9ES RENCONTRES PARLEMENTAIRES SUR LE CANCER Cancérologie : quels changements de paradigme pour l’avenir ? MARDI 13 OCTOBRE 2015 Maison de la Chimie (Paris 7e) Présidées par Jean-Pierre Door Député du Loiret Vice-président de la commission des Affaires sociales Président du groupe d’études “Professions de santé et coordination sanitaire” Arnaud Robinet Député de la Marne Président du groupe d’études “Médicaments et produits de santé” Pr Jean-Louis Touraine Député du Rhône Vice-président du groupe d’études “Cancer” Actes validés ! Remerciements Jean-Pierre Door, Arnaud Robinet et le professeur Jean-Louis Touraine remercient le professeur Jacqueline Godet, présidente de la Ligue nationale contre le Cancer pour son allocution lors du déjeuner de ces Rencontres, Alain Ducardonnet, journaliste sur BFMTV pour avoir animé les débats de cette matinée, leurs collègues Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône, Anne Grommerch, députée de la Moselle et le docteur Gérard Sebaoun, député du Val-d’Oise, ainsi que l’ensemble des intervenants qui, par leur expertise et leur contribution aux débats, ont concouru au succès de l’événement. Ces Rencontres ont également été rendues possibles grâce au partenariat académique de la Croix-Rouge française et au soutien institutionnel de la Ligue nationale contre le Cancer, MSD France et Unicancer. Sommaire Ouverture des Rencontres 15 DÉBATS 1 20 Les pistes d’innovations Arnaud Robinet Député de la Marne, président du groupe d’études "Médicaments et produits de santé" TABLE RONDE I Les innovations en cancérologie 4 5 8 9 10 12 TABLE RONDE II La société face aux cancers – Aujourd’hui et demain 29 Introduction Pr Jean-Louis Touraine, député du Rhône, vice-président du groupe d’études “Cancer” 30 Les enjeux économiques. Le parcours cancer dans le Loiret Jean-Pierre Door, député du Rhône, vice-président du groupe d’études “Cancer” 31 L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient Valérie Boyer, députée des Bouchesdu-Rhône 32 Les stratégies de traitement Pr Véronique Trillet-Lenoir, chef du Service d’oncologie médicale du Centre hospitalier de Lyon Sud L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient Pr Pierre Fumoleau, directeur général du Centre de lutte contre le cancer Georges-François Leclerc et membre du bureau de la fédération UNICANCER 34 Les stratégies de traitement Dr Caroline Robert, médecin dermatologue et chef du Service de dermatologie de l’Institut Gustave Roussy L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient Françoise Sellin, co-fondatrice et directrice du Collectif K, coordinatrice générale du Ruban de l’espoir 35 Données épidémiologiques sur le cancer Catherine Hill, épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy Dépistage et diagnostics : ce que l’on fait de bien aujourd’hui Pr Fabrice André, directeur de l’Unité médicale de recherche 981 de l’Institut Gustave Roussy Dépistage et diagnostics : ce que l’on fait de bien aujourd’hui Pr Dominique Stoppa-Lyonnet, responsable du Service de génétique oncologique de l’Institut Curie La prise en charge : de l’annonce à la maladie chronique aujourd’hui Anne Grommerch, députée de la Moselle, vice-présidente du groupe d’études “Cancer” Le cadre de l’innovation Pr Jean-Charles Soria, chef du département Innovation thérapeutique et essais précoces (DITEP)de l’Institut Gustave Roussy Sommaire 37 Cancer et travail Dr Gérard Sebaoun, député du Vald’Oise, président du groupe d’études “Pénibilité du travail, santé au travail et maladies professionnelles” 38 Les grandes orientations futures 40 DÉBATS Clôture des Rencontres 43 Pr Jean-Louis Touraine Député du Rhône, vice-président du groupe d’études “Cancer” Déjeuner débat 45 Pr Jacqueline Godet Présidente de la Ligue nationale contre le Cancer Animation des débats Alain Ducardonnet est médecin et journaliste. Il exerce toujours en cardiologie et est spécialisé en activité physique et sportive appliquée au diagnostic et au traitement des maladies cardiovasculaires. Il a été pendant 11 ans médecin sur le Tour de France . Comme journaliste et consultant santé, il a collaboré avec Europe 1, puis 11 ans avec LCI et TF1. Il est maintenant spécialiste santé pour le groupe NextRadioTV (BFMTVBFMBusiness-RMC) pour le News. Alain Ducardonnet et ses invités éclairent chaque semaine dans “Votre santé m’intéresse” les téléspectateurs sur les grandes thématiques du monde de la santé. Il est en charge de la page santé du Parisien Aujourd’hui en France Magazine depuis 2014. Ouverture des Rencontres Arnaud Robinet Alain Ducardonnet, journaliste sur BFMTV Bonjour à tous, bienvenue à ces 9es Rencontres parlementaires sur le Cancer. Je laisse la parole à Arnaud Robinet, qui présidera cette séance. M Député de la Marne depuis 2008 et conseiller général de la Marne depuis 2011, Arnaud Robinet est secrétaire national à la santé de l’UMP. Membre de la Commission des Affaires sociales, il co-préside le groupe d’études “Médicaments et produits de santé”. Il a été de 2001 à 2008 membre du Conseil municipal et membre de la Communauté d’agglomération de Reims. Arnaud Robinet est également maître de conférences à l’Université de Reims. esdames et messieurs, merci de votre présence. Je salue le travail réalisé par les organisateurs de ces Rencontres en constatant la qualité des intervenants. Ces Rencontres sont placées sous le signe du troisième "Plan cancer". Je rends hommage, dans ce cadre, aux acteurs de la santé et aux responsables politiques qui doivent toujours initier l’action publique sur le long terme : Jacques Chirac, qui a engagé la France dans le premier Plan cancer en 2003, Nicolas Sarkozy et, plus récemment, le Président Hollande, qui a lancé le troisième Plan suite au rapport JeanPaul Vernant, à qui je rends aussi hommage. Trois cent soixante mille nouveaux cas de cancer apparaissent chaque année. Cent cinquante mille personnes en meurent, ce qui fait du cancer la première cause de mortalité. Au demeurant, le risque de mourir du cancer est deux fois plus élevé chez les ouvriers que chez les cadres. Mais le combat de la prévention et du dépistage, d’une part, et de la recherche, d’autre part, peut produire des résultats très significatifs actuellement et à moyen terme. Le "Plan cancer 3" est présent sur l’ensemble de la chaîne. Notre mobilisation doit être renforcée aux extrémités de la maladie : au moment de la prévention et dans l’aprèsrémission. Sur le dépistage, le déploiement du plan prévoit d’agir sur plusieurs maladies dont les résultats doivent suivre (cancer colorectal, du sein, du col de l’utérus, que nous pourrions éradiquer par l’amélioration de la couverture vaccinale). Dans ce domaine, la pédagogie occupe une 1 place très importante. Nous connaissons les risques des vaccins et les interrogations qu’ils suscitent au sein de nombreuses familles. Le personnel politique, les professionnels de santé, les laboratoires et l’ensemble des responsables de santé doivent y répondre avec transparence, en donnant l’ensemble des informations. « L’analyse génétique des cancers et leur personnalisation constituent sans doute la première piste du Plan cancer 3 en termes de découvertes. Dans ce domaine, la recherche française est attendue dans le monde entier. » Arnaud Robinet Le diagnostic de certaines maladies rares doit être accentué, et il faut progresser ainsi sur la répartition de l’offre de soin pour diminuer les délais de l’accès à l’IRM. De même, nous devons développer les chimiothérapies orales et ambulatoires pour introduire un changement dans le traitement du cancer : vivre avec son cancer tout en restant inclus dans la société. Ces prévisions se concrétiseront grâce au virage numérique de la santé, via les outils connectés et le partage des données entre l’hôpital et la médecine de ville, le médecin et les autres professionnels, le médecin et le patient. À terme, ce virage numérique permettra également au patient de choisir l’établissement de son choix. Actuellement, nous souffrons d’un grand retard sur cet open data santé. La vie autour du traitement du cancer pèse énormément dans la guérison ou la condamnation du malade. Les 1 700 enfants malades doivent accéder à l’école gratuitement, notamment à distance. Il faut mettre aussi l’accent sur les malades éloignés de l’emploi quelques mois après le diagnostic. En effet, la vie des salariés doit constituer une priorité. Des cadres innombrables ont guéri parce qu’ils se sentaient toujours respectés par leurs collègues et parce que leur existence ne tournait pas uniquement autour de leur maladie. Ainsi, ces pertes d’emploi non indispensables s’avèrent de véritables discriminations. Pour y répondre, le travail à distance dans les services grâce à Internet peut sauver d’une façon indirecte de nombreuses vies. Notre société doit donc s’adapter à la maladie et aux contraintes des patients, mais aussi à nos entreprises et à nos vies personnelles. Notre société doit envisager la guérison future des malades, qui doivent donc disposer des mêmes droits que les bien-portants. D’où le droit à l’oubli, indispensable pour qu’à l’injustice de la vie ne s’ajoute pas celle des hommes. À ce titre, je me réjouis, dans le cadre du projet de loi Santé, de la réduction du délai de quinze à dix ans avant le déclenchement du droit à l’oubli, initiée par les sénateurs. Ce délai pourrait d’ailleurs être encore revu à l’avenir, en fonction du recul de certaines maladies. Enfin, je rends un hommage appuyé à la recherche. En effet, la prévention comme le traitement des maladies impliquent une recherche toujours plus pointue, et donc toujours plus soutenue. L’État s’est engagé à financer la recherche fondamentale sur des appels à projets à hauteur de 50 %, mais la recherche clinique s’engage aussi fortement (doublement des essais cliniques, apport de la génétique et du séquençage des tumeurs). L’analyse génétique des cancers et leur personnalisation constituent sans doute la première piste du "Plan cancer 3" en termes de découvertes. Dans ce domaine, la recherche française est attendue dans le monde entier. D’après Voltaire, « l’espérance de guérir est déjà la moitié de la guérison ». Je vous propose de garder cette idée à l’esprit aujourd’hui pour guérir un maximum de malades demain. 2 TABLE RONDE I Les innovations en cancérologie Président Animateur Arnaud Robinet Député de la Marne, président du groupe d’études "Médicaments et produits de santé" Alain Ducardonnet Journaliste sur BFMTV Intervenants Pr Fabrice André Directeur de l’Unité médicale de recherche 981 de l’Institut Gustave Roussy Pr Jean-Charles Soria Chef du département Innovation thérapeutique et essais précoces (DITEP) de l’Institut Gustave Roussy Anne Grommerch Députée de la Moselle, viceprésidente du groupe d’études “Cancer” Pr Dominique Stoppa-Lyonnet Responsable du Service de génétique oncologique de l’Institut Curie Dr Caroline Robert Médecin dermatologue et chef du Service de dermatologie de l’Institut Gustave Roussy Pr Véronique Trillet-Lenoir Chef du Service d’oncologie médicale du Centre hospitalier de Lyon Sud 3 Dépistage et diagnostics : ce que l’on fait de bien aujourd’hui Pr Fabrice André Alain Ducardonnet Fabrice André, comment fonctionnent actuellement le dépistage et le diagnostic du cancer ? L Fabrice André est professeur de médecine à l’Université Paris Sud et oncologue médical au Gustave Roussy Cancer Campus de Villejuif. Son principal intérêt de recherche est le développement d’essais cliniques dans le domaine de la médecine personnalisée pour le cancer du sein. Il dirige un laboratoire de recherche qui travaille sur l’identification de nouvelles cibles et de biomarqueurs (Unité INSERM U981), et est également en tête du groupe de médecine personnalisée à la Fédération française de Centre de lutte contre le cancer (UNICANCER). Il est membre du Conseil exécutif du Breast International Group (BIG). Il est éditeur pour Annals of Oncology (cancer du sein). e principe du diagnostic moléculaire est d’utiliser un test pour décider de l’administration d’une thérapie. Il s’agit d’une médecine de précision. Ce qu’a mis en place l’Inca est très bien : il a mis en place des plateformes de tests génomiques, qui permettent à tout patient malade en France d’avoir accès à une analyse du génome sur un petit nombre de gènes pour bénéficier d’une thérapie ciblée. Il s’agit vraiment d’une pratique scientifique excellente en termes d’infrastructures et de parcours de soin. Les tests à partir de l’anatomopathologie fonctionnent moins bien. Selon moi, ils n’ont pas de validité analytique, du moins pour certains d’entre eux. Selon votre centre de traitement, vous obtiendrez une performance et une reproductibilité variée. À l’Institut Curie par exemple, ils ont une très bonne performance sur le cancer du sein, à la différence d’autres centres. Cela crée une véritable inégalité d’accès aux soins. Quel modèle d’implémentation des biomarqueurs ? En France, nous avons décidé de faire faire les biomarqueurs par les centres académiques (hôpitaux). Dans d’autres pays, ce sont des compagnies privées qui se chargent de ces tests moléculaires. Ce sujet peut faire l’objet de débats. Les patients français doivent-ils avoir un accès direct à des tests moléculaires réalisés par des compagnies privées ? Sur ce sujet, quelle échelle de niveaux de preuve utiliser pour mettre en place des biomarqueurs ? Actuellement, nous calquons nos décisions sur des échelles de niveaux de preuve en provenance essentiellement des États-Unis. Or, notre modèle d’implémentation des biomarqueurs est complètement différent. Nous devrions donc travailler, en France ou en Europe, pour savoir si nous ne devrions pas utiliser des échelles de niveaux de preuve spécifiques et alignées sur notre modèle d’utilisation des biomarqueurs. 4 Dépistage et diagnostics : ce que l’on fait de bien aujourd’hui Pr Dominique Stoppa-Lyonnet Alain Ducardonnet Dominique Stoppa-Lyonnet, partagez-vous le propos de Fabrice André ? F Dominique Stoppa-Lyonnet est médecin, spécialiste en génétique médicale, professeur de génétique à l’Université Paris Descartes et responsable du Service de génétique de l’Institut Curie. Elle est membre du Conseil médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine, du Board oncogénétique de l’Institut national du cancer. Elle a été membre du Comité consultatif national d’éthique de 2005 à 2013. Dominique Stoppa-Lyonnet est spécialisée dans le diagnostic de prédisposition aux cancers et en particulier aux cancers du sein et de l’ovaire. Elle a eu un rôle important dans l’opposition aux brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 délivrés par l’Office européen des brevets. En 2012, Dominique Stoppa-Lyonnet s’est engagée auprès de François Fillon ; elle est députée suppléante de la deuxième circonscription de Paris. En mars 2014, elle a été élue dans le 5e arrondissement et est devenue conseillère de Paris. abrice André est entré dans le vif du sujet. Je partage un certain nombre de points de vue. Alors qu’il s’est penché sur la caractérisation des altérations moléculaires de la tumeur, qui peuvent constituer des cibles thérapeutiques et des éléments du pronostic et du diagnostic, je me situerais pour ma part en amont avec les prédispositions génétiques au cancer. Le champ des prédispositions au cancer est emblématique de la médecine prédictive. Son hypothèse de base repose sur le fait que savoir doit permettre de mieux prendre en charge la personne à risque, d’éviter sa maladie ou d’en limiter l’impact. Les prédispositions au cancer sont des préoccupations anciennes. De nombreuses familles ont plusieurs proches atteints de cancer, parfois de la même localisation, et nous commençons à pouvoir répondre à ces familles et à repérer des facteurs génétiques de prédisposition. Ce domaine très récent a pu aboutir grâce à la génétique moléculaire et à l’exploration des gènes. Le premier plan cancer a été très important, puisqu’il a permis la mise en place de tests génétiques de prédisposition et également de consultations adaptées pour réaliser ces tests. En effet, l’information des personnes et, secondairement, de leurs apparentés, est nécessaire. Enfin, nous ne devons négliger la prise en charge ultérieure du patient. Il est inutile d’annoncer des risques élevés de cancer sans prise en charge en aval. En France, ces prédispositions représentent 50 000 consultations dans 130 sites de consultation chaque année. 