Le discours sur la justice dans la pensée économique musulmane Abderrazak Belabes(*) Communication présentée aux Journées de l'Association Charles Gide «Justice et économie: doctrines anciennes et nouvelles théories», avec la participation du professeur Amartya Sen, Prix Nobel 1998, 16 et 17 juin 2011, Université Toulouse 1 Capitole. I. Introduction Le thème de ‘Justice et économie: doctrines anciennes et nouvelles théories’ offre une occasion inédite de renouveler l’ouverture de l’économie vers d’autres champs de connaissance et de redoubler d’efforts pour encourager les fécondations croisées. La question de justice sera abordée ici en tant que pratique discursive telle qu’elle s’énonce dans les textes référents1, la méthodologie du droit musulman, les essais politiques et économiques classiques et la littérature contemporaine sur l’économie musulmane. Il s’agit de savoir si la notion est abordée sous un prisme particulier et/ou si elle se recoupe avec certaines approches contemporaines. La première partie est consacrée à la dimension représentationnelle de la notion de justice en islam à travers ses aspects sémantique, principiel, instrumental, déontologique, téléologique et acquisitionnel. La seconde concerne les préoccupations de la littérature classique à l’égard de la justice à travers les essais politiques et économiques. Enfin, la troisième aborde la notion de justice dans la littérature contemporaine sur l’économie musulmane. II. Aspects représentationnels Les théories économiques, quelles qu’elles soient, sont au départ le fruit des représentations qui structurent, à des degrés différents, la pensée de ceux qui les formulent. En économie musulmane, ces représentations recouvrent l'aspect sémantique, principiel, instrumental, déontologique, téléologique et acquisitionnel ayant trait à l'acquisition de la connaissance sur la justice. II.1. Aspect sémantique Pour mieux comprendre ce qu'est la justice dans la pensée économique musulmane, il convient d'abord de procéder à une investigation sémantique. Le terme (*) Docteur en analyse et politique économiques de l’EHESS (Paris), actuellement chercheur au centre de recherche en économie islamique, Université du Roi Abdulaziz, Djeddah, Arabie saoudite ; courriel: [email protected]. 1 Les textes référents sont le Coran et la Sunna qui englobe à la fois les propos, les pratiques, les approbations et les désapprobations du prophète de l’islam. Le mot hadith signifie parole prophétique. 1 couvre une réalité multidimensionnelle qui se prête mal à une définition univoque. D'où la nécessité de cerner les différents sens possibles en partant de divers angles d'approche. Du point de vue étymologique, le mot arabe "‘adl", l’équivalent du français "justice", signifie une position médiane, entre l’excès (ifrât) et la négligence (tafrît). Il signifie également la droiture, la rectitude (istiqâma), l’équité (inçâf), l’impartialité (hiyadiya), l’égalité (mussâwât). Le mot 'adl est le contraire du mot "jawr" qui signifie l’injustice, l’iniquité, la tyrannie, l’oppression. Du point de vue de la croyance (‘aqîda), la justice constitue un attribut divin (sifa ilâhiya)2 qui découle fondamentalement du monothéisme3. Du point de vue juridique, la justice renvoie à l’idée d’un jugement qui converge vers la vérité et à l’idée d’équité qui renvoie à la jouissance des droits et l'accomplissement des devoirs. Dans le vocabulaire des jurisconsultes (fuqaha), la justice signifie la rectitude (istiqâma), c’est-à- dire le fait de se conformer aux commandements et d’éviter les interdictions4. Ceci démontre la diversité des sens que recouvre le terme justice dans la littérature musulmane. II.2. Aspect principiel L'intérêt de l'aspect principiel se situe dans la recherche des fondements du principe de justice dans la tradition monothéiste. La croyance, plus ou moins assumée, joue un rôle important dans la caractérisation d'une société, notamment sur le plan économique. La croyance de l'économiste va le porter vers une certaine théorie plutôt que d’autres (Rist, 2007). Dans les religions monothéistes, la justice constitue une valeur cardinale dans le rapport de l’homme envers son créateur, envers lui-même et les humains. Le 2 Dieu dit dans un hadith sacré (qudsi) : "Ô Mes serviteurs ! Je me suis interdit l’injustice à Moi-même, et Je vous l’ai également interdite. Ne soyez donc pas injustes les uns envers les autres", Al-Bukhari (n° 3150) et Muslim (n° 1062). 3 Dieu dit dans le Coran : "Nous avons effectivement envoyé Nos messagers avec des preuves évidentes, et Nous avons révélé, par leur intermédiaire, l’Écriture et la Balance, afin que les gens établissent la justice" (Coran, 57, 25). 