Cancérologie - Collectif K

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9ES RENCONTRES
PARLEMENTAIRES
SUR LE CANCER
Cancérologie :
quels changements
de paradigme
pour l’avenir ?
MARDI 13 OCTOBRE 2015
Maison de la Chimie (Paris 7e)
Présidées par
Jean-Pierre Door
Député du Loiret
Vice-président de la commission des Affaires sociales
Président du groupe d’études “Professions de santé et coordination sanitaire”
Arnaud Robinet
Député de la Marne
Président du groupe d’études “Médicaments et produits de santé”
Pr Jean-Louis Touraine
Député du Rhône
Vice-président du groupe d’études “Cancer”
Actes validés
!
Remerciements
Jean-Pierre Door, Arnaud Robinet et le professeur Jean-Louis Touraine remercient le professeur Jacqueline Godet,
présidente de la Ligue nationale contre le Cancer pour son allocution lors du déjeuner de ces Rencontres, Alain
Ducardonnet, journaliste sur BFMTV pour avoir animé les débats de cette matinée, leurs collègues Valérie Boyer, députée
des Bouches-du-Rhône, Anne Grommerch, députée de la Moselle et le docteur Gérard Sebaoun, député du Val-d’Oise,
ainsi que l’ensemble des intervenants qui, par leur expertise et leur contribution aux débats, ont concouru au succès de
l’événement.
Ces Rencontres ont également été rendues possibles grâce au partenariat académique de la Croix-Rouge française et au
soutien institutionnel de la Ligue nationale contre le Cancer, MSD France et Unicancer.
Sommaire
Ouverture des Rencontres
15
DÉBATS
1
20
Les pistes d’innovations
Arnaud Robinet
Député de la Marne, président du
groupe d’études "Médicaments et
produits de santé"
TABLE RONDE I
Les innovations en cancérologie
4
5
8
9
10
12
TABLE RONDE II
La société face aux cancers –
Aujourd’hui et demain
29
Introduction
Pr Jean-Louis Touraine, député du
Rhône, vice-président du groupe
d’études “Cancer”
30
Les enjeux économiques. Le
parcours cancer dans le Loiret
Jean-Pierre Door, député du Rhône,
vice-président du groupe d’études
“Cancer”
31
L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient
Valérie Boyer, députée des Bouchesdu-Rhône
32
Les stratégies de traitement
Pr Véronique Trillet-Lenoir, chef du
Service d’oncologie médicale du
Centre hospitalier de Lyon Sud
L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient
Pr Pierre Fumoleau, directeur général
du Centre de lutte contre le cancer
Georges-François Leclerc et membre
du bureau de la fédération
UNICANCER
34
Les stratégies de traitement
Dr Caroline Robert, médecin
dermatologue et chef du Service de
dermatologie de l’Institut Gustave
Roussy
L’organisation des soins, hôpitalville, la place du patient
Françoise Sellin, co-fondatrice et
directrice du Collectif K, coordinatrice
générale du Ruban de l’espoir
35
Données épidémiologiques
sur le cancer
Catherine Hill, épidémiologiste à
l’Institut Gustave Roussy
Dépistage et diagnostics : ce que
l’on fait de bien aujourd’hui
Pr Fabrice André, directeur de l’Unité
médicale de recherche 981 de
l’Institut Gustave Roussy
Dépistage et diagnostics : ce que
l’on fait de bien aujourd’hui
Pr Dominique Stoppa-Lyonnet,
responsable du Service de génétique
oncologique de l’Institut Curie
La prise en charge : de l’annonce
à la maladie chronique
aujourd’hui
Anne Grommerch, députée de la
Moselle, vice-présidente du groupe
d’études “Cancer”
Le cadre de l’innovation
Pr Jean-Charles Soria, chef du
département Innovation
thérapeutique et essais précoces
(DITEP)de l’Institut Gustave Roussy
Sommaire
37
Cancer et travail
Dr Gérard Sebaoun, député du Vald’Oise, président du groupe d’études
“Pénibilité du travail, santé au travail
et maladies professionnelles”
38
Les grandes orientations futures
40
DÉBATS
Clôture des Rencontres
43
Pr Jean-Louis Touraine
Député du Rhône, vice-président
du groupe d’études “Cancer”
Déjeuner débat
45
Pr Jacqueline Godet
Présidente de la Ligue nationale
contre le Cancer
Animation
des débats
Alain Ducardonnet est médecin et
journaliste. Il exerce toujours en
cardiologie et est spécialisé en
activité physique et sportive
appliquée au diagnostic et au
traitement des maladies cardiovasculaires. Il a été pendant 11 ans
médecin sur le Tour de France .
Comme journaliste et consultant
santé, il a collaboré avec Europe 1,
puis 11 ans avec LCI et TF1. Il est
maintenant spécialiste santé pour le
groupe NextRadioTV (BFMTVBFMBusiness-RMC) pour le News.
Alain Ducardonnet et ses invités
éclairent chaque semaine dans
“Votre santé m’intéresse” les
téléspectateurs sur les grandes
thématiques du monde de la santé.
Il est en charge de la page santé du
Parisien Aujourd’hui en France
Magazine depuis 2014.
Ouverture
des Rencontres
Arnaud Robinet
Alain Ducardonnet, journaliste sur BFMTV
Bonjour à tous, bienvenue à ces 9es Rencontres parlementaires sur le Cancer. Je laisse
la parole à Arnaud Robinet, qui présidera cette séance.
M
Député de la Marne depuis 2008 et
conseiller général de la Marne
depuis 2011, Arnaud Robinet est
secrétaire national à la santé de
l’UMP. Membre de la Commission
des Affaires sociales, il co-préside
le groupe d’études “Médicaments
et produits de santé”. Il a été de
2001 à 2008 membre du Conseil
municipal et membre de la
Communauté d’agglomération de
Reims. Arnaud Robinet est
également maître de conférences
à l’Université de Reims.
esdames et messieurs, merci
de votre présence. Je salue le
travail réalisé par les
organisateurs de ces Rencontres en
constatant la qualité des intervenants.
Ces Rencontres sont placées sous le
signe du troisième "Plan cancer". Je
rends hommage, dans ce cadre, aux
acteurs de la santé et aux responsables
politiques qui doivent toujours initier
l’action publique sur le long terme :
Jacques Chirac, qui a engagé la France
dans le premier Plan cancer en 2003,
Nicolas Sarkozy et, plus récemment, le
Président Hollande, qui a lancé le
troisième Plan suite au rapport JeanPaul Vernant, à qui je rends aussi
hommage.
Trois cent soixante mille nouveaux
cas de cancer apparaissent chaque
année. Cent cinquante mille personnes
en meurent, ce qui fait du cancer la
première
cause
de
mortalité.
Au demeurant, le risque de mourir du
cancer est deux fois plus élevé chez les
ouvriers que chez les cadres. Mais le
combat de la prévention et du
dépistage, d’une part, et de la
recherche, d’autre part, peut produire
des
résultats
très
significatifs
actuellement et à moyen terme.
Le "Plan cancer 3" est présent sur
l’ensemble de la chaîne. Notre
mobilisation doit être renforcée aux
extrémités de la maladie : au moment
de la prévention et dans l’aprèsrémission. Sur le dépistage, le
déploiement du plan prévoit d’agir sur
plusieurs maladies dont les résultats
doivent suivre (cancer colorectal, du
sein, du col de l’utérus, que nous
pourrions éradiquer par l’amélioration
de la couverture vaccinale). Dans ce
domaine, la pédagogie occupe une
1
place
très
importante.
Nous
connaissons les risques des vaccins et
les interrogations qu’ils suscitent au sein
de nombreuses familles. Le personnel
politique, les professionnels de santé,
les laboratoires et l’ensemble des
responsables de santé doivent y
répondre avec transparence, en
donnant l’ensemble des informations.
« L’analyse génétique des
cancers et leur
personnalisation
constituent sans doute la
première piste du Plan
cancer 3 en termes de
découvertes. Dans ce
domaine, la recherche
française est attendue
dans le monde entier. »
Arnaud Robinet
Le diagnostic de certaines maladies
rares doit être accentué, et il faut
progresser ainsi sur la répartition de
l’offre de soin pour diminuer les délais
de l’accès à l’IRM. De même, nous
devons développer les chimiothérapies
orales et ambulatoires pour introduire
un changement dans le traitement du
cancer : vivre avec son cancer tout en
restant inclus dans la société. Ces
prévisions se concrétiseront grâce au
virage numérique de la santé, via les
outils connectés et le partage des
données entre l’hôpital et la médecine
de ville, le médecin et les autres
professionnels, le médecin et le patient.
À terme, ce virage numérique permettra
également au patient de choisir
l’établissement
de
son
choix.
Actuellement, nous souffrons d’un
grand retard sur cet open data santé.
La vie autour du traitement du
cancer pèse énormément dans la
guérison ou la condamnation du
malade. Les 1 700 enfants malades
doivent accéder à l’école gratuitement,
notamment à distance. Il faut mettre
aussi l’accent sur les malades éloignés
de l’emploi quelques mois après le
diagnostic. En effet, la vie des salariés
doit constituer une priorité. Des cadres
innombrables ont guéri parce qu’ils se
sentaient toujours respectés par leurs
collègues et parce que leur existence ne
tournait pas uniquement autour de leur
maladie. Ainsi, ces pertes d’emploi non
indispensables s’avèrent de véritables
discriminations. Pour y répondre, le
travail à distance dans les services grâce
à Internet peut sauver d’une façon
indirecte de nombreuses vies. Notre
société doit donc s’adapter à la maladie
et aux contraintes des patients, mais
aussi à nos entreprises et à nos vies
personnelles. Notre société doit
envisager la guérison future des
malades, qui doivent donc disposer des
mêmes droits que les bien-portants.
D’où le droit à l’oubli, indispensable
pour qu’à l’injustice de la vie ne s’ajoute
pas celle des hommes. À ce titre, je me
réjouis, dans le cadre du projet de loi
Santé, de la réduction du délai de
quinze à
dix ans
avant
le
déclenchement du droit à l’oubli, initiée
par les sénateurs. Ce délai pourrait
d’ailleurs être encore revu à l’avenir, en
fonction du recul de certaines maladies.
Enfin, je rends un hommage appuyé
à la recherche. En effet, la prévention
comme le traitement des maladies
impliquent une recherche toujours plus
pointue, et donc toujours plus
soutenue. L’État s’est engagé à financer
la recherche fondamentale sur des
appels à projets à hauteur de 50 %, mais
la recherche clinique s’engage aussi
fortement (doublement des essais
cliniques, apport de la génétique et du
séquençage des tumeurs). L’analyse
génétique des cancers et leur
personnalisation constituent sans doute
la première piste du "Plan cancer 3" en
termes de découvertes. Dans ce
domaine, la recherche française est
attendue dans le monde entier.
D’après Voltaire, « l’espérance de
guérir est déjà la moitié de la guérison ».
Je vous propose de garder cette idée à
l’esprit aujourd’hui pour guérir un
maximum de malades demain.
2
TABLE RONDE I
Les innovations en cancérologie
Président
Animateur
Arnaud Robinet
Député de la Marne, président
du groupe d’études "Médicaments
et produits de santé"
Alain Ducardonnet
Journaliste sur BFMTV
Intervenants
Pr Fabrice André
Directeur de l’Unité médicale de
recherche 981 de l’Institut Gustave
Roussy
Pr Jean-Charles Soria
Chef du département Innovation
thérapeutique et essais précoces
(DITEP) de l’Institut Gustave Roussy
Anne Grommerch
Députée de la Moselle, viceprésidente du groupe d’études
“Cancer”
Pr Dominique Stoppa-Lyonnet
Responsable du Service de génétique
oncologique de l’Institut Curie
Dr Caroline Robert
Médecin dermatologue et chef du
Service de dermatologie de l’Institut
Gustave Roussy
Pr Véronique Trillet-Lenoir
Chef du Service d’oncologie médicale
du Centre hospitalier de Lyon Sud
3
Dépistage et diagnostics : ce que l’on
fait de bien aujourd’hui
Pr Fabrice André
Alain Ducardonnet
Fabrice André, comment fonctionnent actuellement le dépistage et le diagnostic du
cancer ?
L
Fabrice André est professeur de médecine
à l’Université Paris Sud et oncologue
médical au Gustave Roussy Cancer
Campus de Villejuif. Son principal intérêt
de recherche est le développement
d’essais cliniques dans le domaine de la
médecine personnalisée pour le cancer
du sein. Il dirige un laboratoire de
recherche qui travaille sur l’identification
de nouvelles cibles et de biomarqueurs
(Unité INSERM U981), et est également en
tête du groupe de médecine
personnalisée à la Fédération française
de Centre de lutte contre le cancer
(UNICANCER). Il est membre du Conseil
exécutif du Breast International Group
(BIG). Il est éditeur pour Annals of
Oncology (cancer du sein).
e principe du diagnostic
moléculaire est d’utiliser un test
pour décider de l’administration
d’une thérapie. Il s’agit d’une médecine
de précision. Ce qu’a mis en place l’Inca
est très bien : il a mis en place des
plateformes de tests génomiques, qui
permettent à tout patient malade en
France d’avoir accès à une analyse du
génome sur un petit nombre de gènes
pour bénéficier d’une thérapie ciblée. Il
s’agit
vraiment
d’une
pratique
scientifique excellente en termes
d’infrastructures et de parcours de soin.
Les
tests
à
partir
de
l’anatomopathologie
fonctionnent
moins bien. Selon moi, ils n’ont pas de
validité analytique, du moins pour
certains d’entre eux. Selon votre centre
de traitement, vous obtiendrez une
performance et une reproductibilité
variée. À l’Institut Curie par exemple, ils
ont une très bonne performance sur le
cancer du sein, à la différence d’autres
centres. Cela crée une véritable
inégalité d’accès aux soins.
Quel modèle d’implémentation des
biomarqueurs ? En France, nous avons
décidé de faire faire les biomarqueurs
par
les
centres
académiques
(hôpitaux). Dans d’autres pays, ce sont
des compagnies privées qui se
chargent de ces tests moléculaires. Ce
sujet peut faire l’objet de débats. Les
patients français doivent-ils avoir un
accès direct à des tests moléculaires
réalisés par des compagnies privées ?
Sur ce sujet, quelle échelle de
niveaux de preuve utiliser pour mettre
en
place
des
biomarqueurs ?
Actuellement, nous calquons nos
décisions sur des échelles de niveaux
de
preuve
en
provenance
essentiellement des États-Unis. Or,
notre modèle d’implémentation des
biomarqueurs
est
complètement
différent. Nous devrions donc travailler,
en France ou en Europe, pour savoir si
nous ne devrions pas utiliser des
échelles de niveaux de preuve
spécifiques et alignées sur notre
modèle d’utilisation des biomarqueurs.
4
Dépistage et diagnostics : ce que l’on
fait de bien aujourd’hui
Pr Dominique Stoppa-Lyonnet
Alain Ducardonnet
Dominique Stoppa-Lyonnet, partagez-vous le propos de Fabrice André ?
F
Dominique Stoppa-Lyonnet est médecin,
spécialiste en génétique médicale,
professeur de génétique à l’Université
Paris Descartes et responsable du Service
de génétique de l’Institut Curie. Elle est
membre du Conseil médical et
scientifique de l’Agence de la
biomédecine, du Board oncogénétique
de l’Institut national du cancer. Elle a été
membre du Comité consultatif national
d’éthique de 2005 à 2013. Dominique
Stoppa-Lyonnet est spécialisée dans le
diagnostic de prédisposition aux cancers
et en particulier aux cancers du sein et de
l’ovaire. Elle a eu un rôle important dans
l’opposition aux brevets sur les gènes
BRCA1 et BRCA2 délivrés par l’Office
européen des brevets. En 2012,
Dominique Stoppa-Lyonnet s’est
engagée auprès de François Fillon ; elle
est députée suppléante de la deuxième
circonscription de Paris. En mars 2014,
elle a été élue dans le 5e arrondissement
et est devenue conseillère de Paris.
abrice André est entré dans le
vif du sujet. Je partage un
certain nombre de points de
vue. Alors qu’il s’est penché sur la
caractérisation
des
altérations
moléculaires de la tumeur, qui
peuvent
constituer
des
cibles
thérapeutiques et des éléments du
pronostic et du diagnostic, je me
situerais pour ma part en amont avec
les prédispositions génétiques au
cancer. Le champ des prédispositions
au cancer est emblématique de la
médecine prédictive. Son hypothèse
de base repose sur le fait que savoir
doit permettre de mieux prendre en
charge la personne à risque, d’éviter
sa maladie ou d’en limiter l’impact.