25 000 tests sont réalisés et 3 000 personnes sont détectées comme ayant un risque élevé de cancer. Il existe une très grande diversité des situations en termes de localisations tumorales, de gravité, de capacité de prise en charge. Dans certaines situations, nous sommes très utiles mais moins dans d’autres. En ce qui concerne tout ce qui est tumoral, des médicaments sous la forme de molécules spécifiques de certaines prédispositions apparaissent. 5 ALAIN DUCARDONNET A-t-on intérêt à faire les tests génétiques proposés sur Internet ? « Certains tests basés sur la protéine n’ont pas de validité analytique. » Pr Fabrice André Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Ces tests pratiqués sur Internet sont interdits en France et peuvent faire l’objet de poursuites. Ensuite, il existe une grande discordance entre la validité scientifique. Des études récentes ont montré que la présence ou non de certains variants augmentait d’un facteur de 1,1 à 1,2 le risque de développer un cancer. En revanche, les tests pratiqués officiellement en France sont des tests de maladies mendéliennes : l’altération de tel gène est associée à un risque majeur. ALAIN DUCARDONNET Quelle prise en charge pour les personnes ayant une prédisposition génétique au cancer ? Doivent-elles vivre avec cette épée de Damoclès ? Pr FABRICE ANDRÉ Il faut cerner deux choses différentes : la prédisposition génétique et le diagnostic moléculaire. Ce sont deux choses totalement différentes. Concernant l’accès au séquençage payant, le débat est complètement différent entre la génétique et la génomique somatique. Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Il existe une très grande diversité des situations de prédisposition à risque élevé. Par exemple, nous pouvons être très utiles sur le rétinoblastome, grâce à une surveillance du fond d’œil dès les premiers jours de vie, puis tous les mois et, au besoin, par un traitement d’une petite lésion avec de l’azote liquide. Dans ce cas, le fait de savoir permet de limiter l’impact de la maladie attendue, voire de l’éviter. Cependant, dans d’autres situations comme la mutation du gène TP53, qui est associée à des risques de sarcome et de tumeur cérébrale, nous connaissons davantage de difficultés. ALAIN DUCARDONNET Ne faisons-nous donc d’anatomopathologie ? plus Pr FABRICE ANDRÉ Certains tests basés sur la protéine n’ont pas de validité analytique : faits par différents laboratoires et différentes personnes, ils donneront un résultat différent. Puis, les patients seront traités au hasard. Sur ce point, il n’existe donc aucune régulation, ce qui pose problème. Il faudrait de meilleurs niveaux de preuve et une meilleure régulation de cette question. Dr CAROLINE ROBERT Concernant le mélanome, la moitié des patients ont une mutation somatique, qui ne touche que les cellules situées dans le mélanome. Il ne s’agit pas d’une prédisposition constitutionnelle. Dans 50 % des cas, la prédisposition d’un gène BRAF conduit le praticien à donner au patient un traitement anti-BRAF. Cependant, nous avons besoin, pour ce faire, de savoir si ce gène est muté ou non. Mais puisque le mélanome du patient a souvent été ôté par son dermatologue de ville et qu’il n’est pas toujours possible de réaliser un autre prélèvement, nous devons récupérer 6 « Nous devons de plus en plus souvent récupérer des prélèvements situés dans des cabinets privés, ce que ces derniers acceptaient volontiers jusqu’à l’augmentation considérable de la demande. » Dr Caroline Robert celui que conserve le cabinet d’anatomopathologie avec lequel travaille le médecin de ville. Ainsi, nous devons de plus en plus souvent récupérer des prélèvements situés dans des cabinets privés, ce que ces derniers acceptaient volontiers jusqu’à l’augmentation considérable de la demande. Nous devons absolument mettre en place des dispositifs permettant de fluidifier ce système en forte croissance. BRCA1 et BRCA2 – tandis que par ailleurs, nous estimons que, en cas d’inactivation des gènes BRCA1 ou 2 dans l’ovaire, entre un quart et un tiers sont strictement acquises au cours du processus tumoral. Nous allons donc maintenant procéder à des tests de la tumeur qui peuvent identifier des anomalies qui sont constitutionnelles dans trois-quarts à deux-tiers des cas. Cela changera notre accompagnement du patient. ALAIN DUCARDONNET Pourriez-vous définir la distinction entre anomalie génétique constitutionnelle et acquise ? ALAIN DUCARDONNET Le Prix Nobel de chimie a été attribué à la réparation spontanée. Pr FABRICE ANDRÉ C’est très important. Le cancer se développe avec une cellule normale qui acquiert des anomalies du génome. Un ensemble de plusieurs anomalies du génome crée le cancer. Il existe donc une grande différence entre le génome du patient et celui du cancer. Celui du cancer contient les anomalies qu’il a développées, tandis que celui du patient peut contenir des gènes de susceptibilité, qui confèrent une fréquence un peu plus élevée ou beaucoup plus élevée de développer ultérieurement un cancer. Pr FABRICE ANDRÉ En effet, pour que des anomalies génomiques s’accumulent, il faut un défaut de réparation de l’ADN. Normalement, nous sommes soumis à des mutations qui sont constamment réparées. Faute de réparation de l’ADN, la cellule accumule des anomalies et peut devenir un cancer au bout d’un certain temps. Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Il est essentiel de faire la différence entre les altérations acquises au cours du processus tumoral et les altérations constitutionnelles, le plus souvent associées à une prédisposition. Cependant, nous identifions actuellement des médicaments spécifiquement actifs en cas de certaines situations de prédisposition – par exemple le cancer de l’ovaire, inhibiteur de PARP dans un contexte 7 La prise en charge : de l’annonce à la maladie chronique aujourd’hui Anne Grommerch Alain Ducardonnet Anne Grommerch, quel est l’état de la situation concernant l’annonce de la maladie ? L Députée de la Moselle depuis 2008, Anne Grommerch est membre de la Commission des Affaires économiques et vice-présidente du groupe d’études “Cancer” ainsi que maire de Thionville depuis mars 2014. En mars 2010, tête de liste aux élections régionales pour la Moselle, elle a été élue conseillère régionale de Lorraine et a démissionné en avril 2014 pour cause de cumul de mandats. Auparavant, elle a été conseillère municipale à Roussy-leVillage, jusqu’en décembre 2012. Anne Grommerch est membre de la Commission des Affaires économiques et vice-présidente du groupe d’études “Cancer”. a mesure 40 du Plan cancer a pour objectif d’assurer une meilleure prise en charge du patient en définissant un temps nécessaire au médecin pour annoncer la maladie. Puis une équipe pluridisciplinaire formée en oncologie, mais pas seulement, prend en charge le patient pour assurer un suivi. En effet, un bon moral est nécessaire pour lutter contre cette maladie ; la façon dont les choses sont dites est essentielle. pour ceux qui en éprouvent le besoin immédiatement ou plus tard. L’entourage du patient est décisif, d’où le fait qu’il ne faut pas le négliger. La période la plus difficile à vivre se situe entre l’annonce de la maladie et le début du traitement. Il se passe souvent plusieurs jours difficiles à vivre pour le patient. Dans un second temps, le patient pourra revoir cette équipe pluridisciplinaire une fois l’information digérée, pour poser de nouvelles questions et évoquer la suite, à savoir les traitements et protocoles. Un accompagnement est proposé, dont un accompagnement psychologique 8 Les stratégies de traitement Pr Véronique Trillet-Lenoir Alain Ducardonnet Pr Véronique Trillet-Lenoir, ce modèle idéal correspond-il à la pratique quotidienne, ou bien ces réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) ont-elles lieu uniquement dans les grands centres ? N Véronique Trillet-Lenoir dirige depuis 2003 le Service d’oncologie médicale du Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Lyon, au sein duquel est développée l’activité d’évaluation précoce de molécules anticancéreuses (essais de phase I) au sein d’une plateforme labellisée par l’Institut national du cancer (INCa). Le Service d’oncologie médicale est également impliqué dans des activités de recherches cliniques transversales comme la pharmacologie et l’oncogériatrie. Présidente du Cancéropole Lyon Rhône Alpes Auvergne depuis 2013, elle a fondé et présidé le Conseil national de cancérologie de 2010 à 2012. De 2005 à 2007, Véronique Trillet-Lenoir a occupé un poste de conseiller scientifique à l’INCa. Elle a exercé entre 2002 et 2007 les fonctions de responsable du Centre de coordination en cancérologie (3C) du CHU de Lyon et représente ce CHU de Lyon au sein de la Commission spécialisée “cancer” de la Fédération hospitalière de France. Elle est professeur des Universités, praticien hospitalier en cancérologie depuis 1993, et est chargée de l’enseignement de l’oncologie au sein de l’UFR Lyon Sud Charles Mérieux, Université Claude Bernard Lyon 1. ous débattons là des mesures inscrites dans le premier Plan cancer ; dès lors, en termes de pluridisciplinarité, d'annonces, d’élaboration personnalisée de soins, les nouvelles pratiques devraient clairement être en place dans tous les établissements de santé, ce qui n’est pas encore le cas. Néanmoins, le fait que ces mesures soient gravées dans le marbre dans un plan de santé publique est une avancée importante. Dans ma région, je pense que les départements ruraux et leurs petits hôpitaux sont défavorisés en termes de consultations d’annonce et de réunions de concertation, d’autant plus que les crédits des MIGAC – Missions d’intérêt général par l’intermédiaire desquelles l’Assurance maladie via les ARS finance les activités de type prestation intellectuelle : dispositif d’annonce, réunion de concertation – se réduisent fortement. Même si le dispositif d’annonce n’est pas déployé partout, il constitue la première pierre de la démocratie sanitaire. Il s’agit de l’appropriation par les patients et citoyens de l’ensemble des bouleversements évoqués en introduction. Le format de la réunion d’aujourd’hui illustre assez bien ce qui se passe encore dans notre société : un message assez descendant des experts est envoyé aux patients nombreux dans la salle. Or, la démocratie sanitaire ne se résume pas à une estrade de décideurs et d’experts, mais au contraire à l’ensemble d’une société qui s’empare de ces sujets. En effet, les nouvelles technologies concerneront essentiellement le passage d’une chimiothérapie classique à une technologie ciblée vers des anomalies moléculaires, qui s’appuieront sur des plateformes de biologie moléculaire, dont il faut s’assurer de l’équité d’accès. Ainsi, cela repose beaucoup sur des molécules orales qui génèrent un virage ambulatoire auquel notre pays n’est pas prêt. Et surtout, il s’agit d’une médecine personnalisée. Dès lors, si l’ensemble de la société ne s’approprie pas tous ces concepts, nous continuerons à connaître des difficultés. 9 Les stratégies de traitement Dr Caroline Robert Alain Ducardonnet Dr Caroline Robert, pouvez-vous nous brosser le tableau des schémas thérapeutiques actuels ? J Le Dr Caroline Robert est chef de service de dermatologie à Gustave Roussy et dirige avec le Dr Stephan Vagner l’équipe de recherche sur le mélanome au sein de l’unité Inserm 981 et coordonne l’enseignement de la dermatologie dans l’Université de Médecine Paris-Sud. Elle a fait ses études de médecine à Paris au sein de l’Université Paris V, (Hôpital Cochin), puis a passé l’internat de Paris et a effectué un clinicat à l’hôpital Saint-Louis en dermatologie. Après un séjour de trois ans et demi dans un laboratoire de recherche aux États-Unis (Harvard Medical School), elle a présenté sa thèse de sciences en mmunologie et immunothérapie dans l’Université Paris-Sud. Actuellement elle préside le groupe mélanome de l’European Organization for the Research and Treatment of Cancer (l’EORTC) et est membre de plusieurs groupes coopérateurs en echerche et en médecine : Association of Clinical Oncology (ASCO), American association of Clinical Research (AACR), European Association of Onco-Dermatology (EADO), European Association of Dermato-Venereology (EADV) and the French society of Dermatology and Venereology. Ses centres d’intérêt sont la recherche clinique et transnationale sur le mélanome, l’étude des résistances aux traitements ciblés et à l’immunothérapie ainsi que l’étude des effets secondaires cutanés des médicaments anticancéreux. Elle a coordonné de nombreux essais nationaux et internationaux pour le traitement des patients atteints de mélanome métastatique et est l’auteur de plus de 130 articles parus dans des journaux avec comité de lecture. e m’appuierai encore sur l’exemple du mélanome, qui représente bien les progrès thérapeutiques actuels. En effet, le mélanome métastatique n’avait connu aucun progrès depuis 50 ans jusqu’en 2010/2011. Depuis, ce cancer concentre le plus grand nombre de médicaments mis nouvellement sur le marché. Deux grandes stratégies nouvelles les guident, démontrées comme efficaces et augmentant vraiment la durée de vie des patients. Nous espérons donc dorénavant pouvoir guérir des patients, chose inespérée il y a encore quelques temps. La première stratégie repose sur la thérapie ciblée de l’anomalie de BRAF par des traitements anti-BRAF pris par comprimés. Ainsi, nous n’hospitalisons plus les patients. Une première génération de traitements ciblés est arrivée sur le marché en 2011/2012. Maintenant, nous avons des traitements combinés : nous bloquons la protéine BRAF pour empêcher la cellule de se reproduire avec une deuxième génération de thérapie ciblée. Elle est aujourd’hui encore plus efficace, si bien que nous connaissons des survies médianes de 2 ans contre 9 à 10 mois récemment. La seconde stratégie concerne l’immunothérapie, à savoir la défense du corps humain avec ses propres cellules qui attaquent les cellules cancéreuses. Nous savons dorénavant comment actionner le système immunitaire en empêchant ses freins naturels de fonctionner. Ce médicament permet au système immunitaire d’être plus activé, au risque, d’ailleurs, d’engendrer certains effets secondaires liés à cette trop forte activité immunitaire. Néanmoins, ces derniers demeurent totalement