4 Ces différents sens ont été puisés d'Ibn Mandhour (1988, t. 9, pp. 83-84), Al-Charbassi (1981, p. 289), Hamad (1993, pp. 193-19) et Amara (1993, pp. 368-369). 2 monnothéisme (tawhîd) marque m le point p culm minant de laa justice eet, inversem ment, le polyythéisme (chhirk) celui de d l'injustice. Dans la l traditionn musulmaane, le monothéisme m e s'appuie sur trois piliers indiissociables: l'appréhennsion (rahhba), l'amoour (mahaaba) et lee désir (rraghba). L'apppréhensionn et le désirr, liés au com mmandemeent (amr) ett l'interdictioon (nahy), relèvent r du déontologiq d que5. L'amour lié à la vertu v relèvee quant à elle du téléollogique6. Laa justice recoouvre donc une dimennsion déonttologique eet une dimeension théoologique. Cees deux dim mensions, ssensées apppartenir à une mêm me matricee de connnaissance, peuvent muttuellement sse renforcerr ou, au conttraire, s'excclure (fig. 1)). Lorsquee les condittions sont optimales, o lee déontologgique induitt de façon naturelle n le tééléologiquee. La questioon téléologiique interviient quand ce c cheminem ment est peeu à peu rem mis en quesstion. Elle reflète donnc davantagge une régrression de la pratiquee qu’un proggrès de la pensée et engage unne réflexionn en profoondeur sur les condittions de posssibilité et d’’impossibiliité. Cet agencement épistémolog é gique monttre que la justice soociale, issuee d’une inteerprétation ttéléologiquee, ne peut justifier j la négation d’un d droit teel que la propriété p privvée. Dans le l droit muusulman, l'inntérêt génééral ne prim me sur l'intéérêt person nnel que quannd il y a connflit entre lees deux entiités. Figure 1. Lien entre monothéisme m e et justice monoth héisme appréhension (rahba) amour (m mahaba) désir (raghba) justtice déon ntologie téléo ologie déontologie 5 6 La déontologie d siggnifie ici l’étudee des devoirs quui englobe les obligations o et lees interdictions. La téléologie t signiifie ici l’étude des d finalités. 3 II.3. Aspect instrumental Dans la littérature sur l’économie musulmane, l’instrument phare de la justice sociale est la zakât. En langue arabe, le mot zakât signifie purification, accroissement et bénédiction. Du point de vue conventionnel, la notion de zakât a un sens spécifique en tant que droit accordé à certaines catégories de personnes se trouvant dans le besoin et un sens général qui englobe toute forme de redistribution répondant à des besoins humains réels (Ibn Taymiya7, 1998, t. 28, p. 200). A travers le mécanisme de zakât, l’économie musulmane reconnaît le droit de propriété du fait que nul ne peut donner ce qu'il ne possède pas et la liberté économique du fait que celui qui acquitte la zakât dispose de ses biens à sa guise. La zakât engage, par ailleurs, le rôle de l'Etat qui veille à sa collecte et sa distribution8 (fig. 2). Une économie libre n’est pas une économie où chaque agent ferait tout ce qu’il lui plairait. C’est un système au sein duquel la liberté est garantie tant qu’elle n’enfreint pas les normes. D’où la célèbre formule du droit musulman des contrats : en matière de transactions (mu’âmalât), la règle est la permission (ibâha). Figure 2. Relation entre zakât, propriété privée, liberté économique et action de l'Etat propriété privée zakât libérté économique action de l'Etat Les théoriciens de l'économie musulmane justifient la zakât de la manière suivante: les biens de cette terre appartiennent à Dieu, l'homme en est dépositaire 7 Ahmed Ibn Taymiya célèbre jurisconsulte apparenté à l'école hanbalite né en 1263 à Haran, au sud-est de la Turquie, et décédé en 1328 à la prison de Damas. 8 Dans le monde musulman contemporain, la zakât est laissée à la discrétion des croyants, sauf dans quelques pays où l’État s'efforce de remplir ce rôle. Le manque de confiance des gouvernés à l'égard des gouvernants à cause de la corruption pousse les croyants à distribuer directement la zakât aux nécessiteux sans passer par l'instance étatique compétente. 4 (khalîfa). A cet effet, il est appelé simultanément à fructifier ces biens de manière optimale et à en affecter une partie pour les ayants droit. La zakât constitue un acte de remerciement pour les biens accordés mais aussi un gage de pérennité de ces biens9. Soumis à cette dernière, les biens accumulés font l'objet d'une baisse continue sauf s'ils sont investis à un taux de rendement au moins égal au quotient Z/ 1 – Z où Z désigne le taux de zakât qui varie selon la nature du bien. La valeur finale nette (VFN) des biens s'ils ne sont investis se calcule de la manière suivante: VFN B 1 Avec B: biens tangibles fructifiables accumulés durant une année lunaire après avoir atteint un certain seuil T : nombre d'années II.4. Aspect déontologique La justice est une vertu (fadhîla), c’est-à-dire une disposition habituelle et un comportement permanent qui interviennent