Le discours sur la justice dans la pensée économique musulmane

publicité
Le discours sur la justice dans la pensée économique musulmane
Abderrazak Belabes(*)
Communication présentée aux Journées de l'Association Charles Gide «Justice et économie:
doctrines anciennes et nouvelles théories», avec la participation du professeur Amartya Sen, Prix
Nobel 1998, 16 et 17 juin 2011, Université Toulouse 1 Capitole.
I. Introduction
Le thème de ‘Justice et économie: doctrines anciennes et nouvelles théories’ offre
une occasion inédite de renouveler l’ouverture de l’économie vers d’autres champs de
connaissance et de redoubler d’efforts pour encourager les fécondations croisées.
La question de justice sera abordée ici en tant que pratique discursive telle qu’elle
s’énonce dans les textes référents1, la méthodologie du droit musulman, les essais
politiques et économiques classiques et la littérature contemporaine sur l’économie
musulmane. Il s’agit de savoir si la notion est abordée sous un prisme particulier et/ou si
elle se recoupe avec certaines approches contemporaines. La première partie est
consacrée à la dimension représentationnelle de la notion de justice en islam à travers ses
aspects
sémantique,
principiel,
instrumental,
déontologique,
téléologique
et
acquisitionnel. La seconde concerne les préoccupations de la littérature classique à
l’égard de la justice à travers les essais politiques et économiques. Enfin, la troisième
aborde la notion de justice dans la littérature contemporaine sur l’économie musulmane.
II. Aspects représentationnels
Les théories économiques, quelles qu’elles soient, sont au départ le fruit des
représentations qui structurent, à des degrés différents, la pensée de ceux qui les
formulent. En économie musulmane, ces représentations recouvrent l'aspect sémantique,
principiel, instrumental, déontologique, téléologique et acquisitionnel ayant trait à
l'acquisition de la connaissance sur la justice.
II.1. Aspect sémantique
Pour mieux comprendre ce qu'est la justice dans la pensée économique
musulmane, il convient d'abord de procéder à une investigation sémantique. Le terme
(*) Docteur en analyse et politique économiques de l’EHESS (Paris), actuellement chercheur au centre de recherche en
économie islamique, Université du Roi Abdulaziz, Djeddah, Arabie saoudite ; courriel: [email protected].
1
Les textes référents sont le Coran et la Sunna qui englobe à la fois les propos, les pratiques, les approbations et les
désapprobations du prophète de l’islam. Le mot hadith signifie parole prophétique.
1
couvre une réalité multidimensionnelle qui se prête mal à une définition univoque. D'où
la nécessité de cerner les différents sens possibles en partant de divers angles d'approche.
Du point de vue étymologique, le mot arabe "‘adl", l’équivalent du français
"justice", signifie une position médiane, entre l’excès (ifrât) et la négligence (tafrît). Il
signifie également la droiture, la rectitude (istiqâma), l’équité (inçâf), l’impartialité
(hiyadiya), l’égalité (mussâwât).
Le mot 'adl est le contraire du mot "jawr" qui signifie l’injustice, l’iniquité, la
tyrannie, l’oppression.
Du point de vue de la croyance (‘aqîda), la justice constitue un attribut divin (sifa
ilâhiya)2 qui découle fondamentalement du monothéisme3.
Du point de vue juridique, la justice renvoie à l’idée d’un jugement qui converge
vers la vérité et à l’idée d’équité qui renvoie à la jouissance des droits et
l'accomplissement des devoirs.
Dans le vocabulaire des jurisconsultes (fuqaha), la justice signifie la rectitude
(istiqâma), c’est-à- dire le fait de se conformer aux commandements et d’éviter les
interdictions4. Ceci démontre la diversité des sens que recouvre le terme justice dans la
littérature musulmane.
II.2. Aspect principiel
L'intérêt de l'aspect principiel se situe dans la recherche des fondements du
principe de justice dans la tradition monothéiste. La croyance, plus ou moins assumée,
joue un rôle important dans la caractérisation d'une société, notamment sur le plan
économique. La croyance de l'économiste va le porter vers une certaine théorie plutôt que
d’autres (Rist, 2007).
Dans les religions monothéistes, la justice constitue une valeur cardinale dans le
rapport de l’homme envers son créateur, envers lui-même et les humains. Le
2
Dieu dit dans un hadith sacré (qudsi) : "Ô Mes serviteurs ! Je me suis interdit l’injustice à Moi-même, et Je vous l’ai
également interdite. Ne soyez donc pas injustes les uns envers les autres", Al-Bukhari (n° 3150) et Muslim (n° 1062).
3
Dieu dit dans le Coran : "Nous avons effectivement envoyé Nos messagers avec des preuves évidentes, et Nous avons
révélé, par leur intermédiaire, l’Écriture et la Balance, afin que les gens établissent la justice" (Coran, 57, 25).
4
Ces différents sens ont été puisés d'Ibn Mandhour (1988, t. 9, pp. 83-84), Al-Charbassi (1981, p. 289), Hamad (1993,
pp. 193-19) et Amara (1993, pp. 368-369).
2
monnothéisme (tawhîd) marque
m
le point
p
culm
minant de laa justice eet, inversem
ment, le
polyythéisme (chhirk) celui de
d l'injustice.
Dans la
l traditionn musulmaane, le monothéisme
m
e s'appuie sur trois piliers
indiissociables: l'appréhennsion (rahhba), l'amoour (mahaaba) et lee désir (rraghba).
L'apppréhensionn et le désirr, liés au com
mmandemeent (amr) ett l'interdictioon (nahy), relèvent
r
du déontologiq
d
que5. L'amour lié à la vertu
v
relèvee quant à elle du téléollogique6. Laa justice
recoouvre donc une dimennsion déonttologique eet une dimeension théoologique. Cees deux
dim
mensions, ssensées apppartenir à une mêm
me matricee de connnaissance, peuvent
muttuellement sse renforcerr ou, au conttraire, s'excclure (fig. 1)).