Les prédispositions au cancer sont
des préoccupations anciennes. De
nombreuses familles ont plusieurs
proches atteints de cancer, parfois de
la même localisation, et nous
commençons à pouvoir répondre à
ces familles et à repérer des facteurs
génétiques de prédisposition. Ce
domaine très récent a pu aboutir
grâce à la génétique moléculaire et à
l’exploration des gènes. Le premier
plan cancer a été très important,
puisqu’il a permis la mise en place de
tests génétiques de prédisposition et
également de consultations adaptées
pour réaliser ces tests. En effet,
l’information des personnes et,
secondairement, de leurs apparentés,
est nécessaire. Enfin, nous ne devons
négliger la prise en charge ultérieure
du patient. Il est inutile d’annoncer
des risques élevés de cancer sans prise
en charge en aval. En France, ces
prédispositions représentent 50 000
consultations dans 130 sites de
consultation chaque année. 25 000
tests sont réalisés et 3 000 personnes
sont détectées comme ayant un
risque élevé de cancer. Il existe une
très grande diversité des situations en
termes de localisations tumorales, de
gravité, de capacité de prise en
charge. Dans certaines situations,
nous sommes très utiles mais moins
dans d’autres.
En ce qui concerne tout ce qui est
tumoral, des médicaments sous la
forme de molécules spécifiques de
certaines
prédispositions
apparaissent.
5
ALAIN DUCARDONNET
A-t-on intérêt à faire les tests
génétiques proposés sur Internet ?
« Certains tests basés sur
la protéine n’ont pas de
validité analytique. »
Pr Fabrice André
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Ces tests pratiqués sur Internet
sont interdits en France et peuvent
faire l’objet de poursuites. Ensuite, il
existe une grande discordance entre la
validité scientifique. Des études
récentes ont montré que la présence
ou non de certains variants
augmentait d’un facteur de 1,1 à 1,2 le
risque de développer un cancer.
En revanche, les tests pratiqués
officiellement en France sont des tests
de
maladies
mendéliennes :
l’altération de tel gène est associée à
un risque majeur.
ALAIN DUCARDONNET
Quelle prise en charge pour les
personnes ayant une prédisposition
génétique au cancer ? Doivent-elles
vivre avec cette épée de Damoclès ?
Pr FABRICE ANDRÉ
Il faut cerner deux choses
différentes :
la
prédisposition
génétique
et
le
diagnostic
moléculaire. Ce sont deux choses
totalement différentes. Concernant
l’accès au séquençage payant, le
débat est complètement différent
entre la génétique et la génomique
somatique.
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Il existe une très grande diversité
des situations de prédisposition à
risque élevé. Par exemple, nous
pouvons être très utiles sur le
rétinoblastome,
grâce
à
une
surveillance du fond d’œil dès les
premiers jours de vie, puis tous les
mois et, au besoin, par un traitement
d’une petite lésion avec de l’azote
liquide. Dans ce cas, le fait de savoir
permet de limiter l’impact de la
maladie attendue, voire de l’éviter.
Cependant,
dans
d’autres
situations comme la mutation du
gène TP53, qui est associée à des
risques de sarcome et de tumeur
cérébrale,
nous
connaissons
davantage de difficultés.
ALAIN DUCARDONNET
Ne
faisons-nous
donc
d’anatomopathologie ?
plus
Pr FABRICE ANDRÉ
Certains tests basés sur la protéine
n’ont pas de validité analytique : faits
par
différents
laboratoires
et
différentes personnes, ils donneront
un résultat différent. Puis, les patients
seront traités au hasard.
Sur ce point, il n’existe donc
aucune régulation, ce qui pose
problème. Il faudrait de meilleurs
niveaux de preuve et une meilleure
régulation de cette question.
Dr CAROLINE ROBERT
Concernant le mélanome, la moitié
des patients ont une mutation
somatique, qui ne touche que les
cellules situées dans le mélanome. Il
ne s’agit pas d’une prédisposition
constitutionnelle. Dans 50 % des cas,
la prédisposition d’un gène BRAF
conduit le praticien à donner au
patient un traitement anti-BRAF.
Cependant, nous avons besoin, pour
ce faire, de savoir si ce gène est muté
ou non. Mais puisque le mélanome du
patient a souvent été ôté par son
dermatologue de ville et qu’il n’est pas
toujours possible de réaliser un autre
prélèvement, nous devons récupérer
6
« Nous devons de plus en
plus souvent récupérer
des prélèvements situés
dans des cabinets privés,
ce que ces derniers
acceptaient volontiers
jusqu’à l’augmentation
considérable de la
demande. »
Dr Caroline Robert
celui que conserve le cabinet
d’anatomopathologie avec lequel
travaille le médecin de ville. Ainsi,
nous devons de plus en plus souvent
récupérer des prélèvements situés
dans des cabinets privés, ce que ces
derniers acceptaient volontiers jusqu’à
l’augmentation considérable de la
demande. Nous devons absolument
mettre en place des dispositifs
permettant de fluidifier ce système en
forte croissance.
BRCA1 et BRCA2 – tandis que par
ailleurs, nous estimons que, en cas
d’inactivation des gènes BRCA1 ou 2
dans l’ovaire, entre un quart et un tiers
sont strictement acquises au cours du
processus tumoral. Nous allons donc
maintenant procéder à des tests de la
tumeur qui peuvent identifier des
anomalies qui sont constitutionnelles
dans trois-quarts à deux-tiers des cas.
Cela
changera
notre
accompagnement du patient.
ALAIN DUCARDONNET
Pourriez-vous définir la distinction
entre
anomalie
génétique
constitutionnelle et acquise ?
ALAIN DUCARDONNET
Le Prix Nobel de chimie a été
attribué à la réparation spontanée.
Pr FABRICE ANDRÉ
C’est très important. Le cancer se
développe avec une cellule normale
qui acquiert des anomalies du
génome. Un ensemble de plusieurs
anomalies du génome crée le cancer.
Il existe donc une grande différence
entre le génome du patient et celui du
cancer. Celui du cancer contient les
anomalies qu’il a développées, tandis
que celui du patient peut contenir des
gènes de susceptibilité, qui confèrent
une fréquence un peu plus élevée ou
beaucoup plus élevée de développer
ultérieurement un cancer.
Pr FABRICE ANDRÉ
En effet, pour que des anomalies
génomiques s’accumulent, il faut un
défaut de réparation de l’ADN.
Normalement, nous sommes soumis à
des mutations qui sont constamment
réparées. Faute de réparation de
l’ADN, la cellule accumule des
anomalies et peut devenir un cancer
au bout d’un certain temps.
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Il est essentiel de faire la différence
entre les altérations acquises au cours
du processus tumoral et les altérations
constitutionnelles, le plus souvent
associées à une prédisposition.
Cependant,
nous
identifions
actuellement
des
médicaments
spécifiquement actifs en cas de
certaines situations de prédisposition
– par exemple le cancer de l’ovaire,
inhibiteur de PARP dans un contexte
7
La prise en charge : de
l’annonce à la maladie
chronique aujourd’hui
Anne Grommerch
Alain Ducardonnet
Anne Grommerch, quel est l’état de la situation concernant l’annonce de la maladie ?
L
Députée de la Moselle depuis 2008, Anne
Grommerch est membre de la
Commission des Affaires économiques et
vice-présidente du groupe d’études
“Cancer” ainsi que maire de Thionville
depuis mars 2014. En mars 2010, tête de
liste aux élections régionales pour la
Moselle, elle a été élue conseillère
régionale de Lorraine et a démissionné
en avril 2014 pour cause de cumul de
mandats. Auparavant, elle a été
conseillère municipale à Roussy-leVillage, jusqu’en décembre 2012. Anne
Grommerch est membre de la
Commission des Affaires économiques et
vice-présidente du groupe d’études
“Cancer”.
a mesure 40 du Plan cancer a
pour objectif d’assurer une
meilleure prise en charge du
patient en définissant un temps
nécessaire au médecin pour annoncer
la maladie. Puis une équipe
pluridisciplinaire formée en oncologie,
mais pas seulement, prend en charge
le patient pour assurer un suivi. En
effet, un bon moral est nécessaire
pour lutter contre cette maladie ; la
façon dont les choses sont dites est
essentielle.
pour ceux qui en éprouvent le besoin
immédiatement ou plus tard.
L’entourage du patient est décisif,
d’où le fait qu’il ne faut pas le négliger.
La période la plus difficile à vivre se
situe entre l’annonce de la maladie et
le début du traitement. Il se passe
souvent plusieurs jours difficiles à
vivre pour le patient.
Dans un second temps, le patient
pourra
revoir
cette
équipe
pluridisciplinaire une fois l’information
digérée, pour poser de nouvelles
questions et évoquer la suite, à savoir
les traitements et protocoles. Un
accompagnement est proposé, dont
un accompagnement psychologique
8
Les stratégies de traitement
Pr Véronique Trillet-Lenoir
Alain Ducardonnet
Pr Véronique Trillet-Lenoir, ce modèle idéal correspond-il à la pratique quotidienne, ou
bien ces réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) ont-elles lieu uniquement
dans les grands centres ?
N
Véronique Trillet-Lenoir dirige depuis 2003
le Service d’oncologie médicale du Centre
hospitalo-universitaire (CHU) de Lyon, au
sein duquel est développée l’activité
d’évaluation précoce de molécules
anticancéreuses (essais de phase I) au sein
d’une plateforme labellisée par l’Institut
national du cancer (INCa). Le Service
d’oncologie médicale est également
impliqué dans des activités de recherches
cliniques transversales comme la
pharmacologie et l’oncogériatrie.
Présidente du Cancéropole Lyon Rhône
Alpes Auvergne depuis 2013, elle a fondé et
présidé le Conseil national de cancérologie
de 2010 à 2012. De 2005 à 2007, Véronique
Trillet-Lenoir a occupé un poste de
conseiller scientifique à l’INCa. Elle a exercé
entre 2002 et 2007 les fonctions de
responsable du Centre de coordination en
cancérologie (3C) du CHU de Lyon et
représente ce CHU de Lyon au sein de la
Commission spécialisée “cancer” de la
Fédération hospitalière de France. Elle est
professeur des Universités, praticien
hospitalier en cancérologie depuis 1993, et
est chargée de l’enseignement de
l’oncologie au sein de l’UFR Lyon Sud
Charles Mérieux, Université Claude Bernard
Lyon 1.
ous débattons là des mesures
inscrites dans le premier Plan
cancer ; dès lors, en termes de
pluridisciplinarité,
d'annonces,
d’élaboration personnalisée de soins, les
nouvelles
pratiques
devraient
clairement être en place dans tous les
établissements de santé, ce qui n’est pas
encore le cas. Néanmoins, le fait que ces
mesures soient gravées dans le marbre
dans un plan de santé publique est une
avancée importante. Dans ma région, je
pense que les départements ruraux et
leurs petits hôpitaux sont défavorisés en
termes de consultations d’annonce et
de réunions de concertation, d’autant
plus que les crédits des MIGAC –
Missions
d’intérêt
général
par
l’intermédiaire desquelles l’Assurance
maladie via les ARS finance les activités
de type prestation intellectuelle :
dispositif d’annonce, réunion de
concertation – se réduisent fortement.
Même si le dispositif d’annonce n’est
pas déployé partout, il constitue la
première pierre de la démocratie
sanitaire. Il s’agit de l’appropriation par
les patients et citoyens de l’ensemble
des bouleversements évoqués en
introduction. Le format de la réunion
d’aujourd’hui illustre assez bien ce qui
se passe encore dans notre société : un
message assez descendant des experts
est envoyé aux patients nombreux dans
la salle. Or, la démocratie sanitaire ne se
résume pas à une estrade de décideurs
et d’experts, mais au contraire à
l’ensemble d’une société qui s’empare
de ces sujets. En effet, les nouvelles
technologies
concerneront
essentiellement le passage d’une
chimiothérapie classique à une
technologie ciblée vers des anomalies
moléculaires, qui s’appuieront sur des
plateformes de biologie moléculaire,
dont il faut s’assurer de l’équité d’accès.
Ainsi, cela repose beaucoup sur des
molécules orales qui génèrent un virage
ambulatoire auquel notre pays n’est pas
prêt. Et surtout, il s’agit d’une médecine
personnalisée. Dès lors, si l’ensemble de
la société ne s’approprie pas tous ces
concepts,
nous
continuerons
à
connaître des difficultés.
9
Les stratégies de
traitement
Dr Caroline Robert
Alain Ducardonnet
Dr Caroline Robert, pouvez-vous nous brosser le tableau des schémas thérapeutiques
actuels ?
J
Le Dr Caroline Robert est chef de service de
dermatologie à Gustave Roussy et dirige avec le
Dr Stephan Vagner l’équipe de recherche sur le
mélanome au sein de l’unité Inserm 981 et
coordonne l’enseignement de la dermatologie
dans l’Université de Médecine Paris-Sud. Elle a fait
ses études de médecine à Paris au sein de
l’Université Paris V, (Hôpital Cochin), puis a passé
l’internat de Paris et a effectué un clinicat à
l’hôpital Saint-Louis en dermatologie. Après un
séjour de trois ans et demi dans un laboratoire de
recherche aux États-Unis (Harvard Medical
School), elle a présenté sa thèse de sciences en
mmunologie et immunothérapie dans l’Université
Paris-Sud. Actuellement elle préside le groupe
mélanome de l’European Organization for the
Research and Treatment of Cancer (l’EORTC) et
est membre de plusieurs groupes coopérateurs en
echerche et en médecine : Association of Clinical
Oncology (ASCO), American association of
Clinical Research (AACR), European Association
of Onco-Dermatology (EADO), European
Association of Dermato-Venereology (EADV)
and the French society of Dermatology and
Venereology. Ses centres d’intérêt sont la
recherche clinique et transnationale sur le
mélanome, l’étude des résistances aux traitements
ciblés et à l’immunothérapie ainsi que l’étude des
effets secondaires cutanés des médicaments
anticancéreux. Elle a coordonné de nombreux
essais nationaux et internationaux pour le
traitement des patients atteints de mélanome
métastatique et est l’auteur de plus de 130 articles
parus dans des journaux avec comité de lecture.
e m’appuierai encore sur
l’exemple du mélanome, qui
représente bien les progrès
thérapeutiques actuels. En effet, le
mélanome métastatique n’avait connu
aucun progrès depuis 50 ans jusqu’en
2010/2011.
Depuis,
ce
cancer
concentre le plus grand nombre de
médicaments mis nouvellement sur le
marché. Deux grandes stratégies
nouvelles les guident, démontrées
comme efficaces et augmentant
vraiment la durée de vie des patients.
Nous espérons donc dorénavant
pouvoir guérir des patients, chose
inespérée il y a encore quelques
temps.
La première stratégie repose sur la
thérapie ciblée de l’anomalie de BRAF
par des traitements anti-BRAF pris par
comprimés. Ainsi, nous n’hospitalisons
plus les patients. Une première
génération de traitements ciblés est
arrivée sur le marché en 2011/2012.
Maintenant,
nous
avons
des
traitements combinés : nous bloquons
la protéine BRAF pour empêcher la
cellule de se reproduire avec une
deuxième génération de thérapie
ciblée. Elle est aujourd’hui encore plus
efficace, si bien que nous connaissons
des survies médianes de 2 ans contre
9 à 10 mois récemment.
La seconde stratégie concerne
l’immunothérapie, à savoir la défense
du corps humain avec ses propres
cellules qui attaquent les cellules
cancéreuses. Nous savons dorénavant
comment actionner le système
immunitaire en empêchant ses freins
naturels
de
fonctionner.