acceptables au regard des résultats thérapeutiques. Là aussi, deux générations successives de médicaments se sont suivies depuis 2011. Grâce à ceux-ci, nous avons des patients à la survie prolongée et qui, parfois, sont guéris. Nous avons 10 presque dix ans de recul sur des patients avec qui nous avons commencé les essais thérapeutiques, et certains n’ont développé aucune métastase visible en dix ans. « Nous avons presque dix ans de recul sur des patients avec qui nous avons commencé les essais thérapeutiques, et certains n’ont développé aucune métastase visible en dix ans. » Dr Caroline Robert les cellules immunitaires qui devraient les détruire. Ces deux stratégies ont prouvé leur efficacité. Nous cherchons donc maintenant à comprendre pourquoi tous les patients ne répondent pas favorablement à ces deux innovations. Par ailleurs, nous essayons de combiner intelligemment ces différentes approches, tout en restant ouverts à d’autres innovations thérapeutiques. ALAIN DUCARDONNET Pourquoi les cellules cancéreuses leurrent-elles le système immunitaire ? DR CAROLINE ROBERT De nombreux mécanismes rendent le système immunitaire inefficace autour de ces cellules cancéreuses. Pour simplifier, elles se camouflent et inhibent, anéantissent et endorment 11 Le cadre de l’innovation Pr Jean-Charles Soria Alain Ducardonnet Pr Jean-Charles Soria, comment l’innovation devient-elle la stratégie commune de tous ? Comment faire en sorte que tous les hôpitaux bénéficient d’une stratégie thérapeutique ? V Jean-Charles Soria est oncologue médical et professeur de médecine à l’Université Paris-Sud. Il est médecin spécialiste des centres de lutte contre le cancer à plein temps à l’Institut Gustave Roussy. Le professeur Soria a été formé comme oncologue médical et a obtenu la médaille d’argent de l’École de médecine de Paris en 1997. Il a obtenu un DEA puis un doctorat en sciences en biologie moléculaire (bases fondamentales de l’oncogenèse) en 2001. Il a complété sa formation avec un séjour de deux ans de postdoctorant au sein du MD Anderson Cancer Center à Houston aux États-Unis, où il est professeur associé depuis 2012. Le professeur Soria est actuellement chef du Département d’innovation thérapeutique et essais précoces (DITEP) de l’Institut Gustave Roussy et membre du Comité de pathologie thoracique. C’est un expert reconnu sur les thérapies ciblées, l’immunothérapie et le cancer du poumon. Ses principaux centres d’intérêt de recherche sont les suivants : essais cliniques précoces, biomarqueurs pharmacodynamiques, cancer du poumon, immunothérapie et médecine personnalisée. Il est également impliqué dans la recherche translationnelle liée à la médecine de précision et à la progression tumorale notamment dans les modèles de cancer de poumon (unité INSERM 981). ous mettez le doigt sur un élément important. L’accès à l’innovation peut se faire à deux niveaux différents : au niveau de l’accès aux médicaments qui ont l’autorisation de mise sur le marché, et à travers la participation aux essais cliniques. Notre pays nous donne la chance, sur l’ensemble du territoire national, d’accéder partout à ces médicaments. En théorie, il n’existe aucun obstacle légal ou de remboursement. La France reste un pays où l’accès à l’innovation thérapeutique, perçue comme coûteuse, est possible partout. Quant à la participation aux essais cliniques, elle est extrêmement importante mais souvent mal perçue. Historiquement, la population a le sentiment de devenir un "patientcobaye", alors que c’est une chance extraordinaire. Par exemple, les immunothérapies ou les thérapies ciblées qui ont eu leur autorisation de mise sur le marché il y a trois ou quatre ans pour les thérapies ciblées, et l’année dernière pour le mélanome, étaient disponibles à Gustave Roussy à travers les essais cliniques depuis dix ans. Les gens qui ont pu accéder à cette recherche il y a dix ans ont connu un bénéfice majeur. La recherche clinique est un domaine extrêmement important pour accéder à l’innovation thérapeutique et la France reste un pays de premier plan dans ce domaine grâce à la qualité de son système de santé, à la Sécurité sociale, à l’activité des cliniciens, des intergroupes coopérateurs, à la possibilité d’avoir des promotions académiques, au tissu industriel. Ainsi, l’année dernière, 42 000 patients ont été inclus dans des essais de recherche clinique thérapeutique, ce qui est considérable par rapport, par exemple, à l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Cependant, ce point positif cache une forêt malade. Nous vivons une crise des CPP (comités de protection des personnes). Notre écosystème bienveillant d’accès à l’innovation thérapeutique est menacé car l’ensemble des éléments de cet écosystème se raidit. Il existe un problème évident de moyens et de ressources des CPP, qui fonctionnent 12 « L’année dernière, 42 000 patients ont été inclus dans des essais de recherche clinique thérapeutique, ce qui est considérable par rapport, par exemple, à l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. » Pr Jean-Charles Soria sur la base du volontariat et du bénévolat. Or, les gens sont épuisés, ce qui crée des problèmes majeurs. Les délais d’approbation des différents protocoles dans les CPP ne font qu’augmenter, ainsi que les essais industriels comme académiques. L’ANSM peine de plus en plus à recruter des experts parce que nous sommes sans doute allés beaucoup trop loin dans la notion conflit d’intérêt/lien d’intérêt, et avons créé des systèmes sans expert. Le pendule est allé trop loin sous l’émotion des événements. des processus. En effet, l’innovation et la recherche ne servent pas si elles connaissent ensuite des blocages administratifs ou autres. Sur l’ANSM, nous lui avons demandé beaucoup trop d’efforts tandis que les moyens n’ont pas suivi. La réflexion est menée pour renforcer l’efficience de ces agences et faire en sorte qu’elles répondent au mieux aux besoins des patients. Nous menons aussi des réflexions sur le prix du médicament. Selon moi, il ne faut plus passer des heures à estimer le prix de chaque médicament innovant. La transposition en droit français des directives européennes de la recherche clinique doit raccourcir les délais, mais nous avons vu resurgir la loi Jardé qui avait été enterrée car trop complexe. Par exemple, nous avons revu l’idée d’un tirage au sort des CPP, idée théoriquement merveilleuse mais redoutable. L’expertise d’un CPP d’une petite ville sans université pour juger de l’arrivée d’une molécule d’immunothérapie est nulle. Je suis personnellement très inquiet de la fragilisation de cet écosystème. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Il faut développer les conditions d’accréditation et de certification à 100 % pour tous les laboratoires. Nous avons tous été confrontés un jour ou l’autre à des erreurs de diagnostic graves parce que rectifiées trop tardivement et donc privant de chance les patients. En effet, parmi la multiplicité des laboratoires anatomopathologiques publics ou privés, certains n’ont pas encore atteint un niveau de qualité suffisant. C’est un grand chantier à ouvrir parce que les inégalités existantes ne sont pas acceptables, qu’elles soient territoriales, financières ou culturelles. Contrairement aux idées reçues, la France n’est pas si égalitaire que cela dans le domaine de la santé. ALAIN DUCARDONNET Arnaud Robinet, ces problèmes sont-ils au centre des préoccupations ? ARNAUD ROBINET Oui, ces sujets sont discutés dans nos différents groupes. Sur le problème relatif aux experts, je fais mon mea culpa puisque j’étais rapporteur du projet de loi Bertrand, qui avait suivi l’affaire du Mediator. À l’époque, nous avons peut-être manqué les perspectives sur les difficultés que pourraient amener nos dispositions dans l’expertise de certains traitements, dans la fluidité Pr FABRICE ANDRÉ Les tests protéiques ne disposent d’aucun cadre, à la différence des tests génomiques. Il faut faire basculer ces tests protéiques vers des plateformes d’excellence comme le fait l’Inca pour les tests génomiques, car, à l’avenir, de plus en plus de tests à base de protéines seront réalisés avec l’anatomopathologie. Le problème 13 « Parmi la multiplicité des laboratoires anatomopathologiques publics ou privés, certains n’ont pas encore atteint un niveau de qualité suffisant. » rencontré au niveau du cancer du sein va s’étendre à toutes les pathologies au cours des cinq prochaines années. Étant donné le coût du traitement de certaines pathologies et l’enjeu pour la vie des patients, il est indispensable d’avoir des tests encadrés correctement par les tutelles. Pr Jean-Louis Touraine 14 DÉBATS « Les CPP, issus de la loi de 1988, étaient censés rester des comités consultatifs, mais ils sont devenus des comités décisionnels, ce qui a tout changé. » Claude Huriet, sénateur honoraire JOËL CUCHEROUSSET, président pathologiste français des centres hospitaliers, Gh Intercommunal le Raincy-Montfermeil Je souhaite dédramatiser la situation. Je fais partie de l’AFAQAP, l’assurance qualité en anatomopathologie. Notre société reçoit des tests externes et a pour vocation d’en améliorer la qualité. Nous sommes en train de nous accréditer et notre objectif est de nous regrouper et d’avoir des plateformes plus performantes. Lorsque nous discutons avec nos collègues d’autres pays, nous nous apercevons que nous ne sommes pas si mauvais. Toutefois, des problèmes subsistent. Nous venons de sortir un test permettant de cartographier les tumeurs qui sont parfois hétérogènes. Nous travaillons à l’adaptation du système pour affiner un peu les tests. Pr FABRICE ANDRÉ La technologie de marquage protéique est une technologie beaucoup plus compliquée que ce que l’on pense. Il n’est pas normal que, pour ce qui relève du gène, il existe un cadre très précis et rigide, mais pas pour ce qui relève de la protéine. JOËL CUCHEROUSSET, président pathologiste français des centres hospitaliers, Gh Intercommunal le Raincy-Montfermeil L’AFAQAP sortira justement bientôt des tests validés suivant les différents automates. ARNAUD ROBINET Les laboratoires de biologie sont obligés d’obtenir une accréditation de la part du COFRAC, et non ceux d’anatomopathologie. Ne faudrait-il donc pas aussi soumettre à l’accréditation ces laboratoires d’anatomopathologie ? CLAUDE HURIET, sénateur honoraire Sur les deux points évoqués par Jean-Charles Soria, il y a en effet vraiment de quoi s’inquiéter sur l’avance que la France avait il y a encore quelques années et qu’elle est en train de perdre. Les CPP, issus de la loi de 1988, étaient censés rester des comités consultatifs, mais ils sont devenus des comités décisionnels, ce qui a tout changé. De plus, la procédure est double puisque l’ANSM a aussi des attributions concernant les autorisations. Il existe donc une double procédure et il était prévisible qu’elle génère des désaccords. Revenir 15 à des comités consultatifs me paraîtrait souhaitable. Concernant la loi Jardé, j’en ai dit tellement de mal qu’il est inutile que je me répète. « Un professeur éminent (…) avait tiré l’alarme en disant qu’à force d’avoir des exigences au sujet des conflits d’intérêt et des déclarations d’intérêt, le risque le plus grave serait de ne plus trouver d’experts. » Claude Huriet, sénateur honoraire Au sujet des experts, j’avais présidé le groupe 5 des Assises du médicament qui avait en charge les conflits d’intérêt. Un professeur éminent de ce groupe avait tiré l’alarme en disant qu’à force d’avoir des exigences au sujet des conflits d’intérêt et des déclarations d’intérêt, le risque le plus grave serait de ne plus trouver d’experts. Nous avons atteint ce point critique, puisque les experts "vierges" n’ont pas la possibilité d’expertiser. Seuls ceux qui ont contribué à l’innovation ont une capacité de jugement. ARNAUD ROBINET Les politiques ne sont pas des sachants. Or, nous avons parfois tendance à prendre des décisions qui peuvent paraître bonnes mais ne sont pas adaptées à la situation. Vous pointez du doigt des erreurs d’appréciation à corriger. Nous devons nous reposer sur ceux qui pratiquent quotidiennement le métier, à savoir les professionnels. Quant aux experts, celui qui n’a pas travaillé avec l’industrie pharmaceutique n’a jamais rien expertisé ; ce n’est donc pas un expert. Sur ce point également, il faut revenir en arrière. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Au XXIe siècle, il faut adapter les essais thérapeutiques en transposant les directives européennes qui s’imposent à nous. Mais nous devons les transposer intelligemment et avec raison. Suite à certains scandales, nous avons fait preuve d’un excès de rigidité. Maintenant, il faut trouver des solutions raisonnables, encadrées et efficaces. Par ailleurs, le secteur a besoin d’être dynamisé. Chaque année, en effet, le nombre d’essais cliniques pour les médicaments diminue, alors qu’il augmente pour les dispositifs médicaux. La France n’est plus un lieu où les grandes sociétés pharmaceutiques font des essais cliniques en raison des trop grands retards et des difficultés bureaucratiques. Elles considèrent que les essais sont très bien effectués en France, avec de très bons résultats, mais le délai est trop long. La prochaine loi définira de nouvelles conditions pour les essais cliniques afin de raccourcir les délais. Leurs conditions doivent être précisées dans les décrets d’application, mais le principe sera celui du contrat unique : au lieu d’avoir un laboratoire industriel qui signe avec un directeur d’hôpital puis avec chacun des médecins de tous les centres concernés, ce qui prend quelques mois, il y aura désormais un accord global, avec l’accord des responsables médicaux. De tels essais ont lieu depuis un peu plus de deux ans au CHU de Bordeaux ; depuis, l’augmentation de l’attractivité de ce CHU pour les essais cliniques a été considérable. Voilà donc des modèles. Il faut continuer à avancer pour que la France reste le fer de lance des innovations thérapeutiques en Europe. ANNE GROMMERCH Le problème des experts date de 2010. Depuis, tout le monde a conscience que des erreurs ont été commises et que nous avons affaire à des experts qui ne sont pas expérimentés. Mais rien ne change et 16 c’est le drame. À un moment donné, il faut agir et revenir sur les erreurs commises il y a quelques années. ARNAUD ROBINET Nous devons revoir la question des experts mais ne devons pas oublier dans quel contexte a été votée la loi Bertrand : nous étions dans l’affaire du Mediator, où des manquements déontologiques graves ont eu lieu. Nous devions prendre des mesures pour ne pas revivre ce genre d’affaire. « L’Australie, par exemple, a décidé par la loi d’octroyer maximum 31 jours aux autorités réglementaires avant l’approbation ou non de tout essai clinique. » Pr Jean-Charles Soria Pr JEAN-CHARLES SORIA Des mesures politiques volontaristes permettront à la France de retrouver son rang d’attractivité. L’Australie, par exemple, a décidé par la loi d’octroyer maximum 31 jours aux autorités réglementaires avant l’approbation ou non de tout essai clinique. Ainsi, elle est devenue une terre propice aux essais thérapeutiques. J’ai sollicité plusieurs fois l’ANSM pour réduire les délais, mais les contraintes imposées empêchent toute expertise : quatre directions thérapeutiques demeurent vacantes à l’ANSM. Ce n’est plus possible. On propose à des professeurs