Annexe
Prix de transfert
dans une entreprise verticalement intégrée
Jusqu’à présent, nous avons étudié les décisions de tarification d’une entreprise en
supposant qu’elle vendait ses produits à un marché externe, c’est-à-dire à des consomma-
teurs ou à d’autres entreprises. Cependant, de nombreuses entreprises sont verticalement
intégrées, c’est-à-dire qu’elles sont constituées de plusieurs divisions, et certaines divi-
sions produisent des parties ou des composants utilisés par d’autres divisions pour la
fabrication du produit final15. Par exemple, les constructeurs automobiles ont des divi-
sions « en amont » qui produisent les moteurs, les freins, les radiateurs et les autres
composants, que les divisions « en aval » assemblent pour fabriquer les voitures (c’est-à-
dire le produit final). Les prix de transfert correspondent à la valeur qui est donnée à
l’intérieur de l’entreprise à ces parties ou ces composants. Les prix de transfert sont
donc les prix internes auxquels les divisions en amont « vendent » les composants ou les
biens intermédiaires aux divisions en aval. Les prix de transfert doivent être fixés correc-
tement, parce que les gestionnaires des différentes divisions les utilisent comme des
signaux pour déterminer les quantités de production.
Dans cette annexe, nous expliquons comment une entreprise qui maximise son profit
doit fixer ses prix de transfert et déterminer les quantités de production de ses différentes
divisions. Nous allons aussi étudier d’autres problèmes posés par l’intégration verticale
des entreprises. Prenons l’exemple d’un fabricant d’ordinateurs dont les divisions en
amont produisent des processeurs qui sont utilisés par les divisions en aval pour fabri-
quer le produit final. S’il existe d’autres entreprises qui produisent des processeurs, le
fabricant verticalement intégré doit-il utiliser uniquement les processeurs fabriqués par
la division en amont ou peut-il décider d’en acheter aussi sur le marché externe ? Et la
division en amont doit-elle produire uniquement des processeurs pour la division en
aval, ou en produire plus et vendre l’excédent sur le marché externe ? Comment une
entreprise doit-elle organiser la coordination entre les divisions en amont et les divisions
en aval ? En particulier, est-il possible de mettre en place un système qui incite chaque
division à prendre des décisions qui vont dans le sens de la maximisation du profit total
de l’entreprise ?
Nous commençons par le cas le plus simple, lorsqu’il n’y a pas de marché externe pour le
composant produit par la division en amont, c’est-à-dire lorsque la division en amont
fabrique un bien qui n’est produit et utilisé par aucune autre entreprise. Nous étudions
ensuite ce qui se passe lorsqu’il existe un marché externe pour la production de la divi-
sion en amont.
15. On dit qu’une firme est horizontalement intégrée lorsqu’elle a plusieurs divisions qui produisent les mêmes biens
ou des biens proches. Beaucoup d’entreprises sont à la fois verticalement et horizontalement intégrées.
Prix de transfert
Prix internes fixés, au sein d’une entreprise, pour la « vente » de parties ou de
composants d’une division en amont à une division en a val.
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482 Partie 3 - Les structures de marché et les stratégies de concurrence
Prix de transfert en l’absence de marché externe
Considérons une entreprise constituée par trois divisions : deux divisions en amont
produisent des biens intermédiaires qui sont utilisés dans la production de la division en
aval. Les deux divisions en amont produisent les quantités Q1 et Q2, pour des coûts
totaux respectifs C(Q1) et C(Q2). La division en aval produit la quantité Q de bien final
avec la technique de production suivante :
Q = f(K, L, Q1, Q2)
K est le stock de capital, L le travail, et Q1 et Q2 les quantités de biens intermédiaires
produites par les divisions en amont. En excluant les coûts des biens intermédiaires Q1 et
Q2, la division en aval a un coût de production total de Cd(Q). La recette totale provenant
de la vente du bien final est R(Q).
Nous supposons qu’il n’y ait pas de marché externe pour les biens intermédiaires Q1 et
Q2 produits par les divisions en amont : ils ne peuvent être utilisés que par la division en
aval. Dans ce cas, l’entreprise doit faire face à deux types de problèmes :
1. Quelles sont les quantités Q1, Q2 et Q qui maximisent le profit ?
2. Est-il possible de mettre en place un système d’incitations qui permette de décentra-
liser la gestion de l’entreprise ? Plus précisément, est-il possible de fixer des prix de
transfert P1 et P2 tels que si chaque division maximise son profit, le profit total de
l’entreprise soit aussi maximisé ?
Pour résoudre ces problèmes, il faut raisonner à partir du profit total :
π(Q) = R(Q) – Cd(Q) – C1(Q1) – C2(Q2)(A11.1)
Quel est le niveau Q1 de production du premier bien intermédiaire qui maximise le
profit ? Le niveau optimal correspond au point où le coût de la dernière unité de Q1
produite est exactement égal à la recette additionnelle générée pour l’entreprise. Le coût
de production d’une unité supplémentaire de Q1 est le coût marginal C1/Q1 = Cm1.
