Préambule
Colloque Interculturalité et soin le 20 novembre 2014, intervention de Gabriel URIBELARREA,
doctorant en sociologie et Aurélie BONNEAUD, assistante sociale, « Intercompréhension et
reconnaissance dans l’accompagnement aux soins des personnes sans domicile - l’exemple de
l’équipe mobile du Réseau Social Rue Hôpital ».
« Mr Scargo, 40 ans, est polonais et ne parle pas français même s’il comprend certains mots. Il
parle un peu l’anglais. Je ne parle pas le polonais. Nous communiquons dans un mélange de
français, d’anglais, d’écritures et de dessins. Il y a 4 mois, Mr Scargo s’est fracturé le poignet.
Après avoir écourté son séjour aux Lits Halte Soins Santé où je l’avais orienté, il est reparti
dans la rue. Accompagné par une collègue du Samu Social, il a pu retirer son plâtre aux
urgences. Deux semaines plus tard, nous partons en maraude à sa recherche. Nous le retrouvons
à une station de tramway. Nous remarquons d’emblée l’aspect de son poignet : gonflé, tordu. Il
nous confirme que c’est douloureux et par des gestes nous fait comprendre que « ça le lance ».
Il a eu mal toute la nuit. Il précise qu’il n’est pas tombé. Nous commençons à lui expliquer qu’il
faut qu’il montre son poignet à un médecin. Il refuse catégoriquement. Nous commençons à
négocier en lui expliquant qu’il « ne peut pas rester comme ça, à avoir mal ». (…) Mr Scargo
me fait signe de la tête « non pas hôpital », « pas dormir hôpital ». Nous lui expliquons qu’il
ne sera pas contraint de rester dormir s’il ne le souhaite pas. « Hôpital not good, not good »,
lâche-t-il bruyamment en faisant des grands « non » de son bras encore valide. Essayant de
désamorcer la tension émanant de ce refus catégorique je lance : « I’m working in this hospital,
there’s good people too ». Il rit et acquiesce. Il acceptera finalement d’être accompagné aux
urgences. »
Avant de commencer cette recherche, l’interprétariat dans le soin n’était pas un domaine
totalement « étranger » pour moi. Dans ma pratique professionnelle d’assistante sociale, j’ai
travaillé auprès de personnes ne maîtrisant pas la langue française dans différentes situations et
suivant différentes missions (accompagnement aux soins de personnes « sans abris », aide au
récit dans la demande d’asile, entretien social, etc.). Il m’est arrivé d’accompagner des
personnes dans des consultations médicales et je me suis trouvée en position de « tiers », ayant
pour rôle d’expliquer le soin au patient et le « social » au médecin pour que celui-ci adapte le
soin aux conditions de vies du patient.
Au fil de ces expériences, j’ai pu rencontrer une diversité des formes d’interprétariat
possible (professionnels, personnels soignants bilingues, membre de la famille, compatriote au
téléphone, etc.) et mobiliser les différents outils de traduction informatique (« tradumed »,
« Google trad », etc.) dont j’ai toujours une des applications sur mon téléphone. J’ai aussi connu
les nombreuses « galères » de l’interprétariat par téléphone, que je mobilisais souvent dans les
situations d’urgences (mettre à l’abri une femme victime de violence conjugale, accueillir un
mineur isolé étranger, etc.).