Lumière, métaux et molécules

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Séance solennelle de l’Académie des sciences / 15 juin 2010
Réception des nouveaux Associés étrangers sous la coupole de l'Institut de France
Lumière, métaux et molécules
par Thomas Ebbesen
Je suis très honoré d’être parmi vous aujourd’hui. Je tiens à remercier tous ceux qui
m’ont soutenu dans cette assemblée dont les membres sont pour moi des exemples par la
profondeur de leurs travaux et de leur réflexion scientifique.
Je ne serais pas devenu chercheur si je n’avais pu développer ma curiosité en jouant en
toute liberté dans le jardin de ma jeunesse. Le confinement de l’école me fut d’autant plus
difficile que je ne l’ai découvert, ainsi que la lettre A, qu’à l’âge de sept ans. J’ai eu la chance
d’avoir eu des enseignants qui encourageaient la réflexion plutôt que l’accumulation de faits.
Ainsi quand la curiosité m’a poussé dans de nouvelles directions scientifiques, j’étais
suffisamment inculte pour ne pas rejeter des résultats en contradiction avec les vérités
établies. J’ai été enrichi par un parcours qui, me menant d’un pays à l’autre ou d’une
thématique de recherche à l’autre, a demandé un effort de réajustement constant. Être
chercheur, c’est toujours apprendre…
Une des raisons de ma présence aujourd’hui devant vous est probablement liée à mes
travaux sur l’interaction entre la lumière et les surfaces métalliques quand elles sont
structurées à l’échelle nanométrique, en particulier lorsque elles sont percées par de tout petits
trous. Dans ce cas, on peut observer une transmission extraordinaire à travers ces trous avec
une intensité qui peut être de plusieurs ordres de grandeur plus grande que la somme de la
transmission des trous mesurés séparément. La physique de ce phénomène est en grande
partie liée à la formation d’ondes de surface générées par l’interaction entre l’onde lumineuse
et les électrons libres du métal. Ces ondes, appelées plasmons de surface, donnent naissance à
l’heure actuelle à toute une nouvelle optique fondée sur notre capacité de contrôler leurs
propriétés simplement en sculptant les surfaces métalliques avec des conséquences aussi bien
fondamentales qu’appliquées. La diffraction d’un trou, par exemple, a commencé d’être
décrite de manière scientifique dès le 17ème siècle et considérée comme bien comprise après
plus de 300 ans d’études. Pourtant, il semble aujourd’hui que la diffraction de tout petits
trous, de diamètre inférieur à la longueur d’onde, percés dans un film métallique n’a pas le
comportement que prévoit la théorie classique, ce qui nous force à revisiter cette question
fondamentale. Au niveau technologique, de simples trous dans des films métalliques
permettent, entre autres choses, d’améliorer la sensibilité d’outils spectroscopiques classiques
et de développer de nouvelles sondes. On peut aussi les utiliser pour créer des nouveaux
composants optiques à l’échelle de la longueur d’onde de la lumière. Un des buts ultimes du
domaine de recherche sur les plasmons de surface est la création de circuits photoniques
miniatures qui pourraient remplacer une partie des circuits électroniques actuels, trop
gourmands en énergie. On prévoit en effet que les serveurs de la toile vont dans la décennie à
venir consommer une fraction importante de l’énergie électrique mondiale. Il y a donc un
besoin urgent d’une technologie de rupture.
Souvent les domaines scientifiques se renouvellent périodiquement par une
combinaison de progrès technologiques et d’avancées dans notre compréhension des
phénomènes en jeu. Ainsi j’ai l’honneur d’être précédé dans mes activités de recherches
actuelles par d’illustres savants de Strasbourg comme Jonathan Zenneck, assistant de Braun
(inventeur du tube cathodique) qui décrivit il y a 100 ans les ondes électromagnétiques à la
surface de conducteurs dans le contexte de la télégraphie, et Hans Bethe qui montra
théoriquement, au milieu du siècle dernier, qu’un trou plus petit que la longueur d’onde dans
un écran opaque transmettrait très mal la lumière. Ce dernier n’avait pas pris en compte la
possibilité de présence d’ondes de surface. Quelques années plus tard, un jeune doctorant
américain, Rufus Ritchie, décrira les plasmons de surface comme une excitation collective des
électrons à l’interface d’un métal, une notion qui sera d’abord reçu avec beaucoup de
scepticisme avant d’engendrer un nouvel élan de recherche. De même, vis-à-vis de la théorie
de Bethe, la transmission extraordinaire à travers des trous sub-longueurs d’onde a d’abord
suscité l’incrédulité pendant plusieurs années avant de devenir une évidence.
Mais quel est lien avec la chimie ? C’est en lisant un article de deux éminents
membres de cette Académie, Serge Haroche et Daniel Kleppner, qui expliquait comment les
propriétés radiatives de molécules pouvaient être contrôlées en les plaçant dans des cavités
métalliques (l’électrodynamique quantique de cavité) que je me suis dit que ce contrôle
pourrait être très utile pour étudier des problèmes physico-chimiques de dynamiques
moléculaires. À cette fin, j’ai fait fabriquer un réseau de tous petits trous dans un film
métallique opaque dans lesquels j’allais placer les molécules. À ma grande surprise, le réseau
de trous transmettait beaucoup plus de lumière que ne le prédisait la théorie de Bethe. J’ai
ainsi été lancé sur cette nouvelle voie de l’optique des métaux nano-structurés, illustrant bien
qu’un parcours scientifique se construit à chaque étape d’une nouvelle observation. Mais je
n’ai pas oublié les molécules… Il se trouve que les réseaux de trous métalliques simplement
badigeonnés de molécules permettent d’étudier un autre phénomène, le couplage fort entre
molécules et plasmons de surface où de nouveaux états hybrides sont formés à travers un
échange de photons. Phénomène bien connu en physique, le couplage fort ouvre beaucoup de
perspectives pour la chimie en permettant de contrôler les propriétés moléculaires sans
modification chimique, sujet qui passionne actuellement mon équipe.
Je ne serais pas ici sans l’inspiration de la nature de ma Norvège natale, de celle de
plusieurs professeurs de ma jeunesse, Richard Schoonmaker et Norman Craig à Oberlin
College aux États-Unis, et Michel Rouget et René Bensasson à Paris, sans l’échange
scientifique avec de nombreux collègues à la société NEC au Japon et aux États-Unis, et avec
ceux de mon équipe actuelle à Strasbourg, et je ne serais pas ici sans le soutien et la
stimulation de Masako.
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