signification de la notion de culture

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SIGNIFICATION DE LA NOTION DE CULTURE
Jean-Marie HEINRICH
Préalable :
Je parlerai ce soir à partir de la philosophie plutôt que de la
psychanalyse. Il y a pour moi complémentarité (au sens de Devereux !) et
tension entre ces deux disciplines, une tension qui se manifeste plus
particulièrement dans les questions relatives à la culture.
En premier lieu, on pourrait dire que l'exigence du sens anime de part en
part le discours philosophique ; à quoi s'oppose l'expérience de l'absence de
sens au cours de la pratique analytique. Or la culture est le lieu humain où la
question du sens se manifeste.
En second lieu, on peut remarquer (et personne ne s'en est privé) que la
thèse de la primauté du signifiant, de la priorité du discours, du "sujet de
l'inconscient", représente un défi considérable, voire une mise en question
radicale de l'entreprise philosophique. Freud est très net là-dessus. Et
pourtant, nous pouvons tous constater le retour constant, insistant de la
question fondatrice de la philosophie, à savoir la question de l'éthique, dans la
mouvance analytique. Il se trouve que la question de l'ethos - de la manière
d'être, sinon de se conduire - est un moment essentiel de la culture et, comme
le montrait déjà Aristote, bien plus que Socrate-Platon, elle ne peut être
discutée qu'en référence à une/des culture(s).
En troisième lieu, enfin, il va de soi que la pratique analytique, (la
clinique, la thérapie), se présente comme une expérience autonome, sui
generis, échappant bien sûr à toute juridiction philosophique, constituant le
point d'appui décisif pour la théorie. Néanmoins, celle-ci, la théorie analytique
- se trouve utiliser des procédés de conceptualisation, d'argumentation, de
raisonnement qu'aucune prétention, qu'aucune pétition de principe ne peuvent
de manière décisive, définitive, soustraire à l'examen réflexif qui caractérise
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la démarche philosophique, ni à la critique épistémologique, si d'aventure la
psychanalyse se prétendait science. Autrement dit, le discours
psychanalytique lui-même, comme Pierre Lagarde l'a montré à propos de
l'individu Freud", s'inscrit dans le champs de la culture, de "notre" culture,
tout comme le discours philosophique.
Conséquence :
J'ai dit que je parlerai à partir de la philosophie, c'est-à-dire de son style,
de ses procédures, ce qui ne veut pas dire que je proposerai une philosophie
de la culture. Pas plus que je ne vous présenterai un abrégé de la théorie
freudienne de la culture, dont vous pouvez trouver un échantillon dans
"l'histoire de la philosophie" dirigée par François Chatelet, à savoir l'article de
Pierre Kaufmann dans le Tome IV, "la philosophie au XXè siècle" dans la
version de poche Marabout Université, p. 314. Ni une théorie quelconque de
la culture, d'ailleurs. Une telle théorie prétend rendre compte d'un ensemble
de phénomènes, de leurs origines et éventuellement de leur sens (de leur
portée : de leur orientation, de leur signification humaine), ce qui est le cas
pour la théorie freudienne de la culture.
Il se trouve que chez Freud la notion de culture employée comme telle
(Kultur - avec les inévitables problèmes de traduction) ou simplement
évoquée, n'est pas "déconstruite" comme telle. Ce qui, bien sûr, n'est pas sans
problème. Elle apparaît à l'occasion d'études indépendantes les unes par
rapport aux autres (à l'intérieur du cadre unitaire de sa pensée et de sa
recherche, bien sûr) portant sur des phénomènes tels que la moralité
(Sittlichkeit), le totémisme, les mythes et folklores, la religion, la sculpture ou
la peinture, la Dichtung, l'institution (l'armée ou l'église), etc... Il me semble
que Freud obtienne des résultats partiels, plus ou moins satisfaisants, sans
couvrir cependant la totalité du champ dénoté par la notion de culture (par
exemple, et il faudra y revenir dans notre travail ultérieur, sa conception de la
religion ne prend guère en compte les phénomènes religieux, parfois très
spécifiques, hors de la sphère judéo-chrétienne).
Projet :
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C'est donc ce champ que je vais essayer de baliser dans son ensemble en
essayant de parcourir et d'ordonner les différentes significations de ce terme.
