- 1 - Le 17 mars 2005 André Orléan Croyances et représentations

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Le 17 mars 2005
André Orléan
Croyances et représentations collectives en économie
Projet pour une direction d’études cumulante à l’EHESS
Le programme de cette direction d’études a pour objet de recherche les
représentations collectives et le rôle qu’elles jouent dans la construction et la stabilisation de
l’ordre marchand. Pour le dire schématiquement, il s’agit de faire valoir une analyse qui, loin
de considérer l’échange marchand comme un « lien extérieur1 » ne mettant que
superficiellement en contact les protagonistes, insiste sur la part importante de mise en
commun et d’interpénétration préalable des consciences qu’il suppose pour être mené à bien.
Là où l’analyse traditionnelle insiste sur le rôle structurant de la concurrence entre individus
anonymes et séparés, ce programme met l’accent sur l’efficacité des repères partagés dans
l’obtention d’une coordination réussie. Autrement dit, dans la lignée d’Emile Durkheim qui
soutenait que « tout n’est pas contractuel dans le contrat », il défend l’idée que l’ordre
marchand n’est pas uniquement constitué de marchés. Ce projet d’enseignement et de
recherche s’articule en trois directions principales : 1. Croyances et opinions sur les marchés
financiers ; 2. Économie Cognitive ; 3. Monnaie.
La première direction est consacrée à l’étude des marchés financiers, au premier rang
desquels les marchés d’actions. Ce domaine est important pour notre projet dans la mesure où
les phénomènes de croyance et d’influence y pèsent d’un grand poids. Il s’agit alors
d’analyser les interactions cognitives entre investisseurs et la manière dont elles conduisent à
des représentations partagées, ce que nous nommerons des conventions financières. Si nous
lui avons déjà consacré de nombreux travaux, c’est là un domaine que notre projet continuera
à approfondir, à la fois théoriquement et empiriquement. Dans la deuxième direction, nous
montrons qu’il est capital que ce projet soit partie prenante des recherches que développe
l’économie cognitive. En effet, cette dernière, parce qu’elle se donne pour but la
compréhension des phénomènes cognitifs, individuels et collectifs, livre des outils formels
intéressants pour qui cherche à rendre intelligibles la propagation des croyances comme
l’émergence des représentations conventionnelles, au-delà du seul domaine financier. Enfin,
la troisième direction introduit à un nouvel objet de réflexion, la monnaie, qui pose avec une
acuité extrême la question des représentations collectives. Notre projet propose d’en analyser
la spécificité à l’occasion d’une étude de cas consacrée à l’hyperinflation allemande (19141923).
L’articulation de ces trois directions de recherche trouve son dynamisme dans la
tension interne qu’elle construit entre, d’une part, des outils formels marqués fortement par la
méthodologie individualiste qui a servi de cadre à leur conception et, d’autre part, des réalités
qui, par leur nature même, semblent échapper à ce cadre. En effet, l’accent mis sur les
représentations conventionnelles nous conduit à introduire conjointement les dimensions
cognitive, collective et normative au sein d’un appareil conceptuel qui privilégie d’ordinaire
le naturel, l’individuel et l’instrumental. En son extrême développement, cette perspective ne
1
Emile Durkheim, De la division du travail social, Paris, Presses Universitaires de France, 1978 [1893], page
181.
-1-
peut manquer de rencontrer la question de la totalité envisagée, non pas comme une somme
d’individus, mais en tant que porteuse d’une identité spécifique, inscrite dans une hiérarchie
de valeurs. Avant d’aborder la présentation de ces trois directions, il n’est peut-être pas tout à
fait hors de propos de mentionner que cette même tension se retrouve dans un cheminement
personnel qui, partant de l’École Polytechnique et du corps des Administrateurs de l’INSEE,
nous conduit aujourd’hui à nous présenter à l’EHESS.
1. Croyances et opinions sur les marchés financiers
Á l’opposé du classique modèle fondamentaliste qui pense le prix d’un titre boursier
comme reflétant une valeur objective sous-jacente, dite « valeur fondamentale », tout notre
effort de recherche a consisté à mettre en avant le rôle essentiel que jouent les phénomènes
d’influence et d’opinion dans la détermination des cours boursiers. Il s’ensuit une conception
renouvelée des marchés financiers, pensés non pas comme reflétant passivement des valeurs
préexistantes, mais comme de véritables structures cognitives ayant pour finalité de produire
et de sélectionner des conjectures sur l’avenir qui serviront de référence aux choix
d’investissement de l’économie productive. Cette conception est l’aboutissement de divers
travaux personnels dont nous rappelons certains des résultats.
Abandon de l’hypothèse d’objectivité de la valeur fondamentale
Selon nous, l’idée même d’une valeur fondamentale objective, définissable ex ante,
doit être rejetée [13]. Rappelons que la valeur fondamentale d’une action a pour origine le
flux des dividendes futurs que cette action procurera à son détenteur. Elle se veut une mesure
de la profitabilité à venir de l’entreprise émettrice de l’action. Or, ces dividendes futurs ne
peuvent faire l’objet d’une estimation objective que dans le cadre d’hypothèses sur l’avenir
extrêmement restrictives et sans rapport avec la nature radicalement incertaine du monde
économique réel. En conséquence, conformément aux idées avancées par Keynes en son
temps, il faut penser l’évaluation de la valeur fondamentale comme ayant essentiellement la
dimension d’une opinion. Elle est d’une nature irréductiblement subjective. Estimer la valeur
fondamentale conduit, en conséquence, à un ensemble très vaste d’opinions divergentes dont
aucune ne peut se prévaloir d’une légitimité supérieure.