de manière endogène dans le processus et non après de façon exogène pour en atténuer la sévérité. En droit musulman, la justice s’exprime par des devoirs qui portent vers le bien en dépit des obstacles rencontrés. Le devoir (c) induit des actes (a) qui se placent d'emblée dans le temporel (t): , , La référence textuelle à la thématique de justice associe le spirituel et le temporel. Dieu dit dans une parole prophétique sacrée (hadith qudsi): "Nous avons descendu les biens pour accomplir les prières et acquitter la zakât"10, c'est-à-dire les droits du créateur et ceux des créatures. La justice, en accordant à chacun ce qu'il mérite au regard de la loi, se différencie de l'égalité (mussâwât) qui consiste à donner la même chose pour tous11. 9 Un hadith authentique rapporté par Muslim (n° 2588) stipule ceci: "Les biens de celui qui s'acquitte de la zakât ne diminuent point". 10 Hadith rapporté par Ahmed (n° 21956) et authentifié par Al-Albani (n° 1639). 11 L'islam reconnaît l'égalité devant la loi ou l’égalité en droit selon laquelle tout individu doit être traité de la même manière par la loi, voir Aboud (2008, p. 116). 5 L'histoire du monde musulman de la période médinoise à nos jours montre que l'acquittement de l'aumône légale a été honoré et quelquefois nié12 ou, comme nous le verrons plus loin, détourné de sa vocation initiale pour des raisons intérieures et/ou sous influence extérieure. L'État, dans le monde musulman est organisé aujourd'hui par une combinaison entre droit positif (droit civil ou common law) et droit musulman qui se limitait au code du statut personnel (ahwâl chakhsiya)13. Depuis le début des années 1980, plusieurs pays ont adopté un cadre juridique spécifique au fonctionnement des banques islamiques14. II.5. Aspect téléologique Le droit musulman vise à soutenir et maximiser les avantages (max A) et à réduire et minimiser les désavantages (min D) en partant du constat qu’il n’y a pas d’avantage pur (maslaha mahdha) ni de désavantage pur (mafsada mahdha)15. La téléologie de la loi musulmane (LM) s’inscrit dans cette tradition16 : LM max A, min D (1) Il est possible d’envisager les avantages attendus (Aa) si l'on dispose de la probabilité de maximisation des avantages (PmaxA): Aa = max A x PmaxA (2) La littérature sur la téléologie de la loi musulmane (TLM) considère que les lois les plus sacrées de la justice sont celles qui visent à protéger la croyance, la personne, la raison, la postérité et les biens. En ce sens, la justice constitue un des principaux objectifs de l'économie musulmane (Chapra, 2000, p. 107; Benbiya, 2010, p. 71). De cette manière, la politique économique ne se concentre pas sur la définition d'une justice idéale ni prétend éliminer l'injustice d'un coup de baguette magique. Elle vise à soutenir et maximiser la justice (max J) et à réduire et minimiser l'injustice (min I): 12 A l'époque d'Abu Bakr (d. 634), premier calife, certains musulmans ont nié l'acquittement de l'aumône légale. Même les pays réputés conservateurs n'échappent pas à cette tendance. 14 Au nombre de ces pays on compte la Malaisie, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Koweït, la Turquie, le Bahreïn, le Yémen, la Jordanie, le Liban et la Syrie. 15 Chaque chose présente des avantages et des inconvénients et l’évaluation tend à porter sur ce qui prévaut. Si le désavantage est plus important que l’avantage ou s’ils sont équivalents, la minimisation du désavantage prévaut sur la maximisation de l’avantage. 16 Coran (5, 48). 13 6 (1) ⇒ TLM = {max J , min I} L’avantage attendu en termes de justice (Aaj) peut être envisagé en fonction de la probabilité correspondante (PmaxJ): (2) ⇒ Aaj = max J x PmaxJ En partant de la règle selon laquelle la minimisation de l’injuste prévaut sur la maximisation du juste, la politique économique accorde la priorité à l'amélioration de la situation des plus défavorisés pour palier aux inégalités de capacité liées à la faiblesse des dotations en capital (intellectuel, physique et financier), au manque d’opportunités rencontrées ou à des difficultés passagères (licenciement, faillite, endettement, séparation familiale, maladie). II.6. Aspect acquisitionnel Les aspects principiel, instrumental, déontologique et téléologique laissent penser à première vue que l’acquisition du juste se fonde exclusivement sur la révélation divine. Qu'en est-il vraiment ? Selon Ibn Taymiya (1985, pp. 170-171), certains aspects de la justice sont accessibles à tout esprit lucide comme le fait de payer le prix d’un bien, de remettre l’objet vendu à l’acheteur et d’honorer les termes du contrat approuvé par les parties. D’autres aspects ne sont accessibles que par la révélation comme l'acquisition de biens par des moyens injustes, tels que l’usure (ribâ) et