Lorsquee les condittions sont optimales,
o
lee déontologgique induitt de façon naturelle
n
le tééléologiquee. La questioon téléologiique interviient quand ce
c cheminem
ment est peeu à peu
rem
mis en quesstion. Elle reflète donnc davantagge une régrression de la pratiquee qu’un
proggrès de la pensée et engage unne réflexionn en profoondeur sur les condittions de
posssibilité et d’’impossibiliité.
Cet agencement épistémolog
é
gique monttre que la justice soociale, issuee d’une
inteerprétation ttéléologiquee, ne peut justifier
j
la négation d’un
d
droit teel que la propriété
p
privvée. Dans le
l droit muusulman, l'inntérêt génééral ne prim
me sur l'intéérêt person
nnel que
quannd il y a connflit entre lees deux entiités.
Figure 1. Lien entre monothéisme
m
e et justice
monoth
héisme
appréhension (rahba)
amour (m
mahaba)
désir (raghba)
justtice
déon
ntologie
téléo
ologie
déontologie
5
6
La déontologie
d
siggnifie ici l’étudee des devoirs quui englobe les obligations
o
et lees interdictions.
La téléologie
t
signiifie ici l’étude des
d finalités.
3
II.3. Aspect instrumental
Dans la littérature sur l’économie musulmane, l’instrument phare de la justice
sociale est la zakât. En langue arabe, le mot zakât signifie purification, accroissement et
bénédiction. Du point de vue conventionnel, la notion de zakât a un sens spécifique en
tant que droit accordé à certaines catégories de personnes se trouvant dans le besoin et un
sens général qui englobe toute forme de redistribution répondant à des besoins humains
réels (Ibn Taymiya7, 1998, t. 28, p. 200).
A travers le mécanisme de zakât, l’économie musulmane reconnaît le droit de
propriété du fait que nul ne peut donner ce qu'il ne possède pas et la liberté économique
du fait que celui qui acquitte la zakât dispose de ses biens à sa guise. La zakât engage, par
ailleurs, le rôle de l'Etat qui veille à sa collecte et sa distribution8 (fig. 2). Une économie
libre n’est pas une économie où chaque agent ferait tout ce qu’il lui plairait. C’est un
système au sein duquel la liberté est garantie tant qu’elle n’enfreint pas les normes. D’où
la célèbre formule du droit musulman des contrats : en matière de transactions
(mu’âmalât), la règle est la permission (ibâha).
Figure 2. Relation entre zakât, propriété privée, liberté économique et action de l'Etat
propriété privée
zakât
libérté
économique
action de l'Etat
Les théoriciens de l'économie musulmane justifient la zakât de la manière
suivante: les biens de cette terre appartiennent à Dieu, l'homme en est dépositaire
7
Ahmed Ibn Taymiya célèbre jurisconsulte apparenté à l'école hanbalite né en 1263 à Haran, au sud-est de la Turquie,
et décédé en 1328 à la prison de Damas.
8
Dans le monde musulman contemporain, la zakât est laissée à la discrétion des croyants, sauf dans quelques pays où
l’État s'efforce de remplir ce rôle. Le manque de confiance des gouvernés à l'égard des gouvernants à cause de la
corruption pousse les croyants à distribuer directement la zakât aux nécessiteux sans passer par l'instance étatique
compétente.
4
(khalîfa). A cet effet, il est appelé simultanément à fructifier ces biens de manière
optimale et à en affecter une partie pour les ayants droit. La zakât constitue un acte de
remerciement pour les biens accordés mais aussi un gage de pérennité de ces biens9.
Soumis à cette dernière, les biens accumulés font l'objet d'une baisse continue sauf s'ils
sont investis à un taux de rendement au moins égal au quotient Z/ 1 – Z où Z désigne le
taux de zakât qui varie selon la nature du bien. La valeur finale nette (VFN) des biens
s'ils ne sont investis se calcule de la manière suivante:
VFN
B 1
Avec
B: biens tangibles fructifiables accumulés durant une année lunaire après avoir
atteint un certain seuil
T : nombre d'années
II.4. Aspect déontologique
La justice est une vertu (fadhîla), c’est-à-dire une disposition habituelle et un
comportement permanent qui interviennent de manière endogène dans le processus et non
après de façon exogène pour en atténuer la sévérité. En droit musulman, la justice
s’exprime par des devoirs qui portent vers le bien en dépit des obstacles rencontrés. Le
devoir (c) induit des actes (a) qui se placent d'emblée dans le temporel (t):
,
,
La référence textuelle à la thématique de justice associe le spirituel et le temporel.
Dieu dit dans une parole prophétique sacrée (hadith qudsi): "Nous avons descendu les
biens pour accomplir les prières et acquitter la zakât"10, c'est-à-dire les droits du créateur
et ceux des créatures. La justice, en accordant à chacun ce qu'il mérite au regard de la loi,
se différencie de l'égalité (mussâwât) qui consiste à donner la même chose pour tous11.
9
Un hadith authentique rapporté par Muslim (n° 2588) stipule ceci: "Les biens de celui qui s'acquitte de la zakât ne
diminuent point".
10
Hadith rapporté par Ahmed (n° 21956) et authentifié par Al-Albani (n° 1639).
11
L'islam reconnaît l'égalité devant la loi ou l’égalité en droit selon laquelle tout individu doit être traité de la même
manière par la loi, voir Aboud (2008, p. 116).
5
L'histoire du monde musulman de la période médinoise à nos jours montre que
l'acquittement de l'aumône légale a été honoré et quelquefois nié12 ou, comme nous le
verrons plus loin, détourné de sa vocation initiale pour des raisons intérieures et/ou sous
influence extérieure. L'État, dans le monde musulman est organisé aujourd'hui par une
combinaison entre droit positif (droit civil ou common law) et droit musulman qui se
limitait au code du statut personnel (ahwâl chakhsiya)13. Depuis le début des années
1980, plusieurs pays ont adopté un cadre juridique spécifique au fonctionnement des
banques islamiques14.