Ce
médicament permet au système
immunitaire d’être plus activé, au
risque, d’ailleurs, d’engendrer certains
effets secondaires liés à cette trop
forte activité immunitaire. Néanmoins,
ces derniers demeurent totalement
acceptables au regard des résultats
thérapeutiques. Là aussi, deux
générations
successives
de
médicaments se sont suivies depuis
2011. Grâce à ceux-ci, nous avons des
patients à la survie prolongée et qui,
parfois, sont guéris. Nous avons
10
presque dix ans de recul sur des
patients avec qui nous avons
commencé les essais thérapeutiques,
et certains n’ont développé aucune
métastase visible en dix ans.
« Nous avons presque dix
ans de recul sur des
patients avec qui nous
avons commencé les
essais thérapeutiques, et
certains n’ont développé
aucune métastase visible
en dix ans. »
Dr Caroline Robert
les cellules immunitaires qui devraient
les détruire.
Ces deux stratégies ont prouvé leur
efficacité. Nous cherchons donc
maintenant à comprendre pourquoi
tous les patients ne répondent pas
favorablement à ces deux innovations.
Par ailleurs, nous essayons de
combiner
intelligemment
ces
différentes approches, tout en restant
ouverts à d’autres innovations
thérapeutiques.
ALAIN DUCARDONNET
Pourquoi les cellules cancéreuses
leurrent-elles le système immunitaire ?
DR CAROLINE ROBERT
De nombreux mécanismes rendent
le système immunitaire inefficace
autour de ces cellules cancéreuses.
Pour simplifier, elles se camouflent et
inhibent, anéantissent et endorment
11
Le cadre de l’innovation
Pr Jean-Charles Soria
Alain Ducardonnet
Pr Jean-Charles Soria, comment l’innovation devient-elle la stratégie commune de
tous ? Comment faire en sorte que tous les hôpitaux bénéficient d’une stratégie
thérapeutique ?
V
Jean-Charles Soria est oncologue médical
et professeur de médecine à l’Université
Paris-Sud. Il est médecin spécialiste des
centres de lutte contre le cancer à plein
temps à l’Institut Gustave Roussy. Le
professeur Soria a été formé comme
oncologue médical et a obtenu la médaille
d’argent de l’École de médecine de Paris en
1997. Il a obtenu un DEA puis un doctorat
en sciences en biologie moléculaire (bases
fondamentales de l’oncogenèse) en 2001. Il
a complété sa formation avec un séjour de
deux ans de postdoctorant au sein du MD
Anderson Cancer Center à Houston aux
États-Unis, où il est professeur associé
depuis 2012. Le professeur Soria est
actuellement chef du Département
d’innovation thérapeutique et essais
précoces (DITEP) de l’Institut Gustave
Roussy et membre du Comité de pathologie
thoracique. C’est un expert reconnu sur les
thérapies ciblées, l’immunothérapie et le
cancer du poumon. Ses principaux centres
d’intérêt de recherche sont les suivants :
essais cliniques précoces, biomarqueurs
pharmacodynamiques, cancer du poumon,
immunothérapie et médecine
personnalisée. Il est également impliqué
dans la recherche translationnelle liée à la
médecine de précision et à la progression
tumorale notamment dans les modèles de
cancer de poumon (unité INSERM 981).
ous mettez le doigt sur un
élément important. L’accès à
l’innovation peut se faire à
deux niveaux différents : au niveau de
l’accès aux médicaments qui ont
l’autorisation de mise sur le marché, et
à travers la participation aux essais
cliniques. Notre pays nous donne la
chance, sur l’ensemble du territoire
national, d’accéder partout à ces
médicaments. En théorie, il n’existe
aucun obstacle légal ou de
remboursement. La France reste un
pays où l’accès à l’innovation
thérapeutique,
perçue
comme
coûteuse, est possible partout.
Quant à la participation aux essais
cliniques, elle est extrêmement
importante mais souvent mal perçue.
Historiquement, la population a le
sentiment de devenir un "patientcobaye", alors que c’est une chance
extraordinaire. Par exemple, les
immunothérapies ou les thérapies
ciblées qui ont eu leur autorisation de
mise sur le marché il y a trois ou
quatre ans pour les thérapies ciblées,
et l’année dernière pour le mélanome,
étaient disponibles à Gustave Roussy à
travers les essais cliniques depuis dix
ans. Les gens qui ont pu accéder à
cette recherche il y a dix ans ont
connu un bénéfice majeur.
La recherche clinique est un
domaine extrêmement important
pour
accéder
à
l’innovation
thérapeutique et la France reste un
pays de premier plan dans ce domaine
grâce à la qualité de son système de
santé, à la Sécurité sociale, à l’activité
des cliniciens, des intergroupes
coopérateurs, à la possibilité d’avoir
des promotions académiques, au tissu
industriel. Ainsi, l’année dernière,
42 000 patients ont été inclus dans des
essais
de
recherche
clinique
thérapeutique, ce qui est considérable
par rapport, par exemple, à
l’Allemagne ou la Grande-Bretagne.
Cependant, ce point positif cache
une forêt malade. Nous vivons une
crise des CPP (comités de protection
des personnes). Notre écosystème
bienveillant d’accès à l’innovation
thérapeutique est menacé car
l’ensemble des éléments de cet
écosystème se raidit. Il existe un
problème évident de moyens et de
ressources des CPP, qui fonctionnent
12
« L’année dernière,
42 000 patients ont été
inclus dans des essais de
recherche clinique
thérapeutique, ce qui est
considérable par
rapport, par exemple, à
l’Allemagne ou la
Grande-Bretagne. »
Pr Jean-Charles Soria
sur la base du volontariat et du
bénévolat. Or, les gens sont épuisés,
ce qui crée des problèmes majeurs.
Les délais d’approbation des différents
protocoles dans les CPP ne font
qu’augmenter, ainsi que les essais
industriels comme académiques.
L’ANSM peine de plus en plus à
recruter des experts parce que nous
sommes sans doute allés beaucoup
trop loin dans la notion conflit
d’intérêt/lien d’intérêt, et avons créé
des systèmes sans expert. Le pendule
est allé trop loin sous l’émotion des
événements.
des processus. En effet, l’innovation et
la recherche ne servent pas si elles
connaissent ensuite des blocages
administratifs ou autres. Sur l’ANSM,
nous lui avons demandé beaucoup
trop d’efforts tandis que les moyens
n’ont pas suivi. La réflexion est menée
pour renforcer l’efficience de ces
agences et faire en sorte qu’elles
répondent au mieux aux besoins des
patients. Nous menons aussi des
réflexions sur le prix du médicament.
Selon moi, il ne faut plus passer des
heures à estimer le prix de chaque
médicament innovant.
La transposition en droit français
des directives européennes de la
recherche clinique doit raccourcir les
délais, mais nous avons vu resurgir la
loi Jardé qui avait été enterrée car trop
complexe. Par exemple, nous avons
revu l’idée d’un tirage au sort des CPP,
idée théoriquement merveilleuse mais
redoutable. L’expertise d’un CPP d’une
petite ville sans université pour juger
de
l’arrivée
d’une
molécule
d’immunothérapie est nulle. Je suis
personnellement très inquiet de la
fragilisation de cet écosystème.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Il faut développer les conditions
d’accréditation et de certification à
100 % pour tous les laboratoires. Nous
avons tous été confrontés un jour ou
l’autre à des erreurs de diagnostic
graves parce que rectifiées trop
tardivement et donc privant de
chance les patients. En effet, parmi la
multiplicité
des
laboratoires
anatomopathologiques publics ou
privés, certains n’ont pas encore
atteint un niveau de qualité suffisant.
C’est un grand chantier à ouvrir parce
que les inégalités existantes ne sont
pas acceptables, qu’elles soient
territoriales, financières ou culturelles.
Contrairement aux idées reçues, la
France n’est pas si égalitaire que cela
dans le domaine de la santé.
ALAIN DUCARDONNET
Arnaud Robinet, ces problèmes
sont-ils
au
centre
des
préoccupations ?
ARNAUD ROBINET
Oui, ces sujets sont discutés dans
nos différents groupes. Sur le
problème relatif aux experts, je fais
mon mea culpa puisque j’étais
rapporteur du projet de loi Bertrand,
qui avait suivi l’affaire du Mediator. À
l’époque, nous avons peut-être
manqué les perspectives sur les
difficultés que pourraient amener nos
dispositions dans l’expertise de
certains traitements, dans la fluidité
Pr FABRICE ANDRÉ
Les tests protéiques ne disposent
d’aucun cadre, à la différence des tests
génomiques. Il faut faire basculer ces
tests protéiques vers des plateformes
d’excellence comme le fait l’Inca pour
les tests génomiques, car, à l’avenir, de
plus en plus de tests à base de
protéines
seront
réalisés
avec
l’anatomopathologie. Le problème
13
« Parmi la multiplicité
des laboratoires
anatomopathologiques
publics ou privés,
certains n’ont pas encore
atteint un niveau de
qualité suffisant. »
rencontré au niveau du cancer du sein
va s’étendre à toutes les pathologies
au cours des cinq prochaines années.
Étant donné le coût du traitement de
certaines pathologies et l’enjeu pour
la vie des patients, il est indispensable
d’avoir
des
tests
encadrés
correctement par les tutelles.
Pr Jean-Louis Touraine
14
DÉBATS
« Les CPP, issus de la loi
de 1988, étaient censés
rester des comités
consultatifs, mais ils sont
devenus des comités
décisionnels, ce qui a
tout changé. »
Claude Huriet, sénateur
honoraire
JOËL CUCHEROUSSET, président
pathologiste français des centres
hospitaliers, Gh Intercommunal le
Raincy-Montfermeil
Je souhaite dédramatiser la
situation. Je fais partie de l’AFAQAP,
l’assurance
qualité
en
anatomopathologie. Notre société
reçoit des tests externes et a pour
vocation d’en améliorer la qualité.
Nous sommes en train de nous
accréditer et notre objectif est de nous
regrouper et d’avoir des plateformes
plus performantes. Lorsque nous
discutons avec nos collègues d’autres
pays, nous nous apercevons que nous
ne sommes pas si mauvais. Toutefois,
des problèmes subsistent. Nous
venons de sortir un test permettant de
cartographier les tumeurs qui sont
parfois hétérogènes. Nous travaillons
à l’adaptation du système pour affiner
un peu les tests.
Pr FABRICE ANDRÉ
La technologie de marquage
protéique est une technologie
beaucoup plus compliquée que ce
que l’on pense. Il n’est pas normal
que, pour ce qui relève du gène, il
existe un cadre très précis et rigide,
mais pas pour ce qui relève de la
protéine.
JOËL CUCHEROUSSET, président
pathologiste français des centres
hospitaliers, Gh Intercommunal le
Raincy-Montfermeil
L’AFAQAP
sortira
justement
bientôt des tests validés suivant les
différents automates.
ARNAUD ROBINET
Les laboratoires de biologie sont
obligés d’obtenir une accréditation de
la part du COFRAC, et non ceux
d’anatomopathologie. Ne faudrait-il
donc pas aussi soumettre à
l’accréditation
ces
laboratoires
d’anatomopathologie ?
CLAUDE
HURIET,
sénateur
honoraire
Sur les deux points évoqués par
Jean-Charles Soria, il y a en effet
vraiment de quoi s’inquiéter sur
l’avance que la France avait il y a
encore quelques années et qu’elle est
en train de perdre. Les CPP, issus de la
loi de 1988, étaient censés rester des
comités consultatifs, mais ils sont
devenus des comités décisionnels, ce
qui a tout changé. De plus, la
procédure est double puisque l’ANSM
a aussi des attributions concernant les
autorisations. Il existe donc une
double procédure et il était prévisible
qu’elle génère des désaccords. Revenir
15
à des comités consultatifs me
paraîtrait souhaitable. Concernant la
loi Jardé, j’en ai dit tellement de mal
qu’il est inutile que je me répète.
« Un professeur éminent
(…) avait tiré l’alarme en
disant qu’à force d’avoir
des exigences au sujet
des conflits d’intérêt et
des déclarations
d’intérêt, le risque le plus
grave serait de ne plus
trouver d’experts. »
Claude Huriet, sénateur
honoraire
Au sujet des experts, j’avais présidé
le groupe 5 des Assises du
médicament qui avait en charge les
conflits d’intérêt. Un professeur
éminent de ce groupe avait tiré
l’alarme en disant qu’à force d’avoir
des exigences au sujet des conflits
d’intérêt et des déclarations d’intérêt,
le risque le plus grave serait de ne plus
trouver d’experts. Nous avons atteint
ce point critique, puisque les experts
"vierges" n’ont pas la possibilité
d’expertiser. Seuls ceux qui ont
contribué à l’innovation ont une
capacité de jugement.
ARNAUD ROBINET
Les politiques ne sont pas des
sachants. Or, nous avons parfois
tendance à prendre des décisions qui
peuvent paraître bonnes mais ne sont
pas adaptées à la situation. Vous
pointez du doigt des erreurs
d’appréciation à corriger. Nous devons
nous reposer sur ceux qui pratiquent
quotidiennement le métier, à savoir
les professionnels. Quant aux experts,
celui qui n’a pas travaillé avec
l’industrie pharmaceutique n’a jamais
rien expertisé ; ce n’est donc pas un
expert. Sur ce point également, il faut
revenir en arrière.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Au XXIe siècle, il faut adapter les
essais thérapeutiques en transposant
les directives européennes qui
s’imposent à nous. Mais nous devons
les transposer intelligemment et avec
raison. Suite à certains scandales, nous
avons fait preuve d’un excès de
rigidité. Maintenant, il faut trouver des
solutions raisonnables, encadrées et
efficaces.
Par ailleurs, le secteur a besoin
d’être dynamisé. Chaque année, en
effet, le nombre d’essais cliniques
pour les médicaments diminue, alors
qu’il augmente pour les dispositifs
médicaux. La France n’est plus un lieu
où
les
grandes
sociétés
pharmaceutiques font des essais
cliniques en raison des trop grands
retards
et
des
difficultés
bureaucratiques. Elles considèrent
que les essais sont très bien effectués
en France, avec de très bons résultats,
mais le délai est trop long. La
prochaine loi définira de nouvelles
conditions pour les essais cliniques
afin de raccourcir les délais. Leurs
conditions doivent être précisées dans
les décrets d’application, mais le
principe sera celui du contrat unique :
au lieu d’avoir un laboratoire industriel
qui signe avec un directeur d’hôpital
puis avec chacun des médecins de
tous les centres concernés, ce qui
prend quelques mois, il y aura
désormais un accord global, avec
l’accord des responsables médicaux.
De tels essais ont lieu depuis un peu
plus de deux ans au CHU de
Bordeaux ; depuis, l’augmentation de
l’attractivité de ce CHU pour les essais
cliniques a été considérable. Voilà
donc des modèles. Il faut continuer à
avancer pour que la France reste le fer
de
lance
des
innovations
thérapeutiques en Europe.
ANNE GROMMERCH
Le problème des experts date de
2010. Depuis, tout le monde a
conscience que des erreurs ont été
commises et que nous avons affaire à
des experts qui ne sont pas
expérimentés. Mais rien ne change et
16
c’est le drame. À un moment donné, il
faut agir et revenir sur les erreurs
commises il y a quelques années.
ARNAUD ROBINET
Nous devons revoir la question des
experts mais ne devons pas oublier
dans quel contexte a été votée la loi
Bertrand : nous étions dans l’affaire du
Mediator, où des manquements
déontologiques graves ont eu lieu.
Nous devions prendre des mesures
pour ne pas revivre ce genre d’affaire.
« L’Australie, par exemple,
a décidé par la loi
d’octroyer maximum
31 jours aux autorités
réglementaires avant
l’approbation ou non de
tout essai clinique. »
Pr Jean-Charles Soria
Pr JEAN-CHARLES SORIA
Des
mesures
politiques
volontaristes permettront à la France
de retrouver son rang d’attractivité.