les jeux de hasard (maysir), à travers une sorte de jeu à somme nulle ou gagnant-perdant. Ces prohibitions sont justifiées par le refus de l’injustice et le souci de justice par le bais d’un jeu à somme positive ou gagnant-gagnant. Ce qui parait décisif c'est moins les prohibitions prises séparément17 que leurs pondérations respectives dans la fonction matricielle et la persistance de leur structure dans le temps en dépit des changements que connait l'économie tout au long de son histoire. A travers cette approche, la tradition musulmane semble sensible aux pratiques de justice sous leurs diverses formes quelle qu'en soit l’origine. En l'an 617, alors que les 17 A titre d'exemple, la prohibition de l'usure n'est pas spécifique à l'islam. A travers l'observation, Socrate condamne l'usure comme incompatible avec la nature même de l'argent. 7 premiers convertis à l'islam subissent une oppression sans merci de la part des notables mecquois, le Prophète Muhammad demande à ses compagnons d'émigrer en Ethiopie: "Il y a dans ce pays un roi18 auprès de qui personne ne subit une injustice"19. La justice est une aspiration qui se situe à mi chemin du fond sacré et de la pratique quotidienne qui s'inspire des expériences accumulées auprès de différents peuples. Ceci amène certains jurisconsultes à distinguer deux types de politiques: une politique injuste (siyâssa dhâlima) que la loi musulmane réprouve et une politique juste (siyâssa ‘adila) que la loi musulmane soutient (Ibn Farhun, 1986, p. 137). "Dieu, note Ibn Taymiya (1980, p. 147), par ailleurs, ce même jurisconsulte, consolide l’Etat juste même s’il est impie et anéanti l’Etat tyrannique même s’il est musulman". III. La notion de justice dans les écrits politiques et économiques classiques Les idées économiques classiques se trouvent, en grande partie, dans les traités politiques et économiques. Elles doivent être replacées dans leur contexte spatiotemporel. Quelle que soit la notoriété de leurs auteurs, elles restent des connaissances historiquement datées et géographiquement situées. Pour comprendre ce que disent ces auteurs, il convient de comprendre le sens qu’ils donnent au mot justice dans leur répertoire représentationnel. Le style d'écriture reflète quelque peu l'ambiance qui prévalait entre le pouvoir politique et l'élite intellectuelle. Celle-ci était, semble-t-il, contrainte à adopter une posture douce ou soft plutôt que de s'enliser dans une confrontation périlleuse en condamnant ouvertement l'injustice. Il convient de relever que ces auteurs parlent de biens (mâl) et non de richesse (tharwa). Le terme bien signifie dans son acception générale ce qui est utile et profitable et répond donc aux besoins réels des populations. III.1. Les écrits classiques sur la politique Au début du XIème siècle, Tha’âlibi20 (1990, pp. 89-90) écrit: "la justice est la meilleure qualité des gouvernants […] La justice permet aux biens de perdurer davantage que l’injustice qui anéantit les biens et limite leur croissance". Dans son traité 18 Il fait référence au roi Négus. Hadith rapporté par Ahmed (n° 18304) et authentifié par Al-Albani (n° 3190). 20 Adelmalik Al-Thaalibi écrivain originaire de la ville perse de Nisabour décédé en 1038. 19 8 où il prodigue des conseils aux gouvernants, Ibn Al-Jawzi21 (1978, p. 41) développe une idée quasiment similaire: "la justice est l’essence du gouvernement en donnant à chacun ce qui lui revient et en évitant l’injustice". La justice constitue une condition nécessaire pour le gouvernant du fait qu’il est en charge du destin commun comme le relève AlIskafi22 (1964, p. 77) à travers son essai sur la bonne gouvernance. Dans un livre traitant du même sujet rédigé sous le règne du calife abbasside Al-Mu’tasim (833-842), Ibn Abi Al-Rabi’23 (1978, p. 145) développe l’idée selon laquelle la justice conduit au peuplement et la prospérité de la cité (‘imrân) et perpétue le Royaume. A la fin du XIIème siècle, AlChirzi24 (1987, p. 242) précise que sans justice, il n’y a pas de réforme sérieuse susceptible d’améliorer l’activité économique et la rendre viable sur le long terme : "la justice est la plus noble des qualités du gouvernant et constitue une valeur plus structurante sur laquelle s’appuie son Etat car elle aboutit à l’adhésion, appelle à la fraternité, réforme les activités [économiques], fructifie les biens, stimule les gouvernés et parachève les privilèges". Environ un siècle plus tard, Ibn al-Taktaki25 écrit dans son "Traité sur l’art de la gouvernance et les Etats musulmans": "la justice engendre l’abondance, l’édification des projets et la valorisation des hommes". A la fin du XIVème siècle, Ibn Jamâ’a26 (1987, p. 69) mentionne dans son "Essai sur la gestion des affaires de l’islam": "la justice permet la réforme du royaume, la persistance de l’Etat et l’édification du pays". Pour leur part Ibn Khaldoun27 (1978, p. 279) et Ibn Al-Azraq28 (1977, p. 205) orientent la réflexion sur la relation entre la justice et les revenus de l’Etat selon le cercle vertueux suivant: 21 Abderahman Ibn Al-Jawzi jurisconsulte hanbalite originaire de Damas décédé en 597. Muhammad Al-Iskafi écrivain et linguiste originaire d’Ispahan décédé en 1029. 