II.5. Aspect téléologique
Le droit musulman vise à soutenir et maximiser les avantages (max A) et à réduire
et minimiser les désavantages (min D) en partant du constat qu’il n’y a pas d’avantage
pur (maslaha mahdha) ni de désavantage pur (mafsada mahdha)15. La téléologie de la loi
musulmane (LM) s’inscrit dans cette tradition16 :
LM
max A, min D
(1)
Il est possible d’envisager les avantages attendus (Aa) si l'on dispose de la
probabilité de maximisation des avantages (PmaxA):
Aa = max A x PmaxA
(2)
La littérature sur la téléologie de la loi musulmane (TLM) considère que les lois les
plus sacrées de la justice sont celles qui visent à protéger la croyance, la personne, la
raison, la postérité et les biens. En ce sens, la justice constitue un des principaux objectifs
de l'économie musulmane (Chapra, 2000, p. 107; Benbiya, 2010, p. 71).
De cette manière, la politique économique ne se concentre pas sur la définition
d'une justice idéale ni prétend éliminer l'injustice d'un coup de baguette magique. Elle
vise à soutenir et maximiser la justice (max J) et à réduire et minimiser l'injustice (min I):
12
A l'époque d'Abu Bakr (d. 634), premier calife, certains musulmans ont nié l'acquittement de l'aumône légale.
Même les pays réputés conservateurs n'échappent pas à cette tendance.
14
Au nombre de ces pays on compte la Malaisie, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Koweït, la Turquie, le Bahreïn,
le Yémen, la Jordanie, le Liban et la Syrie.
15
Chaque chose présente des avantages et des inconvénients et l’évaluation tend à porter sur ce qui prévaut. Si le
désavantage est plus important que l’avantage ou s’ils sont équivalents, la minimisation du désavantage prévaut sur la
maximisation de l’avantage.
16
Coran (5, 48).
13
6
(1) ⇒ TLM = {max J , min I}
L’avantage attendu en termes de justice (Aaj) peut être envisagé en fonction de la
probabilité correspondante (PmaxJ):
(2) ⇒ Aaj = max J x PmaxJ
En partant de la règle selon laquelle la minimisation de l’injuste prévaut sur la
maximisation du juste, la politique économique accorde la priorité à l'amélioration de la
situation des plus défavorisés pour palier aux inégalités de capacité liées à la faiblesse des
dotations en capital (intellectuel, physique et financier), au manque d’opportunités
rencontrées ou à des difficultés passagères (licenciement, faillite, endettement, séparation
familiale, maladie).
II.6. Aspect acquisitionnel
Les aspects principiel, instrumental, déontologique et téléologique laissent penser
à première vue que l’acquisition du juste se fonde exclusivement sur la révélation divine.
Qu'en est-il vraiment ?
Selon Ibn Taymiya (1985, pp. 170-171), certains aspects de la justice sont
accessibles à tout esprit lucide comme le fait de payer le prix d’un bien, de remettre
l’objet vendu à l’acheteur et d’honorer les termes du contrat approuvé par les parties.
D’autres aspects ne sont accessibles que par la révélation comme l'acquisition de
biens par des moyens injustes, tels que l’usure (ribâ) et les jeux de hasard (maysir), à
travers une sorte de jeu à somme nulle ou gagnant-perdant. Ces prohibitions sont
justifiées par le refus de l’injustice et le souci de justice par le bais d’un jeu à somme
positive ou gagnant-gagnant. Ce qui parait décisif c'est moins les prohibitions prises
séparément17 que leurs pondérations respectives dans la fonction matricielle et la
persistance de leur structure dans le temps en dépit des changements que connait
l'économie tout au long de son histoire.
A travers cette approche, la tradition musulmane semble sensible aux pratiques de
justice sous leurs diverses formes quelle qu'en soit l’origine. En l'an 617, alors que les
17
A titre d'exemple, la prohibition de l'usure n'est pas spécifique à l'islam. A travers l'observation, Socrate condamne
l'usure comme incompatible avec la nature même de l'argent.
7
premiers convertis à l'islam subissent une oppression sans merci de la part des notables
mecquois, le Prophète Muhammad demande à ses compagnons d'émigrer en Ethiopie: "Il
y a dans ce pays un roi18 auprès de qui personne ne subit une injustice"19. La justice est
une aspiration qui se situe à mi chemin du fond sacré et de la pratique quotidienne qui
s'inspire des expériences accumulées auprès de différents peuples. Ceci amène certains
jurisconsultes à distinguer deux types de politiques: une politique injuste (siyâssa
dhâlima) que la loi musulmane réprouve et une politique juste (siyâssa ‘adila) que la loi
musulmane soutient (Ibn Farhun, 1986, p. 137). "Dieu, note Ibn Taymiya (1980, p. 147),
par ailleurs, ce même jurisconsulte, consolide l’Etat juste même s’il est impie et anéanti
l’Etat tyrannique même s’il est musulman".
III. La notion de justice dans les écrits politiques et économiques classiques
Les idées économiques classiques se trouvent, en grande partie, dans les traités
politiques et économiques. Elles doivent être replacées dans leur contexte spatiotemporel. Quelle que soit la notoriété de leurs auteurs, elles restent des connaissances
historiquement datées et géographiquement situées. Pour comprendre ce que disent ces
auteurs, il convient de comprendre le sens qu’ils donnent au mot justice dans leur
répertoire représentationnel. Le style d'écriture reflète quelque peu l'ambiance qui
prévalait entre le pouvoir politique et l'élite intellectuelle. Celle-ci était, semble-t-il,
contrainte à adopter une posture douce ou soft plutôt que de s'enliser dans une
confrontation périlleuse en condamnant ouvertement l'injustice. Il convient de relever que
ces auteurs parlent de biens (mâl) et non de richesse (tharwa). Le terme bien signifie dans
son acception générale ce qui est utile et profitable et répond donc aux besoins réels des
populations.
