DOSSIER PHOTONIQUE TECHNOLOGIE APPLIQUÉE Michel FAUPEL, Héloïse DUC1 Photonique appliquée aux sciences du vivant, une introduction RÉSUMÉ On entend par biophotonique l’application de l’optique-photonique aux sciences du vivant dans leur ensemble. Les outils issus de la biophotonique permettent non seulement une meilleure compréhension des phénomènes biologiques, notamment des maladies, mais offrent également de nouvelles voies de traitement et de recherche thérapeutique. Les quelques exemples, non exhaustifs, présentés dans cette courte revue permettent de juger de l’impact déjà très concret de la biophotonique sur l’analyse, le diagnostic et la thérapie. MOTS CLÉS Découverte Biophotonique, biopuce, diagnostic, imagerie, microscopie, photonique, thérapie, microscopie Photonics applied to life sciences, a short review SUMMARY The term Biophotonics means the application of optics-photonics to the field of life sciences. Tools steming from biophotonics allow not only a better understanding of biological mechanisms, in particular of diseases, but also offer new ways to treat and to discover innovative therapeutics. The few examples presented in this short review allow one to evaluate the already tangible impact of biophotonics on analysis, diagnostics and therapy. KEYWORDS Biophotonics, biochip, diagnostic, imaging, photonics, therapy, microscopy I – Science et rayonnement au crépuscule du XIXe siècle Le 8 novembre 1895, les rayons X sont découverts. Leur mise en évidence est le fruit des recherches de Wilhelm Conrad Rœntgen. Quelques jours avant sa découverte Roentgen commence à s’intéresser aux effets produits par le passage d’un courant électrique dans des gaz rares, il entoure de carton noir le tube à rayons cathodiques sur lequel il effectue ses recherches et peut alors observer distinctement l’apparition d’une fluorescence sur la plaque de platinocyanure de baryum placée par hasard en face du tube. Le scientifique nomme ces rayons « X » comme l’inconnue des mathématiques... Tout comme la lumière visible, les rayons X sont un rayonnement de type électromagnétique, leur longueur d’onde est comprise entre 1.10-3 et 10 nm. Les rayons X traversent la matière quand celle-ci, placée entre l’ampoule et l’écran, n’a pas trop de con1 32 sistance. Ils ont également la propriété de noircir les plaques photographiques qu’ils atteignent. Cette propriété a rapidement trouvé une application remarquable, la radiologie. De fait, Roentgen réalisa la première radiographie de l’histoire en prenant pour « sujet » la main de son épouse, un cliché qui devait rapidement faire le tour du monde. Pour ses travaux, Roentgen obtiendra le Prix Nobel de Physique six ans après sa découverte. Particulièrement féconde, l’année 1895 devait être marquée par une autre découverte essentielle, celle de la radioactivité par Henri Becquerel. Là encore, la découverte doit beaucoup au hasard. Après avoir mis en contact une plaque photographique avec des sels d’uranium, le physicien s’aperçoit que le support se trouve impressionné même en absence de lumière. Les sels d’uranium apparaissent donc à l’origine d’un rayonnement... Mais si le phénomène commence à être appréhendé, il faudra attendre les travaux de Marie Curie pour qu’il soit désigné sous le nom de radioactivité. Poursuivant cette voie de recherche les Formatis - 48e Herrenstrasse - 4123 allschwil - Suisse – E-Mail : [email protected] SPECTRA ANALYSE n° 250 • Juin - Juillet - Août 2006 Technologie appliquée Photonique appliquée aux sciences du vivant, une introduction époux Curie isolent le radium et le polonium en 1898. Et, en 1903, la découverte de la radioactivité naturelle est récompensée par le prix Nobel de physique décerné conjointement aux époux Curie et à Henri Becquerel. Par la suite, un second prix Nobel, de chimie cette fois, récompensera les recherches de Marie Curie relatives à l’isolement du Radium et du Polonium. Ces travaux trouvent rapidement des applications en chimie, en médecine et en biologie. De nouvelles voies thérapeutiques, ainsi que l’imagerie biomédicale, émergent pour s’imposer au fil des décennies qui suivent comme des progrès majeurs. (IRM),…, couramment employés par les spécialistes de l’imagerie biomédicale. La complémentarité de ces techniques est par ailleurs très bien illustrée par l’imagerie du petit animal (figure 1). Dans le domaine de l’imagerie biomédicale les techniques de tomographie par cohérence optique s’imposent comme une technologie non invasive particulièrement prometteuse. Comparable à l’echographie, cette technique permet de réaliser des images en coupes dans les tissus avec une résolution spatiale remarquable, comprise dans une fourchette de 1 à 10 μm, la profondeur des mesures réalisées reste toutefois encore relativement limitée de l’ordre de quelques millimètres. Une autre technique récemment appliquée à l’analyse des tissus sus- II – Photonique et biophotonique Très rapidement l’utilisation des rayonnements qu’ils soient de nature électromagnétique ou particulaire a constitué