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nouvelle rendue publique, il s’agit pour chacun, non pas d’analyser les effets de cette
information sur la valeur fondamentale, mais de prévoir comment le marché va réagir. Si l’on
anticipe une hausse, on achète le titre ; dans le cas contraire, on vend. Contrairement au
modèle fondamentaliste, cette analyse nous dit que les regards des agents ne sont pas tournés
vers l’économie réelle, mais vers les anticipations des autres intervenants. Il s’ensuit une
structure singulière qui diffère du modèle fondamentaliste en ce qu’elle pose comme norme,
non pas une réalité objective extérieure au marché, mais une variable endogène, en
l’occurrence l’opinion du marché. Cette structure peut être dite également « spéculaire »
puisque, comme dans un jeu de miroirs mis en abyme, chacun cherche à percer la pensée des
autres intervenants, autres intervenants qui eux-mêmes se livrent à la même tâche.
Interactions cognitives et mimétisme
L’analyse théorique de ce processus autoréférentiel d’interactions cognitives entre
investisseurs est d’une grande complexité. Pour l’analyser, nous avons avancé l’hypothèse du
mimétisme à une époque, le début des années 80, où cette idée était, sinon rejetée, du moins
totalement absente de la théorie financière ([3], [78]). Certes, on trouvait dans la littérature
économique consacrée à l’histoire financière des références aux phénomènes d’influence
réciproque2 mais ceux-ci ne faisaient pas l’objet d’une modélisation adéquate. Une des raisons
de ce désintérêt était l’identification du mimétisme et de l’irrationalité. Une partie importante
de notre recherche a consisté à montrer que l’imitation pouvait être un comportement
rationnel [78]. Pour avancer dans son analyse, il nous a paru important de distinguer trois
formes de mimétisme ([32]) : le mimétisme informationnel, le mimétisme autoréférentiel et le
mimétisme normatif. Il est impératif de ne pas les confondre car chacune de ces imitations a
ses caractéristiques propres.
Propriétés des dynamiques mimétiques
Nous avons consacré à la modélisation de ces dynamiques d’interaction collective de
nombreux travaux, explorant des formalismes aussi divers que les processus de Polya
généralisés [69], différents processus de diffusion dérivés du modèle d’Ising en champ moyen
([34], [35]), y compris avec apprentissage bayésien ([49], [65]), ou les systèmes dynamiques
non linéaires [42]. Une partie significative de ces modèles est centrée sur l’analyse du
mimétisme informationnel. Nous entendons par mimétisme informationnel cette imitation
particulière qui consiste pour un individu à en copier un autre parce qu’il lui prête une
meilleure connaissance de la situation. Autrement dit, on imite les autres parce qu’on les
suppose mieux informés. C’est là un comportement parfaitement rationnel : l’action est imitée
parce qu’elle est perçue comme adéquate. Le résultat original obtenu, dans le cadre de cette
modélisation, a consisté à démontrer mathématiquement que l'imitation est ambivalente [35] :
il est rationnel d'imiter l'opinion collective pour autant que le nombre d'imitateurs au sein du
groupe est faible ; cependant, dès lors que le groupe est essentiellement composé d'imitateurs,
l'imitation devient contre-productive et conduit à des phénomènes de bulles. Ce résultat nous
a conduit à une réinterprétation du célèbre paradoxe de Grossman-Stiglitz sur l'inefficacité
informationnelle des prix financiers [38].
Volatilité excessive, auto-validation des croyances et convention
Appliquées aux marchés financiers, ces analyses proposent une conception de la
finance de marché aux propriétés fort éloignées de celles du modèle fondamentaliste ([2],
[18], [22]). Loin du calculateur isolé cherchant à estimer au plus juste la valeur des
entreprises, l’investisseur y apparaît comme un être perpétuellement à l’écoute du marché
2 Nous pensons surtout au livre essentiel de Charles P. Kindleberger, Manias, Panics, and Crashes. A History of
Financial Crises, Londres et Basingstoke, The Macmillan Press, 1978.