Efficience informationnelle et efficience technique
Un marché financier est dit « informationnellement efficient » si le prix qui s’y forme
est un bon estimateur de la valeur fondamentale. Dès lors que nous nions la possibilité de
définir une estimation juste de la valeur fondamentale, cette notion perd son sens. Il n’est plus
possible de dire que le prix observé constitue une « bonne estimation » de la valeur
fondamentale puisqu’une telle « bonne estimation » ne peut être définie sans ambiguïté. Pour
autant, nous ne nions pas que le marché puisse être un « jeu équitable ». De même, la
propriété d’absence d’opportunité d’arbitrage n’est pas contestée. Dans l’introduction à [4],
nous avons proposé le terme spécifique d’efficience technique pour désigner ces propriétés
afin d’éviter toute confusion avec la définition précédente.
Autoréférentialité
Dès lors que l’hypothèse d’une évaluation objective disparaît, le rôle de la Bourse se
transforme. Elle n’a plus pour tâche de refléter cette évaluation mais de produire un prix de
référence à partir de l’ensemble hétérogène des opinions privées. Le processus qui permet
cette transformation n’est en rien un processus classique d’agrégation pondérée des opinions
privées. Il s’agit d’un processus « autoréférentiel » [2]. L’idée de base se trouve dans l’œuvre
de Keynes qui observait que, sur un marché financier, on fait des profits lorsqu’on parvient à
anticiper correctement la manière dont évoluera l’opinion du marché. Face à une information
-2-
nouvelle rendue publique, il s’agit pour chacun, non pas d’analyser les effets de cette
information sur la valeur fondamentale, mais de prévoir comment le marché va réagir. Si l’on
anticipe une hausse, on achète le titre ; dans le cas contraire, on vend. Contrairement au
modèle fondamentaliste, cette analyse nous dit que les regards des agents ne sont pas tournés
vers l’économie réelle, mais vers les anticipations des autres intervenants. Il s’ensuit une
structure singulière qui diffère du modèle fondamentaliste en ce qu’elle pose comme norme,
non pas une réalité objective extérieure au marché, mais une variable endogène, en
l’occurrence l’opinion du marché. Cette structure peut être dite également « spéculaire »
puisque, comme dans un jeu de miroirs mis en abyme, chacun cherche à percer la pensée des
autres intervenants, autres intervenants qui eux-mêmes se livrent à la même tâche.
Interactions cognitives et mimétisme
L’analyse théorique de ce processus autoréférentiel d’interactions cognitives entre
investisseurs est d’une grande complexité. Pour l’analyser, nous avons avancé l’hypothèse du
mimétisme à une époque, le début des années 80, où cette idée était, sinon rejetée, du moins
totalement absente de la théorie financière ([3], [78]). Certes, on trouvait dans la littérature
économique consacrée à l’histoire financière des références aux phénomènes d’influence
réciproque2 mais ceux-ci ne faisaient pas l’objet d’une modélisation adéquate. Une des raisons
de ce désintérêt était l’identification du mimétisme et de l’irrationalité. Une partie importante
de notre recherche a consisté à montrer que l’imitation pouvait être un comportement
rationnel [78]. Pour avancer dans son analyse, il nous a paru important de distinguer trois
formes de mimétisme ([32]) : le mimétisme informationnel, le mimétisme autoréférentiel et le
mimétisme normatif. Il est impératif de ne pas les confondre car chacune de ces imitations a
ses caractéristiques propres.
Propriétés des dynamiques mimétiques
Nous avons consacré à la modélisation de ces dynamiques d’interaction collective de
nombreux travaux, explorant des formalismes aussi divers que les processus de Polya
généralisés [69], différents processus de diffusion dérivés du modèle d’Ising en champ moyen
([34], [35]), y compris avec apprentissage bayésien ([49], [65]), ou les systèmes dynamiques
non linéaires [42]. Une partie significative de ces modèles est centrée sur l’analyse du
mimétisme informationnel. Nous entendons par mimétisme informationnel cette imitation
particulière qui consiste pour un individu à en copier un autre parce qu’il lui prête une
meilleure connaissance de la situation. Autrement dit, on imite les autres parce qu’on les
suppose mieux informés. C’est là un comportement parfaitement rationnel : l’action est imitée
parce qu’elle est perçue comme adéquate. Le résultat original obtenu, dans le cadre de cette
modélisation, a consisté à démontrer mathématiquement que l'imitation est ambivalente [35] :
il est rationnel d'imiter l'opinion collective pour autant que le nombre d'imitateurs au sein du
groupe est faible ; cependant, dès lors que le groupe est essentiellement composé d'imitateurs,
l'imitation devient contre-productive et conduit à des phénomènes de bulles. Ce résultat nous
a conduit à une réinterprétation du célèbre paradoxe de Grossman-Stiglitz sur l'inefficacité
informationnelle des prix financiers [38].
Volatilité excessive, auto-validation des croyances et convention
Appliquées aux marchés financiers, ces analyses proposent une conception de la
finance de marché aux propriétés fort éloignées de celles du modèle fondamentaliste ([2],
[18], [22]). Loin du calculateur isolé cherchant à estimer au plus juste la valeur des
entreprises, l’investisseur y apparaît comme un être perpétuellement à l’écoute du marché
2
Nous pensons surtout au livre essentiel de Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes. A History of
Financial Crises, Londres et Basingstoke, The Macmillan Press, 1978.