III.1. Les écrits classiques sur la politique
Au début du XIème siècle, Tha’âlibi20 (1990, pp. 89-90) écrit: "la justice est la
meilleure qualité des gouvernants […] La justice permet aux biens de perdurer
davantage que l’injustice qui anéantit les biens et limite leur croissance". Dans son traité
18
Il fait référence au roi Négus.
Hadith rapporté par Ahmed (n° 18304) et authentifié par Al-Albani (n° 3190).
20
Adelmalik Al-Thaalibi écrivain originaire de la ville perse de Nisabour décédé en 1038. 19
8
où il prodigue des conseils aux gouvernants, Ibn Al-Jawzi21 (1978, p. 41) développe une
idée quasiment similaire: "la justice est l’essence du gouvernement en donnant à chacun
ce qui lui revient et en évitant l’injustice". La justice constitue une condition nécessaire
pour le gouvernant du fait qu’il est en charge du destin commun comme le relève AlIskafi22 (1964, p. 77) à travers son essai sur la bonne gouvernance. Dans un livre traitant
du même sujet rédigé sous le règne du calife abbasside Al-Mu’tasim (833-842), Ibn Abi
Al-Rabi’23 (1978, p. 145) développe l’idée selon laquelle la justice conduit au peuplement
et la prospérité de la cité (‘imrân) et perpétue le Royaume. A la fin du XIIème siècle, AlChirzi24 (1987, p. 242) précise que sans justice, il n’y a pas de réforme sérieuse
susceptible d’améliorer l’activité économique et la rendre viable sur le long terme : "la
justice est la plus noble des qualités du gouvernant et constitue une valeur plus
structurante sur laquelle s’appuie son Etat car elle aboutit à l’adhésion, appelle à la
fraternité, réforme les activités [économiques], fructifie les biens, stimule les gouvernés et
parachève les privilèges". Environ un siècle plus tard, Ibn al-Taktaki25 écrit dans son
"Traité sur l’art de la gouvernance et les Etats musulmans": "la justice engendre
l’abondance, l’édification des projets et la valorisation des hommes". A la fin du XIVème
siècle, Ibn Jamâ’a26 (1987, p. 69) mentionne dans son "Essai sur la gestion des affaires
de l’islam": "la justice permet la réforme du royaume, la persistance de l’Etat et
l’édification du pays". Pour leur part Ibn Khaldoun27 (1978, p. 279) et Ibn Al-Azraq28
(1977, p. 205) orientent la réflexion sur la relation entre la justice et les revenus de
l’Etat selon le cercle vertueux suivant:
21
Abderahman Ibn Al-Jawzi jurisconsulte hanbalite originaire de Damas décédé en 597. Muhammad Al-Iskafi écrivain et linguiste originaire d’Ispahan décédé en 1029. 23
Ahmed Ibn Abi Al-Rabi’ philosophe du IXème siècle dont on ne dispose pas d’informations suffisantes jusqu'à
présent. 24
Abderahman Al-Chirzi décédé en 1193. 25
Muhammad Ibn Al-Taktaki historien originaire de la ville irakienne de Mosul décédé en 1309. 26
Muhammad Ibn Jamaa’ juge et jurisconsulte chafi’ite originaire de la ville syrienne de Hama décédé en 1332. 27
Abderahman Ibn Khaldoun historien et sociologue originaire de Tunis décédé au Caire en 1406. 28
Muhammad Ibn Al-Azraq sociologue andalou originaire de Grenade décédé en 1491. 22
9
justice
confiance
augmentation des revenus de l'Etat
peuplement
croissance de l'activité économique
Le message est clair, la justice constitue pour le gouvernant davantage une opportunité
qu’une contrainte. Selon Ibn Khaldoun (1978, p. 282), "c’est le revenu de l’État seul qui
enrichit le souverain et augmente ses moyens. Pour que le revenu soit ample, on doit
ménager les contribuables et les traiter avec justice; de cette manière on les incite à
travailler avec ardeur dans le but de faire fructifier leurs biens; car c’est d’eux que le
souverain puise presque tout ses biens". L’injustice ne consiste pas uniquement, relève
Ibn Khaldoun (1978, p. 298), "à s’emparer des biens, ou d’une propriété sans juste motif
et sans dédommagement, comme cela est généralement admis. L’injustice a une
signification beaucoup plus étendue : celui qui s’empare du bien d’autrui, qui lui impose
des corvées, qui exige de lui un service ou lui impose quelque chose sans y avoir droit est
un injuste. Les percepteurs de droits non autorisés par la loi sont des injustes, ceux qui
spolient les biens sont des injustes, ceux qui dépouillent les autres de leurs biens sont des
injustes; ceux qui n’honorent pas les droits d’autrui sont des injustes, ceux qui d’une
manière générale enlèvent de force tout ce qui ne leur appartient pas sont tous des
injustes, et les conséquences de tous ces actes retombent sur l’Etat à travers le
dépeuplement et la ruine".
III.2. Les écrits classiques sur l’économie
Les écrits économiques classiques traitent en général de l'acquisition des biens
(kasb) via une activité économique (commerce, agriculture, élevage, artisanat, pêche) et
des revenus de l'Etat sous le titre kharâj ou d'amwâl.