d’aller à l’ANSM avec leur salaire de professeur mais en arrêtant toute interaction avec les laboratoires pharmaceutiques. Aucun professeur ne peut l’accepter. Puisque les CPP sont devenus décisionnels, donnons-leur les moyens de cette activité décisionnelle en les professionnalisant. DE LA SALLE Je suis gastro-entérologue à la Pitié-Salpêtrière. Sur l’innovation thérapeutique, nous avons deux essais de phase 3 randomisés qui ont démontré un bénéfice de survie sur le cancer du pancréas et de l’estomac. Leurs médicaments ont eu leur autorisation de mise sur le marché en Europe et ils sont remboursés dans quasiment tous les pays européens sauf la France. Actuellement, je suis extrêmement inquiet quant à notre possibilité de proposer ce nouveau traitement à nos patients. HÉL NE ESPÉROU, Directrice du Projet médico-scientifique et de la Qualité, Unicancer Sur l’observatoire des attentes des patients, que nous avons mis en place, les derniers résultats de l’enquête participative réalisée il y a quelques mois montrent que les patients sont très favorables à participer aux essais cliniques. Elle a été réalisée sur Internet, si bien qu’elle n’est pas représentative, mais demeure qualitative. Les patients ont parfaitement conscience de la qualité de la prise en charge dont ils bénéficient et cette qualité de prise en charge perdure au-delà de leur inclusion dans un essai clinique. Tous ne pensent pas qu’ils sont des cobayes, au contraire. Ils sentent tout l’intérêt qu’il y a à participer aux essais cliniques. Pr FABRICE ANDRÉ Je répondrai à mon collègue gastroentérologue. En médecine, qu’est-ce que le bénéfice d’un médicament ? Des échelles commencent à voir le jour, notamment de la part de la Société européenne d’oncologie médicale, mais comment le quantifier ? Jusqu’à maintenant, nous vivions dans le dogme que le bénéfice d’un médicament reposait sur la statistique, mais nous réalisons que le bénéfice est plus compliqué à quantifier, certaines échelles demandant un certain nombre 17 « Jusqu’à maintenant, nous vivions dans le dogme que le bénéfice d’un médicament reposait sur la statistique, mais nous réalisons que le bénéfice est plus compliqué à quantifier (…). » Pr Fabrice André de bénéfices pour considérer que le médicament apporte un bénéfice à la société. Ainsi, à mon avis, il ne suffit pas de déclarer que deux essais ont montré un bénéfice pour dire que le médicament est bénéfique pour la société. En 2015, la quantité de bénéfices doit entrer en compte pour la prise en charge ou non du remboursement et personnellement, pour ces cas-là, je ne suis pas très favorable à ces remboursements. Pr FABRICE ANDRÉ Nous confondons là inégalité et injustice. Vous décrivez l’inégalité, mais cela génère-t-il de l’injustice en France ? Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR Les taux de mortalité par cancer dans l’Hexagone, toutes choses égales par ailleurs, traduisent des inégalités de santé qui se superposent à des inégalités sociales. CHRISTINE DE SEILHAC, patient relecteur de protocole, Ligue contre le Cancer Des patients s’engagent et lisent cinq à six protocoles par an ainsi que des lettres de consentement. Nous sommes 50 et nous nous engageons à lire ces documents parfois très abscons et à travailler de notre mieux auprès des acteurs de la recherche clinique en France. Dr CAROLINE ROBERT Je souhaiterais que les patients soient experts de leur maladie plutôt que du CV de leur médecin. Le compte rendu devrait systématiquement leur être adressé, et pas seulement à la demande. Ils connaissent toujours des difficultés à obtenir les radios, les scanners, les résultats d’analyse. Il faut encore une fois fluidifier cela pour que, au final, la méfiance à l’égard du médecin disparaisse. Pr JACQUELINE GODET, présidente, Ligue nationale contre le Cancer Il ne faut pas confondre les patients experts et les patients ressources. Je l’indique parce que le "Plan cancer 3" mentionne la notion de patient ressource, définie par la Ligue contre le Cancer. Je suis d’accord sur le fait que tous les patients devraient recevoir leur dossier. Cependant, ils ne sont pas là pour faire de l’expertise, mais pour témoigner de leur vécu aux autres patients d’un côté, et aux professionnels de santé de l’autre. Or, dans l’expérimentation que nous avons lancée, il s’avère que certains professionnels de santé n’accueillent pas favorablement un patient ressource. Avant que la France devienne un pays de patients experts, il faut déjà qu’elle accepte la notion et l’efficacité des patients ressources. L’action des patients relecteurs des protocoles est fondamentale. Elle apporte de l’œil du patient une pondération, non sur la molécule ellemême ni sur la prescription, mais sur l’explication du protocole, la façon de le présenter. Enfin, la Ligue vit sur le terrain la maladie cancéreuse et ses conséquences. Je peux témoigner qu’il y a de l’injustice à l’heure actuelle en France et une inégalité d’accès aux traitements et aux soins. C’est une des grandes batailles de notre association. Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Dans le domaine des prédispositions, la compréhension intime de sa propre prédisposition est 18 « L’action des patients relecteurs des protocoles est fondamentale. » Pr Jacqueline Godet essentielle à sa prise en charge. Lorsqu’on annonce à une jeune femme sa prédisposition au cancer du sein et qu’elle doit être prise en charge à partir de l’âge de 30 ans et de façon assez contraignante (IRM et mammo/échographie), il est important qu’elle ne s’essouffle pas mais se fasse suivre régulièrement. De plus, son information est très importante parce que la première personne d’une famille chez qui a été détectée une prédisposition devient un relais pour ses apparentées. Il existe d’ailleurs une disposition législative importante : la loi bioéthique de 2004 puis de 2011 sur l’information de la parentèle. 19 Les pistes d’innovations ALAIN DUCARDONNET Quels sont les éléments attendus dans les cinq prochaines années ? « Des progrès formidables ont été accomplis ces vingt dernières années, mais il faut avancer sur certains devoirs déontologiques, tels que l’information des patients ou la nondiscrimination des personnes à risque. » Pr Dominique StoppaLyonnet Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Des progrès formidables ont été accomplis ces vingt dernières années, mais il faut avancer sur certains devoirs déontologiques, tels que l’information des patients ou la nondiscrimination des personnes à risque. Autre devoir de la part des médecins et des scientifiques : l’exactitude dans la prédiction des risques et l’interprétation des tests. Il reste beaucoup à faire. Certes, une altération des gènes BRCA1 ou BRCA2 est un indicateur, certes le risque moyen de cancer du sein est de l’ordre de 60 % à l’âge de 70 ans. Mais il demeure que les femmes qui ont une altération de l’un ou l’autre de ces gènes ont des risques inégaux. Nous sommes en train d’identifier ces facteurs de modification, ce qui permettra de moduler leur prise en charge. Nous avons accumulé les connaissances ces dernières années et devons poursuivre nos efforts. Ainsi, les risques tumoraux des personnes en dehors de toute histoire familiale sévère ne sont probablement pas les mêmes que ceux des personnes touchées par une histoire familiale. Cette histoire familiale sévère illustre des facteurs modificateurs qu’il est essentiel d’identifier et bientôt de prendre en compte. Ne pas se tromper nécessite aussi la prise en compte de variants de signifiants inconnus. La question se pose globalement en génétique médicale. Nous trouvons toutes sortes de variations à ces gènes, dont nous ne connaissons pas toujours la signification biologique. Au niveau national et international se mettent en place des bases de données qui recueillent les données cliniques et les caractéristiques moléculaires. Ce savoir est essentiel pour ne pas se tromper dans l’interprétation de ces variants. 20 Enfin, les domaines des prédispositions sont ceux des thérapies ciblées. Il deviendra de plus en plus complexe d’informer les patients atteints de cancer, puisqu’on leur parlera de prédisposition génétique et d’anomalies génétiques dans la tumeur, etc. Il faut réfléchir à notre pédagogie. Nous devrons faire preuve d’innovation pour garantir une information juste et de qualité à nos patients, tout en trouvant les moyens d’être toujours plus précis dans l’analyse des caractéristiques des tumeurs et l’interprétation des anomalies constitutionnelles. « La tendance actuelle en recherche clinique consiste à déterminer chez chaque patient l’histoire moléculaire de la tumeur, c’est-à-dire les anomalies moléculaires qui ont suscité la progression tumorale. » Pr Fabrice André Pr FABRICE ANDRÉ La tendance actuelle en recherche clinique consiste à déterminer chez chaque patient l’histoire moléculaire de la tumeur, c’est-à-dire les anomalies moléculaires qui ont suscité la progression tumorale. Puis, à l’aide de tests multigéniques, nous cherchons à déterminer les cibles à bloquer. Plusieurs études sont en cours pour savoir si cette technologie permettra d’améliorer la survie des patients. Aujourd’hui, ce séquençage est accessible aux patients moyennant finances, ce qui crée un vrai problème d’inégalité aux soins. On commence à recevoir des patientes qui ont réalisé leur séquençage génomique aux États-Unis pour 5 000 dollars. Connaissant alors leur cible, puisqu’elles sont des patientes expertes, elles savent quels médicaments prendre dans leur cas et peuvent accéder à certaines innovations. Il s’agit là d’une sorte de distorsion du système. Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR Un point de sémantique : le patient expert n’est pas le patient qui fait du délit d’initié ou du délit de riche. Le patient expert n’est pas celui qui a de l’argent pour acheter ses médicaments en Suisse, mais plutôt un "sachant profane" qui a appris ce qu’est la maladie et peut faire profiter d’autres patients de son expérience. ALAIN DUCARDONNET Caroline Robert, que pouvons-nous attendre de cette stratégie thérapeutique ? Dr CAROLINE ROBERT Nous entrons dans une nouvelle ère avec un élément extrêmement heureux : les gens vont davantage communiquer. Les thérapies ciblées et personnalisées et l’immunothérapie se rejoignent pour guérir le cancer de chaque personne. Par exemple, nous combinons la radiothérapie et l’immunothérapie avec l’espoir que cela créera une sorte de vaccination. L’immunothérapie se combine aussi avec la chimiothérapie. Nous connaissons désormais l’importance de l’équilibre entre le cancer et l’organisme. Mais le patient subit successivement plusieurs essais thérapeutiques, bouleversant cet équilibre, sans que son suivi soit assuré. Son suivi demeure morcelé et les données se perdent. Il faut les suivre à chaque étape de leurs différents traitements. Nous manquons actuellement d’indicateurs de suivi prospectif de nos patients. Il s’agit d’une perte d’information considérable, aux dépens de la prise en charge et de la qualité des soins. ALAIN DUCARDONNET Quelle est la place du médecin généraliste, du médecin traitant ? 21 ANNE GROMMERCH Le rôle du médecin généraliste est absolument essentiel. Vous attendiez des témoignages de patients ; je vais mettre ma casquette de patient, pour témoigner de ce que je vis depuis maintenant huit ans, dans ma lutte contre le cancer. « Le lien entre l’oncologue et le médecin traitant est essentiel. » Anne Grommerch Le rôle du médecin traitant est essentiel, puisqu’il est le plus accessible ; on ne voit pas l’oncologue aisément quand on le souhaite, quand on a des questions. Par conséquent, le lien entre l’oncologue et le médecin traitant est essentiel. Il faut en effet que le médecin traitant puisse disposer d’un suivi précis du dossier pour pouvoir entendre le patient, répondre à ses questions, à ses inquiétudes. Ce lien, qui n’est pas toujours naturel, est indispensable. Aujourd’hui, qu’attendent les patients ? Si les choses évoluent bien, nous devons être encore plus précis. On sait que l’on a possibilité d’éviter la chimiothérapie conventionnelle, qui est très lourde, par un test diagnostic. Ce test diagnostic se déploie aux États-Unis. Il ne faut pas que la France prenne du retard pour le déployer sur le territoire. 20 % des cancers du sein hormonaux dépendants récidivent. Ces formes agressives de cancer doivent mobiliser les efforts de la recherche car il faut cibler, être de plus en plus précis. Et il faut laisser la main aux médecins, empêcher l’Administration de décider de ce que l’on a le droit de faire et de ne pas faire. Là réside le drame aujourd’hui. Il faut laisser plus de liberté à nos médecins, à nos oncologues, et à nos chercheurs. C’est lorsque l’on fait face à des stades très avancés dans le développement du cancer que démarrent les traitements d’immunothérapie. Peut-être pourraiton les démarrer tout de suite, dès que l’on connaît le type de cancer, quitte à engager un dialogue avec les laboratoires, et à obtenir un accord avec eux, en disant que sont payés ceux qui ont un résultat. Cela permet de régler en partie la problématique des coûts car on attend parfois d’utiliser certains traitements parce qu’ils sont très chers. Or, si nous pouvions aller dans cette direction, en développant les liens avec les laboratoires – et le professeur Soria nous a dit que cela se faisait de manière très positive dans certains pays : Angleterre, Liban… – nos équipes seraient plus rapides dans leurs méthodes d’intervention. Telles sont les préoccupations des patients. ALAIN DUCARDONNET Professeur Soria, en matière d’innovations, de protocoles et de collaborations privé-public, quelles pourraient être les évolutions dans les cinq prochaines années ? Pr JEAN-CHARLES SORIA Je crois que jamais, en cancérologie, nous n’aurons été dans une situation aussi favorable qu’aujourd’hui. En effet, nous avons à la fois la capacité à caractériser la tumeur sous ses différents angles, le circuit moléculaire avec les anomalies structurelles de l’ADN, le contexte immunitaire de cette tumeur ; mais les politiques n’ont pas pris conscience à quel point la qualité de la définition de ce portrait initial va impacter la réflexion sur ce qui doit être remboursé ou ne pas être remboursé, parce que c’est là que se retrouveront les "prédicteurs" les plus puissants du 22 « Notre problème, c’est que nous ne connaissons pas l’échelle utilisée par les pouvoirs publics et les autorités pour ce qui concerne la prise en charge des médicaments entrant dans la lutte contre le cancer. » Pr Jean-Charles Soria bénéfice thérapeutique de médicaments très coûteux. La caractérisation du contexte immunitaire et celle de l’état moléculaire méritent que plus d’argent soit investi dans ces axes, alors que l’on sait que le coût des immunothérapies se comptera en milliards d’euros en France. Or, cette carte d’identité d’une tumeur n’a de valeur que parce qu’il y a désormais des outils thérapeutiques extrêmement puissants qui ont émergé et qui permettent d’incarner la caractérisation moléculaire par des choix thérapeutiques précis. Quant à ces choix thérapeutiques précis, nous avons, après la vague des thérapies ciblées avec le per os, celle de l’immunothérapie, avec le retour à l’IVEP. Cela va complexifier ; il va falloir à nouveau retourner à l’hôpital, en hôpital de jour. Avec l’immunothérapie, nous avons la chance, pour la première fois, d’envisager des désescalades thérapeutiques dans des tumeurs que l’on guérit très bien. Aujourd’hui, dans le cancer du sein, contrairement à la tumeur du poumon dont je m’occupe, le problème n’est plus tant de guérir plus, mais de guérir mieux avec moins de séquelles. L’immunothérapie peut totalement transformer la vie de femmes qui, sans elle, auraient dû à la fois subir l’amputation, la chimiothérapie et ses effets secondaires. C’est peut-être aussi de l’argent beaucoup mieux employé, en augmentant la guérison, qu’en prolongeant la durée de vie d’un patient. Et la possibilité de désescalade thérapeutique est donc un point à souligner dans les évolutions connaître. que nous pourrons Notre problème, c’est que nous ne connaissons pas l’échelle utilisée par les pouvoirs publics et les autorités pour ce qui concerne la prise en charge des médicaments entrant dans la lutte contre le cancer. Il s’agit de l’échelle "cout/bénéfice". Or nous nous heurtons au fait qu’au niveau de la HAS et de la commission de la transparence, les règles du jeu ne sont pas explicitées. Quelle échelle de bénéfices utilisent-ils ? Les raisons qui font qu’un médicament est plus ou moins remboursé qu’un autre, ou qu’il est remboursé à ce taux-là ne sont pas précisées. Une démarche de transparence doit être mise en œuvre, passant par une information donnée aux concitoyens sur ce qui, aujourd’hui, dans notre système contraint à des économies, s’inscrit dans un contexte où il est introduit la notion de coût et de bénéfice pour que le remboursement s’opère. Il faut sortir de l’opacité. Et l’échelle à laquelle a fait référence Fabrice André, qui est l’échelle publiée par la Société Européenne d’Oncologie Médicale, qui s’appelle MCSB (Magnitude Clinical Benefit Scale), est très importante car elle essaie de mieux appréhender ce qu’est réellement un bénéfice clinique, et pas simplement un bénéfice statistique. Il s’agit là d’une dimension qui est très importante. Il faut que nos hommes politiques intègrent cela. Si ces notions d’importance et de magnitude du bénéfice dans un rapport coût/bénéfice intervenaient plus qu’auparavant, ce qui est véritablement nécessaire, cela devrait se faire dans une véritable transparence, et non dans l’opacité. 