L’Australie, par exemple, a décidé par
la loi d’octroyer maximum 31 jours
aux autorités réglementaires avant
l’approbation ou non de tout essai
clinique. Ainsi, elle est devenue une
terre
propice
aux
essais
thérapeutiques. J’ai sollicité plusieurs
fois l’ANSM pour réduire les délais,
mais les contraintes imposées
empêchent toute expertise : quatre
directions thérapeutiques demeurent
vacantes à l’ANSM. Ce n’est plus
possible. On propose à des
professeurs d’aller à l’ANSM avec leur
salaire de professeur mais en arrêtant
toute interaction avec les laboratoires
pharmaceutiques. Aucun professeur
ne peut l’accepter.
Puisque les CPP sont devenus
décisionnels,
donnons-leur
les
moyens de cette activité décisionnelle
en les professionnalisant.
DE LA SALLE
Je suis gastro-entérologue à la
Pitié-Salpêtrière. Sur l’innovation
thérapeutique, nous avons deux essais
de phase 3 randomisés qui ont
démontré un bénéfice de survie sur le
cancer du pancréas et de l’estomac.
Leurs médicaments ont eu leur
autorisation de mise sur le marché en
Europe et ils sont remboursés dans
quasiment tous les pays européens
sauf la France. Actuellement, je suis
extrêmement inquiet quant à notre
possibilité de proposer ce nouveau
traitement à nos patients.
HÉL NE ESPÉROU, Directrice du
Projet médico-scientifique et de la
Qualité, Unicancer
Sur l’observatoire des attentes des
patients, que nous avons mis en place,
les derniers résultats de l’enquête
participative réalisée il y a quelques
mois montrent que les patients sont
très favorables à participer aux essais
cliniques. Elle a été réalisée sur
Internet, si bien qu’elle n’est pas
représentative,
mais
demeure
qualitative.
Les
patients
ont
parfaitement conscience de la qualité
de la prise en charge dont ils
bénéficient et cette qualité de prise en
charge perdure au-delà de leur
inclusion dans un essai clinique. Tous
ne pensent pas qu’ils sont des
cobayes, au contraire. Ils sentent tout
l’intérêt qu’il y a à participer aux essais
cliniques.
Pr FABRICE ANDRÉ
Je répondrai à mon collègue gastroentérologue. En médecine, qu’est-ce
que le bénéfice d’un médicament ? Des
échelles commencent à voir le jour,
notamment de la part de la Société
européenne d’oncologie médicale,
mais comment le quantifier ? Jusqu’à
maintenant, nous vivions dans le
dogme que le bénéfice d’un
médicament reposait sur la statistique,
mais nous réalisons que le bénéfice est
plus compliqué à quantifier, certaines
échelles demandant un certain nombre
17
« Jusqu’à maintenant,
nous vivions dans le
dogme que le bénéfice
d’un médicament
reposait sur la
statistique, mais nous
réalisons que le bénéfice
est plus compliqué à
quantifier (…). »
Pr Fabrice André
de bénéfices pour considérer que le
médicament apporte un bénéfice à la
société. Ainsi, à mon avis, il ne suffit pas
de déclarer que deux essais ont montré
un bénéfice pour dire que le
médicament est bénéfique pour la
société. En 2015, la quantité de
bénéfices doit entrer en compte pour
la prise en charge ou non du
remboursement et personnellement,
pour ces cas-là, je ne suis pas très
favorable à ces remboursements.
Pr FABRICE ANDRÉ
Nous confondons là inégalité et
injustice. Vous décrivez l’inégalité, mais
cela génère-t-il de l’injustice en
France ?
Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR
Les taux de mortalité par cancer
dans l’Hexagone, toutes choses égales
par ailleurs, traduisent des inégalités de
santé qui se superposent à des
inégalités sociales.
CHRISTINE DE SEILHAC, patient
relecteur de protocole, Ligue contre le
Cancer
Des patients s’engagent et lisent
cinq à six protocoles par an ainsi que
des lettres de consentement. Nous
sommes 50 et nous nous engageons à
lire ces documents parfois très abscons
et à travailler de notre mieux auprès
des acteurs de la recherche clinique en
France.
Dr CAROLINE ROBERT
Je souhaiterais que les patients
soient experts de leur maladie plutôt
que du CV de leur médecin. Le compte
rendu devrait systématiquement leur
être adressé, et pas seulement à la
demande. Ils connaissent toujours des
difficultés à obtenir les radios, les
scanners, les résultats d’analyse. Il faut
encore une fois fluidifier cela pour que,
au final, la méfiance à l’égard du
médecin disparaisse.
Pr
JACQUELINE
GODET,
présidente, Ligue nationale contre le
Cancer
Il ne faut pas confondre les patients
experts et les patients ressources. Je
l’indique parce que le "Plan cancer 3"
mentionne la notion de patient
ressource, définie par la Ligue contre le
Cancer. Je suis d’accord sur le fait que
tous les patients devraient recevoir leur
dossier. Cependant, ils ne sont pas là
pour faire de l’expertise, mais pour
témoigner de leur vécu aux autres
patients
d’un
côté,
et
aux
professionnels de santé de l’autre. Or,
dans l’expérimentation que nous avons
lancée, il s’avère que certains
professionnels de santé n’accueillent
pas
favorablement
un
patient
ressource. Avant que la France
devienne un pays de patients experts, il
faut déjà qu’elle accepte la notion et
l’efficacité des patients ressources.
L’action des patients relecteurs des
protocoles est fondamentale. Elle
apporte de l’œil du patient une
pondération, non sur la molécule ellemême ni sur la prescription, mais sur
l’explication du protocole, la façon de
le présenter.
Enfin, la Ligue vit sur le terrain la
maladie
cancéreuse
et
ses
conséquences. Je peux témoigner qu’il
y a de l’injustice à l’heure actuelle en
France et une inégalité d’accès aux
traitements et aux soins. C’est une des
grandes batailles de notre association.
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Dans
le
domaine
des
prédispositions, la compréhension
intime de sa propre prédisposition est
18
« L’action des patients
relecteurs des protocoles
est fondamentale. »
Pr Jacqueline Godet
essentielle à sa prise en charge.
Lorsqu’on annonce à une jeune femme
sa prédisposition au cancer du sein et
qu’elle doit être prise en charge à partir
de l’âge de 30 ans et de façon assez
contraignante
(IRM
et
mammo/échographie), il est important
qu’elle ne s’essouffle pas mais se fasse
suivre régulièrement. De plus, son
information est très importante parce
que la première personne d’une famille
chez qui a été détectée une
prédisposition devient un relais pour
ses apparentées. Il existe d’ailleurs une
disposition législative importante : la
loi bioéthique de 2004 puis de 2011 sur
l’information de la parentèle.
19
Les pistes
d’innovations
ALAIN DUCARDONNET
Quels sont les éléments attendus
dans les cinq prochaines années ?
« Des progrès
formidables ont été
accomplis ces vingt
dernières années, mais il
faut avancer sur certains
devoirs déontologiques,
tels que l’information des
patients ou la nondiscrimination des
personnes à risque. »
Pr Dominique StoppaLyonnet
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Des progrès formidables ont été
accomplis ces vingt dernières années,
mais il faut avancer sur certains
devoirs déontologiques, tels que
l’information des patients ou la nondiscrimination des personnes à risque.
Autre devoir de la part des médecins
et des scientifiques : l’exactitude dans
la prédiction des risques et
l’interprétation des tests. Il reste
beaucoup à faire. Certes, une
altération des gènes BRCA1 ou BRCA2
est un indicateur, certes le risque
moyen de cancer du sein est de l’ordre
de 60 % à l’âge de 70 ans. Mais il
demeure que les femmes qui ont une
altération de l’un ou l’autre de ces
gènes ont des risques inégaux. Nous
sommes en train d’identifier ces
facteurs de modification, ce qui
permettra de moduler leur prise en
charge. Nous avons accumulé les
connaissances ces dernières années et
devons poursuivre nos efforts. Ainsi,
les risques tumoraux des personnes
en dehors de toute histoire familiale
sévère ne sont probablement pas les
mêmes que ceux des personnes
touchées par une histoire familiale.
Cette histoire familiale sévère illustre
des facteurs modificateurs qu’il est
essentiel d’identifier et bientôt de
prendre en compte.
Ne pas se tromper nécessite aussi
la prise en compte de variants de
signifiants inconnus. La question se
pose globalement en génétique
médicale. Nous trouvons toutes sortes
de variations à ces gènes, dont nous
ne connaissons pas toujours la
signification biologique. Au niveau
national et international se mettent en
place des bases de données qui
recueillent les données cliniques et les
caractéristiques
moléculaires.
Ce
savoir est essentiel pour ne pas se
tromper dans l’interprétation de ces
variants.
20
Enfin,
les
domaines
des
prédispositions
sont
ceux
des
thérapies ciblées. Il deviendra de plus
en plus complexe d’informer les
patients atteints de cancer, puisqu’on
leur
parlera
de
prédisposition
génétique et d’anomalies génétiques
dans la tumeur, etc. Il faut réfléchir à
notre pédagogie. Nous devrons faire
preuve d’innovation pour garantir une
information juste et de qualité à nos
patients, tout en trouvant les moyens
d’être toujours plus précis dans
l’analyse des caractéristiques des
tumeurs et l’interprétation des
anomalies constitutionnelles.
« La tendance actuelle en
recherche clinique
consiste à déterminer
chez chaque patient
l’histoire moléculaire de
la tumeur, c’est-à-dire les
anomalies moléculaires
qui ont suscité la
progression tumorale. »
Pr Fabrice André
Pr FABRICE ANDRÉ
La tendance actuelle en recherche
clinique consiste à déterminer chez
chaque patient l’histoire moléculaire
de la tumeur, c’est-à-dire les
anomalies moléculaires qui ont suscité
la progression tumorale. Puis, à l’aide
de
tests
multigéniques,
nous
cherchons à déterminer les cibles à
bloquer. Plusieurs études sont en
cours pour savoir si cette technologie
permettra d’améliorer la survie des
patients.
Aujourd’hui, ce séquençage est
accessible aux patients moyennant
finances, ce qui crée un vrai problème
d’inégalité aux soins. On commence à
recevoir des patientes qui ont réalisé
leur séquençage génomique aux
États-Unis
pour
5 000 dollars.
Connaissant
alors
leur
cible,
puisqu’elles sont des patientes
expertes,
elles
savent
quels
médicaments prendre dans leur cas et
peuvent
accéder
à
certaines
innovations. Il s’agit là d’une sorte de
distorsion du système.
Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR
Un point de sémantique : le patient
expert n’est pas le patient qui fait du
délit d’initié ou du délit de riche. Le
patient expert n’est pas celui qui a de
l’argent
pour
acheter
ses
médicaments en Suisse, mais plutôt
un "sachant profane" qui a appris ce
qu’est la maladie et peut faire profiter
d’autres patients de son expérience.
ALAIN DUCARDONNET
Caroline Robert, que pouvons-nous
attendre
de
cette
stratégie
thérapeutique ?
Dr CAROLINE ROBERT
Nous entrons dans une nouvelle
ère avec un élément extrêmement
heureux : les gens vont davantage
communiquer. Les thérapies ciblées et
personnalisées et l’immunothérapie se
rejoignent pour guérir le cancer de
chaque personne. Par exemple, nous
combinons la radiothérapie et
l’immunothérapie avec l’espoir que
cela créera une sorte de vaccination.
L’immunothérapie se combine aussi
avec la chimiothérapie.
Nous
connaissons
désormais
l’importance de l’équilibre entre le
cancer et l’organisme. Mais le patient
subit successivement plusieurs essais
thérapeutiques, bouleversant cet
équilibre, sans que son suivi soit
assuré. Son suivi demeure morcelé et
les données se perdent. Il faut les
suivre à chaque étape de leurs
différents
traitements.
Nous
manquons actuellement d’indicateurs
de suivi prospectif de nos patients. Il
s’agit d’une perte d’information
considérable, aux dépens de la prise
en charge et de la qualité des soins.
ALAIN DUCARDONNET
Quelle est la place du médecin
généraliste, du médecin traitant ?
21
ANNE GROMMERCH
Le rôle du médecin généraliste est
absolument essentiel. Vous attendiez
des témoignages de patients ; je vais
mettre ma casquette de patient, pour
témoigner de ce que je vis depuis
maintenant huit ans, dans ma lutte
contre le cancer.
« Le lien entre
l’oncologue et le médecin
traitant est essentiel. »
Anne Grommerch
Le rôle du médecin traitant est
essentiel, puisqu’il est le plus
accessible ; on ne voit pas l’oncologue
aisément quand on le souhaite, quand
on a des questions. Par conséquent, le
lien entre l’oncologue et le médecin
traitant est essentiel. Il faut en effet
que le médecin traitant puisse
disposer d’un suivi précis du dossier
pour pouvoir entendre le patient,
répondre à ses questions, à ses
inquiétudes. Ce lien, qui n’est pas
toujours naturel, est indispensable.
Aujourd’hui,
qu’attendent
les
patients ? Si les choses évoluent bien,
nous devons être encore plus précis.
On sait que l’on a possibilité d’éviter la
chimiothérapie conventionnelle, qui
est très lourde, par un test diagnostic.
Ce test diagnostic se déploie aux
États-Unis. Il ne faut pas que la France
prenne du retard pour le déployer sur
le territoire. 20 % des cancers du sein
hormonaux dépendants récidivent.
Ces formes agressives de cancer
doivent mobiliser les efforts de la
recherche car il faut cibler, être de plus
en plus précis. Et il faut laisser la main
aux
médecins,
empêcher
l’Administration de décider de ce que
l’on a le droit de faire et de ne pas
faire. Là réside le drame aujourd’hui. Il
faut laisser plus de liberté à nos
médecins, à nos oncologues, et à nos
chercheurs.
C’est lorsque l’on fait face à des
stades très avancés dans le
développement du cancer que
démarrent
les
traitements
d’immunothérapie. Peut-être pourraiton les démarrer tout de suite, dès que
l’on connaît le type de cancer, quitte à
engager un dialogue avec les
laboratoires, et à obtenir un accord
avec eux, en disant que sont payés
ceux qui ont un résultat. Cela permet
de régler en partie la problématique
des coûts car on attend parfois
d’utiliser certains traitements parce
qu’ils sont très chers. Or, si nous
pouvions aller dans cette direction, en
développant les liens avec les
laboratoires – et le professeur Soria
nous a dit que cela se faisait de
manière très positive dans certains
pays : Angleterre, Liban… – nos
équipes seraient plus rapides dans
leurs méthodes d’intervention. Telles
sont les préoccupations des patients.
ALAIN DUCARDONNET
Professeur Soria, en matière
d’innovations, de protocoles et de
collaborations privé-public, quelles
pourraient être les évolutions dans les
cinq prochaines années ?
Pr JEAN-CHARLES SORIA
Je
crois
que
jamais,
en
cancérologie, nous n’aurons été dans
une
situation
aussi
favorable
qu’aujourd’hui. En effet, nous avons à
la fois la capacité à caractériser la
tumeur sous ses différents angles, le
circuit moléculaire avec les anomalies
structurelles de l’ADN, le contexte
immunitaire de cette tumeur ; mais les
politiques n’ont pas pris conscience à
quel point la qualité de la définition de
ce portrait initial va impacter la
réflexion sur ce qui doit être
remboursé ou ne pas être remboursé,
parce que c’est là que se retrouveront
les "prédicteurs" les plus puissants du
22
« Notre problème, c’est
que nous ne connaissons
pas l’échelle utilisée par
les pouvoirs publics et les
autorités pour ce qui
concerne la prise en
charge des médicaments
entrant dans la lutte
contre le cancer. »
Pr Jean-Charles Soria
bénéfice
thérapeutique
de
médicaments très coûteux. La
caractérisation
du
contexte
immunitaire et celle de l’état
moléculaire méritent que plus
d’argent soit investi dans ces axes,
alors que l’on sait que le coût des
immunothérapies se comptera en
milliards d’euros en France. Or, cette
carte d’identité d’une tumeur n’a de
valeur que parce qu’il y a désormais
des
outils
thérapeutiques
extrêmement puissants qui ont
émergé et qui permettent d’incarner
la caractérisation moléculaire par des
choix thérapeutiques précis.