La plupart des écrits de finance publique insistent, dans leur introduction, sur la
justice comme une des qualités requises pour le gouvernant. En témoigne, le livre des
10
biens d’ibn Sallam29 (2007, t. 1, pp. 37-38) ainsi que ceux d’ibn Zinjawîh30 (1986, t. 1,
pp. 65-71) et d’Al-Dawûdi31 (2001, p. 23). Dans son essai sur les revenus de l'Etat (Kitâb
al-kharâj32), rédigé à la fin du VIIIème siècle, le célèbre juge Abu Yusuf33 (1987, p. 111)
écrit : "la justice et l’équité en faveur des opprimés évitent l’injustice et attirent les
revenus qui augmentent les rentrées au trésor publique et édifient le pays. La bénédiction
augmente avec la justice et diminue avec l’injustice. Une fiscalité injuste diminue
l’activité économique et mène au dépeuplement".
D’autres jurisconsultes réfutent la tendance de certains adeptes du soufisme à
adopter une attitude négative vis-à-vis de l’économique. En agissant de la sorte, sous
prétexte que l’activité économique contredit la confiance en Dieu (tawakul), ces adeptes
s’éloignent du principe de justice consistant, dans ce cas précis, à mettre le temporel et le
spirituel à la place qui leur convient au lieu de les opposer inutilement. Parmi ces auteurs,
on retrouve Ibn Al-Hassan34 dans son ouvrage "l’acquisition des biens" (kasb) et AlKhalal35 à travers un essai dont le titre est révélateur "Incitation au commerce, à
l’artisanat, au travail et réfutation de celui qui prétend se conformer à la confiance en
Dieu en délaissant le travail". Cette opposition inféconde a introduit une autre question
parfois débattue jusqu’à nos jours: lequel des deux hommes est le meilleur, le riche
reconnaissant ou le pauvre endurant ? Un érudit turc du XVIème siècle, Muhammad AlBirikli, lui a consacré un essai entier "De la préférence entre le riche reconnaissant ou le
pauvre endurant".
La lecture de ces essais politiques et économiques classiques fait ressortir les
idées suivantes qui restent d'actualité en ce printemps arabe:
•
la justice, en tant que vertu, appartient, en premier lieu, au champ politique;
•
la justice est la première des vertus cardinales d'un gouvernement;
29
Abu Ubaïd Al-Qacem ibn Salam linguiste, jurisconsulte et spécialiste du hadith né en 770 à Herat à l'ouest de
l'Afghanistan et décédé en 838 à la Mecque. 30
Humaïd Ibn Zinjawih né en 796 et décédé en 865.
31
Ahmed Al-Daoudi jurisconsulte malékite originaire de Msila ou de Biskra dans l'Est algérien, décédé à Tlemcen à
l'ouest de l'Algérie en 1011.
32
A l'origine, le kharâj est un impôt foncier sur la terre. Le mot a acquis, peu à peu, la signification générale de revenus
de l'Etat.
33
Ya'qub Abu Yusûf célèbre jurisconsulte et cadi hanafite né à Koufa en Irak en 735 et décédé en 795.
34
Muhammad Ibn Al-Hassan Chibâni jurisconsulte hanafite né en 750 et décédé en 805.
35
Ahmed Al-Khalal jurisconsulte hanbalité né en 848 et décédé en 923.
11
•
la justice constitue pour le gouvernant davantage une opportunité qu’une
contrainte.
•
la justice est le fondement de la vie sociale qui conduit au peuplement et à
l'édification d'une cité prospère ('imrân);
•
nul progrès n'est possible sans justice.
•
la pérennité de l'Etat dépend fondamentalement de la justice.
•
une fiscalité inadaptée aux structures économiques et sociales mène au
dépeuplement et à la ruine (kharâb).
•
la justice valorise les hommes afin que chacun puisse se consacrer à ce qu’il sait
faire de mieux.
IV. La justice dans la littérature contemporaine sur l'économie musulmane
Le discours contemporain de l'économie musulmane sur la justice fait ressortir
deux grandes approches: l’approche par l’économie politique et l’approche par
l’économie néoclassique soutenue par le discours managérial anglo-saxon qui glorifie la
réalisation personnelle.
IV.1. L'approche par l'économie politique
La première approche se place comme une troisième voie, à mi-chemin entre le
socialisme et le capitalisme, et considère la justice comme une finalité de l'économie
musulmane (Chapra, 2000, p. 100). L’un des représentant les plus en vue de cette
approche est l'économiste saoudien, d'origine pakistanaise, Umar Chapra36. L'économie
ne peut se passer des valeurs morales et de la solidarité familiale et sociale (Chapra,
2000, p. 367).
L’économie musulmane, est selon lui, "cette branche de la connaissance qui
contribue au bien-être via l’affectation et la distribution des ressources rares d’une
manière conforme aux finalités de la loi musulmane, sans trop limiter la liberté
individuel, ni créer des déséquilibres macroéconomiques et écologiques durables, ou
affaiblir la solidarité familiale et sociale et le tissu morale de la société" (Chapra, 2000,
p. 125). L'économie musulmane ne se limite pas à analyser ce qui est, elle englobe
36
L’économiste a obtenu en 1988 le prix de la Banque islamique de développement et le prix du Roi Fayçal pour les
études musulmanes.
12
également ce qui doit être, elle est politique (Chapra, 2000, p. 371). Elle contribue à cet
égard à revitaliser la branche normative de l’économie politique (Nienhaus, 1989). D’une
manière générale comme le relève Bernard Guerrien (2004, p. 109), "il est dans la nature
même de l’économie d’être «politique»: lorsqu’il aborde un problème, quel qu’il soit,
l’économiste a toujours une idée de ce qui doit être, de ce qu’il pense être la «bonne»
solution – en fait, c’est là, presque toujours, sa principale motivation, même si elle n’est
pas clairement exprimée (ou même s’il n’en est pas vraiment conscient, tellement sa
solution lui semble évidente)".
La vie selon les valeurs morales contribue, selon Chapra, à l'équilibre entre
l’intérêt personnel et l’intérêt général et à la réalisation de la vision de l'islam dont la
justice constitue l'un des fondements les plus importants. La justice a un traitement si
particulier qu'il semble difficile de comprendre comment l'islam et l'injustice peuvent
coexister dans une société musulmane réelle. L'injustice ne peut régner que si les valeurs
musulmanes n'ont plus d'emprise réelle sur la société (Chapra, 2000, p. 58).