23 Ahmed Ibn Abi Al-Rabi’ philosophe du IXème siècle dont on ne dispose pas d’informations suffisantes jusqu'à présent. 24 Abderahman Al-Chirzi décédé en 1193. 25 Muhammad Ibn Al-Taktaki historien originaire de la ville irakienne de Mosul décédé en 1309. 26 Muhammad Ibn Jamaa’ juge et jurisconsulte chafi’ite originaire de la ville syrienne de Hama décédé en 1332. 27 Abderahman Ibn Khaldoun historien et sociologue originaire de Tunis décédé au Caire en 1406. 28 Muhammad Ibn Al-Azraq sociologue andalou originaire de Grenade décédé en 1491. 22 9 justice confiance augmentation des revenus de l'Etat peuplement croissance de l'activité économique Le message est clair, la justice constitue pour le gouvernant davantage une opportunité qu’une contrainte. Selon Ibn Khaldoun (1978, p. 282), "c’est le revenu de l’État seul qui enrichit le souverain et augmente ses moyens. Pour que le revenu soit ample, on doit ménager les contribuables et les traiter avec justice; de cette manière on les incite à travailler avec ardeur dans le but de faire fructifier leurs biens; car c’est d’eux que le souverain puise presque tout ses biens". L’injustice ne consiste pas uniquement, relève Ibn Khaldoun (1978, p. 298), "à s’emparer des biens, ou d’une propriété sans juste motif et sans dédommagement, comme cela est généralement admis. L’injustice a une signification beaucoup plus étendue : celui qui s’empare du bien d’autrui, qui lui impose des corvées, qui exige de lui un service ou lui impose quelque chose sans y avoir droit est un injuste. Les percepteurs de droits non autorisés par la loi sont des injustes, ceux qui spolient les biens sont des injustes, ceux qui dépouillent les autres de leurs biens sont des injustes; ceux qui n’honorent pas les droits d’autrui sont des injustes, ceux qui d’une manière générale enlèvent de force tout ce qui ne leur appartient pas sont tous des injustes, et les conséquences de tous ces actes retombent sur l’Etat à travers le dépeuplement et la ruine". III.2. Les écrits classiques sur l’économie Les écrits économiques classiques traitent en général de l'acquisition des biens (kasb) via une activité économique (commerce, agriculture, élevage, artisanat, pêche) et des revenus de l'Etat sous le titre kharâj ou d'amwâl. La plupart des écrits de finance publique insistent, dans leur introduction, sur la justice comme une des qualités requises pour le gouvernant. En témoigne, le livre des 10 biens d’ibn Sallam29 (2007, t. 1, pp. 37-38) ainsi que ceux d’ibn Zinjawîh30 (1986, t. 1, pp. 65-71) et d’Al-Dawûdi31 (2001, p. 23). Dans son essai sur les revenus de l'Etat (Kitâb al-kharâj32), rédigé à la fin du VIIIème siècle, le célèbre juge Abu Yusuf33 (1987, p. 111) écrit : "la justice et l’équité en faveur des opprimés évitent l’injustice et attirent les revenus qui augmentent les rentrées au trésor publique et édifient le pays. La bénédiction augmente avec la justice et diminue avec l’injustice. Une fiscalité injuste diminue l’activité économique et mène au dépeuplement". D’autres jurisconsultes réfutent la tendance de certains adeptes du soufisme à adopter une attitude négative vis-à-vis de l’économique. En agissant de la sorte, sous prétexte que l’activité économique contredit la confiance en Dieu (tawakul), ces adeptes s’éloignent du principe de justice consistant, dans ce cas précis, à mettre le temporel et le spirituel à la place qui leur convient au lieu de les opposer inutilement. Parmi ces auteurs, on retrouve Ibn Al-Hassan34 dans son ouvrage "l’acquisition des biens" (kasb) et AlKhalal35 à travers un essai dont le titre est révélateur "Incitation au commerce, à l’artisanat, au travail et réfutation de celui qui prétend se conformer à la confiance en Dieu en délaissant le travail". Cette opposition inféconde a introduit une autre question parfois débattue jusqu’à nos jours: lequel des deux hommes est le meilleur, le riche reconnaissant ou le pauvre endurant ? Un érudit turc du XVIème siècle, Muhammad AlBirikli, lui a consacré un essai entier "De la préférence entre le riche reconnaissant ou le pauvre endurant". La lecture de ces essais politiques et économiques classiques fait ressortir les idées suivantes qui restent d'actualité en ce printemps arabe: • la justice, en tant que vertu, appartient, en premier lieu, au champ politique; • la justice est la première des vertus cardinales d'un gouvernement; 29 Abu Ubaïd Al-Qacem ibn Salam linguiste, jurisconsulte et spécialiste du hadith né en 770 à Herat à l'ouest de l'Afghanistan et décédé en 838 à la Mecque. 