Quelle est la recette supplémentaire générée par la production d’une unité supplémen-
taire de Q1 ? Avec une unité supplémentaire de Q1, l’entreprise peut produire un peu plus
de produit final Q. Plus exactement, elle peut produire Q/Q1 = Pm1 qui correspond à
la productivité marginale de Q1. La production d’une unité supplémentaire de bien final
génère des recettes supplémentaires R/Q = Rm, mais elle entraîne aussi des coûts de
production supplémentaires pour la division en aval, d’un montant Cd/Q = Cmd.
Ainsi, la recette marginale nette NRm1 que l’entreprise tire de la production supplémen-
taire d’une unité de Q1 est égale à (Rm Cmd)Pm1. Le profit est donc maximal lorsque
cette dernière expression est égale au coût marginal de production de Q116.
16. Cette expression peut s’obtenir par le calcul en différenciant l’équation (A11.1) en fonction de Q1 :
dπ/dQ1 = (dR/dQ)(δQ/Q1) – (dCd /dQ)(δQ/Q1) – dC1/dQ1 = (Rm – Cmd)Pm1 – Cm1
En posant dπ/dQ1 = 0 pour maximiser le profit en fonction de Q1, on obtient l’équation (A11.2).
NRm1 = (Rm – Cmd)Pm1 = Cm1(A11.2)
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Annexe 483
Le même raisonnement donne une règle de maximisation équivalente pour le bien inter-
médiaire Q2 :
Il faut bien remarquer d’après les deux équations (A11.2) et (A11.3) qu’il serait faux de
déterminer le niveau optimal de production Q en égalisant la recette marginale avec le
coût marginal de production de la division en aval uniquement, c’est-à-dire en choisis-
sant Rm = Cmd. En effet, ce raisonnement ne prend pas en compte les coûts de produc-
tion des biens intermédiaires. En raisonnant correctement, on trouve que la recette
marginale Rm excède le coût marginal de la division en aval Cmd, parce que les coûts de
production des biens intermédiaires sont positifs. On peut aussi noter que les deux équa-
tions (A11.2) et (A11.3) sont des conditions normales de l’analyse marginaliste : le
niveau de production de chaque division en amont doit correspondre au point où le coût
marginal de production de la division est égal à sa contribution marginale au profit total
de l’entreprise.
Comment déterminer alors les prix de transfert P1 et P2 que devra « payer » la division en
aval pour l’utilisation des biens intermédiaires ? Il faut garder en mémoire que ces prix
doivent être fixés de façon que les décisions de maximisation du profit de chaque divi-
sion (étant donné les prix de transfert) conduisent à la maximisation du profit total de
l’entreprise. Les deux divisions en amont doivent chacune maximiser leurs profits
respectifs π1 et π2 :
π1 = P1Q1C1(Q1)
et :
π2 = P2Q2C2(Q2)
Comme les divisions en aval considèrent les prix P1 et P2 comme donnés, elles vont choi-
sir Q1 et Q2 de façon que P1 = Cm1 et P2= Cm2. De façon équivalente, la division en aval
maximise :
π(Q) = R(Q) – Cd(Q) – P1Q1P2Q2
La division en aval prend aussi les prix P1 et P2 comme donnés et choisit donc d’utiliser
les quantités Q1 et Q2 de façon que :
NRm1 = (Rm – Cmd)Pm1 = P1(A11.4)
et :
NRm2 = (Rm – Cmd)Pm2 = P2(A11.5)
Ainsi, lorsque les prix de transferts P1 et P2 sont égaux aux coûts marginaux de produc-
tion respectifs des biens intermédiaires (P1 = Cm1 et P2 = Cm2), les conditions de maxi-
misation du profit total A11.2 et A11.3 sont satisfaites. L’entreprise peut donc résoudre le
problème de la détermination des prix de transfert : il lui suffit de fixer chaque prix de
transfert égal au coût marginal de production de la division en amont qui produit ce bien.
Ainsi, lorsque chaque division maximise son profit propre, les quantités Q1 et Q2 que les
divisions en amont choisissent de produire correspondent exactement aux quantités que
NRm2 = (Rm – Cmd)Pm2 = Cm2(A11.3)
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484 Partie 3 - Les structures de marché et les stratégies de concurrence
la division en aval décide d’« acheter », et ces décisions conduisent à la maximisation du
profit total de l’entreprise.
Figure A11.1 - L’exemple d’un constructeur automobile
La division en amont doit construire un nombre de moteurs QE de façon que le coût marginal de
production des moteurs CmE soit égal à la recette marginale nette NRmE de l’utilisation des moteurs
par la division en aval. Comme il ne faut qu’un moteur par voiture, NRmE est égale dans cet exemple
à la différence entre la recette marginale tirée de la vente des voitures et le coût marginal
d’assemblage, c’est-à-dire NRmE = Rm – CmA. Le prix de transfert optimal pour les moteurs PM est
égal à leur coût marginal de production. Les voitures, une fois assemblées, sont vendues au prix PA.