Dans le monde de l'économie, les ressources constituent un dépôt (amâna) de
Dieu dont les hommes vont rendre des comptes, il n'y a d'autres choix que de les utiliser a
bon escient de façon juste et mesurée (Chapra, 2000, p. 64). Les érudits musulmans,
relève-t-il, ont mentionné tout au long de l'histoire que la justice sociale conduit à plus
d'efficacité économique non seulement pour l'amélioration de la paix et la solidarité
sociales mais aussi pour inciter à l'effort et l'innovation (Chapra, 2000, p. 117).
En adoptant une posture réaliste de la question économique, il considère que la
zakât et la finance participative contribuent à résoudre certains – et non tous les – grands
problèmes économiques contemporains. L'Etat moderne qui évolue dans une économie
mondialisée ne peut se passer de l'impôt. Mais ce dernier doit être juste. Pour ce faire, il
doit remplir trois conditions:
-
il sert à financer ce qui est vital conformément aux finalités de la loi musulmane;
-
la charge fiscale doit être supportable et divisée de manière équitable entre les
personnes, physiques et morales, imposables.
-
l'impôt doit être affecté à ce pour quoi il a été institué (Chapra, 2000, p. 335).
13
Dans le modèle de base, si les recettes de la zakât ne suffisent pas, pour une raison
ou une autre, l'Etat est amené à puiser de ses revenus propres. Si ces derniers s'avèrent
encore insuffisants, l'Etat recourt, en dernier ressort, à l'impôt. Cette description ne prend
pas en compte l'état de développement, ni le degré d'ouverture de l'économie et le
contexte géoéconomique mondial. Elle ne prend pas en compte les dépenses excessives
des Etats (Chapra, 2000, pp 337-342), qui ne datent pas d’aujourd’hui37, ni celles des
consommateurs. Les banques islamiques qui privilégient les produits basés sur
l'endettement ont accentué la tendance et suscitent un vif débat sur la finalité de la
finance islamique (Belabes, 2011). Il y a ainsi un décalage manifeste entre le mécanisme
de redistribution accompagné, dans sa conception originelle, par une éducation à la
consommation et une rationalisation des dépenses publiques et un sentiment de privation
aigu qui porte à désirer ce dont on croit manquer. L’économie musulmane, comme les
autres économies, évolue dans un monde complexe traversé par des tensions multiples
(Al-Suwailem, 2008). Les mécanismes de redistributions ne sauraient s'effectuer
miraculeusement de manière instantanée indépendamment de leurs institutions que
plusieurs siècles d’évolution ont permis de façonner. D'où la nécessité d'une réflexion
rigoureuse sur les conditions de possibilité et d'impossibilité pour aborder de manière
réaliste l’articulation entre le référent théorique et la manière dont les vies humaines se
passent réellement.
IV.2. L'approche par l'économie néoclassique
La seconde approche se fonde sur le paradigme néoclassique. Elle considère que
la question de justice relève de l'éthique et n’appartient pas au champ de l’économie qui
se préoccupe de l’efficacité à partir d’optima de production et d’échange. Dans le
paradigme néoclassique, rappelons-le, la libre concurrence du marché permet à l’activité
économique de maximiser le profit à travers une affectation optimale des ressources
rares. L’idéal de justice sociale, qui suppose une intervention du pouvoir politique dans
l'économie, constitue une entrave à la libre concurrence. Mais si on examine de près le
discours néoclassique, la représentation du marché censé profiter au plus grand nombre
37
Al-Maghili (1994) et Al-Balatansi (1989), deux jurisconsultes du XV-XVIème siècle, ont consacré des essais à ce
sujet épineux.
14
véhicule tacitement une idée de justice. Il en est de même pour l'affectation optimale des
ressources dans la mesure où l'on assigne à chacune d'entre elles la place qui lui convient.
L'un des représentants les plus en vue de cette approche est l’économiste indien
Zubair Hasan qui a obtenu le dernier prix de la Banque islamique de développement
(BID) consacré à l’économie musulmane. A cette occasion, il a présenté, le 8 mai 2011
au siège de la BID à Djeddah, une communication intitulée "Scarcity, Self Interest and
Maximisation from Islamic Angle" dans laquelle il estime que ces trois postulats de base
peuvent être intégrés avantageusement à l'économie musulmane avec quelques
modifications interprétatives introduites pour répondre à l'éthique musulmane. Ces
aménagements permettent, à ses yeux, d'élaborer une définition plus fiable de l'économie
sous l'angle islamique qui "a pour objet l'étude du comportement humain en relation avec
la multiplicité des besoins et la rareté des ressources avec des utilisations alternatives
afin de maximiser le falah, c'est-à-dire la réussite à la fois dans le monde d'ici-bas et
celui de l'au-delà" (Hasan, 2011, p. 22)38.
L’auteur reproche, à juste titre, à certains théoriciens de l’économie musulmane
de rejeter les postulats fondamentaux de la théorie néoclassique en se rapportant aux
idéaux de leur système économique. Or, il inconcevable de comparer, rétorque-t-il, le
fonctionnement concret d’un système aux idéaux de l’autre. Le résultat ne peut qu’être
favorable au second (Hasan, 2011, p. 5).
En partant de l'universalité de l'organisation économique centrée sur le marché, il
assimile implicitement les économies du monde musulman à des variétés de capitalisme.
La question de la justice paraît à ses yeux comme un trait des sociétés précapitalistes où
les marchés sont limités et la plupart des phénomènes économiques s'inscrivent dans un
registre normatif et moral (Hasan, 2011, p. 5). L’usage du mot renvoie ici à l’idée que
l’idéal de justice n’intervient que pour corriger les résultats du marché en donnant un peu
plus à ceux qui n’ont pas trouvé leur compte.