30 Humaïd Ibn Zinjawih né en 796 et décédé en 865. 31 Ahmed Al-Daoudi jurisconsulte malékite originaire de Msila ou de Biskra dans l'Est algérien, décédé à Tlemcen à l'ouest de l'Algérie en 1011. 32 A l'origine, le kharâj est un impôt foncier sur la terre. Le mot a acquis, peu à peu, la signification générale de revenus de l'Etat. 33 Ya'qub Abu Yusûf célèbre jurisconsulte et cadi hanafite né à Koufa en Irak en 735 et décédé en 795. 34 Muhammad Ibn Al-Hassan Chibâni jurisconsulte hanafite né en 750 et décédé en 805. 35 Ahmed Al-Khalal jurisconsulte hanbalité né en 848 et décédé en 923. 11 • la justice constitue pour le gouvernant davantage une opportunité qu’une contrainte. • la justice est le fondement de la vie sociale qui conduit au peuplement et à l'édification d'une cité prospère ('imrân); • nul progrès n'est possible sans justice. • la pérennité de l'Etat dépend fondamentalement de la justice. • une fiscalité inadaptée aux structures économiques et sociales mène au dépeuplement et à la ruine (kharâb). • la justice valorise les hommes afin que chacun puisse se consacrer à ce qu’il sait faire de mieux. IV. La justice dans la littérature contemporaine sur l'économie musulmane Le discours contemporain de l'économie musulmane sur la justice fait ressortir deux grandes approches: l’approche par l’économie politique et l’approche par l’économie néoclassique soutenue par le discours managérial anglo-saxon qui glorifie la réalisation personnelle. IV.1. L'approche par l'économie politique La première approche se place comme une troisième voie, à mi-chemin entre le socialisme et le capitalisme, et considère la justice comme une finalité de l'économie musulmane (Chapra, 2000, p. 100). L’un des représentant les plus en vue de cette approche est l'économiste saoudien, d'origine pakistanaise, Umar Chapra36. L'économie ne peut se passer des valeurs morales et de la solidarité familiale et sociale (Chapra, 2000, p. 367). L’économie musulmane, est selon lui, "cette branche de la connaissance qui contribue au bien-être via l’affectation et la distribution des ressources rares d’une manière conforme aux finalités de la loi musulmane, sans trop limiter la liberté individuel, ni créer des déséquilibres macroéconomiques et écologiques durables, ou affaiblir la solidarité familiale et sociale et le tissu morale de la société" (Chapra, 2000, p. 125). L'économie musulmane ne se limite pas à analyser ce qui est, elle englobe 36 L’économiste a obtenu en 1988 le prix de la Banque islamique de développement et le prix du Roi Fayçal pour les études musulmanes. 12 également ce qui doit être, elle est politique (Chapra, 2000, p. 371). Elle contribue à cet égard à revitaliser la branche normative de l’économie politique (Nienhaus, 1989). D’une manière générale comme le relève Bernard Guerrien (2004, p. 109), "il est dans la nature même de l’économie d’être «politique»: lorsqu’il aborde un problème, quel qu’il soit, l’économiste a toujours une idée de ce qui doit être, de ce qu’il pense être la «bonne» solution – en fait, c’est là, presque toujours, sa principale motivation, même si elle n’est pas clairement exprimée (ou même s’il n’en est pas vraiment conscient, tellement sa solution lui semble évidente)". La vie selon les valeurs morales contribue, selon Chapra, à l'équilibre entre l’intérêt personnel et l’intérêt général et à la réalisation de la vision de l'islam dont la justice constitue l'un des fondements les plus importants. La justice a un traitement si particulier qu'il semble difficile de comprendre comment l'islam et l'injustice peuvent coexister dans une société musulmane réelle. L'injustice ne peut régner que si les valeurs musulmanes n'ont plus d'emprise réelle sur la société (Chapra, 2000, p. 58). Dans le monde de l'économie, les ressources constituent un dépôt (amâna) de Dieu dont les hommes vont rendre des comptes, il n'y a d'autres choix que de les utiliser a bon escient de façon juste et mesurée (Chapra, 2000, p. 64). Les érudits musulmans, relève-t-il, ont mentionné tout au long de l'histoire que la justice sociale conduit à plus d'efficacité économique non seulement pour l'amélioration de la paix et la solidarité sociales mais aussi pour inciter à l'effort et l'innovation (Chapra, 2000, p. 117). En adoptant une posture réaliste de la question économique, il considère que la zakât et la finance participative contribuent à résoudre certains – et non tous les – grands problèmes économiques contemporains. L'Etat moderne qui évolue dans une économie mondialisée ne peut se passer de l'impôt. Mais ce dernier doit être juste. Pour ce faire, il doit remplir trois conditions: - il sert à financer ce qui est vital conformément aux finalités de la loi musulmane; - la charge fiscale doit être supportable et divisée de manière équitable entre les personnes, physiques et morales, imposables. - l'impôt doit être affecté à ce pour quoi il a été institué (Chapra, 2000, p. 335). 