique,
comme une subordination de toute modification pratique à une mutation mentale ou spirituelle,
voire comme une substitution de la philosophie (raison) à l'expérience (historique).
" Une révolution silencieuse et secrète doit avoir précédé dans l'esprit de l'époque les révolutions qui se manifestent au grand jour."
Et la dite substitution fut proprement renversante, puisqu'il s'agissait non plus de partir du
monde tel qu'il est, pour proposer d'après lui des droits ou des idéaux jugés praticables mais
au contraire de promulguer ou prescrire a priori des Droits ou des Idéaux auxquels "la réalité"
devrait volens nolens se plier et donc d'obliger " l'homme [à] se placer la tête en bas ".
Ce que Platon avait posé dans La République comme simple hypothèse heuristique ou
comme principe idéal, valable pour une cité elle-même idéale, "État de beauté (Callipolis)"
,
le gouvernement des philosophes, devient en 1789 la norme du droit positif lui-même.
" La conscience du spirituel constitue désormais essentiellement le fondement et le pouvoir est passé ainsi à la philosophie.
On a dit que la Révolution française est sortie de la philosophie, et ce n'est pas sans raison que l'on a appelé la
philosophie sagesse universelle car elle n'est pas seulement la vérité en soi, en tant que pure essence, mais aussi
la vérité en tant qu'elle devient vivante dans le monde réel. Il ne faut donc pas s'élever là contre quand on dit que
la Révolution française a reçu sa première impulsion de la philosophie."
Kant avait également noté le caractère philosophique ou systématique de l'œuvre de
la Constituante et ce dans le fréquent usage que celle-ci avait fait " du terme d'organisation "
dans la rédaction de ce qui allait devenir la Constitution de 1791.
Mais plus encore que dans son Préambule ou dans ses conséquences, c'est dans le détail
même de son écriture qu'éclate au grand jour l'essence philosophique ou radicale de la
Déclaration des Droits de l'Homme, et ce tout d'abord dans la forme universaliste des énoncés
de ses premiers articles. C'est à l'Humanité tout entière –" les hommes [en général] " (art. 1er),
" Le but de toute association politique " (art. 2), " Le principe de toute souveraineté " (art. 3 ;
nous soulignons)- qu'entendent en effet s'adresser " les représentants du peuple français ",
s'octroyant un privilège, semble-t-il exorbitant, mais bien dans la nature de l'esprit français :
"Du Discours de la Méthode qui est comme la déclaration des droits de la raison, à la
Déclaration des Droits de l'Homme qui est un peu l'application politique du cartésianisme,
l'esprit français légifère dans l'universel" (R. Grousset
).
On retrouve la même radicalité dans le contenu des articles que l'on peut au demeurant
résumer à la devise Liberté et Égalité, telle qu'elle ressort du 1er article de la Déclaration :
"les hommes naissent libres et égaux en droits". Or celle-ci n'est somme toute que
l'explicitation du Droit idéal ou « naturel » qui renvoie nécessairement, fût-ce implicitement,
à un Accord ou Contrat et donc à la Liberté (et) Égalité, par opposition à la contrainte et inégalité,
constitutives elles des ou inhérentes aux droits existants ou positifs –" Dans le fait, les lois
sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n'ont rien ;" (Rousseau
)-
dont les Révolutionnaires contestent ainsi la légitimité ou le bien fondé.
" Le but de la société même est politique, celui de l'État (cf. Droits de l'Homme et du Citoyen, 1791), à savoir maintenir
les droits naturels, or le droit naturel, c'est la liberté et la détermination subséquente en est l'égalité des droits devant la loi."
Ph.D. § 258 R. ; Ph.H. pp. 341-342, 339 et Fragments de la période de Berne p. 96
op. cit. V. 472 e et VII. 527 c
C.F.J. § 65 note I.
Mesure de la Civilisation in Bilan de l'Histoire p. 58 (Paris 1946)
Contrat social I. 9. note