23 « Notre pays offre un très bon accès aux innovations, et, comme par hasard, nous avons le meilleur taux de survie par rapport au cancer. » Pr Véronique Trillet-Lenoir La collaboration public/privé est très importante, particulièrement pour les essais axés, dont l’importance ne doit pas être méconnue, et qui figurent à la même place que les plateformes de génétique moléculaire, ou centres CLIP des essais précoces. L’ARC soutient ces essais axés, qui permettent au plus grand nombre d’accéder à l’innovation. Aujourd’hui, nous travaillons – et je salue la présence parmi nous de MSD – pour Accès Pembrolizumab afin de mettre l’immunothérapie à la disposition des personnes souffrant de maladies rares, pour lesquelles l’industrie ne manifeste pas d’intérêt économique. Il est indispensable que cette molécule soit mise à disposition, et j’espère vraiment que MSD France soutiendra massivement Acces Pembrolizumab pour les maladies rares, parce qu’il est essentiel que cet accès à l’innovation se fasse aussi sur des maladies orphelines. ALAIN DUCARDONNET Véronique Trillet-Lenoir, pourronsnous nous offrir toutes ces innovations, dont on sait que le prix mensuel est parfois absolument astronomique ? Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR La part du budget consacrée, au titre de l’Assurance maladie, aux médicaments innovants pour lutter contre le cancer est de 1 %. Si l’on prend l’angle certes, les coûts des médicaments ont augmenté de façon exponentielle. Pour autant, cette seule approche économique ne doit pas faire oublier les points positifs que ces innovations ont apportés : elles améliorent des vies, elles ont contribué à la chronicisation du cancer. La France, où, pour le moment, le système de santé donne l’accès juste et équitable à ces molécules, présente le meilleur taux de survie au cancer de toute l’Europe. Les modalités de remboursement sont fondées sur les conclusions d’une commission de la transparence de l’HAS, qui est en train de devenir une agence de régulation économique via l’estimation du "service médical rendu". Cette échelle intègre un certain nombre de critères, mais méconnaît complètement les effets sociétaux des traitements comme la réinsertion professionnelle des malades chroniques, les mamans que l’on rapproche de leurs enfants, et tous ces éléments qui relèvent du bénéfice pour la santé et du bénéfice pour la population. Face à ce 1 % de budget, on peut être étonné de la surabondance d’énergie qui est déployée sur la question du coût des médicaments, sachant que bien d’autres leviers existent dans la panoplie des moyens existants pour traiter la question du coût de la santé, comme des recherches d’optimisation des moyens en matière d’organisation et de fonctionnement. On les méconnait en partie par la peur légitime de fragiliser les hôpitaux publics, qui sont souvent le premier employeur d’une commune. La démarche des pouvoirs publics visant à ramener le prix des médicaments dans des zones qui permettent de prendre en compte la dimension de l’investissement, de la RED, mais qui maintiennent néanmoins les prix dans des limites acceptables, est positive. Mais je continue à trouver que toute cette "dramaturgie" autour du 1 % du 24 « La loi Bertrand était une loi ”émotionnelle”. Il faut sortir de ses excès. » Pr Jean-Charles Soria budget de l’Assurance maladie, c’est beaucoup. Je partage les inquiétudes de mes collègues. Notre pays offre un très bon accès aux innovations, et, comme par hasard, nous avons le meilleur taux de survie par rapport au cancer. Attention à ne pas mettre en route un système de régulation autoritaire et totalement délétère pour la population. Aussi, il pourrait être pertinent de travailler sur deux pistes possibles. La première touche au "virage" ambulatoire. Il y a là un gisement d’activités en matière d’aide à la personne, d’aide au domicile, d’interventions à domicile de réseaux territoriaux, d’infirmiers et d’aidessoignants. Et cela, c’est de l’emploi. Alors, évidemment, c’est un petit peu d’emploi en moins pour l’hôpital. Le virage ambulatoire, c’est les vases communicants. Mais coordination hôpital/ville, c’est véritablement du gisement d’emplois. Et plus modestement, et c’est une expérience personnelle, mais cependant je crois utile de vous la livrer : je préside un cancéropôle qui s’est donné, dans la région AuvergneRhône-Alpes, une mission de développement économique. Le cancéropôle est financé au tiers par l’Institut du cancer, et aux deux tiers par les collectivités territoriales, au premier rang desquelles la Région, qui investit sur des partenariats public/privé, en général un tiers pour les collectivités, deux tiers pour un industriel, dans une démarche d’accompagnement et éventuellement de mise sur le marché de nouveaux médicaments ou dispositifs médicaux. Cela a déjà donné lieu à des essais cliniques, dont deux en première administration chez l’homme, à la création d’une petite centaine d’emplois autour des startups de notre région, qui est dynamique en santé. C’est de l’industrie française. C’est du partenariat public/privé. Ce sont les collectivités qui investissent sur le progrès. Il serait dommage qu’après toute cette énergie déployée, cela soit "retoqué" au motif que le gain obtenu ne correspondrait "qu’à deux mois de médiane de survie en plus". Dépassons l’aspect des statistiques : si la médiane de survie est améliorée de deux mois, c’est qu’il y a des patients qui gagnent six mois ou qui gagnent huit mois, et qu’avec le traitement qui viendra après, ils vont en gagner encore ; et c’est comme cela que l’on a chronicisé la maladie. J’estime qu’il est nécessaire que les politiques et les décideurs qui s’intéressent au coût de la santé ne se focalisent pas à ce point sur ce qui, dans la globalité, ne représente finalement qu’1 %, au regard du poids que cela constitue quant à l’avenir de la santé de la population. ALAIN DUCARDONNET Pourriez-vous exprimer une requête aux parlementaires sur les questions que nous avons abordées ? Pr DOMINIQUE STOPPALYONNET Je recommanderais d’être vigilant sur l’organisation de tests génétiques, tant constitutionnels que tumoraux, parce que les deux sont intimement liés. Qu’ils soient de qualité, à la fois technique et en termes d’interprétation ; qu’ils soient, bien sûr, accessibles à l’ensemble de la 25 population. informée. « Le fait même de réaliser une étude de désescalade économise de l’argent. » Pr Fabrice André Et une population Pr JEAN-CHARLES SORIA La loi Bertrand était une loi "émotionnelle". Il faut sortir de ses excès. Elle avait une raison d’être, mais prise dans l’émotion, elle peut comporter des excès. Il faut vraiment que vous ayez le courage politique de revenir sur les problèmes de conflits d’intérêts tels qu’ils ont été traités ; le courage politique de définir ce qu’est un bénéfice pour le patient, et à partir de quand vous remboursez. Et donner les moyens et le signal aux instances qui font l’écosystème "Recherche clinique" pour qu’elles fassent leur travail comme il faut, notamment les CPP. Dr CAROLINE ROBERT Je voudrais souligner l’intérêt qu’il y a à mettre en place le dossier informatisé. Que ce soit le moyen de partager l’information et qu’il y ait un continuum ; et que cela concerne aussi les prélèvements biologiques. Pr FABRICE ANDRÉ Il pourra être pertinent que se mettent en place des systèmes de financement pour les études de désescalade, comme mentionné tout à l’heure. Le fait même de réaliser une étude de désescalade économise de l’argent. L’Assurance maladie ou d’autres acteurs pourraient utilement aider la recherche clinique autour de ces questions de désescalade thérapeutique. ARNAUD ROBINET Merci aux intervenants et au public. Nous avons bien entendu l’ensemble des demandes ou des réflexions qui nous ont été proposées. Certes, il y a le Plan cancer. On parle de recherche, on parle d’innovation, mais il faut que le terreau soit propice à cette recherche et à cette innovation, et surtout à la prise en charge du patient et à l’accès aux soins. Plusieurs pistes sont à suivre. Lorsque l’on parle de recherche et d’innovation, il y a non seulement la recherche publique, mais également la recherche privée, et notamment la recherche pharmaceutique. À l’instar des orientations qui avaient présidé à la mise en place du Conseil stratégique des industries de santé, je pense que l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics doivent, de façon conjointe, se fixer des objectifs et des moyens pour les atteindre, sur plusieurs années, car il faut cesser de prendre le médicament comme variable d’ajustement dans le cadre du PLFSS. Agir ainsi, c’est prendre le risque de voir des laboratoires de recherche privés quitter le territoire français pour aller dans d’autres pays. J’en ai fait l’expérience dans ma ville à Reims. Par ailleurs, lorsque l’on parle de l’accès aux soins, il est question de la réorganisation du système de santé en France. Une question centrale qui entoure l’examen du projet de loi Santé est celle de la place qui est réservée dans notre organisation à l’hôpital public, aux médecins libéraux, à la médecine de ville, aux établissements privés. Or, dans ce contexte, il faut à tout prix que l’hôpital public retrouve ses véritables missions ; que les CHU retrouvent leur rôle de tête de pont, sur un territoire pour la recherche, l’innovation et l’enseignement. À partir de là, on parle 26 « Le système de santé français repose sur une complémentarité qui associe le public et le privé. Cette complémentarité ne peut être que bénéfique au patient (…). » Arnaud Robinet de médecine ambulatoire ; et je suis d’accord avec Madame le Professeur, on demande de plus en plus aux hôpitaux de faire de la médecine ambulatoire, mais derrière, il faut que la médecine de ville soit prête. Il faut donner les moyens à la médecine de ville, également aux établissements privés de pouvoir "absorber" les patients qui seront issus de l’hôpital. Il faut préserver ce système de santé en France, en veillant à sa bonne organisation sur l’ensemble du territoire, et surtout que l’on arrête, comme on le fait souvent, d’opposer le privé au public ; nous n’avons plus les moyens, financiers, budgétaires, de continuer cette opposition. Le système de santé français repose sur une complémentarité qui associe le public et le privé. Cette complémentarité ne peut être que bénéfique au patient, et c’est l’objectif que nous devons rechercher : l’intérêt pour le patient, pour sa prise en charge. 27 ! TABLE RONDE II La société face aux cancers – Aujourd’hui et demain Présidents Animateur Jean-Pierre Door Député du Loiret, vice-président de la Commission des Affaires sociales, président du groupe d’études “Professions de santé et coordination sanitaire” Alain Ducardonnet Journaliste sur BFMTV Pr Jean-Louis Touraine Député du Rhône, vice-président du groupe d’études "Cancer" Intervenants Valérie Boyer Députée des Bouches-du-Rhône Pr Pierre Fumoleau Directeur général du Centre de lutte contre le cancer Georges-François Leclerc et membre du bureau de la Fédération UNICANCER Catherine Hill Épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy Dr Gérard Sebaoun Député du Val-d’Oise, président du groupe d’études “Pénibilité du travail, santé au travail et maladies professionnelles” Françoise Sellin Co-fondatrice et directrice du Collectif K, coordinatrice générale du Ruban de l’espoir 28 Introduction Pr Jean-Louis Touraine N Député du Rhône et secrétaire de la Commission des Affaires sociales, JeanLouis Touraine est président du groupe d’études “Sida” et membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Professeur de médecine, il est également membre du Conseil d’orientation de l’Agence de biomédecine. Spécialiste d’immunologie, Jean-Louis Touraine est également vice-président de la Fédération hospitalière de France (FHF) et il a été, jusqu’en 2012, chef du Service de transplantation et d’immunologie clinique de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon. ous allons, dans cette table ronde, aborder les questions ayant trait à la société face au cancer. Les progrès thérapeutiques sont rassurants ; cependant, la société est confrontée à une augmentation de la fréquence des cancers. Les chiffres des cancers ont doublé en trente ans, et cela continue à augmenter. Il y a bien sûr l’augmentation de l’espérance de vie et l’amplification des dépistages, par exemple des cancers de la prostate ou du sein, mais il y a aussi l’augmentation des risques d’exposition à des facteurs qui sont susceptibles de déclencher le cancer. Or, plus de la moitié des cancers sont évitables, mais nous n’avons que très faiblement avancé sur ces questions. Nous allons parler de l’organisation des soins, de la prévention, de la question des parcours, non seulement de soins, mais aussi de santé. Cette organisation suppose aussi de combler le fossé qui existait entre les médecins et les soignants, et c’est tout l’enjeu du développement des infirmières cliniciennes. Dans le développement de certains cancers liés au milieu professionnel, il faut que l’on tienne compte du fait que l’augmentation de la durée au travail va conduire à ce qu’une population plus nombreuse soit exposée aux risques de produits cancérigènes, si aucune reconversion n’était proposée à ces salariés. Nous parlerons des patients. Il faut s’adresser à celui qui vient de commencer à fumer pour le convaincre de s’arrêter. Et encore mieux, aux préadolescents pour qu’ils ne commencent pas du tout. Il faut créer, avec les professionnels et les usagers, les conditions d’une véritable efficacité en prévention. Il est, dans ce contexte, dommageable que les lobbies du tabac, de l’alcool arrivent à gagner du terrain face à la priorité qui doit être celle de la santé publique. Il faut que la santé publique soit privilégiée par rapport aux intérêts économiques. Notre pays, comparativement à beaucoup de pays d’Europe du Nord, est en retard en matière de prévention. 