Il ne s'agit pas d'examiner les 150 ou n définitions évoquées par Bertrand Piret
dans son ouverture du séminaire. Mais simplement de montrer des couches de
significations différentes du terme, provenant souvent de régions différentes
du savoir, de périodes différentes du discours sur l'homme, lesquelles dans
nos débats et même dans nos réflexions ont tendance à s'enchevêtrer, à
s'emmêler, à produire des glissements de sens permanents dans les
argumentations en présence.
Je vais donc me livrer à ce que j'appellerai un grano salis, une "offre de
clarté sémantique", sachant fort bien par ailleurs qu'elle ne saurait être plus
qu'un moment dans la fluidité du débat vivant.
Plan :
Je présenterai quatre acceptions, quatre significations fondamentales du
terme "culture", selon les champs – sémantiques, disciplinaires - dont elles
sont issues, en allant de la plus générale à la plus particulière, de l'extension la
plus vaste à la plus réduite. Extension se rapportant aux humains, êtres de
culture, porteurs, producteurs acteurs de la culture ; on peut envisager ainsi
l'homme comme espèce (biologique, non animale), l'homme comme société,
(« l'être humain » envisagé comme groupes, auteurs de pratiques collectives,
informées par des rapports sociaux objectifs, c'est-à-dire indépendants des
individus qui les mettent en acte) et enfin l'homme comme individu, lequel,
Pierre Lagarde nous l'a montré à propos de Freud, est loin d'être un.
1. L'anthropologie, qui se place du point de vue de l'espèce nous
présente le concept le plus extensif de la culture envisagée alors
comme forme ou comme produit spécifique (c'est-à-dire par
opposition à la vie "sociale" ou agrégative animale) de la vie sociale
humaine et de l'insertion de cette espèce dans la nature.
2. Les sciences historiques et sociologiques proposent souvent une
conception plus restreinte visant à rendre compte des différences
entre les peuples, les sociétés, les ethnies, les groupes sociaux à
l'intérieur de structures communes de nature économique ou
politique.
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3. Les philosophies de la culture mettent l'accent sur ce que la tradition
allemande appelle les "productions de l'esprit", c'est-à-dire les
élaborations spirituelles dans lesquelles se reconnaissent des groupes
humains même ou parce qu'elles sont en partie des créations
d'individualités (ainsi les œuvres artistiques, les croyances
religieuses, les constructions scientifiques, les discours
philosophiques).
4. Une conception à la fois populaire et pédagogique, dérivée de la
grande tradition humaniste, fait de la culture (plaisamment nommée
"générale" parfois) un acquis individuel, fleuron de l'éducation,
contribuant éminemment à la formation même de l'individualité (la
Bildung).
I. Définition anthropologique de la culture
Le terme désigne ici l'ensemble des procédés artificiels utilisés (et
inventés) par les hommes par opposition aux processus naturels dont ils sont
l'objet ou auxquels ils sont confrontés.
A l'échelle des individus, la culture tend alors à se confondre avec tout ce
qui est acquis (par opposition à l'inné, les déterminismes, facteurs,
prédispositions biologiques), et donc produit par les interactions humaines ;
au-delà des individus, le concept de culture se rapproche dans ce cas du
concept même de société, entendu non pas seulement comme ensemble
d'individus (ou même en un sens plus sociologique, ensemble de groupes
sociaux, cf. Comte, Durckheim), mais comme "sujet" d'un processus de
reproduction, d'une dynamique de transmission/ innovation de pratiques
collectives et de rapports humains.
Cette conception de la culture repose sur une opposition philosophique
ancienne (et bien sûr, modifiée, déplacée dans l'histoire des représentations,
mais toujours présente), celle entre la nature, le naturel et la convention,
l'artificiel (entre le "physéi" et le "théséi" – « ce qui est posé, ce qui pouvait
ne pas être »), entre le "physique" et le "légal" chez les Grecs (physis /nomos
- "ce qui est de l'ordre de la loi "). Opposition qui structure la pensée et le
débat entre les sophistes, les socratiques, les cyniques les cyrénaïques, qui
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apportent autant de réponses neuves à la question du "comment vivre ?", au
problème de l'émergence de l'individualité. La préhistoire du concept
anthropologique de la culture se joue sur le terrain du relativisme, de la
critique des traditions, de ce qui paraissait acquis, justement..