Quant à ces choix thérapeutiques
précis, nous avons, après la vague des
thérapies ciblées avec le per os, celle
de l’immunothérapie, avec le retour à
l’IVEP. Cela va complexifier ; il va falloir
à nouveau retourner à l’hôpital, en
hôpital de jour.
Avec
l’immunothérapie,
nous
avons la chance, pour la première fois,
d’envisager
des
désescalades
thérapeutiques dans des tumeurs que
l’on guérit très bien. Aujourd’hui, dans
le cancer du sein, contrairement à la
tumeur du poumon dont je m’occupe,
le problème n’est plus tant de guérir
plus, mais de guérir mieux avec moins
de séquelles. L’immunothérapie peut
totalement transformer la vie de
femmes qui, sans elle, auraient dû à la
fois
subir
l’amputation,
la
chimiothérapie
et
ses
effets
secondaires. C’est peut-être aussi de
l’argent beaucoup mieux employé, en
augmentant la guérison, qu’en
prolongeant la durée de vie d’un
patient.
Et
la
possibilité
de
désescalade thérapeutique est donc
un point à souligner dans les
évolutions
connaître.
que
nous
pourrons
Notre problème, c’est que nous ne
connaissons pas l’échelle utilisée par
les pouvoirs publics et les autorités
pour ce qui concerne la prise en
charge des médicaments entrant dans
la lutte contre le cancer. Il s’agit de
l’échelle "cout/bénéfice". Or nous nous
heurtons au fait qu’au niveau de la
HAS et de la commission de la
transparence, les règles du jeu ne sont
pas explicitées. Quelle échelle de
bénéfices utilisent-ils ? Les raisons qui
font qu’un médicament est plus ou
moins remboursé qu’un autre, ou qu’il
est remboursé à ce taux-là ne sont pas
précisées.
Une
démarche
de
transparence doit être mise en œuvre,
passant par une information donnée
aux concitoyens sur ce qui,
aujourd’hui, dans notre système
contraint à des économies, s’inscrit
dans un contexte où il est introduit la
notion de coût et de bénéfice pour
que le remboursement s’opère. Il faut
sortir de l’opacité. Et l’échelle à
laquelle a fait référence Fabrice André,
qui est l’échelle publiée par la Société
Européenne d’Oncologie Médicale,
qui s’appelle MCSB (Magnitude Clinical
Benefit Scale), est très importante car
elle essaie de mieux appréhender ce
qu’est réellement un bénéfice
clinique, et pas simplement un
bénéfice statistique. Il s’agit là d’une
dimension qui est très importante. Il
faut que nos hommes politiques
intègrent cela. Si ces notions
d’importance et de magnitude du
bénéfice
dans
un
rapport
coût/bénéfice intervenaient plus
qu’auparavant,
ce
qui
est
véritablement nécessaire, cela devrait
se
faire
dans
une
véritable
transparence, et non dans l’opacité.
23
« Notre pays offre un très
bon accès aux
innovations, et, comme
par hasard, nous avons
le meilleur taux de survie
par rapport au cancer. »
Pr Véronique Trillet-Lenoir
La collaboration public/privé est
très importante, particulièrement pour
les essais axés, dont l’importance ne
doit pas être méconnue, et qui
figurent à la même place que les
plateformes
de
génétique
moléculaire, ou centres CLIP des essais
précoces. L’ARC soutient ces essais
axés, qui permettent au plus grand
nombre d’accéder à l’innovation.
Aujourd’hui, nous travaillons – et je
salue la présence parmi nous de
MSD – pour Accès Pembrolizumab
afin de mettre l’immunothérapie à la
disposition des personnes souffrant
de maladies rares, pour lesquelles
l’industrie ne manifeste pas d’intérêt
économique. Il est indispensable que
cette molécule soit mise à disposition,
et j’espère vraiment que MSD France
soutiendra
massivement
Acces
Pembrolizumab pour les maladies
rares, parce qu’il est essentiel que cet
accès à l’innovation se fasse aussi sur
des maladies orphelines.
ALAIN DUCARDONNET
Véronique Trillet-Lenoir, pourronsnous
nous
offrir
toutes
ces
innovations, dont on sait que le prix
mensuel est parfois absolument
astronomique ?
Pr VÉRONIQUE TRILLET-LENOIR
La part du budget consacrée, au
titre de l’Assurance maladie, aux
médicaments innovants pour lutter
contre le cancer est de 1 %. Si l’on
prend l’angle certes, les coûts des
médicaments ont augmenté de façon
exponentielle. Pour autant, cette seule
approche économique ne doit pas
faire oublier les points positifs que ces
innovations ont apportés : elles
améliorent des vies, elles ont
contribué à la chronicisation du
cancer. La France, où, pour le moment,
le système de santé donne l’accès
juste et équitable à ces molécules,
présente le meilleur taux de survie au
cancer de toute l’Europe.
Les modalités de remboursement
sont fondées sur les conclusions d’une
commission de la transparence de
l’HAS, qui est en train de devenir une
agence de régulation économique via
l’estimation du "service médical
rendu". Cette échelle intègre un
certain nombre de critères, mais
méconnaît complètement les effets
sociétaux des traitements comme la
réinsertion
professionnelle
des
malades chroniques, les mamans que
l’on rapproche de leurs enfants, et
tous ces éléments qui relèvent du
bénéfice pour la santé et du bénéfice
pour la population.
Face à ce 1 % de budget, on peut
être étonné de la surabondance
d’énergie qui est déployée sur la
question du coût des médicaments,
sachant que bien d’autres leviers
existent dans la panoplie des moyens
existants pour traiter la question du
coût de la santé, comme des
recherches d’optimisation des moyens
en matière d’organisation et de
fonctionnement. On les méconnait en
partie par la peur légitime de fragiliser
les hôpitaux publics, qui sont souvent
le
premier
employeur
d’une
commune.
La démarche des pouvoirs publics
visant à ramener le prix des
médicaments dans des zones qui
permettent de prendre en compte la
dimension de l’investissement, de la
RED,
mais
qui
maintiennent
néanmoins les prix dans des limites
acceptables, est positive. Mais je
continue à trouver que toute cette
"dramaturgie" autour du 1 % du
24
« La loi Bertrand était
une loi ”émotionnelle”. Il
faut sortir
de ses excès. »
Pr Jean-Charles Soria
budget de l’Assurance maladie, c’est
beaucoup. Je partage les inquiétudes
de mes collègues. Notre pays offre un
très bon accès aux innovations, et,
comme par hasard, nous avons le
meilleur taux de survie par rapport au
cancer. Attention à ne pas mettre en
route un système de régulation
autoritaire et totalement délétère
pour la population.
Aussi, il pourrait être pertinent de
travailler sur deux pistes possibles. La
première
touche
au
"virage"
ambulatoire. Il y a là un gisement
d’activités en matière d’aide à la
personne,
d’aide
au
domicile,
d’interventions à domicile de réseaux
territoriaux, d’infirmiers et d’aidessoignants. Et cela, c’est de l’emploi.
Alors, évidemment, c’est un petit peu
d’emploi en moins pour l’hôpital. Le
virage ambulatoire, c’est les vases
communicants. Mais coordination
hôpital/ville, c’est véritablement du
gisement d’emplois.
Et plus modestement, et c’est une
expérience
personnelle,
mais
cependant je crois utile de vous la
livrer : je préside un cancéropôle qui
s’est donné, dans la région AuvergneRhône-Alpes,
une
mission
de
développement
économique. Le
cancéropôle est financé au tiers par
l’Institut du cancer, et aux deux tiers
par les collectivités territoriales, au
premier rang desquelles la Région, qui
investit
sur
des
partenariats
public/privé, en général un tiers pour
les collectivités, deux tiers pour un
industriel, dans une démarche
d’accompagnement
et
éventuellement de mise sur le marché
de nouveaux médicaments ou
dispositifs médicaux.
Cela a déjà donné lieu à des essais
cliniques, dont deux en première
administration chez l’homme, à la
création d’une petite centaine
d’emplois autour des startups de notre
région, qui est dynamique en santé.
C’est de l’industrie française. C’est du
partenariat public/privé. Ce sont les
collectivités qui investissent sur le
progrès. Il serait dommage qu’après
toute cette énergie déployée, cela soit
"retoqué" au motif que le gain obtenu
ne correspondrait "qu’à deux mois de
médiane de survie en plus".
Dépassons l’aspect des statistiques : si
la médiane de survie est améliorée de
deux mois, c’est qu’il y a des patients
qui gagnent six mois ou qui gagnent
huit mois, et qu’avec le traitement qui
viendra après, ils vont en gagner
encore ; et c’est comme cela que l’on a
chronicisé la maladie.
J’estime qu’il est nécessaire que les
politiques et les décideurs qui
s’intéressent au coût de la santé ne se
focalisent pas à ce point sur ce qui,
dans la globalité, ne représente
finalement qu’1 %, au regard du poids
que cela constitue quant à l’avenir de
la santé de la population.
ALAIN DUCARDONNET
Pourriez-vous
exprimer
une
requête aux parlementaires sur les
questions que nous avons abordées ?
Pr
DOMINIQUE
STOPPALYONNET
Je recommanderais d’être vigilant
sur l’organisation de tests génétiques,
tant constitutionnels que tumoraux,
parce que les deux sont intimement
liés. Qu’ils soient de qualité, à la fois
technique
et
en
termes
d’interprétation ; qu’ils soient, bien
sûr, accessibles à l’ensemble de la
25
population.
informée.
« Le fait même de réaliser
une étude de
désescalade économise
de l’argent. »
Pr Fabrice André
Et
une
population
Pr JEAN-CHARLES SORIA
La loi Bertrand était une loi
"émotionnelle". Il faut sortir de ses
excès. Elle avait une raison d’être, mais
prise dans l’émotion, elle peut
comporter des excès. Il faut vraiment
que vous ayez le courage politique de
revenir sur les problèmes de conflits
d’intérêts tels qu’ils ont été traités ; le
courage politique de définir ce qu’est
un bénéfice pour le patient, et à partir
de quand vous remboursez. Et donner
les moyens et le signal aux instances
qui font l’écosystème "Recherche
clinique" pour qu’elles fassent leur
travail comme il faut, notamment les
CPP.
Dr CAROLINE ROBERT
Je voudrais souligner l’intérêt qu’il
y a à mettre en place le dossier
informatisé. Que ce soit le moyen de
partager l’information et qu’il y ait un
continuum ; et que cela concerne
aussi les prélèvements biologiques.
Pr FABRICE ANDRÉ
Il pourra être pertinent que se
mettent en place des systèmes de
financement pour les études de
désescalade, comme mentionné tout
à l’heure. Le fait même de réaliser une
étude de désescalade économise de
l’argent. L’Assurance maladie ou
d’autres acteurs pourraient utilement
aider la recherche clinique autour de
ces
questions
de
désescalade
thérapeutique.
ARNAUD ROBINET
Merci aux intervenants et au public.
Nous avons bien entendu l’ensemble
des demandes ou des réflexions qui
nous ont été proposées.
Certes, il y a le Plan cancer. On
parle de recherche, on parle
d’innovation, mais il faut que le
terreau soit propice à cette recherche
et à cette innovation, et surtout à la
prise en charge du patient et à l’accès
aux soins.
Plusieurs pistes sont à suivre.
Lorsque l’on parle de recherche et
d’innovation, il y a non seulement la
recherche publique, mais également
la recherche privée, et notamment la
recherche pharmaceutique. À l’instar
des orientations qui avaient présidé à
la mise en place du Conseil
stratégique des industries de santé, je
pense que l’industrie pharmaceutique
et les pouvoirs publics doivent, de
façon conjointe, se fixer des objectifs
et des moyens pour les atteindre, sur
plusieurs années, car il faut cesser de
prendre le médicament comme
variable d’ajustement dans le cadre du
PLFSS. Agir ainsi, c’est prendre le
risque de voir des laboratoires de
recherche privés quitter le territoire
français pour aller dans d’autres pays.
J’en ai fait l’expérience dans ma ville à
Reims.
Par ailleurs, lorsque l’on parle de
l’accès aux soins, il est question de la
réorganisation du système de santé en
France. Une question centrale qui
entoure l’examen du projet de loi
Santé est celle de la place qui est
réservée dans notre organisation à
l’hôpital public, aux médecins
libéraux, à la médecine de ville, aux
établissements privés. Or, dans ce
contexte, il faut à tout prix que
l’hôpital public retrouve ses véritables
missions ; que les CHU retrouvent leur
rôle de tête de pont, sur un territoire
pour la recherche, l’innovation et
l’enseignement. À partir de là, on parle
26
« Le système de santé
français repose sur une
complémentarité qui
associe le public et le
privé. Cette
complémentarité ne
peut être que bénéfique
au patient (…). »
Arnaud Robinet
de médecine ambulatoire ; et je suis
d’accord avec Madame le Professeur,
on demande de plus en plus aux
hôpitaux de faire de la médecine
ambulatoire, mais derrière, il faut que
la médecine de ville soit prête. Il faut
donner les moyens à la médecine de
ville, également aux établissements
privés de pouvoir "absorber" les
patients qui seront issus de l’hôpital. Il
faut préserver ce système de santé en
France, en veillant à sa bonne
organisation sur l’ensemble du
territoire, et surtout que l’on arrête,
comme on le fait souvent, d’opposer
le privé au public ; nous n’avons plus
les moyens, financiers, budgétaires, de
continuer cette opposition. Le
système de santé français repose sur
une complémentarité qui associe le
public
et
le
privé.
Cette
complémentarité ne peut être que
bénéfique au patient, et c’est l’objectif
que nous devons rechercher : l’intérêt
pour le patient, pour sa prise en
charge.
27
!
TABLE RONDE II
La société face aux cancers –
Aujourd’hui et demain
Présidents
Animateur
Jean-Pierre Door
Député du Loiret, vice-président de la
Commission des Affaires sociales,
président du groupe d’études
“Professions de santé et coordination
sanitaire”
Alain Ducardonnet
Journaliste sur BFMTV
Pr Jean-Louis Touraine
Député du Rhône, vice-président du
groupe d’études "Cancer"
Intervenants
Valérie Boyer
Députée des Bouches-du-Rhône
Pr Pierre Fumoleau
Directeur général du Centre de lutte
contre le cancer Georges-François
Leclerc et membre du bureau de la
Fédération UNICANCER
Catherine Hill
Épidémiologiste à l’Institut Gustave
Roussy
Dr Gérard Sebaoun
Député du Val-d’Oise, président du
groupe d’études “Pénibilité du travail,
santé au travail et maladies
professionnelles”
Françoise Sellin
Co-fondatrice et directrice du
Collectif K, coordinatrice générale
du Ruban de l’espoir
28
Introduction
Pr Jean-Louis Touraine
N
Député du Rhône et secrétaire de la
Commission des Affaires sociales, JeanLouis Touraine est président du groupe
d’études “Sida” et membre de l’Office
parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques (OPECST).
Professeur de médecine, il est également
membre du Conseil d’orientation de
l’Agence de biomédecine. Spécialiste
d’immunologie, Jean-Louis Touraine est
également vice-président de la Fédération
hospitalière de France (FHF) et il a été,
jusqu’en 2012, chef du Service de
transplantation et d’immunologie clinique
de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon.
ous allons, dans cette table
ronde, aborder les questions
ayant trait à la société face au
cancer. Les progrès thérapeutiques
sont rassurants ; cependant, la société
est confrontée à une augmentation de
la fréquence des cancers. Les chiffres
des cancers ont doublé en trente ans,
et cela continue à augmenter. Il y a
bien
sûr
l’augmentation
de
l’espérance de vie et l’amplification
des dépistages, par exemple des
cancers de la prostate ou du sein, mais
il y a aussi l’augmentation des risques
d’exposition à des facteurs qui sont
susceptibles de déclencher le cancer.
Or, plus de la moitié des cancers sont
évitables, mais nous n’avons que très
faiblement avancé sur ces questions.