Pour mieux comprendre comment une entreprise fixe les prix de transferts, prenons
l’exemple d’un constructeur automobile qui a deux divisions. La division Moteurs est
une division en amont qui produit des moteurs, et la division Assemblage fabrique des
voitures en utilisant les moteurs produits par la division en amont (et d’autres compo-
sants). Sur la figure A11.1, la courbe de recette moyenne RM correspond à la courbe de
demande de voitures adressée au constructeur : cela nous indique que l’entreprise a un
certain pouvoir de monopole sur le marché automobile. CmA est le coût marginal
d’assemblage d’une voiture lorsqu’on dispose déjà du moteur, c’est-à-dire que CmA ne
prend pas en compte le coût marginal de production d’un moteur. Comme il ne faut
qu’un moteur par voiture, la productivité marginale des moteurs est égale à un. Dans ce
cas, la courbe Rm – CmA correspond aussi à la courbe de recette marginale nette pour les
moteurs :
NRmE = (Rm – CmA)PmE = Rm – CmA
Q
NRmE = (Rm CmA)
Quantité
QA = QE
Rm
PA
PE
CmA
RM
CmE
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Annexe 485
Le constructeur détermine la quantité de moteurs (et donc la quantité de voitures) qui
maximise son profit en prenant l’intersection de la courbe de recette marginale nette
pour les moteurs NRmE avec la courbe de coût marginal de production des moteurs
CmE. Après avoir déterminé le nombre optimal de voitures à produire et comme ils
connaissent les fonctions de coût des divisions, les gestionnaires peuvent fixer le prix de
transfert PE des moteurs de façon que le coût de production des moteurs soit correcte-
ment évalué par les différentes divisions. C’est ce prix de transfert qui devrait être utilisé
pour calculer les profits par division (et donc les primes annuelles pour les responsables
des différentes divisions).
Prix de transfert avec marché externe concurrentiel
Supposons maintenant qu’il existe un marché concurrentiel en dehors de l’entreprise
pour le bien intermédiaire produit par la division en amont. Comme ce marché externe
est concurrentiel, il existe un prix de marché unique auquel il est possible d’acheter ou de
vendre le bien. Dans ce cas, le coût marginal du bien intermédiaire est simplement égal à
son prix de marché. Comme le prix de transfert doit être égal au coût marginal, il doit
donc aussi être égal au prix du bien sur le marché concurrentiel.
Pour bien comprendre cela, nous pouvons reprendre l’exemple du constructeur auto-
mobile en supposant qu’il existe un marché concurrentiel pour les moteurs. Si le prix
du marché est bas, le constructeur peut être tenté d’acheter une partie ou même la
totalité des moteurs sur le marché. Si le prix est élevé, il peut au contraire vouloir
vendre des moteurs sur le marché. La figure A11.2 illustre le premier cas. Pour des
quantités inférieures à QE, 1, le coût marginal de production de moteurs par la divi-
sion en aval CmE est inférieur au prix du marché PE, M. Pour des quantités de produc-
tion supérieures à QE, 1, le coût marginal est supérieur au prix du marché. L’entreprise
veut se procurer des moteurs au coût le plus faible, donc jusqu’à la quantité QE, 1, elle
utilise les moteurs produits par la division en amont, et le coût marginal des moteurs
CmE* correspond au coût marginal de production de la division en amont, mais au-
delà de QE, 1, il est égal au prix du marché. On peut remarquer que, dans ce cas, le
constructeur utilise plus de moteurs et produit plus de voitures lorsqu’il peut se four-
nir sur un marché externe concurrentiel. La division Assemblage utilise maintenant
une quantité QE, 2 de moteurs et fabrique le même nombre de voitures. Cependant,
elle n’en « achète » que QE, 1 à la division Moteur et se fournit pour le reste sur le
marché.
Cela peut paraître étrange que le constructeur achète des moteurs sur le marché alors
qu’il peut les produire lui-même. Mais si le constructeur fabriquait tous les moteurs qu’il
utilise, son coût marginal de production des moteurs serait plus élevé que le prix du
marché. Bien qu’une telle stratégie permettrait à la division Moteurs d’augmenter ses
profits, elle ferait baisser le profit total de l’entreprise.
La figure A11.3 illustre le cas où le constructeur décide de vendre des moteurs sur le
marché externe. Nous sommes dans une situation où le prix PE, M des moteurs sur le
marché compétitif est supérieur au prix de transfert que l’entreprise aurait fixé en
l’absence de marché externe. Dans ce cas, bien que la division en amont produise QE, 1
moteurs, la division Assemblage n’en utilise en aval que QE, 2. Le reste de la production de
moteurs est vendu sur le marché externe au prix PE, M.
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