29 Les enjeux économiques. Le parcours cancer dans le Loiret Jean-Pierre Door D Député du Loiret depuis 2002 et maire de Montargis, Jean-Pierre Door est viceprésident de la Commission des Affaires sociales, membre de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (MECSS) et président du groupe d’études “Professions de santé“. Il a été rapporteur du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour la branche maladie 2009 (dépenses maladies et accidents du travail et maladies professionnelles) et pour la loi du dossier médical sur clé USB, votée en 2010. Médecin cardiologue de profession, Jean- Pierre Door est membre de la Société française de cardiologie et de la Fédération française de stimulation cardiaque. Il a été médecin hospitalier à temps partiel, cardiologue libéral en clinique de 1972 à 2003 et viceprésident de l’Union des médecins de la région Centre de 1990 à 2001. Rapporteur de la loi About relative à la responsabilité civile médicale en décembre 2002, il a également été rapporteur de la loi Giraud relative à la gestion des crises sanitaires majeures en mars 2007. ix millions de Français sont atteints de maladies chroniques. Ces maladies vont encore évoluer régulièrement, puisque l’on sait que, chaque année, il y a plus de 3 % des personnes qui entrent dans les affections de longue durée. Le coût de ces ALD est important ; il représente près de 70 % des remboursements de l’Assurance maladie. Les plans cancer successifs ont contribué à optimiser la prise en charge des patients atteints de tumeurs malignes grâce à une logique de parcours de soins, autour de trois phases : le bilan initial, l’élaboration des thérapeutiques, la surveillance. La qualité et l’efficience de la prise de ces pathologies sont au cœur de notre politique de santé. 30 L’organisation des soins, hôpital-ville, la place du patient Valérie Boyer Alain Ducardonnet Que peut-on dire sur les passages, les relais qui se font entre l’hôpital et la ville pour le traitement de la maladie ? A Diplômée du Centre national d’études supérieures de sécurité sociale, et après une longue expérience dans le domaine de la santé, Valérie Boyer devient secrétaire générale de l’Agence régionale pour l’hospitalisation en PACA. En 2001, elle rejoint l’équipe de Jean-Claude Gaudin à la mairie de Marseille, puis en 2007 et 2012 elle est élue députée de la 1ère circonscription des Bouches-du-Rhône. Elle devient alors membre de la Commission des Affaires sociales. Valérie Boyer s’est fait connaître des médias et du grand public par sa proposition de loi visant à combattre l’extrême maigreur qui a été adoptée à l’Assemblée nationale ainsi que pour les nombreux amendements déposés suite à son rapport sur la lutte contre l’obésité. Elle est également l’auteure d’une proposition de loi visant à signaler les photos d’images corporelles retouchées. Dans le cadre de la révision des lois de bioéthique, Valérie Boyer a fait adopter une série d’amendements sur la vitrification ovocytaire et sur le développement de dons de gamètes. Elle est nommée à deux reprises secrétaire nationale “Les Républicains” déléguée. à la santé. ujourd’hui, quand on parle de cancer, on parle d’abord d’une maladie qui peut se guérir. C’est très important aussi de le dire au patient ; même s’il doit être accompagné longtemps. Je pense que c’est un changement fondamental de notre société. C’est aussi une maladie chronique. Nous sommes dans une nouvelle approche des soins, qui vont durer plus longtemps. Sans négliger le droit à l’oubli, pour que les personnes puissent assurer leur avenir. Nous avons rappelé que le médecin traitant est le pilier du système de soins. Or, la question des déserts médicaux et la difficulté pour les médecins de donner à chaque patient le temps qu’il réclame constituent des limites à ce rôle majeur confié au médecin de ville. Il est urgent de mettre en place la possibilité pour le patient de disposer de son dossier. Cela permet de faire le lien entre la ville et l’hôpital. Cela constitue un outil essentiel de l’accompagnement du patient par le médecin. Au moment de l’annonce du diagnostic, il est essentiel de pouvoir garantir au patient une orientation adéquate et d’associer le médecin traitant à l’accompagnement du malade. Permettre à chacun de disposer de programmes personnalisés de soins pendant le cancer et après la maladie, en prenant en compte l’ensemble des besoins (l’accompagnement, le logement, l’entourage…), c’est l’enjeu de la mise à disposition du dossier médical. 31 L’organisation des soins, hôpital-ville, la place du patient Pr Pierre Fumoleau Alain Ducardonnet Je pensais que la loi prévoyait de mettre à disposition le dossier médical. Et qu’en est-il du parcours de soins ? L Pierre Fumoleau est directeur général du Centre Georges-François Leclerc, du Centre de lutte contre le cancer de Bourgogne, depuis 2007, PUPH en oncologie médicale à l’Université de Bourgogne, vice-président et secrétaire du bureau d’UNICANCER, président de la Fondation de coopération scientifique Bourgogne/Franche-Comté et copilote du parcours en cancérologie avec l’ARS de Bourgogne. Après l’obtention de son diplôme de docteur en médecine en 1979 et sa qualification en oncologie médicale (19791981) à Nantes, il a occupé au sein du Centre ené Gauducheau les postes de médecin, chef du Service d’oncologie médicale (1984), responsable des départements d’oncologie médicale (1997) et de recherche (2001) mais aussi directeur adjoint de 1989 à 1994 puis de 2000 à 2003. Arrivé à Dijon en 2004, Pierre Fumoleau a assumé la responsabilité du Département d’oncologie médicale et de Unité de recherche de transfert et est nommé professeur en oncologie médicale à l’Université de Bourgogne. Membre de plusieurs sociétés scientifiques, il a été également secrétaire général de l’European organisation for research and treatment of ancer (EORTC) de 2003 à 2006. Très impliqué dans la recherche clinique et de transfert, notamment dans le cancer du sein, il est un xpert reconnu du développement précoce de nouveaux agents anticancéreux et membre actif au niveau de plusieurs groupes. e dossier médical informatisé n’est pas forcément disponible. On a chacun, dans nos hôpitaux, un dossier informatisé, mais le problème c’est le transfert de ce dossier vers d’autres acteurs de la cancérologie. Concernant le parcours en cancérologie, dans la région Bourgogne, sous la houlette de l’ARS, nous avons créé un parcours en cancérologie. C’était inscrit dans le PRS de 2013. Nous avons fait un constat de l’état de l’organisation de la cancérologie en Bourgogne. Nous avons testé le département de la Nièvre, et nous nous sommes aperçus que malgré les deux plans cancer, la mortalité par cancer à la fois chez la femme et chez l’homme s’était aggravée dans la Nièvre par rapport à la moyenne nationale. À partir de là, nous essayons d’adapter le parcours en cancérologie pour améliorer ces chiffres qui ne sont pas très optimistes. Le parcours comprend la prévention, le dépistage, le diagnostic, l’accès aux soins, et le suivi. À partir de ce parcours, que nous avons analysé en profondeur, nous avons trouvé plusieurs points de rupture : l’adéquation relative des actions de prévention, les inégalités de dépistage, les difficultés d’accès à une offre de soins de proximité, du fait de la problématique de la démographie médicale dans la Nièvre (d’où l’effort qui est fait pour que soient développées des maisons de santé pluriprofessionnelles, où la prévention constituera une orientation forte du programme), à quoi l’on peut ajouter une population vieillissante, des problèmes de transport. Il y a aussi des difficultés d’accès aux protocoles de recherche clinique. Figure aussi, parmi les points de rupture, un manque de coordination évident entre la structure centrale et les acteurs du suivi que sont les médecins traitants, mais aussi les pharmaciens, et les infirmières de coordination. 32 « Nous avons testé le département de la Nièvre, et nous nous sommes aperçus que malgré les deux plans cancer, la mortalité par cancer à la fois chez la femme et chez l’homme s’était aggravée dans la Nièvre par rapport à la moyenne nationale. » Ce constat ayant été fait, avec les financements apportés par l’ARS de Bourgogne par l’intermédiaire du Fonds d’intervention régional, nous avons créé des postes d’infirmière de coordination, et nous avons travaillé à la mise en place de postes partagés : les médecins d’un autre centre vont à Nevers pour renforcer l’efficacité de l’organisation en place. Pr Pierre Fumoleau 33 L’organisation des soins, hôpital-ville, la place du patient Françoise Sellin Alain Ducardonnet Quel est votre aperçu de la situation, du côté des patients ? L Depuis 1998, suite à un cancer du sein, Françoise Sellin a quitté son métier de libraire pour s’investir dans la lutte contre les cancers. Dans un premier temps, elle crée en 1999, à Vannes, l’association “Faire Face Ensemble” et devient présidente adjointe du Comité régional des usagers de Bretagne. Depuis 2004, elle aide les associations à développer des actions communes en faveur de la lutte contre le cancer du sein ce qui l’a conduite en 2008 à créer le Ruban de l’Espoir, action nationale dont elle assure la coordination générale depuis 8 ans. En 2009, elle fonde le Collectif K, dont le but est de fédérer les associations impliquées dans l’aide aux malades pour permettre la réalisation d’actions communes et les échanges entre associations. e temps d’hospitalisation tend à se réduire. L’ambulatoire prend donc toute sa place. Les patients n’ont pas eu le temps de voir une assistante sociale, une nutritionniste. Le moment de la sortie peut être source d’angoisse. On n’a pas forcément évalué ce retour, qui se pratique parfois très rapidement. Il faut que le médecin généraliste assume pleinement son rôle de pilier central, afin que s’organise au mieux ce retour, et que les conditions soient optimales pour qu’il prenne en charge le patient. Il faut aussi travailler avec les pharmaciens. Il est par ailleurs intéressant de souligner l’importance d’une évolution technique qui est apportée par les applications mobiles. Elles peuvent aider le patient, en particulier dans le cas de chimiothérapies orales. Elles donnent des informations sur l’état de santé du patient à un service médical auquel il peut faire appel, mais également des informations à ce patient. 34 Données épidémiologiques sur le cancer Catherine Hill Alain Ducardonnet Du côté de l’épidémiologie, quelle évolution voyez-vous ? Quel est l’état de la prospective ? A Catherine Hill est épidémiologiste à l’Institut Gustave Roussy depuis 2004. Elle y a dirigé le Service de biostatistique et d’épidémiologie de 1994 à 2004. Après un diplôme d’études approfondies de mathématiques pures à l’Université de Paris, elle entre en 1971 dans l’unité de biostatistiques de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, puis en 1973 à l’Institut Gustave Roussy. En 1979-1980, visiting research fellow à l’Université d’Harvard. Depuis 1980, elle travaille dans deux domaines : la recherche clinique et l’épidémiologie des cancers. En recherche clinique, étude de la méthodologie des essais et des métaanalyses d’essais, étude des données de survie, analyse du premier atelier international sur le typage des leucocytes humains par une méthode d’analyse de cluster d’où l’acronyme CD pour “clusters de différentiations”. Catherine Hill est membre de comités de surveillance d’essais internationaux dans les maladies cardiovasculaires, le SIDA et la tuberculose et a été membre du Conseil scientifique de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé de 2010 à 2012. vant de faire de la prospective, il est utile de faire un état des lieux. Le nombre de cancers augmente mais c’est parce que la population augmente et vieillit, or le risque dépend beaucoup de l’âge. Ainsi, le risque de mourir d’un cancer est de 10 pour 100 000 à 30 ans, de 100 pour 100 000 à 50 ans, et de 1 000 pour 100 000 à 70 ans. On étudie donc les évolutions de la fréquence des diagnostics de cancer (appelée incidence) et des décès par cancer, à taille de population égale et à âge égal. On observe alors une importante augmentation de l’incidence des cancers chez les hommes depuis 1980 jusque vers 1990, et ensuite une nette diminution. Chez les femmes, l’incidence a augmenté, puis s’est stabilisée. Chez l’homme, l’essentiel de l’augmentation de l’incidence est expliqué par l’augmentation de l’incidence du cancer de la prostate, conséquence d’une pratique abusive du dépistage, alors qu’il n’est pas recommandé par les autorités. Chez les femmes, l’augmentation de l’incidence est en grande partie expliquée par les augmentations des incidences du cancer du sein et du poumon. La mortalité par cancer baisse depuis 1987 chez les hommes. Et donc dans les années récentes, la mortalité diminue pour la plupart des cancers, dont le cancer du poumon (–1 % par an), du larynx, de la bouche, du pharynx, et de l’œsophage (–4 %) à cause de la baisse des consommations de tabac et d’alcool, du cancer colorectal (–2 %), de la prostate (–4 %). En revanche, la mortalité par cancer du pancréas augmente de 0,3 % par an. La mortalité par cancer baisse depuis 1960 chez les femmes. La mortalité par cancer du sein baisse de 2 % par an, par cancer du côlon de 2 %, par cancer de l’estomac de 3 %. Mais la mortalité par cancer du poumon augmente de 4 % par an. C’est la seule augmentation importante constatée. 35 ALAIN DUCARDONNET En matière de prospective, que pouvez-vous nous indiquer ? « La mortalité par cancer du poumon chez les femmes va beaucoup augmenter. » Catherine Hill CATHERINE HILL Dans les années à venir, ces évolutions vont se poursuivre : les risques de cancer en 2012 sont les conséquences des comportements d’il y a entre vingt et cinquante ans. On ne voit les résultats de la prévention qu’à très long terme. À l’inverse, les perspectives sont déjà très déterminées sur un long moment. Ainsi, la mortalité par cancer du poumon chez les femmes va beaucoup augmenter quand les femmes qui sont entrées dans le tabagisme au début des années 1970 et les femmes plus jeunes vont vieillir. La prévention du cancer est possible à condition d’agir sur des causes importantes. Prévenir le cancer en agissant sur des facteurs qui ont peu ou pas d’effet sur le risque brouille le message, et contribue donc indirectement à l’augmentation du risque. On peut estimer les nombres de cancers attribuables aux causes connues et évitables. Le tabac est de loin la cause évitable du plus grand nombre de cancers en France. Vient ensuite l’alcool. Le tabac et l’alcool sont certainement cancérogènes. Parmi les cancérogènes probables, on peut aussi estimer le nombre de cancers dus à diverses composantes de l’alimentation. On voit que le tabac et l’alcool sont de loin les causes de cancer les plus importantes. Les messages de prévention ont été peu clairs, mettant sur le même plan la consommation de fruits et légumes, message dont l’efficacité n’est pas certaine, l’exercice physique, message pas très efficace, et le tabac dont l’importance est majeure. 