-3-
pour en deviner les évolutions futures. En conséquence, l’analyse autoréférentielle décrit une
communauté financière active et anxieuse, interrogeant toutes les hypothèses et toutes les
rumeurs, pour déterminer celles susceptibles d’obtenir l’assentiment du marché. Ce processus
d’exploration dégénère fréquemment en polarisations mimétiques sporadiques lorsque tel ou
tel événement est sélectionné simultanément par un grand nombre d’acteurs en raison de sa
saillance supposée, et cela indépendamment de son contenu informationnel réel. Il s’ensuit de
fortes et soudaines variations de prix, sans rapport avec les fondamentaux. Ce mécanisme
cognitif peut engendrer des aléas d’une forme très éloignée de l’hypothèse gaussienne.
Cependant, ce même processus d’exploration mimétique des hypothèses peut se
stabiliser durablement lorsqu’une interprétation finit par recueillir l’adhésion généralisée du
marché. Dans ces conditions, émerge un modèle d’évaluation reconnu par tous comme
légitime, ce qu’on appellera une convention. C’est de cette façon que le groupe autoréférentiel
surmonte provisoirement son déficit de référence objective : tant que la convention est
acceptée, la dynamique spéculaire est notablement simplifiée puisque alors, pour prévoir ce
que les autres vont faire, il suffit de se reporter à ce que la convention prévoit. Par le jeu de
l’autovalidation des croyances, il s’ensuit une relative stabilité de la convention qui devient,
pour les agents, comme une seconde nature.
Efficacité économique des conventions
L’analyse conventionnelle parce qu’elle introduit l’arbitraire des représentations
collectives en économie apparaît aux yeux de nombreux économistes comme devant être
rejetée. Cette appréciation néglige le fait que si, en effet, ex ante, de nombreuses conventions
sont possibles, ex post, les investisseurs peuvent juger si les prévisions conventionnelles se
sont révélées exactes ou non. Pour qu’une convention perdure, il importe que les faits
constatés ne démentent pas les prévisions. C’est là une contrainte qui limite grandement
l’arbitraire des conventions : l’interprétation du futur que met en avant la convention doit
trouver dans les évolutions économiques constatées, sinon une pleine vérification, au moins
une absence de contradiction. On l’a bien vu pour la bulle Internet qui s’est effondrée lorsque
l’efficacité, tant financière que technique, des firmes de la nouvelle économie s’est montrée
bien moins bonne que prévue. Il est, cependant, vrai que la falsification n’est en rien
automatique : une accumulation importante d’anomalies est parfois nécessaire avant que la
convention soit abandonnée. Ce fut le cas de la « convention Internet ». On l’a également
constaté pour la « convention Miracle Asiatique » [2]. Il a fallu, durant tout le premier
semestre 1997, une série persistante de mauvaises nouvelles en Thaïlande et Corée (déficit
commercial, faillites retentissantes, montée des créances douteuses) pour que les investisseurs
finissent pas ne plus croire au « Miracle Asiatique ». Ces observations sur l’arbitraire relatif
des conventions et sur le rôle des anomalies dessinent un concept de convention proche du
concept de paradigme développé par Thomas Kuhn [2].
Cette conception autoréférentielle de la finance qui trouve son origine dans l’œuvre de
Keynes fait l’objet de nombreuses discussions. Dans [18], nous avons montré de quelle
manière elle s’intégrait aux débats actuels opposant les partisans de l’efficience à la toute
jeune « finance comportementaliste ». Il faut peut-être voir dans notre nomination au Conseil
Scientifique de la Commission des Opérations de Bourse (COB) et notre reconduction à celui
qu’a constitué l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), le signe que les autorités de tutelle
des marchés financiers français ne rejettent pas totalement ces analyses.
2. Économie cognitive
Á l’évidence, l’impact des représentations collectives ne s’arrête pas aux seuls
marchés financiers même si ceux-ci nous en fournissent une illustration exemplaire. Les
-4-
conventions salariales, les conventions de qualité ou les standards techniques sont autant
d’exemples de phénomènes de cette nature. L’économie cognitive3 dont l’objet est d’étudier
les phénomènes cognitifs, individuels ou collectifs, a développé un intéressant appareil formel
permettant d’étudier ces processus dans toute leur généralité, au-delà du seul domaine
financier. C’est là un apport important qu’il conviendra de continuer à développer dans le
cadre de notre projet. Deux axes peuvent être privilégiés : l’approche évolutionniste des
conventions et l’analyse des croyances collectives. Les deux livres collectifs [5] et [7] dont
j’ai assuré la co-direction visent précisément à présenter ces outils de modélisation et à en
montrer l’intérêt. Ils ont fait l’objet d’enseignements à l’École Polytechnique, à l’ENSAE et,
plus récemment, dans le cadre du nouveau Master de Sciences Cognitives. Un enseignement
de ce type pourrait être proposé dans le cadre de notre direction d’études.
L’approche évolutionniste des conventions et ses limites
En recourant à cette branche particulière de l’économie cognitive qu’est la théorie des
jeux évolutionnistes (TJE), les économistes Robert Sugden et Peyton Young ont proposé une
approche originale des conventions. En nous situant dans ce même cadre théorique, nous
avons proposé une explication de l’échec initial de la convention salariale des $5 par jour
proposée par Henry Ford en janvier 1994 [61]. Cette même théorie nous a permis d’aborder la
question difficile des changements de convention. Nous avons montré le rôle essentiel que
joue l’hypothèse de « spatialisation » des interactions pour comprendre comment une
convention peut être remplacée par une convention plus efficace [57]. Nous avons démontré
que l’existence de liens sociaux définissant des « proximités », ce que l’on appelle d’ordinaire
un réseau, peut aider à la diffusion des innovations conventionnelles. En effet, dans le cadre
d’interactions parfaitement anonymes et aléatoires, les individus innovants sont perdus dans la
masse de telle sorte que l’efficacité de leur schéma de coordination ne peut pas se révéler.