Nous allons parler de l’organisation
des soins, de la prévention, de la
question des parcours, non seulement
de soins, mais aussi de santé. Cette
organisation suppose aussi de
combler le fossé qui existait entre les
médecins et les soignants, et c’est tout
l’enjeu du développement des
infirmières cliniciennes.
Dans le développement de certains
cancers liés au milieu professionnel, il
faut que l’on tienne compte du fait
que l’augmentation de la durée au
travail va conduire à ce qu’une
population plus nombreuse soit
exposée aux risques de produits
cancérigènes, si aucune reconversion
n’était proposée à ces salariés.
Nous parlerons des patients. Il faut
s’adresser à celui qui vient de
commencer à fumer pour le
convaincre de s’arrêter. Et encore
mieux, aux préadolescents pour qu’ils
ne commencent pas du tout. Il faut
créer, avec les professionnels et les
usagers, les conditions d’une véritable
efficacité en prévention. Il est, dans ce
contexte, dommageable que les
lobbies du tabac, de l’alcool arrivent à
gagner du terrain face à la priorité qui
doit être celle de la santé publique. Il
faut que la santé publique soit
privilégiée par rapport aux intérêts
économiques.
Notre
pays,
comparativement à beaucoup de pays
d’Europe du Nord, est en retard en
matière de prévention.
29
Les enjeux économiques.
Le parcours cancer dans
le Loiret
Jean-Pierre Door
D
Député du Loiret depuis 2002 et maire de
Montargis, Jean-Pierre Door est viceprésident de la Commission des Affaires
sociales, membre de la Mission d’évaluation
et de contrôle des lois de financement de la
Sécurité sociale (MECSS) et président du
groupe d’études “Professions de santé“. Il a
été rapporteur du projet de loi de
financement de la Sécurité sociale pour la
branche maladie 2009 (dépenses maladies
et accidents du travail et maladies
professionnelles) et pour la loi du dossier
médical sur clé USB, votée en 2010. Médecin
cardiologue de profession, Jean- Pierre Door
est membre de la Société française de
cardiologie et de la Fédération française de
stimulation cardiaque. Il a été médecin
hospitalier à temps partiel, cardiologue
libéral en clinique de 1972 à 2003 et viceprésident de l’Union des médecins de la
région Centre de 1990 à 2001. Rapporteur de
la loi About relative à la responsabilité civile
médicale en décembre 2002, il a également
été rapporteur de la loi Giraud relative à la
gestion des crises sanitaires majeures en
mars 2007.
ix millions de Français sont
atteints
de
maladies
chroniques. Ces maladies
vont encore évoluer régulièrement,
puisque l’on sait que, chaque année, il
y a plus de 3 % des personnes qui
entrent dans les affections de longue
durée. Le coût de ces ALD est
important ; il représente près de 70 %
des remboursements de l’Assurance
maladie.
Les plans cancer successifs ont
contribué à optimiser la prise en
charge des patients atteints de
tumeurs malignes grâce à une logique
de parcours de soins, autour de
trois phases :
le
bilan
initial,
l’élaboration des thérapeutiques, la
surveillance. La qualité et l’efficience
de la prise de ces pathologies sont au
cœur de notre politique de santé.
30
L’organisation des soins,
hôpital-ville, la place du
patient
Valérie Boyer
Alain Ducardonnet
Que peut-on dire sur les passages, les relais qui se font entre l’hôpital et la ville pour le
traitement de la maladie ?
A
Diplômée du Centre national d’études
supérieures de sécurité sociale, et après une
longue expérience dans le domaine de la
santé, Valérie Boyer devient secrétaire
générale de l’Agence régionale pour
l’hospitalisation en PACA. En 2001, elle
rejoint l’équipe de Jean-Claude Gaudin à la
mairie de Marseille, puis en 2007 et 2012
elle est élue députée de la
1ère circonscription des Bouches-du-Rhône.
Elle devient alors membre de la
Commission des Affaires sociales. Valérie
Boyer s’est fait connaître des médias et du
grand public par sa proposition de loi
visant à combattre l’extrême maigreur qui a
été adoptée à l’Assemblée nationale ainsi
que pour les nombreux amendements
déposés suite à son rapport sur la lutte
contre l’obésité. Elle est également l’auteure
d’une proposition de loi visant à signaler les
photos d’images corporelles retouchées.
Dans le cadre de la révision des lois de
bioéthique, Valérie Boyer a fait adopter une
série d’amendements sur la vitrification
ovocytaire et sur le développement de dons
de gamètes. Elle est nommée à deux
reprises secrétaire nationale “Les
Républicains” déléguée.
à la santé.
ujourd’hui, quand on parle de
cancer, on parle d’abord
d’une maladie qui peut se
guérir. C’est très important aussi de le
dire au patient ; même s’il doit être
accompagné longtemps. Je pense que
c’est un changement fondamental de
notre société. C’est aussi une maladie
chronique. Nous sommes dans une
nouvelle approche des soins, qui vont
durer plus longtemps. Sans négliger le
droit à l’oubli, pour que les personnes
puissent assurer leur avenir.
Nous avons rappelé que le
médecin traitant est le pilier du
système de soins. Or, la question des
déserts médicaux et la difficulté pour
les médecins de donner à chaque
patient le temps qu’il réclame
constituent des limites à ce rôle
majeur confié au médecin de ville.
Il est urgent de mettre en place la
possibilité pour le patient de disposer
de son dossier. Cela permet de faire le
lien entre la ville et l’hôpital. Cela
constitue un outil essentiel de
l’accompagnement du patient par le
médecin. Au moment de l’annonce du
diagnostic, il est essentiel de pouvoir
garantir au patient une orientation
adéquate et d’associer le médecin
traitant à l’accompagnement du
malade. Permettre à chacun de
disposer
de
programmes
personnalisés de soins pendant le
cancer et après la maladie, en prenant
en compte l’ensemble des besoins
(l’accompagnement, le logement,
l’entourage…), c’est l’enjeu de la mise
à disposition du dossier médical.
31
L’organisation des soins,
hôpital-ville, la place du
patient
Pr Pierre Fumoleau
Alain Ducardonnet
Je pensais que la loi prévoyait de mettre à disposition le dossier médical. Et qu’en est-il
du parcours de soins ?
L
Pierre Fumoleau est directeur général du
Centre Georges-François Leclerc, du Centre de
lutte contre le cancer de Bourgogne, depuis
2007, PUPH en oncologie médicale à
l’Université de Bourgogne, vice-président et
secrétaire du bureau d’UNICANCER, président
de la Fondation de coopération scientifique
Bourgogne/Franche-Comté et copilote du
parcours en cancérologie avec l’ARS de
Bourgogne. Après l’obtention de son diplôme
de docteur en médecine en 1979 et sa
qualification en oncologie médicale (19791981) à Nantes, il a occupé au sein du Centre
ené Gauducheau les postes de médecin, chef
du Service d’oncologie médicale (1984),
responsable des départements d’oncologie
médicale (1997) et de recherche (2001) mais
aussi directeur adjoint de 1989 à 1994 puis de
2000 à 2003. Arrivé à Dijon en 2004, Pierre
Fumoleau a assumé la responsabilité du
Département d’oncologie médicale et de
Unité de recherche de transfert et est nommé
professeur en oncologie médicale à
l’Université de Bourgogne. Membre de
plusieurs sociétés scientifiques, il a été
également secrétaire général de l’European
organisation for research and treatment of
ancer (EORTC) de 2003 à 2006. Très impliqué
dans la recherche clinique et de transfert,
notamment dans le cancer du sein, il est un
xpert reconnu du développement précoce de
nouveaux agents anticancéreux et membre
actif au niveau de plusieurs groupes.
e dossier médical informatisé
n’est pas forcément disponible.
On a chacun, dans nos
hôpitaux, un dossier informatisé, mais
le problème c’est le transfert de ce
dossier vers d’autres acteurs de la
cancérologie.
Concernant
le
parcours
en
cancérologie,
dans
la
région
Bourgogne, sous la houlette de l’ARS,
nous avons créé un parcours en
cancérologie. C’était inscrit dans le
PRS de 2013. Nous avons fait un
constat de l’état de l’organisation de la
cancérologie en Bourgogne. Nous
avons testé le département de la
Nièvre, et nous nous sommes aperçus
que malgré les deux plans cancer, la
mortalité par cancer à la fois chez la
femme et chez l’homme s’était
aggravée dans la Nièvre par rapport à
la moyenne nationale.
À partir de là, nous essayons
d’adapter le parcours en cancérologie
pour améliorer ces chiffres qui ne sont
pas très optimistes. Le parcours
comprend la prévention, le dépistage,
le diagnostic, l’accès aux soins, et le
suivi. À partir de ce parcours, que nous
avons analysé en profondeur, nous
avons trouvé plusieurs points de
rupture : l’adéquation relative des
actions de prévention, les inégalités
de dépistage, les difficultés d’accès à
une offre de soins de proximité, du fait
de
la
problématique
de
la
démographie médicale dans la Nièvre
(d’où l’effort qui est fait pour que
soient développées des maisons de
santé pluriprofessionnelles, où la
prévention
constituera
une
orientation forte du programme), à
quoi l’on peut ajouter une population
vieillissante, des problèmes de
transport. Il y a aussi des difficultés
d’accès aux protocoles de recherche
clinique. Figure aussi, parmi les points
de
rupture,
un
manque
de
coordination évident entre la structure
centrale et les acteurs du suivi que
sont les médecins traitants, mais aussi
les pharmaciens, et les infirmières de
coordination.
32
« Nous avons testé le
département de la
Nièvre, et nous nous
sommes aperçus que
malgré les deux plans
cancer, la mortalité par
cancer à la fois chez la
femme et chez l’homme
s’était aggravée dans la
Nièvre par rapport à la
moyenne nationale. »
Ce constat ayant été fait, avec les
financements apportés par l’ARS de
Bourgogne par l’intermédiaire du
Fonds d’intervention régional, nous
avons créé des postes d’infirmière de
coordination, et nous avons travaillé à
la mise en place de postes partagés :
les médecins d’un autre centre vont à
Nevers pour renforcer l’efficacité de
l’organisation en place.
Pr Pierre Fumoleau
33
L’organisation des soins,
hôpital-ville, la place du
patient
Françoise Sellin
Alain Ducardonnet
Quel est votre aperçu de la situation, du côté des patients ?
L
Depuis 1998, suite à un cancer du sein,
Françoise Sellin a quitté son métier de
libraire pour s’investir dans la lutte contre
les cancers. Dans un premier temps, elle
crée en 1999, à Vannes, l’association “Faire
Face Ensemble” et devient présidente
adjointe du Comité régional des usagers
de Bretagne. Depuis 2004, elle aide les
associations à développer des actions
communes en faveur de la lutte contre le
cancer du sein ce qui l’a conduite en 2008
à créer le Ruban de l’Espoir, action
nationale dont elle assure la coordination
générale depuis 8 ans. En 2009, elle fonde
le Collectif K, dont le but est de fédérer les
associations impliquées dans l’aide aux
malades pour permettre la réalisation
d’actions communes et les échanges entre
associations.
e temps d’hospitalisation tend à
se réduire. L’ambulatoire prend
donc toute sa place. Les
patients n’ont pas eu le temps de voir
une
assistante
sociale,
une
nutritionniste. Le moment de la sortie
peut être source d’angoisse. On n’a
pas forcément évalué ce retour, qui se
pratique parfois très rapidement. Il
faut que le médecin généraliste
assume pleinement son rôle de pilier
central, afin que s’organise au mieux
ce retour, et que les conditions soient
optimales pour qu’il prenne en charge
le patient. Il faut aussi travailler avec
les pharmaciens.
Il est par ailleurs intéressant de
souligner
l’importance
d’une
évolution technique qui est apportée
par les applications mobiles. Elles
peuvent aider le patient, en particulier
dans le cas de chimiothérapies orales.
Elles donnent des informations sur
l’état de santé du patient à un service
médical auquel il peut faire appel,
mais également des informations à ce
patient.
34
Données épidémiologiques
sur le cancer
Catherine Hill
Alain Ducardonnet
Du côté de l’épidémiologie, quelle évolution voyez-vous ? Quel est l’état de la
prospective ?
A
Catherine Hill est épidémiologiste à
l’Institut Gustave Roussy depuis 2004.
Elle y a dirigé le Service de biostatistique
et d’épidémiologie de 1994 à 2004.
Après un diplôme d’études
approfondies de mathématiques pures
à l’Université de Paris, elle entre en 1971
dans l’unité de biostatistiques de
l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale, puis en 1973 à
l’Institut Gustave Roussy. En 1979-1980,
visiting research fellow à l’Université
d’Harvard. Depuis 1980, elle travaille
dans deux domaines : la recherche
clinique et l’épidémiologie des cancers.
En recherche clinique, étude de la
méthodologie des essais et des métaanalyses d’essais, étude des données de
survie, analyse du premier atelier
international sur le typage des
leucocytes humains par une méthode
d’analyse de cluster d’où l’acronyme CD
pour “clusters de différentiations”.
Catherine Hill est membre de comités de
surveillance d’essais internationaux
dans les maladies cardiovasculaires, le
SIDA et la tuberculose et a été membre
du Conseil scientifique de l’Agence
française de sécurité sanitaire des
produits de santé de 2010 à 2012.
vant
de
faire
de
la
prospective, il est utile de faire
un état des lieux. Le nombre
de cancers augmente mais c’est parce
que la population augmente et vieillit,
or le risque dépend beaucoup de
l’âge. Ainsi, le risque de mourir d’un
cancer est de 10 pour 100 000 à
30 ans, de 100 pour 100 000 à 50 ans,
et de 1 000 pour 100 000 à 70 ans. On
étudie donc les évolutions de la
fréquence des diagnostics de cancer
(appelée incidence) et des décès par
cancer, à taille de population égale et
à âge égal. On observe alors une
importante
augmentation
de
l’incidence des cancers chez les
hommes depuis 1980 jusque vers
1990, et ensuite une nette diminution.
Chez les femmes, l’incidence a
augmenté, puis s’est stabilisée.
Chez l’homme, l’essentiel de
l’augmentation de l’incidence est
expliqué par l’augmentation de
l’incidence du cancer de la prostate,
conséquence d’une pratique abusive
du dépistage, alors qu’il n’est pas
recommandé par les autorités.
Chez les femmes, l’augmentation
de l’incidence est en grande partie
expliquée par les augmentations des
incidences du cancer du sein et du
poumon.
La mortalité par cancer baisse
depuis 1987 chez les hommes. Et donc
dans les années récentes, la mortalité
diminue pour la plupart des cancers,
dont le cancer du poumon (–1 % par
an), du larynx, de la bouche, du
pharynx, et de l’œsophage (–4 %) à
cause de la baisse des consommations
de tabac et d’alcool, du cancer
colorectal (–2 %), de la prostate (–4 %).
En revanche, la mortalité par cancer
du pancréas augmente de 0,3 % par
an.
La mortalité par cancer baisse
depuis 1960 chez les femmes. La
mortalité par cancer du sein baisse de
2 % par an, par cancer du côlon de
2 %, par cancer de l’estomac de 3 %.
Mais la mortalité par cancer du
poumon augmente de 4 % par an.
C’est
la
seule
augmentation
importante constatée.
35
ALAIN DUCARDONNET
En matière de prospective, que
pouvez-vous nous indiquer ?
« La mortalité par cancer
du poumon chez les
femmes va beaucoup
augmenter. »
Catherine Hill
CATHERINE HILL
Dans les années à venir, ces
évolutions vont se poursuivre : les
risques de cancer en 2012 sont les
conséquences des comportements d’il
y a entre vingt et cinquante ans. On ne
voit les résultats de la prévention qu’à
très long terme. À l’inverse, les
perspectives
sont
déjà
très
déterminées sur un long moment.
Ainsi, la mortalité par cancer du
poumon chez les femmes va
beaucoup augmenter quand les
femmes qui sont entrées dans le
tabagisme au début des années 1970
et les femmes plus jeunes vont vieillir.
La prévention du cancer est
possible à condition d’agir sur des
causes importantes. Prévenir le cancer
en agissant sur des facteurs qui ont
peu ou pas d’effet sur le risque
brouille le message, et contribue donc
indirectement à l’augmentation du
risque.