Enfin, en adoptant l'approche orthodoxe selon laquelle l'économie est une science
positive, il considère que la notion de science économique musulmane est dénuée de
sens. D'où le choix non fortuit de quelques-uns de ses titres "… An Islamic Perspective"
38
Cette définition s’inspire de celle de Robins (1945, p. 16).
15
(Hasan, 2006), "… from Islamic Angle" (Hasan, 2011). Cette tendance à faire de
l’économie une science pure traduit une volonté de se distinguer des autres disciplines en
particulier du droit musulman. Il paraît peut-être insoutenable aujourd’hui de distinguer
les faits des valeurs, au regard de l’épistémologie postmoderne, en scindant les questions
en «ce qui est» et «ce qui devrait être» (Putnam, 2004, pp. 55-74)? Mais tout dépend des
motivations réelles de cette distinction et des implications méthodologiques qui en
découlent. A travers sa posture néoclassique, Zubair Hasan fini par adopter
l’individualisme méthodologique pourtant incompatible avec la vision musulmane qui
s’adresse à l'homme en tant que membre d'une société.
Cette seconde approche est soutenue par le discours managérial qui exalte les
valeurs de compétitivité (tanâfussiya), de performance (kafâa') et de réalisation
individuelle (tahqîq al-dhât) tout en s'inscrivant dans le registre de l'économie
musulmane. La cohésion sociale (talâhum ijtimâ’î) se substitue peu à peu dans le discours
ambiant à la justice sociale. La zakât, le waqf (bien de mainmorte) et la sadaqa (don
volontaire) sont mobilisés pour prendre le relais de l’État-Providence fortement remis en
cause après l'adhésion d’un certain nombre de pays musulmans à l'Organisation mondiale
du commerce. Avec la régulation de l’après seconde guerre mondiale, le débat politique
portait sur le juste équilibre à trouver entre l’Etat et le marché. Aujourd’hui, le débat se
positionne autour du marché. La dichotomie ‘inclusion sociale / exclusion sociale’ se
substitue alors à celle de ‘justice / injustice’. La participation active dans l’économie est
la clé de l’intégration à la société. Ce qui compte, c’est pouvoir intégrer le marché avec
des chances équitables. Une responsabilité d’insertion socio-économique est demandée
aux individus aux prises avec le chômage, la précarité et au manque de formation. La
création de projets devient la clé de l’intégration sociale des jeunes dont la proportion est
importante dans le monde musulman. Dans certains pays, le fonds de zakât est
instrumentalisé pour financer les microprojets via un prêt à taux zéro qui semble résulter
d'une faveur (MARW, 2010). Rien n'empêche que le fonds de zakât puisse financer de
telles activités à condition que les bénéficiaires fassent partie des ayants droits. Le prêt à
taux zéro n'a aucun sens dans ce cas car on ne prête pas à quelqu'un ce qui lui revient de
plein droit!
16
V. Conclusion
Les écrits politiques et économiques musulmans classiques présentent des pistes
de réflexion intéressantes. Ces éléments n'ont pas été renouvelés par la pensée
économique musulmane contemporaine qui s'est positionnée sur le débat mettant en jeu
la justice sociale et l’efficacité économique. Pour certains, l’économique est subordonné
à l'impératif de justice sociale, alors que d’autres établissent une priorité de l’efficace sur
le juste qui est encastré dans l'éthique.
La doctrine musulmane classique ne prétend pas définir et encore moins réaliser
une justice idéale. En s’appuyant sur le fait que la minimisation de l’injuste prévaut sur la
maximisation du juste, elle accorde la priorité à l'amélioration de la situation des plus
défavorisés. L’intérêt de la question de justice ne se limite cependant pas à sa dimension
politico-sociale pour combattre les injustices réelles, quels qu’en soient les outils pour y
parvenir, elle nous interpelle plus en profondeur sur la place de l’économie dans la
société et les sciences sociales, mais aussi sur l’usage modéré du normatif et du
quantitatif en ces temps où ce qui échappe à la quantification est évacué de la science.
Les chercheurs en économie musulmane n’ont pas exploré de telles questions qui
touchent au statut de leur approche et des connaissances qu'ils produisent, à ce qui fait
l’originalité de leur démarche ou à ce qui est sensé la distinguer des autres approches
pour enrichir, en définitive, la pensée économique. Au demeurant, les autres écoles ou
courants de pensée ne sont pas exempts de ce défi majeur qui fait de la justice une réalité
pratique dans toutes ses dimensions.
Bibliographie
Aboud M. (2007). "Min Dhamânât al-‘adâla fi al-qadhâ’ al-islâmi" (Des garanties de la justice dans le
système judicaire musulman), Revue 'Al-‘Adl, n°35, Août, pp. 113-172.
Abu Yussef Y. (1979). Kitâb al-kharâj (Le livre de l’impôt foncier), Dar Al-Ma’arifa, Beyrouth.
Al Charbassi A. (1981), Al-mu’ajam al-iqtiçâdi al-islâmi (Dictionnaire économique musulman), Editions
Al Jil, Al-Mansura.
Al-Balatansi T. (1989). Tahrîr al-maqâl fima yahil wa yuhram min baït al-mâl (Essai sur ce qui est permis
et ce qui est interdit du Trésor), Dar al-Wafa’, Al-Mansura, 1989.
Al-Birikli M. (1994). Al-mufâdhala baïn al-ghani al-châkir wa al-fakîr al-sabir (De la préférence entre le
riche reconnaissant ou le pauvre endurant), Editions Ibn Hazm, Riyad.
Al-Chirzi A. (1987). Al-manhaj al-maslûk fi siyâssat al-mulûk (La voie empruntée en matière de politique
des gouvernants) Editions Al-Manar, Al-Zarqa.
Al-Daoudi A. (2001). Kitâb al-amwâl (Le livre des biens), Dar Al-Hamed, Amman.