Lorsque les interactions se font avec les voisins, il en est tout autrement : un petit groupe
d’individus proches, ayant opté pour une convention supérieure, obtiendra des meilleurs
résultats que le reste de la population du fait qu’ils interagiront les uns avec les autres. Ce
résultat permet de comprendre le rôle que jouent des groupes partiellement « fermés » dans la
propagation des innovations conventionnelles.
Cependant, malgré ces résultats intéressants, les approches évolutionnistes ont
d’importantes limites du fait qu’elles ignorent la dimension normative des conventions. C’est
là une critique que nous avons présentée dans [39]. Pour remédier à cette déficience, nous
avons proposé un nouveau concept, celui de « convention légitimée », qui mobilise les
réflexions que Max Weber a consacrées à la légitimité [21]. La prise en considération de la
légitimité transforme en profondeur notre compréhension de la stabilité des conventions : le
fait qu’une conduite soit considérée comme légitime a pour conséquence de rendre son rejet
plus difficile dans la mesure où ne pas se conformer à cette conduite fait courir un risque de
reproche ou de désapprobation de la part du groupe comme de sa propre conscience. Comme
l’écrit Weber : « l’ordre que l’on respecte uniquement pour des motifs rationnels en finalité
est incomparablement moins stable que celui qui s’affirme grâce au prestige de l’exemplarité
et de l’obligation, je veux dire de la légitimité4 ». En conséquence, la présence des sanctions
sociales, explicites ou muettes, peut faire en sorte que se perpétuent des comportements qui, si
l'on se plaçait du strict point de vue des utilités traditionnelles, devraient être abandonnés par
les acteurs.
3
En décembre 1993, le Rapport sur les liens entre Sciences Cognitives et Sciences Économiques et de Gestion
que la Commission 37 du CNRS avait commandé à Bertrand Munier et à moi-même, a fait connaître cette
approche nouvelle à l’ensemble de la communauté des économistes et des gestionnaires [113].
4
Weber Max, Economie et société /1- Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, Collection « Agora. Les
classiques », 1995, page 65.
-5-
L’autonomie des croyances collectives
Dans [23], nous nous sommes intéressés aux différentes définitions possibles de la
croyance collective : quel sens donné à la proposition « le groupe G croit P » ? L’idée la plus
simple correspond à ce que les théoriciens des jeux appellent la croyance partagée : lorsqu’on
dit que « le groupe G croit P », il s’agit d’une manière condensée de dire que « la majorité des
membres de ce groupe croit P ». Pour qui adhère à cette définition intuitive, la croyance du
groupe est le reflet direct des croyances individuelles. En conséquence, il ne saurait y avoir
une quelconque autonomie de la croyance collective par rapport aux croyances individuelles.
L’approche autoréférentielle des marchés financiers nous a conduit à proposer une définition
originale de la croyance collective : la croyance collective d’un groupe y est défini comme ce
que la majorité des membres du groupe pense être la croyance du groupe. Autrement dit, pour
un individu i, déterminer ce que le groupe G croit revient alors à s’interroger sur la manière
dont les autres membres du groupe envisagent cette même question. Cette définition est très
différente de la définition intuitive présentée précédemment. Dans [23], nous avons analysé
les propriétés de cette forme de croyance collective et démontré trois propriétés.
Premièrement, la notion de saillance ou de point focal introduite par Schelling correspond à
cette nouvelle définition. Deuxièmement, la croyance du groupe ainsi définie est étroitement
dépendante du contexte culturel et historique définissant l’identité du groupe considéré.
Troisièmement, et c’est là notre résultat central, la croyance du groupe ainsi définie est
déconnectée de ce que les individus croient réellement. C’est là un résultat étonnant. Tous les
individus peuvent croire P et, simultanément, croire que le groupe croit Q, et cela sans
contradiction logique. On parle alors d’une autonomie de la croyance collective vis-à-vis des
croyances personnelles. C’est cette situation qu’on retrouve sur les marchés financiers. Elle
permet de penser des configurations insolites dans lesquelles, par exemple, tous les
participants vendent une monnaie alors même qu’ils la considèrent tous comme sous-évaluée
au regard de leur opinion privée, et cela sans avoir besoin d’invoquer une quelconque
irrationalité des investisseurs.
Á l’issue de cet ensemble de travaux, on possède un cadre général d’analyse, testé sur
les faits financiers, qui laisse toute sa place aux croyances et aux représentations collectives.
Notre projet d’enseignement et de recherche se propose de l’approfondir conformément aux
deux axes mentionnés. Cette analyse participe de ce que nous avons nommé « Le tournant
cognitif en économie » [28], à savoir un ensemble de recherches économiques actuelles qui, à
la manière de la théorie des « bulles rationnelles » ou des « équilibres de taches solaires »,
convergent pour montrer l’impact des croyances sur les phénomènes réels. La spécificité de
nos propres travaux est d’insister sur la dimension collective et normative des représentations.
Cette analyse rencontre naturellement les travaux que, de longue date, les sciences sociales
ont consacrés à cet objet, par exemple les réflexions qu’a menées la sociologie sur l’action et
la délibération collective. Cette alliance entre disciplines joue un rôle central dans le courant
dit de « l’économie des conventions » qui réunit économistes et sociologues. C’est là une
direction que notre projet se propose encore d’approfondir. Autant l’économiste est à l’aise
dans la sphère quantitative, autant son analyse des représentations n’en est qu’à ses débuts.