On peut estimer les nombres de
cancers attribuables aux causes
connues et évitables. Le tabac est de
loin la cause évitable du plus grand
nombre de cancers en France. Vient
ensuite l’alcool. Le tabac et l’alcool
sont certainement cancérogènes.
Parmi les cancérogènes probables, on
peut aussi estimer le nombre de
cancers dus à diverses composantes
de l’alimentation. On voit que le tabac
et l’alcool sont de loin les causes de
cancer les plus importantes. Les
messages de prévention ont été peu
clairs, mettant sur le même plan la
consommation de fruits et légumes,
message dont l’efficacité n’est pas
certaine, l’exercice physique, message
pas très efficace, et le tabac dont
l’importance est majeure.
36
Cancer et travail
Dr Gérard Sebaoun
Alain Ducardonnet
Nous avons évoqué dans la première table ronde un certain nombre d’éléments relatifs
à la génétique. Dr Gérard Sebaoun, pourriez-vous nous parler du travail, une notion très
globale, et des pollutions qui s’y associent ?
L
Député du Val-d’Oise depuis 2012, Gérard
Sebaoun est également président du
groupe d’études “Pénibilité du travail,
santé au travail et maladies
professionnelles” et membre du groupe
d’études “Professions de santé et
coordination sanitaire”. De 2008 à 2011, il
a été vice-président du Conseil général du
Val-d’Oise. De 2001 à 2014, il a été
conseiller municipal de Franconville, et de
2004 à 2011 conseiller général du canton.
Diplômé en cardiologie et en médecine du
travail, Gérard Sebaoun est médecin du
travail de profession, il a la cardiologie en
libéral, à l’hôpital, en clinique et en centre
de santé.
e travail, ce n’est pas forcément
la santé, mais les deux sont
intimement liés. Permettez-moi
tout d’abord de revenir sur ce qui a été
dit précédemment. Il est vrai que nous
ne devons pas légiférer sous le coup
de l’émotion ; le temps long et la
réflexion sont ici primordiaux. J’ai
participé, il y a deux ans de cela, au
rendu d’un comité d’experts en
partenariat avec l’Institut Montaigne,
qui avait travaillé sur le PLFSS. Leurs
conclusions m’avaient paru tout à fait
remarquables. Les citoyens qui se sont
récemment penchés sur le problème
de la fin de vie ont également commis
un rendu digne d’intérêt. Nul n’est
obligé de partager leurs conclusions,
mais
les
problèmes
restent
remarquablement posés. Dans les
problèmes qui nous concernent, la
transparence importe et les éventuels
conflits d’intérêts doivent être révélés.
Internet,
enfin,
constitue
un
formidable outil ; mais nous devons
également avoir conscience des
dégâts qu’il peut causer. Je ne partage
pas l’idée que nous, médecins,
puissions tout partager avec le
patient. La médecine française
conserve le principe (relativement aux
Anglo-Saxons) qu’il est des choses que
nous ne pouvons pas dire. La
transparence doit donc être contrôlée.
Les travaux à l’Assemblée se
poursuivent, et certains éléments
nous indiquent qu’entre 14 000 et
30 000 cancers
seraient
potentiellement
d’origine
professionnelle ; c’est considérable.
Vis-à-vis de ce constat, je me suis
attaché à cinq problèmes : 1 – le
nombre d’agents potentiellement
responsables est en augmentation ;
2 – nos outils de mesure ne sont pas
les plus performants, et nous pouvons
les améliorer ; 3 – la loi Santé prévoit
"enfin", dans l’article 1, que la
prévention soit mise au même niveau
que le soin ; 4 – bien des progrès
restent à faire sur le plan législatif et
réglementaire ; 5 – notamment en
termes de reconnaissance (des
expositions aux agents cancérigènes)
et de réparation.
37
Les grandes
orientations
futures
« En cancérologie, c’est
moins le nombre de
médecins qui nous
inquiète que la
localisation des
médecins généralistes. »
Pr Pierre Fumoleau
ALAIN DUCARDONNET
une question à l’attention de
Pierre Fumoleau : la formation des
médecins
généralistes
et
des
professionnels de santé en général se
développe-t-elle dans ce domaine ?
Pr PIERRE FUMOLEAU
Il faut considérer cette question
dans l’ensemble du parcours. En
France, nous sommes plutôt au point,
même si quelques détails pourraient
être amendés. En cancérologie, c’est
moins le nombre de médecins qui
nous inquiète que la localisation des
médecins généralistes. Nous tentons
de travailler au sein du parcours sur les
MSP afin d’être plus attractifs, mais
certains problèmes persistent. Le
législateur devra tôt ou tard se poser
la question de la libre installation ;
c’est un sujet tabou, mais d’une
grande importance si l’on souhaite
résoudre le problème des déserts
médicaux.
La formation paramédicale doit
évoluer et inventer de nouveaux
métiers, tels que celui des infirmières
de coordination. L’évolution de la
cancérologie, dans les années qui
viennent, se tiendra hors des murs de
l’hôpital. Dans ce cadre, les infirmières
de
coordination
deviennent
indispensables, et nous commençons
à les mettre en place. Les pharmaciens
jouent de même un rôle d’importance
en tant que recours des malades
lorsque ces derniers éprouvent des
effets secondaires. Des formations d’elearning commencent à s’élaborer
pour les pharmaciens afin de
répondre à ce besoin.
38
ALAIN DUCARDONNET
Françoise Sellin, quelles sont les
évolutions des relations entre les
soignés et les soignants, et sur quelle
direction devraient-elles s’engager ?
« Je pense que les jeux de
rôle ont leur importance
afin de permettre à un
médecin de se sentir à
l’aise, en particulier dans
l’annonce du
diagnostic. »
Françoise Sellin
FRANÇOISE SELLIN
J’aimerais tout d’abord ajouter
quelques éléments au problème de la
formation. Je pense que les jeux de
rôle ont leur importance afin de
permettre à un médecin de se sentir à
l’aise, en particulier dans l’annonce du
diagnostic. Les jeux de rôle
permettent aux médecins de se
mettre en condition. Ils devraient être
inclus dès le cursus à la faculté, mais
également au sein de la formation
continue.
Pour réagir à votre propos,
Dr Sebaoun,
qui
concernait
la
question de savoir si un médecin doit
tout dire à son patient, j’estime qu’il
nous faut savoir jauger. Nous ne
sommes pas tous égaux vis-à-vis de
telles nouvelles. Toujours est-il que le
patient devrait avoir à sa disposition
son dossier médical.
ALAIN DUCARDONNET
Dr Gérard Sebaoun, comment
évoluent les assurances relativement à
la question du cancer ?
Dr GÉRARD SEBAOUN
Il y a, d’une part, le cancer qui
touche tout individu et, d’autre part, le
cancer que l’on peut relier à l’activité
professionnelle. Du point de vue
assurantiel, une idée se diffuse
aujourd’hui selon laquelle nous
sommes
face
à
un
iceberg
d’incertitudes. William Dab, du CNAM,
avertit par exemple d’une catastrophe
à venir dans les dizaines d’années qui
viennent par rapport au risque
chimique, et donc au nombre de
cancers que nous aurons à traiter
demain. De tels avertissements
doivent être pris en compte. Le milieu
professionnel peine encore à se
mettre au niveau de la réalité des
risques chimiques encourus. Le
problème du cancer se situe dans un
champ de confluence entre des
intérêts multiples et variés. Les
cabines de bronzage, par exemple,
exposent à un risque de mélanome
certain ; mais d’autre part, elles
emploient
entre
20 000
et
25 000 salariés en France. Les risques
de santé et les intérêts économiques
sont
donc
contradictoires.
Le
problème du tabac est similaire.
Comment le politique doit-il trancher
de telles questions ? Faut-il être
conciliant ou bien faut-il agir
drastiquement
en
interdisant
purement et simplement de telles
activités ? Je ne saurais répondre à ces
questions, mais nous devons avoir
conscience de leur actualité.
39
DÉBATS
« La consommation
d’alcool est
particulièrement élevée :
environ deux verres et
demi par individu âgé de
plus de quinze ans
et par jour. »
Catherine Hill
DE LA SALLE
La France est un beau pays : de
nombreux acteurs, dont certains
d’entre vous font partie, ont pris et
prennent encore à bras-le-corps le
problème du cancer. Je vous en
remercie. Cependant, lors du cancer
de ma mère, je n’ai eu que très peu
d’informations
relatives
à
l’accompagnement
quotidien
à
domicile. De plus, les demandes
touchant
au
transport
et
à
l’installation d’une place handicapée
ont été tardivement traitées.
Pr PIERRE FUMOLEAU
Premièrement, nous établissons un
PPS ou Plan personnalisé de soins,
lequel est remis au médecin traitant et
au malade. C’est au malade qu’il
revient de partager ce PPS avec ses
proches.
En ce qui concerne les transports,
votre expérience ne me semble pas
représentative des efforts fournis, de
façon générale, par les soignants et
l’administration.
PHILIP PARIENTE, médecin de
santé publique, ARS Île-de-France
J’ai une question à l’attention de
Catherine Hill. Estimez-vous que si l’on
associait
les
facteurs
majeurs
(alcoolisme et tabagisme) dans le
cadre d’études épidémiologiques, on
constaterait
l’existence
d’une
population à très fort risque, et vis-àvis de laquelle une prévention ou une
information spécifique se ferait
sentir ?
CATHERINE HILL
C’est
une
question
très
intéressante. Je pense que l’idée d’une
partie immergée de l’iceberg, qui
serait la source d’incertitudes sur les
risques encourus, est trompeuse. En
France, plus de 30 % de la population
adulte
fume.
De
plus,
la
consommation
d’alcool
est
particulièrement élevée : environ deux
verres et demi par individu âgé de
plus de quinze ans et par jour ; les
hommes boivent en moyenne trois
fois plus que les femmes, ce qui
signifie que les hommes boivent bien
plus de deux verres et demi par jour.
Or, le risque de cancer augmente
significativement à partir de plus d’un
verre par jour. Ainsi, toutes les
catégories sont touchées par de tels
risques, pas seulement les gros
buveurs et les gros fumeurs.
DE LA SALLE
Que
peuvent
faire
les
parlementaires pour le problème du
tabagisme passif, notamment près des
écoles et des entreprises publiques ?
« Nous avons essayé
d’interdire la possibilité
de fumer dans le
périmètre des
établissements à une
centaine de mètres.
Cependant, dans la loi
française, il n’est pas
possible d’interdire à un
passant d’avoir la liberté
de fumer dans la rue. »
Pr Jean-Louis Touraine
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Nous avons essayé d’interdire la
possibilité de fumer dans le périmètre
des établissements à une centaine de
mètres. Cependant, dans la loi
française, il n’est pas possible
d’interdire à un passant d’avoir la
liberté de fumer dans la rue. Comment
distinguer les élèves ou les
enseignants, qu’il faudrait en effet
dissuader de fumer, et le passant ? De
plus, la législation antitabac se heurte
à de fortes oppositions. La mesure du
paquet neutre, une mesure pourtant
évidente, a mis du temps à se mettre
en place. En Australie, où le paquet
neutre est instauré depuis quelques
années déjà, la population fume deux
fois moins qu’en France grâce à une
multiplicité d’actions pédagogiques
ou contraignantes contre le tabac. Il
importe donc de jouer sur tous les
facteurs à la fois, notamment le prix et
l’image du tabac. Le tabac est
aujourd’hui la première cause de
mortalité évitable. Entre 80 000 et
90 000 Français sont tués chaque
année par suite du tabagisme ; c’est
bien plus que l’addition des morts
causés par les accidents de la route, le
SIDA et l’alcool. Un fumeur sur deux
meurt
prématurément
et
douloureusement des conséquences
de son tabagisme, soit à retardement
(pour
les
cancers),
soit
immédiatement (dans les cas de
maladies cardio-vasculaires). Arrêter
de fumer engendre des effets
bénéfiques immédiats en termes de
risque. La France détient le record
européen du nombre de femmes
enceintes qui fument avec toutes les
conséquences graves que l’on connaît
pour l’enfant à naître. En dépit de
toute l’information préventive, les
comportements ne changent pas.
Nous ne devons pas seulement nous
adresser à la partie rationnelle du
cerveau, mais également à la partie
émotionnelle, celle qui régit le plus les
comportements.
DE LA SALLE
J’aimerais prendre la défense des
patients, car j’estime qu’ils sont trop
peu écoutés. L’histoire de la mère d’un
intervenant précédent, par exemple,
n’a pas été écoutée.
VALÉRIE BOYER
Nous sommes aussi des êtres
humains, des parents, des patients,
parfois des malades. Depuis plus de
vingt ans, la question de la place du
malade est abordée. La place du
malade a aujourd’hui beaucoup
évolué, elle est au cœur même du
système médical. Nous savons tous
qu’il ne faut pas boire, pas fumer, pas
rajouter de sel, de matière grasse, etc.
Pourtant, nous le faisons tous. C’est à
nous qu’il incombe de trouver les
bons messages, les plus pertinents, les
plus écoutés.
Dans le cadre de la prévention
antitabac, les conséquences du
tabagisme sur l’altération physique ne
sont pas suffisamment mises en
avant ; or, c’est un message qui
fonctionne très bien auprès des jeunes
femmes.
FRANÇOIS LAMY, consultant,
Filimage
Le sujet du dossier médical
personnalisé est plusieurs fois revenu
lors de vos discussions. Or, il me
semble qu’il existe un dossier
pharmaceutique universel en France,
et que chaque Français le possède.
41
N’est-il pas possible de passer par ce
moyen ?
« La France détient le
record européen du
nombre de femmes qui
fument. »
Pr Jean-Louis Touraine
JEAN-PIERRE DOOR
La prise en charge doit évoluer vers
un plus grand travail d’équipe au sein
du monde médical. Dans cette
perspective, l’utilisation d’un dossier
médical informatisé est fondamentale.
J’ai ainsi fait voter une loi après avoir
pris connaissance du dispositif DCC
(Dossier
communicant
cancérologique) sur clé USB. La loi
prévoit dorénavant un DMP (Dossier
médical personnalisé) sur clé USB.
Cependant, en dépit de l’accord des
deux chambres parlementaires, cette
loi n’est pas appliquée, elle reste dans
les tiroirs du Ministère depuis trois ou
quatre ans. Nous devons mettre le
patient au cœur du système de soin ;
pour ce faire, l’application de cette loi
serait opportune.
génère des économies. Comment se
fait-il que son utilisation ne soit pas
répandue ? Jusqu’à quand nous
priverons-nous d’un tel dispositif ?
VALÉRIE BOYER
Je crois au DMP, je souscris
totalement à ce que vient de dire mon
collègue. Le DMP sauve des vies et
42
Clôture des
Rencontres
Pr Jean-Louis Touraine
J
e conclurai cette table ronde en
abordant le sujet des droits et
des devoirs des malades. Je
pense que des progrès notables ont
été réalisés dans le domaine des droits
des malades, et il est vrai que nous
partions
de
loin
en
termes
d’informations divulguées et de prise
de décision des malades. Les
gouvernements successifs ont tous
contribué à résoudre ce problème (loi
Kouchner,
loi
d’éducation
thérapeutique du malade, loi de
modernisation du système de santé,
etc.). Ainsi, nous parviendrons à
transformer la dépendance du malade
vis-à-vis du médecin en véritable
partenariat, afin que le patient puisse
prendre des décisions libres et
éclairées. Cela aura pour corollaire une
meilleure observance du traitement.
Effectivement,
en
moyenne,
l’observance thérapeutique du patient
est de l’ordre de 50 % ; c’est assez
effrayant. L’accès au dossier est ici un
point tout à fait important, et il doit
être facilité. La question persiste
cependant de savoir si cet accès doit
être total. Cela pose problème car
certains malades ne veulent pas
connaître l’ensemble des informations
relatives à leur maladie. Une décision
commune, partagée entre le médecin
et le patient, devrait permettre de
résoudre ce problème ; et, si le besoin
s’en faisait sentir, le médecin devrait
avoir la possibilité de conserver
certaines informations, notamment
lorsque persistent des doutes sur les
risques liés à certaines maladies. En
effet, il n’est pas nécessaire d’inquiéter
inutilement le patient.