13 Dans le modèle de base, si les recettes de la zakât ne suffisent pas, pour une raison ou une autre, l'Etat est amené à puiser de ses revenus propres. Si ces derniers s'avèrent encore insuffisants, l'Etat recourt, en dernier ressort, à l'impôt. Cette description ne prend pas en compte l'état de développement, ni le degré d'ouverture de l'économie et le contexte géoéconomique mondial. Elle ne prend pas en compte les dépenses excessives des Etats (Chapra, 2000, pp 337-342), qui ne datent pas d’aujourd’hui37, ni celles des consommateurs. Les banques islamiques qui privilégient les produits basés sur l'endettement ont accentué la tendance et suscitent un vif débat sur la finalité de la finance islamique (Belabes, 2011). Il y a ainsi un décalage manifeste entre le mécanisme de redistribution accompagné, dans sa conception originelle, par une éducation à la consommation et une rationalisation des dépenses publiques et un sentiment de privation aigu qui porte à désirer ce dont on croit manquer. L’économie musulmane, comme les autres économies, évolue dans un monde complexe traversé par des tensions multiples (Al-Suwailem, 2008). Les mécanismes de redistributions ne sauraient s'effectuer miraculeusement de manière instantanée indépendamment de leurs institutions que plusieurs siècles d’évolution ont permis de façonner. D'où la nécessité d'une réflexion rigoureuse sur les conditions de possibilité et d'impossibilité pour aborder de manière réaliste l’articulation entre le référent théorique et la manière dont les vies humaines se passent réellement. IV.2. L'approche par l'économie néoclassique La seconde approche se fonde sur le paradigme néoclassique. Elle considère que la question de justice relève de l'éthique et n’appartient pas au champ de l’économie qui se préoccupe de l’efficacité à partir d’optima de production et d’échange. Dans le paradigme néoclassique, rappelons-le, la libre concurrence du marché permet à l’activité économique de maximiser le profit à travers une affectation optimale des ressources rares. L’idéal de justice sociale, qui suppose une intervention du pouvoir politique dans l'économie, constitue une entrave à la libre concurrence. Mais si on examine de près le discours néoclassique, la représentation du marché censé profiter au plus grand nombre 37 Al-Maghili (1994) et Al-Balatansi (1989), deux jurisconsultes du XV-XVIème siècle, ont consacré des essais à ce sujet épineux. 14 véhicule tacitement une idée de justice. Il en est de même pour l'affectation optimale des ressources dans la mesure où l'on assigne à chacune d'entre elles la place qui lui convient. L'un des représentants les plus en vue de cette approche est l’économiste indien Zubair Hasan qui a obtenu le dernier prix de la Banque islamique de développement (BID) consacré à l’économie musulmane. A cette occasion, il a présenté, le 8 mai 2011 au siège de la BID à Djeddah, une communication intitulée "Scarcity, Self Interest and Maximisation from Islamic Angle" dans laquelle il estime que ces trois postulats de base peuvent être intégrés avantageusement à l'économie musulmane avec quelques modifications interprétatives introduites pour répondre à l'éthique musulmane. Ces aménagements permettent, à ses yeux, d'élaborer une définition plus fiable de l'économie sous l'angle islamique qui "a pour objet l'étude du comportement humain en relation avec la multiplicité des besoins et la rareté des ressources avec des utilisations alternatives afin de maximiser le falah, c'est-à-dire la réussite à la fois dans le monde d'ici-bas et celui de l'au-delà" (Hasan, 2011, p. 22)38. L’auteur reproche, à juste titre, à certains théoriciens de l’économie musulmane de rejeter les postulats fondamentaux de la théorie néoclassique en se rapportant aux idéaux de leur système économique. Or, il inconcevable de comparer, rétorque-t-il, le fonctionnement concret d’un système aux idéaux de l’autre. Le résultat ne peut qu’être favorable au second (Hasan, 2011, p. 5). En partant de l'universalité de l'organisation économique centrée sur le marché, il assimile implicitement les économies du monde musulman à des variétés de capitalisme. La question de la justice paraît à ses yeux comme un trait des sociétés précapitalistes où les marchés sont limités et la plupart des phénomènes économiques s'inscrivent dans un registre normatif et moral (Hasan, 2011, p. 5). L’usage du mot renvoie ici à l’idée que l’idéal de justice n’intervient que pour corriger les résultats du marché en donnant un peu plus à ceux qui n’ont pas trouvé leur compte. Enfin, en adoptant l'approche orthodoxe selon laquelle l'économie est une science positive, il considère que la notion de science économique musulmane est dénuée de sens. D'où le choix non fortuit de quelques-uns de ses titres "… An Islamic Perspective" 38 Cette définition s’inspire de celle de Robins (1945, p. 16). 