un outil de choix dans des domaines extrêmement variés comme notamment l’analyse physico-chimique, l’analyse médicale ou encore la biologie fondamentale. la photonique concerne la création, l’utilisation et la détection de la lumière dans le but de transmettre des informations. Son application dans le domaine des sciences du vivant a donné naissance à une nouvelle discipline : la biophotonique. Aujourd’hui, en phase d’émergence la biophotonique trouve ses principales applications dans le domaine de l’imagerie tissulaire et cellulaire, le développement de techniques d’analyse à fort parallélisme pour l’étude de l’expression des gènes, la mise au point de nouveaux matériaux aux propriétés optiques remarquables comme, par exemple, des fluorophores inorganiques composés de nanocristaux (ou « quantum dots »), et de nouvelles solutions thérapeutiques. III- Les domaines d’application 1. L’analyse en biologie Figure 1 Coupes sagittales, IRM et scanner X, acquises ex vivo d’une souris adulte femelle. a) tomodensitométrique (0,270 mm2 x 0,5 mm d’épaisseur). b) IRM à 0,1 T (0,420 mm2 x 1mm d’épaisseur) c) photographie de la section du cadavre (lame cérébrale). Travaux réalisés au Laboratoire de Biomécanique, Service de Biophysique et Médecine Nucléaire (hôpital de Hautepierre, Strasbourg) afin de réaliser un atlas de corrélation anatomique de la souris. 1.Narine supérieure ; 2. Lèvre supérieure ; 3. Incisive supérieure ; 4. Lèvre inférieure ; 5. Langue ; 6. Palais mou ; 7. Incisive inférieure ; 8. Glande parotide ; 9. Base du cœur ; 10. Paroi antérieur (ventricule gauche) ; 11. Ventricule cardiaque gauche ; 12. Paroi postérieure ; 13. Apex du cœur ; 14. Lobe hépatique médial gauche ; 15. Lobe hépatique latéral gauche ; 16. Estomac ; 17. Peau ; 18. Tube digestif ; 19. Ampoule rectale ; 20. Vagin ; 21. Bulbe olfactif ; 22. Ventricule lateral gauche ; 23. Corps calleux ; 24. Thalamus ; 25. Cervelet ; 26. Côte ; 27. Bronche ; 28 Poumon gauche ; 29. Diaphragme ; 30. Moelle épinière ; 31. Processe mamillaire du lobe hépatique caudal ; 32. Rate ; 33. Corps vertébral d’une vertèbre lombaire ; 34. Palais dur ; 35. Partie Basillaire de l’os occipital ; 36. Clavicule ; 37. Os nasal gauche ; 38. Os frontal gauche ; 39. Os pariétal gauche ; 40. Os intrapariétal ; 41. Ecaille occipitale ; 42. Atlas et axis ; 43. 1er côte ; 44. Articulation vertébro-cosatale de la seconde côte ; 45. 1er vertèbre lombaire ; 46. Canal médullaire ; 47. Processus épineux de la 7ème vertèbre lombaire ; 48. Espace intervertébral lombaire (7-8) ; 49. Corps vertébral de la 8ème vertèbre lombaire ; 50 Vertèbre caudale. Contact : Philippe. [email protected] REMERCIEMENTS Cet article a été réalisé dans le cadre du programme Interreg IIIA Rhenaphotonics. Nous remercions les réseaux Rhenaphotonics Alsace et Optics Valley pour leur soutien et leur implication dans le développement de la biophotonique en France et en Europe. On trouve dans cet ensemble un vaste panel de techniques de visualisation et d’imagerie dont les champs d’application vont de l’organisme entier jusqu’aux organites voire aux molécules des cellules. Dans ce domaine le développement de nouvelles techniques de microscopie optique joue un rôle fondamental. La microscopie de fluorescence à 2 photons ou microscopie biphotonique, constitue un outil de choix pour sonder en profondeur des tissus biologiques. Reposant sur l’excitation d’un chromophore par l’interaction simultanée de 2 (ou 3) photons, elle se révèle également beaucoup moins « toxique » pour le matériel observé et permet une étude précise de phénomènes dynamiques et l’analyse de cinétique in vivo. Autre technique de pointe, la microscopie 3D à déconvolution permet de contourner les limitations de la microscopie classique et d’obtenir des images de qualité supérieure grâce à l’utilisation d’algorithmes de traitement de l’image. Au niveau des organes et des tissus, les techniques d’imagerie optique constituent aujourd’hui un domaine en plein essor qui vient compléter la batterie d’outils, rayons X, imagerie par résonance magnétique SPECTRA ANALYSE n° 250 • Juin - Juillet - Août 2006 33 DOSSIER SPECTROMÉTRIE DE MASSE TECHNOLOGIE APPLIQUÉE Figure 2 Biophotonique et imagerie par spectrometrique de masse. Un laser vient frapper un tissu, les peptides résultants de ce choc sont instantanément analysés par spectrométrie de masse et un logiciel d’imagerie recompose le positionnement sur le tissu. Communication : Michel Faupel, Tatiana Rohner. cite également aujourd’hui de plus en plus d’intérêts : la spectrométrie de masse (figure 2). Sa capacité à permettre l’analyse rapide de mélanges de composés complexes la positionne avantageusement par rapport à des techniques d’imagerie in vivo comme l’IRM ou la tomographie par émission de positrons (TEP). Dans le domaine des biopuces, puces à ADN, puces à protéines, laboratoires sur puce, la photonique joue un rôle majeur à plusieurs niveaux : le développement de nouveaux matériaux supports aux propriétés optiques améliorées, la mise au point de