Par exemple, lorsqu’on cherche à écrire une histoire des conventions financières, on se heurte
à cette difficulté que les représentations ne sont pas « stockées » à la manière des prix dont on
retrouve l’historique aisément dans des banques de données. Nous espérons que notre
direction d’études pourra contribuer à une sensibilisation de l’économie à ces problèmes. Á
nouveau, la question de l’enseignement est ici centrale en tant qu’il s’agit d’influer sur la
formation des jeunes chercheurs
-6-
3. La monnaie
Le cadre théorique
Á l’opposé des nombreuses approches économiques qui ne voient dans la monnaie
qu’un instrument ayant pour fonction principale de faciliter les échanges, nous défendons la
thèse selon laquelle la monnaie est, dans l’ordre marchand, le rapport social premier. Il est le
lien institutionnel primordial qui met en relation les producteurs-échangistes les uns avec les
autres et qui, par ce fait même, rend les échanges possibles. Aussi la monnaie n’est-elle pas
une institution marchande parmi d’autres : elle est l’institution fondatrice. Cette thèse est au
cœur de La violence de la monnaie [3] : les rivalités acquisitives provoquées par la séparation
marchande n’y sont pacifiées qu’au travers de l’élection d’un signe reconnu par tous comme
forme légitime de la richesse. C’est alors l’adhésion unanime à ce signe qui constitue le
groupe marchand en une société stable et qui permet les transactions. Dans cette perspective,
la monnaie est ce que les sociétaires doivent préalablement avoir en commun pour pouvoir
entrer en relation et se comprendre. L’intuition girardienne qui est ici mobilisée pour penser
l’élection monétaire reproduit la logique hobbesienne qui fait de l’émergence du souverain la
condition sine qua non pour que cesse la guerre de tous contre tous. En ayant à l’esprit ce
modèle, on pourrait dire que la monnaie tient, dans l’ordre marchand, le rôle du souverain.
Dans cette perspective, à contre courant de la majorité des approches en économie, le
prix monétaire n’est pas perçu comme un voile, comme une réalité seconde qu’il s’agirait
d’écarter pour rendre visible la véritable force agissante, à savoir le principe de valeur. Dans
un geste identique à celui qui nous a fait repousser la valeur fondamentale en matière
financière comme principe d’intelligibilité pour lui substituer une analyse qui met au premier
plan le mouvement des opinions et leur capacité à produire des conventions légitimes
d’évaluation, notre théorie monétaire rejette l’hypothèse de valeur et fait du rapport à la
monnaie le fondement unique du prix. En conséquence, c’est la dépendance universelle de
tous les acteurs marchands à l’égard de la monnaie qui constitue le fait théoriquement
essentiel, celui qui demande à être compris. C’est de ce fait central qu’il convient de faire
dériver les fonctions de la monnaie (unité de compte, moyen de transaction, moyen de
réserve), et non l’inverse. Il s’ensuit une démarche très différente de celle retenue
traditionnellement : notre conception a pour signe distinctif de chercher à saisir la réalité de la
monnaie, non pas dans la classique énumération de ses fonctions, mais dans sa capacité à
recueillir l’assentiment généralisé du groupe social et à l’exprimer de manière objectivée.
L’accent mis sur cette capacité de la monnaie à faire unanimité et, ce faisant, à construire la
communauté marchande en lui procurant son unité et son identité, se révèle pleinement dans
des formules comme « la monnaie, expression de la société comme totalité » ou encore « la
monnaie, opérateur de totalisation ». Autrement dit, la monnaie est, dans l’ordre marchand, ce
par quoi la société est rendue présente et s’impose à tous les individus sous la forme
objectivée du tiers médiateur. C’est ce que montre Simmel : « (Dans l'achat monétaire), il
intervient entre les deux parties une tierce instance : l'ensemble du corps social qui pour cet
argent met à disposition une valeur réelle correspondante5 ». Au fondement de la médiation
monétaire et des formes institutionnelles spécifiques qui la caractérisent, il faut donc
reconnaître l’autorité de la société et des valeurs qu’elle promeut. Pour cette raison, la
monnaie a une nature fondamentalement holiste.
Bien que minoritaire en sciences sociales et, tout particulièrement, en économie, cette
conception de la monnaie n’est pas sans précédent. Elle appartient à une tradition ancienne
qu’illustrent les noms de Marcel Mauss, François Simiand et Georg Simmel. L’accent mis sur
la confiance est sa marque de fabrique caractéristique en tant qu’elle donne à voir un
5
Simmel Georg, Philosophie de l’argent, Paris, PUF, 1987 [1ère édition 1900], page 195.
-7-
mouvement généralisé d’adhésion excédant de beaucoup le seul exercice de la rationalité
instrumentale. Ainsi Simiand soutient-il que « toute monnaie est fiduciaire6 » en ce qu’elle est
le produit d’une « croyance et d’une foi sociale7 ». Mauss insiste sur « l’importance de la
notion d’attente8 ». Cette conception si elle est négligée par l’économie contemporaine
continue à inspirer largement la réflexion anthropologique moderne9.