15 (Hasan, 2006), "… from Islamic Angle" (Hasan, 2011). Cette tendance à faire de l’économie une science pure traduit une volonté de se distinguer des autres disciplines en particulier du droit musulman. Il paraît peut-être insoutenable aujourd’hui de distinguer les faits des valeurs, au regard de l’épistémologie postmoderne, en scindant les questions en «ce qui est» et «ce qui devrait être» (Putnam, 2004, pp. 55-74)? Mais tout dépend des motivations réelles de cette distinction et des implications méthodologiques qui en découlent. A travers sa posture néoclassique, Zubair Hasan fini par adopter l’individualisme méthodologique pourtant incompatible avec la vision musulmane qui s’adresse à l'homme en tant que membre d'une société. Cette seconde approche est soutenue par le discours managérial qui exalte les valeurs de compétitivité (tanâfussiya), de performance (kafâa') et de réalisation individuelle (tahqîq al-dhât) tout en s'inscrivant dans le registre de l'économie musulmane. La cohésion sociale (talâhum ijtimâ’î) se substitue peu à peu dans le discours ambiant à la justice sociale. La zakât, le waqf (bien de mainmorte) et la sadaqa (don volontaire) sont mobilisés pour prendre le relais de l’État-Providence fortement remis en cause après l'adhésion d’un certain nombre de pays musulmans à l'Organisation mondiale du commerce. Avec la régulation de l’après seconde guerre mondiale, le débat politique portait sur le juste équilibre à trouver entre l’Etat et le marché. Aujourd’hui, le débat se positionne autour du marché. La dichotomie ‘inclusion sociale / exclusion sociale’ se substitue alors à celle de ‘justice / injustice’. La participation active dans l’économie est la clé de l’intégration à la société. Ce qui compte, c’est pouvoir intégrer le marché avec des chances équitables. Une responsabilité d’insertion socio-économique est demandée aux individus aux prises avec le chômage, la précarité et au manque de formation. La création de projets devient la clé de l’intégration sociale des jeunes dont la proportion est importante dans le monde musulman. Dans certains pays, le fonds de zakât est instrumentalisé pour financer les microprojets via un prêt à taux zéro qui semble résulter d'une faveur (MARW, 2010). Rien n'empêche que le fonds de zakât puisse financer de telles activités à condition que les bénéficiaires fassent partie des ayants droits. Le prêt à taux zéro n'a aucun sens dans ce cas car on ne prête pas à quelqu'un ce qui lui revient de plein droit! 16 V. Conclusion Les écrits politiques et économiques musulmans classiques présentent des pistes de réflexion intéressantes. Ces éléments n'ont pas été renouvelés par la pensée économique musulmane contemporaine qui s'est positionnée sur le débat mettant en jeu la justice sociale et l’efficacité économique. Pour certains, l’économique est subordonné à l'impératif de justice sociale, alors que d’autres établissent une priorité de l’efficace sur le juste qui est encastré dans l'éthique. La doctrine musulmane classique ne prétend pas définir et encore moins réaliser une justice idéale. En s’appuyant sur le fait que la minimisation de l’injuste prévaut sur la maximisation du juste, elle accorde la priorité à l'amélioration de la situation des plus défavorisés. L’intérêt de la question de justice ne se limite cependant pas à sa dimension politico-sociale pour combattre les injustices réelles, quels qu’en soient les outils pour y parvenir, elle nous interpelle plus en profondeur sur la place de l’économie dans la société et les sciences sociales, mais aussi sur l’usage modéré du normatif et du quantitatif en ces temps où ce qui échappe à la quantification est évacué de la science. Les chercheurs en économie musulmane n’ont pas exploré de telles questions qui touchent au statut de leur approche et des connaissances qu'ils produisent, à ce qui fait l’originalité de leur démarche ou à ce qui est sensé la distinguer des autres approches pour enrichir, en définitive, la pensée économique. Au demeurant, les autres écoles ou courants de pensée ne sont pas exempts de ce défi majeur qui fait de la justice une réalité pratique dans toutes ses dimensions. Bibliographie Aboud M. (2007). 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