Al-Iskafi M. (1979). Lutf al-tadbîr (traité sur la bonne gouvernance), Dar Al-Kutub Al-‘Ilmiya, Beurouth.
Al-Khalal A. (1995). Al-hath ‘ala al-tijâra wa al-sinâ’ wa al-‘amal wa al-inkâr ‘ala man yada’I al-tawakul
fit ark al-‘amal (Incitation au commerce, à l’industrie, au travail et réfutation de celui qui prétend se
conformer à la confiance en Dieu en délaissant le travail), Maktabat Al-Matbu’at Al-Islamiya, Halep.
17
Al-Maghili M. (1994). Tâj al-dîn fima yajib 'ala al-mulûk wa al-salâtîn (La couronne de la religion sur les
devoirs des rois et des sultans, Dar Ibn Hazm, Beyrouth.
Al-Suwailem Sami (2008). Islamic Economics in a Complex World, Islamic Research and Training
Institute, Jeddah.
Amara M. (1993). Qamûs al-mustalahât al-iqtiçâdiya fi-al-hadhâra al-islâmiya (Dictionnaire des concepts
économiques de la civilisation musulmane), Editions Al Shuruq, Le Caire.
Belabes A. (2011), La finance islamique en Arabie saoudite, archéologie d'un débat, Journée d'étude
organisée du Centre d'Études Interdisciplinaires des Faits Religieux, EHESS, 9 février, Paris.
Benbiya A. (2010). Maqâsid al-mu’âmalât (La finalité des transactions), Al-Furqân Islamic Heritage
Foundation, Londres.
Chapra U. (2000). The future of economics “An Islamic perspective”, The Islamic Foundation, Leicester.
Chapra U. (2008). The Islamic vision of development in the light of the maqâsid al-Shari’a, Jeddah: Islamic
Development Bank.
Guerrien B. (2004). "Y-a-t-il une science économique?", L'Économie politique, 2004/2 no 22, p. 97-109.
Hamad N. (1993), Mu’jam al-mustalahât al-iqtiçâdiya fi-lughat al-fuqaha (Dictionnaire des concepts
économiques dans le vocabulaire des jurisconsultes), The International Institute of Islamic Thought.
Hasan Z. (2006). Introduction to Microeconomics: An Islamic Perspective, Peason–Prentice Hall,
Malaysia.
Hasan Z. (2011). "Scarcity, self-interest and maximization from Islamic angle", IDB Prize Winners’
Lectures Program, Islamic Development Bank – Islamic Research and Training Institute, Jeddah.
Ibn Abi Al-Rabi’ A. (1978). Suluk al-mâlik fi tadbîr al-mamâlik (Essai sur la gouvernance des royaumes),
Editions Uwaydat, Beyrouth.
Ibn Al-Azraq A. (1977). Badâi’ al-silk fi tabâi’ al-mulk (Traité sur la gouvernance), Ministère de
l’information, Bagdad.
Ibn Al-Hassan M. (1980). Kitâb al-kasb (Le livre sur l’acquisition des biens), Editions Suhaïl Zakâr,
Damas.
Ibn Al-Jawzi A. (1978). Al-chifâ fi-mawâ’idh al-mulûk wa al-khulafa’, Muasassat chabâb al-jâmi’a,
Alexandrie.
Ibn Al-Taktatki M. (1923). Al-fakhri fi-al-adâb al-sultâniya wa-al-duwal al-islâmiya, Matba’at Dar AlMaarif, Al-Fujala.
Ibn Farhun B. (1986). Tabsirat al-hukâm (La clairvoyance des gouvernants), Dar Al-Kuliyât Al-Azhariya,
Le Caire.
Ibn Jama’a B. (1987). Tahrîr al-ahkâm fi tadbîr al-islâm (essai sur la gouvernance des affaires
musulmanes), Ministère des affaires religieuses, Qatar.
Ibn Khaldun A. (1978). Al-muqadima (Prolégomènes), Dar Al-Qalam, Beyrouth.
Ibn Mandhour (1988). Lissân al-‘Arab (Dictionnaire classique de langue arabe), Edition Revivification de
l’héritage arabe, Beyrouth.
Ibn Salam A. (2007). Kitâb al-amwâl (Le livre des biens), Dar Al-Hady al-Nabawi / Dar Al-Fadhila, AlMansura – Riyad.
Ibn Taymiya A. (1985). Al-siyâssa al-char’iya (Traité de politique publique), Dar Al-Bayân, Damas.
Ibn Taymiya A. (1998). Majmû’at al-fatâwa (Compilation d’avis de jurisprudence musulmane), Dar alWafa / Al-Ubaykan, Al-Mansura - Riyad.
Ibn Zinjawih H. (1986). Kitâb al-amwâl (Le livre des biens), Markaz al-malik Fayçal li-al-buhûth wa aldirâssât al-islâmiya, Riyad.
MARW (2010). "Comment les revenus de l'aumône légale sont-ils dépensés ?" (en arabe), Ministère des
Affaires Religieuses et des Waqf, Alger, http://www.marwakf-dz.org/2010-01-05-09-24-38.html
Nienhaus V. (1989). "Epistemology, Methodology and Economic Policy: Some Thoughts on Mainstream,
Austrian and Islamic Economics", Humanomics, Vol. 5, Issue 1, pp.91 – 112.
Putnam H. (2004). Fait/Valeur: la fin d’un dogme et autres essais, traduit de l’anglais (USA) par Marjorie
Caveribère et Jean-Pierre Cometti, Editions de l’Eclat, Paris.
Rist G. (2007). Le développement: Histoire d'une croyance occidentale, 3ème édition revue et augmentée,
Les Presses de Sciences Po, Paris.
Robins L. (1945). An Essay on the Nature & Significance of Economic Science, Second edition revised and
extended, Macmillan, London.
18
19
20
Téléchargement