Dès le début des années quatre vingt dix, sur la base des réflexions proposées dans La
violence de la monnaie, il nous est apparu que cette conception de la monnaie ne pouvait être
développée pleinement que dans le cadre d’une collaboration étroite entre anthropologues,
historiens et économistes. C’est ainsi qu’est né, en 1993, le séminaire « Légitimité de la
monnaie » constitué d’anthropologues, d’économistes et d’historiens. Ce fut l’occasion de
mes premiers contacts avec l’EHESS. On a déjà noté, dans la section précédente, l’importance
que revêt à nos yeux l’expertise des autres sciences sociales pour ce qui est de l’analyse des
croyances. Si, maintenant, on considère plus spécifiquement l’approche de la monnaie que
nous défendons, construite autour de concepts étrangers à la tradition économique, comme
peuvent l’être les notions de totalité, de légitimité et de souveraineté, ce dialogue entre
l’économie et les « sciences historiques10 » s’impose comme une nécessité absolue. Pour le
dire schématiquement, la légitimité d’une monnaie au sein d’une communauté d’échangistes
fait nécessairement appel à des modalités de représentation et de socialisation que la seule
rationalité économique ne peut que saisir partiellement parce qu’elle mobilise des pratiques et
des croyances d’un autre ordre : elle suppose la constitution d’une extériorité où s’exprime la
communauté comme totalité, comme ensemble hiérarchisé de valeurs. Or l’élucidation de ces
processus est ce qui constitue le travail même des sciences historiques. Sauf à vouloir se
contenter de formules creuses, l’appui de ces travaux nous est apparu comme incontournable.
Il s’en est suivi un travail collectif dont le succès a été bien au-delà de mes espérances. On en
trouve la trace écrite dans les deux livres collectifs [8] et [9] dont les résultats sont résumés
dans [40] et [51]. L’idée de la monnaie comme expression de la société comme totalité y
trouve des arguments puissants, en particulier dans l’étude que Daniel de Coppet a consacrée
à la monnaie des Aré’aré et dans celle qu’a proposée Jean Andreau à propos du census
romain11.
Sur la base de ces premiers succès, le groupe a décidé de continuer sa réflexion
collective, mais sous l’angle des crises monétaires. Un très gros livre (27 chapitres) sortira fin
2005. Ce fut l’occasion d’un élargissement important du côté des historiens. On notera la forte
présence des chercheurs de l’EHESS au sein de ce groupe de recherche. Á nos yeux, cette
présence ne relève en rien du hasard : l’EHESS s’impose comme le lieu privilégié où une telle
entreprise de dialogue entre disciplines peut être menée à bien parce qu’on y trouve à la fois la
compétence et l’intérêt. Cette collaboration entre disciplines constitue l’un des axes centraux
du présent projet. Soulignons qu’elle ne se limite en aucun cas au groupe « Monnaie » mais
caractérise l’ensemble de notre direction d’études. Son expression la plus achevée est
6
Simiand François, « La monnaie réalité sociale », Les Annales sociologiques, série D, fascicule 1, 1934, page
46.
7
Ibid., page 39.
8
Mauss Marcel, « Débat sur les fonctions sociales de la monnaie » in Œuvres, tome 2 « Représentations
collectives et diversité des civilisations », Paris, Éditions de minuit, 1974, 116-120 [1934], page 117.
9
Voir Barraud Cécile, de Coppet Daniel, Itéanu André et Raymond Jamous, « Des relations et des morts. Quatre
sociétés vues sous l’angle des échanges », in Galey, Jean-Claude (éd.) Différences, valeurs, hiérarchie. Textes
offerts à Louis Dumont, Paris, Éditions de l’EHESS, 1984, page 459.
10
Au sens que lui donne Jean-Claude Passeron, à savoir l’ensemble des trois disciplines suivantes :
l’anthropologie, l’histoire et la sociologie. Voir dans Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du
raisonnement naturel, Paris, Nathan, coll. « Essais & Recherches 1991, page 357.
11
Jean Andreau, « Cens, évaluation et monnaie dans l’Antiquité romaine » et Daniel de Coppet, « Une monnaie
pour une communauté mélanésienne comparé à la nôtre pour l’individu des sociétés européennes ».
-8-
certainement à trouver dans notre participation depuis 1994 au Comité de Direction des
Annales. Nous y expérimentons une incitation constante à réfléchir sur les liens entre histoire
et sciences sociales. Signalons également, dans cette même perspective, notre participation au
séminaire « La partie et le tout » dont la réflexion collective porte sur le concept de totalité tel
que l’a proposé Louis Dumont. Par ailleurs, comme on l’aura déjà noté, rappelons que ce
dialogue entre disciplines ne se limite pas aux sciences sociales, les mathématiques y jouent
également un grand rôle.
L’hyperinflation allemande (1914-1923).
En relation étroite avec ces groupes de travail, notre projet propose une recherche
portant sur l’hyperinflation allemande des années vingt, thème que nous avions déjà abordé
dans notre thèse et repris dans [3]. Le choix de cette période trouve sa justification dans le
caractère exceptionnel, pour ne pas dire unique, du phénomène : la destruction totale de la
monnaie d’un pays fortement développé en temps de paix. Cette situation constitue un terrain
d’observation sans équivalent. Dans le mouvement même de sa crise poussée à son acmé,
l’ordre monétaire y révèle, avec une acuité rare, ses enjeux les plus fondamentaux. L’axe
directeur de cette recherche consiste à penser le processus de perte de confiance dans la
monnaie, dont l’expression immédiate est la hausse vertigineuse des prix, comme l’expression
d’un processus global de perte des repères communs, économiques, politiques, sociaux et
culturels. C’est alors l’imbrication de ces logiques qu’il convient d’analyser. Cela a été
souligné par de nombreux historiens qui parlent alors d’un « phénomène historique total ».