En 1973, je travaillais dans le plus
grand institut de recherche contre le
cancer de New-York. Nixon avait alors
déclaré que, comme Kennedy avait
projeté la conquête de la Lune dans
un délai de dix ans, lui-même projetait
que, dans dix ans, les États-Unis
auraient vaincu le cancer. À cette
époque, nous avions plus de
financements que nous n’en avions
besoin ; c’était une période bénie où la
43
« En moyenne
l’observance
thérapeutique du patient
est de l’ordre de 50 % ;
c’est assez effrayant. »
Pr Jean-Louis Touraine
recherche se faisait avec des moyens
illimités. En dépit de progrès
indubitables dans des domaines
divers, notamment hors de la
cancérologie stricto sensu car la
recherche
ne
peut
pas
être
efficacement programmée à l’excès, le
cancer n’est pas vaincu. De plus, il est
bien possible que, dans dix ans,
certaines
variétés
de
cancer
demeurent invaincues. Ayons à l’esprit
qu’il s’agit d’un combat de longue
haleine. Le XXème siècle a transformé le
cancer en maladie chronique : il n’est
plus aussi régulièrement mortel, mais
il n’est pas souvent complètement
guéri. Nous devons nous donner des
objectifs plus ambitieux ; notamment
plus de guérisons avec réhabilitation
complète, etc. Certains cancers du foie
étaient gravissimes il y a quelques
années ; ils devinrent par la suite une
maladie
chronique,
et
sont
maintenant complètement prévenus
dans plus de 90 % des cas quand il
s’agit de cancers liés au VHC. En un
mot, il s’agit de transformer des
malades chroniques en patients
guéris. C’est une affaire de médecins,
de chercheurs, de soignants, mais
aussi de la société dans son ensemble.
44
Déjeuner débat
Pr Jacqueline Godet
M
erci à tous. Lorsque l’on m’a
proposé d’ouvrir ce moment
de
convivialité,
j’ai
immédiatement accepté. En effet, la
convivialité et la chaleur sont des armes
contre le cancer, qui sont utilisées dans
les comités départementaux de la Ligue.
Jacqueline Godet, professeur de génétique à
l’Université de Lyon 1, a consacré toute sa
carrière au développement de l’interface
science/médecine dans le domaine de
l’enseignement supérieur et de la recherche.
Spécialiste en génétique humaine, ses
recherches ont porté sur les pathologies
héréditaires du tissu sanguin ou du système
neurosensoriel. Elle a été directrice scientifique
u Département biologie-santé du Ministère de
la recherche, puis directrice scientifique du
Département sciences de la vie du CNRS. Elle
est présidente de la Ligue nationale contre le
cancer depuis 2012, après avoir assuré
pendant 8 ans dans cette association la viceprésidence chargée de la recherche. Viceprésidente du Conseil d’administration de
l’Institut national du cancer, elle a participé
activement à l’élaboration du Plan cancer 3 et
participe actuellement au développement des
3 actions de ce Plan qui ont été confiées à la
Ligue nationale contre le cancer, ainsi qu’au
suivi de la vingtaine d’actions du Plan dans
lesquelles la Ligue est co-pilote ou partenaire.
Après l’expertise exposée ce matin,
j’aimerais vous présenter celle de la Ligue
contre le cancer, c’est-à-dire l’expertise
de la vie. En travaillant sur les enjeux de
santé, de politique et de société autour
du cancer, la Ligue est au contact de la
vraie vie et des vécus grâce à son
maillage territorial très étroit ; pas un
canton en France ne compte pas au
moins un ligueur. Cette situation
particulière lui permet d’agréger des
données et de dresser un panorama
complet de la maladie et de ses
conséquences,
de
lancer
des
expérimentations et de promouvoir de
bonnes pratiques. Grâce à cette emprise
sur le réel, la Ligue initie des réflexions,
dénonce et agit toujours.
La Ligue contre le cancer est une
association indépendante, apolitique et
non confessionnelle, c’est la première
association française en nombre
d’adhérents et le premier financeur
associatif de la recherche contre le
cancer. Ce statut de leader l’oblige à
l’exemplarité et à la responsabilité. C’est
la raison pour laquelle elle a endossé
certaines actions des plans cancer, en
liaison avec le terrain.
Les personnes malades et leurs
proches, les travailleurs sociaux et les
professionnels de santé se posent
également les questions posées ce
matin, et y répondre doit constituer une
priorité pour nous et les députés. Dans ce
contexte de crise, nul ne peut repousser
le débat et l’action, notamment pour
garantir un accès équitable aux thérapies
innovantes, même si elles sont
coûteuses. Pour les 650 000 adhérents de
la Ligue, le coût des traitements ne doit
plus être discuté dans des officines
inaccessibles ; c’est un débat de société.
Dès 1918, Justin Godart, le fondateur
de la Ligue, parlait du cancer comme
d’un "fléau social", affirmation qui chaque
jour se vérifie davantage. La mobilisation
de la société s’impose et la prise de
conscience par les détenteurs de la
souveraineté nationale qui s’est
manifestée ce matin nous réjouit
beaucoup.
Dans cette révolution que nous
connaissons (thérapeutique, numérique,
etc.), il reste encore de nombreux enjeux
à traiter, notamment la protection des
45
« Pour les
650 000 adhérents de la
Ligue, le coût des
traitements ne doit plus
être discuté dans des
officines inaccessibles ;
c’est un débat de société. »
Pr Jacqueline Godet
populations contre le cancer, c’est-à-dire
la politique de prévention. La Ligue
œuvre beaucoup dans ce domaine car
elle considère que c’est une des clés de
l’éradication du cancer à long terme.
Quid d’une politique d’envergure de
lutte contre le tabac et son industrie ?
Quid de l’interdiction définitive de
poisons comme le Bisphénol A ou le
Roundup ?
Le
dépistage
et
l’épidémiologie doivent progresser
également.
Nous souhaitons que la loi de santé
ne soit pas détricotée, en particulier sur le
tabac : le paquet neutre constitue une
avancée et l’opinion publique est déjà
sensibilisée à la résistance des députés à
la pression exercée par les lobbies
industriels. L’intérêt général est pour
nous un souci quotidien, personnifié par
une femme atteinte d’un cancer du
poumon et qui ne peut pas s’occuper de
ses enfants, ou par un agriculteur
souffrant
d’une
maladie
due
probablement à l’exposition aux
pesticides et que nous devons aider
psychologiquement car il ne peut plus
travailler.
Je profite de cette occasion pour
demander que les malades aient le droit
à l’oubli pour effacer le "casier judiciaire
cancer". La Ligue sera vigilante au suivi
de la convention Aéras ; depuis 10 ans,
elle a ouvert un service téléphonique
gratuit pour les personnes cherchant à
obtenir un crédit ou une assurance. Nous
comptons sur les députés pour soutenir
ce travail dans leurs décisions.
Pour lutter contre le cancer, nous
devons
également
penser
aux
générations futures, et l’éducation à la
santé doit faire partie du cursus de
formation. Chaque année, la Ligue
intervient auprès de 150 000 enfants et
adolescents pour les alerter sur les
risques liés au tabac, à l’alcool, au soleil
ou au manque d’activité physique.
Nous devons également permettre
aux femmes de tous horizons d’accéder
au dépistage du cancer du sein ; la Ligue
tend une perche à la Croix Rouge pour
aider les personnes vulnérables à accéder
à ce dépistage.
Je tiens à rappeler que 2016 sera une
année importante dans la lutte contre le
cancer car la Ligue accueillera le Congrès
mondial contre le cancer à Paris au mois
de novembre. À cette occasion, tous les
décideurs mondiaux de la lutte contre le
cancer seront réunis, et les experts
présents aujourd’hui y auront leur place.
La France est un des rares pays à avoir
lancé trois plans cancer consécutifs, une
particularité que l’on nous envie à travers
le monde. Notre pays a les moyens de
hisser la lutte contre le cancer au rang de
priorité absolue. La Ligue croit à
l’instauration d’un cercle vertueux de
lutte mondiale contre le cancer qui laisse
espérer une politique de santé
ambitieuse, juste et porteuse d’espoir.
ARNAUD ROBINET
Dans la lutte contre le tabagisme, je
ne doute pas que les députés remettront
de l’ordre dans la loi qui a été détricotée
au Sénat.
Concernant le paquet neutre,
pourquoi ne pas avoir transposé la
directive européenne, ce qui aurait
permis de gagner du temps ? Et
pourquoi l’industrie pharmaceutique estelle plus taxée que celle du tabac ?
Pr JACQUELINE GODET
Les
directives
européennes
concernant le tabac sont inclues dans
une charte où le paquet neutre ne figure
pas. L’Australie, qui a adopté le paquet
neutre, a été attaquée par Philip Morris,
46
« Lorsque l’on habite à
plus de 50 kilomètres de
Dijon, les frais de
transport sont supérieurs
aux frais de traitement. »
Pr Pierre Fumoleau
c’est dire l’influence de cette industrie. Un
intense lobbying est exercé auprès de la
Commission européenne et auprès de
certaines instances politiques en France.
Nous estimons que l’argumentaire très
astucieux développé par les buralistes a
probablement été préparé par les
industriels du tabac eux-mêmes. Nous
serions très favorables à ce que les
industriels soient taxés sur leur chiffre
d’affaires pour participer à un fonds de
solidarité
de
lutte
contre
les
conséquences de la consommation de
tabac. Cette disposition figure parmi les
propositions du PNRT (Programme
national de réduction du tabagisme)
mais elle semble avoir été refusée par le
Sénat.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Si l’on évolue vers un monde sans
tabac, nous devrions inciter les industriels
du tabac à imaginer un autre futur, une
décroissance et des investissements dans
d’autres activités. Malheureusement, ils
ne sont pas du tout dans cette
dynamique et multiplient leurs actions
de promotion dans les pays non
développés.
Rappelons
que
l’accoutumance grave au tabac naît dès
la 100ème cigarette, c’est-à-dire après
5 paquets.
Malgré les milliards de dollars que leur
coûtent les procédures intentées par les
consommateurs aux États-Unis, les
industriels souhaitent maintenir leurs
activités et leur image dans les pays
développés.
Lorsque nous avons demandé que les
cigares soient taxés autant que les
cigarettes, les sénateurs ont refusé cette
disposition.
CATHERINE HILL
Les cigares sont taxés à 44 % contre
80 % pour les cigarettes.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Heureusement, les taxes sur le tabac à
rouler ont progressé. À chaque nouvelle
hausse de la taxation sur le tabac, des
cigarettes à prix réduit sont lancées en
direction des jeunes. Rappelons que la
taxation ne vise pas à enrichir l’État mais
à dissuader les consommateurs : cela ne
rapporte guère plus de 17 milliards
d’euros alors que le coût sanitaire est de
47 milliards d’euros (120 milliards d’euros
en ajoutant tous les autres coûts).
Malheureusement, l’industrie est très
bien organisée et menace tous les États
qui tentent de s’attaquer à elle.
DOMINIQUE TIAN, député des
Bouches-du-Rhône
J’aimerais rappeler que le nombre de
personnes qui fument ne cesse
d’augmenter, ce qui montre que
l’augmentation déraisonnable du prix
des cigarettes n’est pas la bonne
méthode. Cet échec masque les
insuffisances
des
gouvernements
successifs. Le vrai drame français réside
dans le manque d’éducation au lycée et
au collège sur ce sujet ; l’État ne se donne
aucun moyen pour aider les jeunes dont
le taux de suicide est le plus élevé
d’Europe. Il est inutile d’augmenter le prix
des cigarettes si l’argent récolté ne sert
même pas à informer les jeunes, qui par
ailleurs fument des cigarettes de
mauvaise
qualité
achetées
en
contrebande.
La bonne réponse consisterait à lutter
contre les autres drogues. Ne passons
pas de temps à débattre autour du PLFSS
sur la hausse des taxes sur les cigares et
d’autres mesures de soi-disant santé
publique. La loi de santé est un énorme
échec.
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« Les adolescents sont la
cible d’opérations de
promotion illégales de la
part des industriels du
tabac et de l’alcool. »
Catherine Hill
Pr PIERRE FUMOLEAU
J’aimerais évoquer le lobbying des
ambulanciers : nous ne parvenons pas à
mettre en place des hôtels de malades
qui permettraient d’éviter ces transports,
l’Assurance
maladie
refuse
de
rembourser une nuit d’hôtel à 45 euros
mais accepte de rembourser des frais de
transport pouvant atteindre 500 euros.
Lorsque l’on habite à plus de
50 kilomètres de Dijon, les frais de
transport sont supérieurs aux frais de
traitement. Il conviendrait d’éviter ces
transports aux malades.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Les
transports
vont
être
rigoureusement contrôlés et plafonnés.
La solution des hôtels est une piste
évoquée actuellement. Une mesure
immédiatement efficace consisterait à
donner aux directeurs d’hôpitaux la
somme dépensée en transport pendant
une année sous la forme d’un budget
qu’ils géreraient eux-mêmes, réduisant
progressivement,
selon
toute
vraisemblance, cette dépense dès lors
qu’elle serait incluse dans l’ensemble du
budget de leur établissement.
CLAUDE HURIET, sénateur honoraire
Comme le montre l’opération
« Octobre rose », les femmes sont
favorables au dépistage et à l’acquisition
de matériel de traitement contre le
cancer du sein, mais aucun mot n’a été
prononcé sur le tabagisme des femmes.
Le fait que jamais le terme de
prévention n’ait été prononcé pendant
cette opération cache quelque chose.
Pr PIERRE FUMOLEAU
Si l’on ajoutait à cette manifestation la
cause de la lutte contre le tabac, on
risquerait de brouiller le message.
Octobre rose vise le cancer du sein.
DIDIER BORNICHE, président, Ordre
national des infirmiers (ONI)
Tout passe par l’éducation, c’est
pourquoi les moyens doivent être placés
dans les écoles et les entreprises. Ces
étapes sont extrêmement importantes
afin que les infirmiers et les médecins du
travail puissent être des vecteurs de
diffusion des messages de prévention.
DOMINIQUE TIAN
Le dossier médical personnalisé est
un scandale : il a coûté très cher et
n’existe quasiment pas. Il est scandaleux
de rencontrer tous ces jeunes
déscolarisés qui n’ont jamais été suivis
par un professionnel de santé à l’école.
Discuter lors du débat sur le PLFSS sur
l’interdiction de fumer autour des
établissements scolaires est du temps
perdu : comment une personne
raisonnable peut-elle affirmer que cette
disposition permettrait de lutter
efficacement contre le cancer et le
tabagisme des jeunes ? Ils iraient juste
fumer 50 mètres plus loin…
Pr JACQUELINE GODET
Quid des espaces sans tabac ? À
Strasbourg (et bientôt à Paris et Lyon), les
jardins d’enfants sont interdits au tabac.
L’éducation à la prévention doit
commencer très tôt.
Pr JEAN-LOUIS TOURAINE
Le lieu de propagation du tabagisme
se situe souvent à proximité du collège. Il
faut que les enseignants se cachent pour
fumer. Simone Veil, qui fut la première à
prendre des mesures contre le tabac,
cessa sur-le-champ de se montrer avec
des cigarettes, pour montrer l’exemple.
Les enseignants sont souvent des
modèles et doivent donc être
exemplaires. Je confirme que la
médecine scolaire et la médecine du
travail sont délabrées. Tout ceci montre
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que la prévention a été par trop négligée
jusqu’à maintenant.
CATHERINE HILL
Les adolescents sont la cible
d’opérations de promotion illégales de la
part des industriels du tabac et de
l’alcool.
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!
AVEC LE PARTENARIAT ACADÉMIQUE DE :
AVEC LE SOUTIEN INSTITUTIONNEL DE :
Groupe des
Centres de lutte
contre le cancer
Ouvrage réalisé par
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Tél : 01 44 18 64 60 - Fax : 01 44 18 64 61
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