36 Cancer et travail Dr Gérard Sebaoun Alain Ducardonnet Nous avons évoqué dans la première table ronde un certain nombre d’éléments relatifs à la génétique. Dr Gérard Sebaoun, pourriez-vous nous parler du travail, une notion très globale, et des pollutions qui s’y associent ? L Député du Val-d’Oise depuis 2012, Gérard Sebaoun est également président du groupe d’études “Pénibilité du travail, santé au travail et maladies professionnelles” et membre du groupe d’études “Professions de santé et coordination sanitaire”. De 2008 à 2011, il a été vice-président du Conseil général du Val-d’Oise. De 2001 à 2014, il a été conseiller municipal de Franconville, et de 2004 à 2011 conseiller général du canton. Diplômé en cardiologie et en médecine du travail, Gérard Sebaoun est médecin du travail de profession, il a la cardiologie en libéral, à l’hôpital, en clinique et en centre de santé. e travail, ce n’est pas forcément la santé, mais les deux sont intimement liés. Permettez-moi tout d’abord de revenir sur ce qui a été dit précédemment. Il est vrai que nous ne devons pas légiférer sous le coup de l’émotion ; le temps long et la réflexion sont ici primordiaux. J’ai participé, il y a deux ans de cela, au rendu d’un comité d’experts en partenariat avec l’Institut Montaigne, qui avait travaillé sur le PLFSS. Leurs conclusions m’avaient paru tout à fait remarquables. Les citoyens qui se sont récemment penchés sur le problème de la fin de vie ont également commis un rendu digne d’intérêt. Nul n’est obligé de partager leurs conclusions, mais les problèmes restent remarquablement posés. Dans les problèmes qui nous concernent, la transparence importe et les éventuels conflits d’intérêts doivent être révélés. Internet, enfin, constitue un formidable outil ; mais nous devons également avoir conscience des dégâts qu’il peut causer. Je ne partage pas l’idée que nous, médecins, puissions tout partager avec le patient. La médecine française conserve le principe (relativement aux Anglo-Saxons) qu’il est des choses que nous ne pouvons pas dire. La transparence doit donc être contrôlée. Les travaux à l’Assemblée se poursuivent, et certains éléments nous indiquent qu’entre 14 000 et 30 000 cancers seraient potentiellement d’origine professionnelle ; c’est considérable. Vis-à-vis de ce constat, je me suis attaché à cinq problèmes : 1 – le nombre d’agents potentiellement responsables est en augmentation ; 2 – nos outils de mesure ne sont pas les plus performants, et nous pouvons les améliorer ; 3 – la loi Santé prévoit "enfin", dans l’article 1, que la prévention soit mise au même niveau que le soin ; 4 – bien des progrès restent à faire sur le plan législatif et réglementaire ; 5 – notamment en termes de reconnaissance (des expositions aux agents cancérigènes) et de réparation. 37 Les grandes orientations futures « En cancérologie, c’est moins le nombre de médecins qui nous inquiète que la localisation des médecins généralistes. » Pr Pierre Fumoleau ALAIN DUCARDONNET une question à l’attention de Pierre Fumoleau : la formation des médecins généralistes et des professionnels de santé en général se développe-t-elle dans ce domaine ? Pr PIERRE FUMOLEAU Il faut considérer cette question dans l’ensemble du parcours. En France, nous sommes plutôt au point, même si quelques détails pourraient être amendés. En cancérologie, c’est moins le nombre de médecins qui nous inquiète que la localisation des médecins généralistes. Nous tentons de travailler au sein du parcours sur les MSP afin d’être plus attractifs, mais certains problèmes persistent. Le législateur devra tôt ou tard se poser la question de la libre installation ; c’est un sujet tabou, mais d’une grande importance si l’on souhaite résoudre le problème des déserts médicaux. La formation paramédicale doit évoluer et inventer de nouveaux métiers, tels que celui des infirmières de coordination. L’évolution de la cancérologie, dans les années qui viennent, se tiendra hors des murs de l’hôpital. Dans ce cadre, les infirmières de coordination deviennent indispensables, et nous commençons à les mettre en place. Les pharmaciens jouent de même un rôle d’importance en tant que recours des malades lorsque ces derniers éprouvent des effets secondaires. Des formations d’elearning commencent à s’élaborer pour les pharmaciens afin de répondre à ce besoin. 38 ALAIN DUCARDONNET Françoise Sellin, quelles sont les évolutions des relations entre les soignés et les soignants, et sur quelle direction devraient-elles s’engager ? « Je pense que les jeux de rôle ont leur importance afin de permettre à un médecin de se sentir à l’aise, en particulier dans l’annonce du diagnostic. » Françoise Sellin FRANÇOISE SELLIN J’aimerais tout d’abord ajouter quelques éléments au problème de la formation. Je pense que les jeux de rôle ont leur importance afin de permettre à un médecin de se sentir à l’aise, en particulier dans l’annonce du diagnostic. Les jeux de rôle permettent aux médecins de se mettre en condition. Ils devraient être inclus dès le cursus à la faculté, mais également au sein de la formation continue. Pour réagir à votre propos, Dr Sebaoun, qui concernait la question de savoir si un médecin doit tout dire à son patient, j’estime qu’il nous faut savoir jauger. Nous ne sommes pas tous égaux vis-à-vis de telles nouvelles. Toujours est-il que le patient devrait avoir à sa disposition son dossier médical. ALAIN DUCARDONNET Dr Gérard Sebaoun, comment évoluent les assurances relativement à la question du cancer ? Dr GÉRARD SEBAOUN Il y a, d’une part, le cancer qui touche tout individu et, d’autre part, le cancer que l’on peut relier à l’activité professionnelle. Du point de vue assurantiel, une idée se diffuse aujourd’hui selon laquelle nous sommes face à un iceberg d’incertitudes. William Dab, du CNAM, avertit par exemple d’une catastrophe à venir dans les dizaines d’années qui viennent par rapport au risque chimique, et donc au nombre de cancers que nous aurons à traiter demain. De tels avertissements doivent être pris en compte. Le milieu professionnel peine encore à se mettre au niveau de la réalité des risques chimiques encourus. Le problème du cancer se situe dans un champ de confluence entre des intérêts multiples et variés. Les cabines de bronzage, par exemple, exposent à un risque de mélanome certain ; mais d’autre part, elles emploient entre 20 000 et 25 000 salariés en France. Les risques de santé et les intérêts économiques sont donc contradictoires. Le problème du tabac est similaire. Comment le politique doit-il trancher de telles questions ? Faut-il être conciliant ou bien faut-il agir drastiquement en interdisant purement et simplement de telles activités ? Je ne saurais répondre à ces questions, mais nous devons avoir conscience de leur actualité. 39 DÉBATS « La consommation d’alcool est particulièrement élevée : environ deux verres et demi par individu âgé de plus de quinze ans et par jour. » Catherine Hill DE LA SALLE La France est un beau pays : de nombreux acteurs, dont certains d’entre vous font partie, ont pris et prennent encore à bras-le-corps le problème du cancer. Je vous en remercie. Cependant, lors du cancer de ma mère, je n’ai eu que très peu d’informations relatives à l’accompagnement quotidien à domicile. De plus, les demandes touchant au transport et à l’installation d’une place handicapée ont été tardivement traitées. Pr PIERRE FUMOLEAU Premièrement, nous établissons un PPS ou Plan personnalisé de soins, lequel est remis au médecin traitant et au malade. C’est au malade qu’il revient de partager ce PPS avec ses proches. En ce qui concerne les transports, votre expérience ne me semble pas représentative des efforts fournis, de façon générale, par les soignants et l’administration. PHILIP PARIENTE, médecin de santé publique, ARS Île-de-France J’ai une question à l’attention de Catherine Hill. Estimez-vous que si l’on associait les facteurs majeurs (alcoolisme et tabagisme) dans le cadre d’études épidémiologiques, on constaterait l’existence d’une population à très fort risque, et vis-àvis de laquelle une prévention ou une information spécifique se ferait sentir ? CATHERINE HILL C’est une question très intéressante. Je pense que l’idée d’une partie immergée de l’iceberg, qui serait la source d’incertitudes sur les risques encourus, est trompeuse. En France, plus de 30 % de la population adulte fume. De plus, la consommation d’alcool est particulièrement élevée : environ deux verres et demi par individu âgé de plus de quinze ans et par jour ; les hommes boivent en moyenne trois fois plus que les femmes, ce qui signifie que les hommes boivent bien plus de deux verres et demi par jour. Or, le risque de cancer augmente significativement à partir de plus d’un verre par jour. Ainsi, toutes les catégories sont touchées par de tels risques, pas seulement les gros buveurs et les gros fumeurs. DE LA SALLE Que peuvent faire les parlementaires pour le problème du tabagisme passif, notamment près des écoles et des entreprises publiques ? « Nous avons essayé d’interdire la possibilité de fumer dans le périmètre des établissements à une centaine de mètres. Cependant, dans la loi française, il n’est pas possible d’interdire à un passant d’avoir la liberté de fumer dans la rue. » Pr Jean-Louis Touraine Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Nous avons essayé d’interdire la possibilité de fumer dans le périmètre des établissements à une centaine de mètres. Cependant, dans la loi française, il n’est pas possible d’interdire à un passant d’avoir la liberté de fumer dans la rue. Comment distinguer les élèves ou les enseignants, qu’il faudrait en effet dissuader de fumer, et le passant ? De plus, la législation antitabac se heurte à de fortes oppositions. La mesure du paquet neutre, une mesure pourtant évidente, a mis du temps à se mettre en place. En Australie, où le paquet neutre est instauré depuis quelques années déjà, la population fume deux fois moins qu’en France grâce à une multiplicité d’actions pédagogiques ou contraignantes contre le tabac. Il importe donc de jouer sur tous les facteurs à la fois, notamment le prix et l’image du tabac. Le tabac est aujourd’hui la première cause de mortalité évitable. Entre 80 000 et 90 000 Français sont tués chaque année par suite du tabagisme ; c’est bien plus que l’addition des morts causés par les accidents de la route, le SIDA et l’alcool. Un fumeur sur deux meurt prématurément et douloureusement des conséquences de son tabagisme, soit à retardement (pour les cancers), soit immédiatement (dans les cas de maladies cardio-vasculaires). Arrêter de fumer engendre des effets bénéfiques immédiats en termes de risque. La France détient le record européen du nombre de femmes enceintes qui fument avec toutes les conséquences graves que l’on connaît pour l’enfant à naître. En dépit de toute l’information préventive, les comportements ne changent pas. Nous ne devons pas seulement nous adresser à la partie rationnelle du cerveau, mais également à la partie émotionnelle, celle qui régit le plus les comportements. DE LA SALLE J’aimerais prendre la défense des patients, car j’estime qu’ils sont trop peu écoutés. L’histoire de la mère d’un intervenant précédent, par exemple, n’a pas été écoutée. VALÉRIE BOYER Nous sommes aussi des êtres humains, des parents, des patients, parfois des malades. Depuis plus de vingt ans, la question de la place du malade est abordée. La place du malade a aujourd’hui beaucoup évolué, elle est au cœur même du système médical. Nous savons tous qu’il ne faut pas boire, pas fumer, pas rajouter de sel, de matière grasse, etc. Pourtant, nous le faisons tous. C’est à nous qu’il incombe de trouver les bons messages, les plus pertinents, les plus écoutés. Dans le cadre de la prévention antitabac, les conséquences du tabagisme sur l’altération physique ne sont pas suffisamment mises en avant ; or, c’est un message qui fonctionne très bien auprès des jeunes femmes. FRANÇOIS LAMY, consultant, Filimage Le sujet du dossier médical personnalisé est plusieurs fois revenu lors de vos discussions. Or, il me semble qu’il existe un dossier pharmaceutique universel en France, et que chaque Français le possède. 41 N’est-il pas possible de passer par ce moyen ? « La France détient le record européen du nombre de femmes qui fument. » Pr Jean-Louis Touraine JEAN-PIERRE DOOR La prise en charge doit évoluer vers un plus grand travail d’équipe au sein du monde médical. Dans cette perspective, l’utilisation d’un dossier médical informatisé est fondamentale. J’ai ainsi fait voter une loi après avoir pris connaissance du dispositif DCC (Dossier communicant cancérologique) sur clé USB. La loi prévoit dorénavant un DMP (Dossier médical personnalisé) sur clé USB. Cependant, en dépit de l’accord des deux chambres parlementaires, cette loi n’est pas appliquée, elle reste dans les tiroirs du Ministère depuis trois ou quatre ans. Nous devons mettre le patient au cœur du système de soin ; pour ce faire, l’application de cette loi serait opportune. génère des économies. Comment se fait-il que son utilisation ne soit pas répandue ? Jusqu’à quand nous priverons-nous d’un tel dispositif ? VALÉRIE BOYER Je crois au DMP, je souscris totalement à ce que vient de dire mon collègue. Le DMP sauve des vies et 42 Clôture des Rencontres Pr Jean-Louis Touraine J e conclurai cette table ronde en abordant le sujet des droits et des devoirs des malades. Je pense que des progrès notables ont été réalisés dans le domaine des droits des malades, et il est vrai que nous partions de loin en termes d’informations divulguées et de prise de décision des malades. Les gouvernements successifs ont tous contribué à résoudre ce problème (loi Kouchner, loi d’éducation thérapeutique du malade, loi de modernisation du système de santé, etc.). Ainsi, nous parviendrons à transformer la dépendance du malade vis-à-vis du médecin en véritable partenariat, afin que le patient puisse prendre des décisions libres et éclairées. Cela aura pour corollaire une meilleure observance du traitement. Effectivement, en moyenne, l’observance thérapeutique du patient est de l’ordre de 50 % ; c’est assez effrayant. L’accès au dossier est ici un point tout à fait important, et il doit être facilité. La question persiste cependant de savoir si cet accès doit être total. Cela pose problème car certains malades ne veulent pas connaître l’ensemble des informations relatives à leur maladie. Une décision commune, partagée entre le médecin et le patient, devrait permettre de résoudre ce problème ; et, si le besoin s’en faisait sentir, le médecin devrait avoir la possibilité de conserver certaines informations, notamment lorsque persistent des doutes sur les risques liés à certaines maladies. En effet, il n’est pas nécessaire d’inquiéter inutilement le patient. En 1973, je travaillais dans le plus grand institut de recherche contre le cancer de New-York. Nixon avait alors déclaré que, comme Kennedy avait projeté la conquête de la Lune dans un délai de dix ans, lui-même projetait que, dans dix ans, les États-Unis auraient vaincu le cancer. À cette époque, nous avions plus de financements que nous n’en avions besoin ; c’était une période bénie où la 43 « En moyenne l’observance thérapeutique du patient est de l’ordre de 50 % ; c’est assez effrayant. » Pr Jean-Louis Touraine recherche se faisait avec des moyens illimités. En dépit de progrès indubitables dans des domaines divers, notamment hors de la cancérologie stricto sensu car la recherche ne peut pas être efficacement programmée à l’excès, le cancer n’est pas vaincu. De plus, il est bien possible que, dans dix ans, certaines variétés de cancer demeurent invaincues. Ayons à l’esprit qu’il s’agit d’un combat de longue haleine. Le XXème siècle a transformé le cancer en maladie chronique : il n’est plus aussi régulièrement mortel, mais il n’est pas souvent complètement guéri. Nous devons nous donner des objectifs plus ambitieux ; notamment plus de guérisons avec réhabilitation complète, etc. Certains cancers du foie étaient gravissimes il y a quelques années ; ils devinrent par la suite une maladie chronique, et sont maintenant complètement prévenus dans plus de 90 % des cas quand il s’agit de cancers liés au VHC. En un mot, il s’agit de transformer des malades chroniques en patients guéris. C’est une affaire de médecins, de chercheurs, de soignants, mais aussi de la société dans son ensemble. 