Un aspect de cet épisode historique retiendra plus particulièrement notre attention, à
savoir l’institutionnalisation réussie d’une nouvelle monnaie, le rentenmark, à la date du 15
novembre 1923. C’est là un phénomène rarissime. Son étude nous permettra de tester
directement nos hypothèses concernant le processus par lequel se construit l’acceptation
unanime d’une nouvelle monnaie. Notons avec George Selgin (1994) que c’est là une
question peu traitée : « Quelles sont les conditions – légales, institutionnelles et
psychologiques – autorisant l’introduction réussie d’une nouvelle fiat monnaie ? L’analyse
monétaire contemporaine parce qu’elle se situe presque exclusivement dans le cadre de
l’équilibre walrassien, n’a que peu à dire sur ce problème12 ». Notre approche théorique
insiste sur le rôle joué par l’État dans l’élection monétaire : seul l’Etat est capable de
neutraliser les oppositions violentes que la détermination d’une norme monétaire commune ne
peut manquer de produire. Conformément à cette analyse, on observe, durant la dernière
phase de l’inflation, une extrême activité des forces politiques qui proposent des projets
rivaux dans le but de capter à leur profit l’intense désir de monnaie que manifeste le corps
social dans son entier. Ceci, on le constate aussi bien du côté des autorités politiques
régionales (Bavière, Prusse, Rhénanie, Hambourg) qui proposent des réformes monétaires
locales aux visées autonomistes plus ou moins affirmées que du côté des luttes politiques au
niveau du gouvernement central du Reich. Autrement dit, si on constate bien une concurrence
monétaire, il s’agit essentiellement d’une concurrence politique. Ce lien entre politique et
monnaie ne doit pas être pensé comme la mise en relation de deux forces déjà constituées,
parfaitement extérieures l’une à l’autre, mais bien comme un processus conjoint où chacun
trouve dans l’autre des ressources à sa propre légitimation. C’est l’élucidation de cette
complexité qui constitue l’enjeu premier de notre recherche.
Parmi les traits important du processus hyperinflationniste, il faut citer le recours
généralisé à l’indexation. On a assisté à une multiplication des indexations dans tous les
domaines. L’analyse de ce processus occupera une place importante dans notre recherche. On
se propose d’utiliser les outils développés dans le cadre du second axe pour comprendre
12
Selgin George, « On Ensuring the Acceptability of a New Fiat Money », Journal of Money, Credit, and
Banking, vol. 26, n°4, novembre 1994, page 808.
-9-
comment se propagent ces indexations et comment cette multiplication d’indexations
partielles, hétérogènes à la fois par le support choisi et par la périodicité des remises à niveau,
affectent l’inertie globale du système des prix. C’est là un sujet qui a peu été exploré et sur
lequel nos outils formels apparaissent particulièrement bien appropriés. Par ailleurs, ces
analyses ont un enjeu théorique important dans la mesure où nous refusons les hypothèses de
neutralité et d’absence d’illusion monétaires pour leur opposer l’idée que l’unité de compte
est un rapport social spécifique : les individus pensent l’économie sur la base d’une
représentation constituée de prix monétaires. Ils n’adaptent pas ceux-ci immédiatement aux
évolutions du niveau général des prix. Aussi l’étude des indexations permettra-t-elle de mieux
comprendre le rôle, capital à nos yeux, de ces représentations liées à l’unité de compte.
L’étude de l’hyperinflation allemande nous permettra d’aborder un dernier sujet : celui
de la comparaison des approches historique et économique. En effet, non seulement nous
possédons pour cette période un très riche corpus de textes, mais, point remarquable, cette
même richesse d’analyse se retrouve tout autant du côté des économistes que de celui des
historiens, même si l’intérêt de ces derniers pour la période est plus récent. Prenant appui sur
ce précieux et, à notre connaissance, unique capital de réflexions croisées entre économie
formalisée et histoire, il nous est alors possible de comparer les analyses, d’examiner
comment chaque discipline juge l’autre et la manière dont elle tient compte de ses résultats.
Une question nous paraît centrale, celle du rôle que joue l’opération de décontextualisation
dans la modélisation économique. Á l’évidence, si l’on pense aux travaux effectués par les
économistes quantitativistes dans la suite de l’article séminal de Cagan13, cette opération
apparaît comme l’expression la plus essentielle de ce qui fait l’identité même de la démarche
économique. Ce rôle de la décontextualisation en économie est une idée déjà fortement
développée par Jean-Claude Passeron. Notre but serait de prolonger cette réflexion à propos
de l’épistémologie des explications proposées par les deux disciplines.
Conclusion
Lors d’un débat organisé en 1908 par la Société d’Économie Politique autour de la
question de la place de l’économie dans les sciences sociales, Emile Durkheim commence par
exposer ce qui fait, selon lui, la matière de leur opposition : « Ce qui fait la difficulté de la
question posée, c’est que les faits dont traite l’économie politique et ceux qui font l’objet des
autres sciences sociales semblent, au premier abord, de nature très différente. La morale et le
droit (…) sont essentiellement des choses d’opinion (…) Au contraire, les richesses, objet de
l’économie politique, sont des choses, en apparence essentiellement objectives,
indépendantes, semble-t-il, de l’opinion ». Mais c’est immédiatement pour montrer tout ce
que cette opposition a de factice : « L’orateur croit pourtant que les faits économiques peuvent
être considérés sous un autre aspect : eux aussi sont, dans une mesure qu’il ne cherche pas à
déterminer, affaire d’opinion ». Ce qui l’amène à conclure que la science économique et les
autres sciences sociales traitent de phénomènes au moins partiellement comparables
puisqu’ils sont choses d’opinion. S’il en est ainsi, l’économie politique perd la prépondérance
qu’elle s’attribuait pour devenir « une science sociale à côté des autres, en étroit rapport de
solidarité avec elles, sans qu’elle puisse pourtant prétendre à les régenter ». Comme
Durkheim, il nous semble que la possibilité d’un dialogue sérieux entre l’économie et les
sciences historiques trouve sa condition théorique dans le rejet de l’hypothèse d’objectivité
des valeurs. L’indispensable acceptation par l’économie du rôle que jouent les croyances et
les représentations collectives est la clef pour inaugurer un espace de dialogue, ou mieux de
« solidarité », avec les sciences sociales.