technique de fabrication et l’amélioration de la détection des réactions étudiées sur ces puces. Concernant la détection sur les puces à ADN, la très grande majorité des systèmes aujourd’hui mis en œuvre implique le marquage des molécules étudiées, le plus souvent au moyen d’un fluorophore. La détection de la réaction d’hybridation est ensuite réalisée par une lecture optique de la surface de la puce en imagerie de fluorescence. Bien que très éprouvée et caractérisée par une très grande sensibilité cette approche rencontre un certain nombre de limites. L’étape de marquage alourdit le protocole et ne permet pas un suivi en temps réel de la réaction et, par ailleurs, seule une part minime du signal de fluorescence se trouve effectivement mesurée en raison, notamment, de l’absorption due au support, le plus souvent en verre, sur lequel sont greffées les sondes. Ces types de problèmes suscitent aujourd’hui d’importants efforts de recherche dans les secteurs académiques et privés. Dans le domaine de l’optique-photonique, ces recherches se focalisent, par exemple, sur l’optimisation des propriétés optiques des substrats et la mise au point de techniques de détection sans marquage. Dans ce dernier domaine les principales technologies développées se fondent sur la mise en œuvre des ondes évanescentes (résonance plasmonique de surface, guide d’onde planaire) et exploitent la mesure de la variation de l’indice de réfraction causée à la surface de la puce par les phénomènes biologiques étudiés. 2. Outils thérapeutiques et diagnostics Si la photonique constitue une discipline d’intérêt majeure pour la recherche fondamentale en biologie, elle ouvre également la voie à la mise au point de dispositif de diagnostic à visée biomédicale. Ainsi, à côté des techniques d’imagerie précédemment évoqué, la photonique et l’optoélectronique joue également un rôle essentiel dans le développement de biopuces destinées 34 SPECTRA ANALYSE n° 250 • Juin - Juillet - Août 2006 à permettre un diagnostic rapide avec un minimum de manipulation, réalisable au chevet du patient ou sur le terrain. Concernant le domaine de la thérapie, les deux applications majeures de la biophotonique s’appuient sur l’utilisation des lasers médicaux et la photothérapie dynamique. Aujourd’hui, les indications des lasers dans le domaine médicale concernent une dizaine de disciplines parmi lesquelles on retiendra principalement l’ophtalmologie, la médecine dentaire, la dermatologie et la chirurgie esthétique. A côté de ces applications désormais classiques, on assiste également au développement de l’utilisation de lasers de plus faible puissance pour le diagnostic médical. Un des principaux avantages de ce type d’approche repose bien évidemment sur la nature non ionisante du rayonnement mis en œuvre. On citera parmi les applications ayant déjà fait la démonstration clinique de leur intérêt la mesure de l’oxygénation des tissus et la détection de certaines tumeurs. La photothérapie dynamique permet de détruire de façon sélective des tissus malades. Elle repose sur l’administration d’un composé photosensibilisant susceptible de se concentrer au niveau des zones que le thérapeute cherche à détruire. L’illumination de ces tissus par un rayonnement de longueur d’onde adaptée au spectre d’absorption de la substance photosensibilisante conduit à l’excitation de celle-ci puis à un transfert d’énergie vers l’oxygène moléculaire environnant. Il en résulte la formation d’espèces d’oxygène réactif susceptibles de détruire les tissus malades. Cette approche thérapeutique trouve aujourd’hui ses principales applications en cancérologie, dermatologie et ophtalmologie. Dans ce dernier domaine, elle peut être utilisée pour le traitement de la forme exsudative de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). V – Conclusions Cette revue des applications de la photonique aux domaines des sciences du vivant ne couvre qu’un très petit nombre des différents champs technologiques dans lesquels cette discipline a aujourd’hui sa place. Une des caractéristiques les plus frappantes de la biophotonique est certainement sa très grande transversalité. Il s’agit d’une « discipline de convergence » dans laquelle s’associent, l’optoélectronique, la microélectronique, les technologies de l’information et de la communication,…, et la biologie. D’un côté, son développement nécessite la mise en commun du savoir de communautés scientifiques diverses et, de l’autre, elle intervient dans un très large spectre d’applications de l’analyse à la thérapie. Mais si la biophotonique est très certainement appelée à jouer un rôle majeur dans le domaine de la biologie fondamentale et de la biomédecine, elle trouve également de nombreuses applications dans d’autres domaines : l’agroalimentaire, l’agronomie, l’environnement et même le stockage de l’information. Un exemple : le développement de mémoires holographiques qui tirent parti de propriétés de certaines protéines animales…une belle illustration de l’intérêt d’associer la photonique à la biologie.