44 Déjeuner débat Pr Jacqueline Godet M erci à tous. Lorsque l’on m’a proposé d’ouvrir ce moment de convivialité, j’ai immédiatement accepté. En effet, la convivialité et la chaleur sont des armes contre le cancer, qui sont utilisées dans les comités départementaux de la Ligue. Jacqueline Godet, professeur de génétique à l’Université de Lyon 1, a consacré toute sa carrière au développement de l’interface science/médecine dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Spécialiste en génétique humaine, ses recherches ont porté sur les pathologies héréditaires du tissu sanguin ou du système neurosensoriel. Elle a été directrice scientifique u Département biologie-santé du Ministère de la recherche, puis directrice scientifique du Département sciences de la vie du CNRS. Elle est présidente de la Ligue nationale contre le cancer depuis 2012, après avoir assuré pendant 8 ans dans cette association la viceprésidence chargée de la recherche. Viceprésidente du Conseil d’administration de l’Institut national du cancer, elle a participé activement à l’élaboration du Plan cancer 3 et participe actuellement au développement des 3 actions de ce Plan qui ont été confiées à la Ligue nationale contre le cancer, ainsi qu’au suivi de la vingtaine d’actions du Plan dans lesquelles la Ligue est co-pilote ou partenaire. Après l’expertise exposée ce matin, j’aimerais vous présenter celle de la Ligue contre le cancer, c’est-à-dire l’expertise de la vie. En travaillant sur les enjeux de santé, de politique et de société autour du cancer, la Ligue est au contact de la vraie vie et des vécus grâce à son maillage territorial très étroit ; pas un canton en France ne compte pas au moins un ligueur. Cette situation particulière lui permet d’agréger des données et de dresser un panorama complet de la maladie et de ses conséquences, de lancer des expérimentations et de promouvoir de bonnes pratiques. Grâce à cette emprise sur le réel, la Ligue initie des réflexions, dénonce et agit toujours. La Ligue contre le cancer est une association indépendante, apolitique et non confessionnelle, c’est la première association française en nombre d’adhérents et le premier financeur associatif de la recherche contre le cancer. Ce statut de leader l’oblige à l’exemplarité et à la responsabilité. C’est la raison pour laquelle elle a endossé certaines actions des plans cancer, en liaison avec le terrain. Les personnes malades et leurs proches, les travailleurs sociaux et les professionnels de santé se posent également les questions posées ce matin, et y répondre doit constituer une priorité pour nous et les députés. Dans ce contexte de crise, nul ne peut repousser le débat et l’action, notamment pour garantir un accès équitable aux thérapies innovantes, même si elles sont coûteuses. Pour les 650 000 adhérents de la Ligue, le coût des traitements ne doit plus être discuté dans des officines inaccessibles ; c’est un débat de société. Dès 1918, Justin Godart, le fondateur de la Ligue, parlait du cancer comme d’un "fléau social", affirmation qui chaque jour se vérifie davantage. La mobilisation de la société s’impose et la prise de conscience par les détenteurs de la souveraineté nationale qui s’est manifestée ce matin nous réjouit beaucoup. Dans cette révolution que nous connaissons (thérapeutique, numérique, etc.), il reste encore de nombreux enjeux à traiter, notamment la protection des 45 « Pour les 650 000 adhérents de la Ligue, le coût des traitements ne doit plus être discuté dans des officines inaccessibles ; c’est un débat de société. » Pr Jacqueline Godet populations contre le cancer, c’est-à-dire la politique de prévention. La Ligue œuvre beaucoup dans ce domaine car elle considère que c’est une des clés de l’éradication du cancer à long terme. Quid d’une politique d’envergure de lutte contre le tabac et son industrie ? Quid de l’interdiction définitive de poisons comme le Bisphénol A ou le Roundup ? Le dépistage et l’épidémiologie doivent progresser également. Nous souhaitons que la loi de santé ne soit pas détricotée, en particulier sur le tabac : le paquet neutre constitue une avancée et l’opinion publique est déjà sensibilisée à la résistance des députés à la pression exercée par les lobbies industriels. L’intérêt général est pour nous un souci quotidien, personnifié par une femme atteinte d’un cancer du poumon et qui ne peut pas s’occuper de ses enfants, ou par un agriculteur souffrant d’une maladie due probablement à l’exposition aux pesticides et que nous devons aider psychologiquement car il ne peut plus travailler. Je profite de cette occasion pour demander que les malades aient le droit à l’oubli pour effacer le "casier judiciaire cancer". La Ligue sera vigilante au suivi de la convention Aéras ; depuis 10 ans, elle a ouvert un service téléphonique gratuit pour les personnes cherchant à obtenir un crédit ou une assurance. Nous comptons sur les députés pour soutenir ce travail dans leurs décisions. Pour lutter contre le cancer, nous devons également penser aux générations futures, et l’éducation à la santé doit faire partie du cursus de formation. Chaque année, la Ligue intervient auprès de 150 000 enfants et adolescents pour les alerter sur les risques liés au tabac, à l’alcool, au soleil ou au manque d’activité physique. Nous devons également permettre aux femmes de tous horizons d’accéder au dépistage du cancer du sein ; la Ligue tend une perche à la Croix Rouge pour aider les personnes vulnérables à accéder à ce dépistage. Je tiens à rappeler que 2016 sera une année importante dans la lutte contre le cancer car la Ligue accueillera le Congrès mondial contre le cancer à Paris au mois de novembre. À cette occasion, tous les décideurs mondiaux de la lutte contre le cancer seront réunis, et les experts présents aujourd’hui y auront leur place. La France est un des rares pays à avoir lancé trois plans cancer consécutifs, une particularité que l’on nous envie à travers le monde. Notre pays a les moyens de hisser la lutte contre le cancer au rang de priorité absolue. La Ligue croit à l’instauration d’un cercle vertueux de lutte mondiale contre le cancer qui laisse espérer une politique de santé ambitieuse, juste et porteuse d’espoir. ARNAUD ROBINET Dans la lutte contre le tabagisme, je ne doute pas que les députés remettront de l’ordre dans la loi qui a été détricotée au Sénat. Concernant le paquet neutre, pourquoi ne pas avoir transposé la directive européenne, ce qui aurait permis de gagner du temps ? Et pourquoi l’industrie pharmaceutique estelle plus taxée que celle du tabac ? Pr JACQUELINE GODET Les directives européennes concernant le tabac sont inclues dans une charte où le paquet neutre ne figure pas. L’Australie, qui a adopté le paquet neutre, a été attaquée par Philip Morris, 46 « Lorsque l’on habite à plus de 50 kilomètres de Dijon, les frais de transport sont supérieurs aux frais de traitement. » Pr Pierre Fumoleau c’est dire l’influence de cette industrie. Un intense lobbying est exercé auprès de la Commission européenne et auprès de certaines instances politiques en France. Nous estimons que l’argumentaire très astucieux développé par les buralistes a probablement été préparé par les industriels du tabac eux-mêmes. Nous serions très favorables à ce que les industriels soient taxés sur leur chiffre d’affaires pour participer à un fonds de solidarité de lutte contre les conséquences de la consommation de tabac. Cette disposition figure parmi les propositions du PNRT (Programme national de réduction du tabagisme) mais elle semble avoir été refusée par le Sénat. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Si l’on évolue vers un monde sans tabac, nous devrions inciter les industriels du tabac à imaginer un autre futur, une décroissance et des investissements dans d’autres activités. Malheureusement, ils ne sont pas du tout dans cette dynamique et multiplient leurs actions de promotion dans les pays non développés. Rappelons que l’accoutumance grave au tabac naît dès la 100ème cigarette, c’est-à-dire après 5 paquets. Malgré les milliards de dollars que leur coûtent les procédures intentées par les consommateurs aux États-Unis, les industriels souhaitent maintenir leurs activités et leur image dans les pays développés. Lorsque nous avons demandé que les cigares soient taxés autant que les cigarettes, les sénateurs ont refusé cette disposition. CATHERINE HILL Les cigares sont taxés à 44 % contre 80 % pour les cigarettes. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Heureusement, les taxes sur le tabac à rouler ont progressé. À chaque nouvelle hausse de la taxation sur le tabac, des cigarettes à prix réduit sont lancées en direction des jeunes. Rappelons que la taxation ne vise pas à enrichir l’État mais à dissuader les consommateurs : cela ne rapporte guère plus de 17 milliards d’euros alors que le coût sanitaire est de 47 milliards d’euros (120 milliards d’euros en ajoutant tous les autres coûts). Malheureusement, l’industrie est très bien organisée et menace tous les États qui tentent de s’attaquer à elle. DOMINIQUE TIAN, député des Bouches-du-Rhône J’aimerais rappeler que le nombre de personnes qui fument ne cesse d’augmenter, ce qui montre que l’augmentation déraisonnable du prix des cigarettes n’est pas la bonne méthode. Cet échec masque les insuffisances des gouvernements successifs. Le vrai drame français réside dans le manque d’éducation au lycée et au collège sur ce sujet ; l’État ne se donne aucun moyen pour aider les jeunes dont le taux de suicide est le plus élevé d’Europe. Il est inutile d’augmenter le prix des cigarettes si l’argent récolté ne sert même pas à informer les jeunes, qui par ailleurs fument des cigarettes de mauvaise qualité achetées en contrebande. La bonne réponse consisterait à lutter contre les autres drogues. Ne passons pas de temps à débattre autour du PLFSS sur la hausse des taxes sur les cigares et d’autres mesures de soi-disant santé publique. La loi de santé est un énorme échec. 47 « Les adolescents sont la cible d’opérations de promotion illégales de la part des industriels du tabac et de l’alcool. » Catherine Hill Pr PIERRE FUMOLEAU J’aimerais évoquer le lobbying des ambulanciers : nous ne parvenons pas à mettre en place des hôtels de malades qui permettraient d’éviter ces transports, l’Assurance maladie refuse de rembourser une nuit d’hôtel à 45 euros mais accepte de rembourser des frais de transport pouvant atteindre 500 euros. Lorsque l’on habite à plus de 50 kilomètres de Dijon, les frais de transport sont supérieurs aux frais de traitement. Il conviendrait d’éviter ces transports aux malades. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Les transports vont être rigoureusement contrôlés et plafonnés. La solution des hôtels est une piste évoquée actuellement. Une mesure immédiatement efficace consisterait à donner aux directeurs d’hôpitaux la somme dépensée en transport pendant une année sous la forme d’un budget qu’ils géreraient eux-mêmes, réduisant progressivement, selon toute vraisemblance, cette dépense dès lors qu’elle serait incluse dans l’ensemble du budget de leur établissement. CLAUDE HURIET, sénateur honoraire Comme le montre l’opération « Octobre rose », les femmes sont favorables au dépistage et à l’acquisition de matériel de traitement contre le cancer du sein, mais aucun mot n’a été prononcé sur le tabagisme des femmes. Le fait que jamais le terme de prévention n’ait été prononcé pendant cette opération cache quelque chose. Pr PIERRE FUMOLEAU Si l’on ajoutait à cette manifestation la cause de la lutte contre le tabac, on risquerait de brouiller le message. Octobre rose vise le cancer du sein. DIDIER BORNICHE, président, Ordre national des infirmiers (ONI) Tout passe par l’éducation, c’est pourquoi les moyens doivent être placés dans les écoles et les entreprises. Ces étapes sont extrêmement importantes afin que les infirmiers et les médecins du travail puissent être des vecteurs de diffusion des messages de prévention. DOMINIQUE TIAN Le dossier médical personnalisé est un scandale : il a coûté très cher et n’existe quasiment pas. Il est scandaleux de rencontrer tous ces jeunes déscolarisés qui n’ont jamais été suivis par un professionnel de santé à l’école. Discuter lors du débat sur le PLFSS sur l’interdiction de fumer autour des établissements scolaires est du temps perdu : comment une personne raisonnable peut-elle affirmer que cette disposition permettrait de lutter efficacement contre le cancer et le tabagisme des jeunes ? Ils iraient juste fumer 50 mètres plus loin… Pr JACQUELINE GODET Quid des espaces sans tabac ? À Strasbourg (et bientôt à Paris et Lyon), les jardins d’enfants sont interdits au tabac. L’éducation à la prévention doit commencer très tôt. Pr JEAN-LOUIS TOURAINE Le lieu de propagation du tabagisme se situe souvent à proximité du collège. Il faut que les enseignants se cachent pour fumer. Simone Veil, qui fut la première à prendre des mesures contre le tabac, cessa sur-le-champ de se montrer avec des cigarettes, pour montrer l’exemple. Les enseignants sont souvent des modèles et doivent donc être exemplaires. Je confirme que la médecine scolaire et la médecine du travail sont délabrées. Tout ceci montre 48 que la prévention a été par trop négligée jusqu’à maintenant. CATHERINE HILL Les adolescents sont la cible d’opérations de promotion illégales de la part des industriels du tabac et de l’alcool. 49 ! AVEC LE PARTENARIAT ACADÉMIQUE DE : AVEC LE SOUTIEN INSTITUTIONNEL DE : Groupe des Centres de lutte contre le cancer Ouvrage réalisé par 41 - 43 rue Saint-Dominique – 75007 Paris Tél : 01 44 18 64 60 - Fax : 01 44 18 64 61 www.mmconseil.com La transcription a été assurée par ISBN : 978-2-84541-355-9 Prix : 49 € TTC