13
Cagan Philip, « The Monetary Dynamics of Hyperinflation » in Friedman Milton (éd.), Studies in the Quantity
Theory of Money, University of Chicago Press, 1956, 25-117.
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Références présentes dans le texte14
Ouvrage de recherche
[1] La monnaie entre violence et confiance, Paris, Odile Jacob, 2002, (avec M. Aglietta).
[2] Le pouvoir de la finance, Paris, Odile Jacob, 1999.
[3] La violence de la monnaie, Paris, PUF, 1984, (avec M. Aglietta).
Directions d’ouvrages
[4] Représentations collectives et croyances sur les marchés financiers, Paris, Economica, 2005, à paraître, (avec
D. Bourghelle, O. Brandouy et R. Gillet.).
[5] Leçons de microéconomie évolutionniste, Paris, Odile Jacob, 2002, (avec J. Lesourne et B. Walliser).
[6] Analyse économique des conventions, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2004.
[7] Advances in Self-Organization and Evolutionary Economics, Paris, Economica, 1998, (avec J. Lesourne).
[8] La monnaie souveraine, Paris, Odile Jacob, 1998, (avec M. Aglietta).
[9] Souveraineté, légitimité de la monnaie, Cahiers « Finance, Éthique, Confiance », 1995, (avec M. Aglietta).
Articles
[13] « Réflexions sur l’hypothèse d’objectivité de la valeur fondamentale dans la théorie financière moderne »,
in Représentations collectives et croyances sur les marchés financiers.
[14] « Efficience informationnelle et efficience technique », in Représentations collectives et croyances sur les
marchés financiers, introduction générale, (en coll. avec D. Bourghelle et O. Brandouy).
[18] « Efficience, finance comportementaliste et convention : une synthèse théorique », in Boyer R., Dehove M.
et D. Plihon, Les crises financières, Rapport du Conseil d’Analyse Économique, 2004, 241-270.
[21] « L’économie des conventions : définitions et résultats », in Analyse économique des conventions, préface,
9-48.
[22] « La bourse est-elle au service de la production ? », Rapport Moral sur l’Argent dans le monde. 2003-2004,
Paris, Association d’Économie Financière, 2004, 51-58.
[23] « What is a Collective Belief ? » in Bourgine P. et J.-P. Nadal (éds.), Cognitive Economics, Berlin,
Heidelberg et New York, Springer-Verlag, 2004, 199-212.
[28] « Le tournant cognitif en économie », Revue d’Économie Politique, vol.112, n°5, septembre-octobre 2002,
717-738.
[32] « Comprendre les foules spéculatives », in Gravereau J. et J. Trauman (éds.), Crises financières, Paris,
Economica, 2001, 105-128.
[34] « Imitative Expectations and Informational Paradox », in Price Expectations in Goods and Financial
Markets, Gardes F. et G. Prat (éds.), Edward Elgar, 2000, 80-97, (avec Y. Tadjeddine).
[35] « The Evolution of Imitation », in The Economics of Networks. Interaction and Behaviours, Cohendet P.,
Llerena P., Stahn H. et G. Umbhauer (éds.), Springer-Verlag, 1998, 325-339.
[38] « Efficacité informationnelle et marchés financiers » in Petit P. (éd.), L'économie de l'information, Paris, La
Découverte, 1998, 153-181, (avec Y. Tadjeddine).
[39] « Jeux évolutionnistes et normes sociales », Economie Appliquée, n°3, tome L, 1997, 177-198.
[40] Introduction générale à La monnaie souveraine, 9-31, (avec les onze participants au livre).
[42] « Modèle théorique de la spéculation sur les matières premières : stabilité locale, cycles limites,
comportements quasi-périodiques et chaos déterministe », in F. Legros (éd.), Les produits dérivés, Presses
Universitaires de Perpignan, 1996, 89-110, (avec J.M. Robin).
[49] « Bayesian Interactions and Collective Dynamics of Opinion: Herd Behavior and Mimetic Contagion »,
Journal of Economic Behavior and Organization, vol.28, octobre 1995, 257-274.
[51] Introduction à Souveraineté, légitimité de la monnaie, 11-33, (avec M. Aglietta).
[57] « How Do Conventions Evolve? », Journal of Evolutionary Economics, vol.2, 1992, 165-177.
[61] « Les transformations des conventions salariales entre théorie et histoire. D'Henry Ford au fordisme »,
Revue Économique, vol.42, n°2, mars 1991, 233-272, (avec R. Boyer).
[65] « Le rôle des influences interpersonnelles dans la détermination des cours boursiers », Revue Économique,
vol.41, n°5, septembre 1990, 839-868.
[69] « Mimetic Contagion and Speculative Bubbles », Theory and Decision, vol.27, n°1-2, juillet-septembre
1989, 63-92.
[78] « Mimétisme et anticipations rationnelles : une perspective keynésienne », Recherches Économiques de
Louvain, vol.52, n°1, mars 1986, 45-66.
[113] Rapport sur les liens entre Sciences Cognitives et Sciences Économiques et de Gestion, Rapport pour la
Commission 37 du Comité National du CNRS, décembre 1993, (avec B. Munier).
14
Par souci d’homogénéité, nous avons conservé la numérotation utilisée pour présenter notre liste de
publications dans notre curriculum vitae. Les références ont ici été faites de manière abrégée. On trouvera les
références complètes dans notre curriculum vitae.
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