86 • Sociétal n°73
En finir avec la sino-béatitude
étrangers. Pour Huang, cette décennie marque un très net affaiblissement de l’esprit
d’entreprise chinois, aux conséquences doublement néfastes. Tout d’abord, contraire-
ment à une perception étrangère, bon nombre des SOE, y compris celles qui sont
«privatisées», sont restées dans les faits aux mains de l’État. Ensuite, et c’est ce qu’il
nomme le «problème de Shanghai», la croissance économique, en particulier celle
du PIB qu’il ne conteste en rien, s’est faite au prix de déséquilibres croissants. Les
grandes villes de la côte ont absorbé une grande partie des investissements publics et
étrangers, mais cette croissance est allée principalement enrichir l’État et les entre-
prises étrangères aux dépens des travailleurs et du monde rural. Autrement dit, la
croissance du PIB ne s’est pas traduite par une croissance du revenu par tête. Enfin,
cette croissance est, selon Huang, fragile. Shanghai tire davantage sa croissance d’in-
vestissements immobiliers spéculatifs que de sa capacité d’innovation et de l’initia-
tive de sa population et, loin de l’image parfois
véhiculée en Occident, le capitalisme des Chinois est
en panne. «Shanghai est une fenêtre sur la Chine des
années 1990, écrit-il. Le modèle de Shanghai, formulé
dans les dernières années de 1980, était précurseur du
biais antirural et de la répression de l’entrepreneuriat de
taille moyenne.»
Cette évolution entraîne une dernière conséquence,
particulièrement préjudiciable. Ce modèle de dévelop-
pement se fait au détriment d’une part croissante de la
population. On observe effectivement depuis la fin des
années 1990 une augmentation massive des inégalités
sociales et, malgré une baisse relative du taux de pau-
vreté, le nombre de personnes pauvres ne s’est réduit que
très modestement. On assiste par ailleurs à une dégra-
dation continue du capital social moyen de la population, et en particulier une hausse
exceptionnelle de l’illettrisme, ainsi qu’à la dégradation des infrastructures de santé,
notamment rurales. Entre2000 et2005 (ce qui correspond à la génération éduquée
dans les années 1990), le nombre d’adultes illettrés a crû de 85millions à 113millions.
À l’appui de cette démonstration, Huang entreprend une comparaison, peu convain-
cante, entre le développement de la Chine et celui de l’Inde et semble miser davantage
sur la dernière. Il néglige cependant les très nombreuses difficultés rencontrées par le
gouvernement indien pour traiter lui aussi efficacement la question de la pauvreté, qui
continue à croître ; et le problème, plus général, de l’inconstance chronique des pou-
voirs publics dans la gestion des affaires publiques et économiques.
Shanghai tire
davantage sa
croissance
d’investissements
immobiliers
spéculatifs que
de sa capacité
d’innovation et
de l’initiative de
sa population et,
loin de l’image
parfois véhiculée
en Occident, le
capitalisme des
Chinois est en
panne.
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