Deux conditions sont nécessaires à la "dénaturalisation" de l'existence
humaine sur le plan mental :
- la vie urbaine, la ville commerciale (qui n'est plus simplement place
forte ou lieu du culte), point de convergence pour les Grecs mais
aussi point de jonction avec les autres civilisations, non grecques,
- la vie politique plus spécifiquement grecque, élément de
différenciation face aux Barbares, source de problèmes, de conflits,
occasion de réflexions.
La ville comme milieu artificiel, oikos typiquement humain est
thématisée comme cité, c'est-à-dire permet la prise de conscience de l'autoorganisation de la société, de son "institution imaginaire", comme dirait
Castoriadis. Il n'est pas inutile de rappeler que cette découverte de la culture
(avant sa conceptualisation) va de pair chez les sophistes et les socratiques
avec une intense réflexion sur le langage.
Cette distinction philosophique sera reprise au siècle des Lumières
comme distinction anthropologique, à partir d'une interrogation renouvelée
sur la nature humaine, l'homme naturel, l'état de nature, le droit naturel, à la
suite de la déchristianisation, de la laïcisation rationaliste à la recherche de
fondements, interrogation qui fera découvrir, paradoxalement... la culture.
Cependant, le culturalisme anthropologique se construit aussi en rupture
avec cette traduction philosophique, rupture qui s'appuie sur une étude qui se
veut positive des sociétés différentes, malgré la tentation (et les tentatives)
permanente des constructions théoriques, des fictions génétiques (dont Freud
n'a pas l'exclusive). Cette rupture se fera aussi contre les centres d'intérêt
majeurs du XIXè siècle philosophique, celui de la naissance des sciences de
l'homme : à savoir l'histoire et la société (en l'occurrence, les sociétés
occidentales avec leur dynamique économique, politique, "spirituelle",
comme disaient les Allemands).
Il faudra, au tournant du siècle, le décentrement ethnologique - lié à la
colonisation, aux dernières explorations, aux premiers ethnocides, notamment
aux USA - pour construire ce concept général de la culture, c'est-à-dire le
détour par l'étude positive (méticuleuse, pointilliste : l'ethno-graphie, la mise
en friche des peuples !) des sociétés "primitives", qui ne sont plus
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appréhendées comme des "sauvages", mais situées comme radicalement
"autres" des sociétés occidentales ; autrement dit, ces sociétés, objet de
l'ethnologie de terrain naissante (Boas, Spencer, Malinowski) ne sont plus
saisies comme simplement retardées, "féodales", sous-développées comme les
Arabes, Chinois, Indiens, Turcs, Perses... etc., contemporains, supposés
bloqués à un stade d'évolution, mais conçues comme obéissant à une logique
propre ("leur" culture).
Cette altérité de ces sociétés est réelle en un sens, même si ce n'est pas
vraiment l'anthropologie qui l'a portée au concept, perdue qu'elle était entre la
description des détails et la généralisation fonctionnaliste (plus tard
structuraliste). Elle est celle de sociétés communautaires, marquées par
l'absence de classes, d'Etat, d'écriture (ce qui a fait dire aussi : l'absence
d'histoire, d'historicité ; cf. L'opposition sociétés froides /sociétés chaudes
chez Lévi-Strauss). Cette opposition est conceptualisée par un sociologue
allemand, Tönnies, en terme de Gemeinschaft/Gesellschaft, à laquelle je
préfère substituer pour ma part l'opposition communauté/collectivité, société
communautaire/société collectiviste, soit deux espèces du même genre. (Ces
sociétés collectivistes - ce que Marx appelle les sociétés de classe - étant en
fait fragmentées et hiérarchisées et, du coup, se présentent moins comme
"culture". J'y reviendrai en dégageant les significations plus particulières du
terme). Il importe donc de constater que les anthropologues, en parlant de
culture, en assimilant culture et société, le font en référence à ces sociétés
communautaires, même s'ils prétendent à la généralisation et à la
comparaison. C'est aussi vers ce type de sociétés que se sont tournés ceux qui
visaient à vérifier sur le terrain, l'universalité des thèses freudiennes, qu'ils
soient ethnologues (Malinowski) ou psychanalystes (Roheim, Devereux)
Ce qui était visé au-delà de cette vérification, c'était une "théorie
générale de la culture" (l'expression est de Malinowski encore). Dans cette
conception dite justement "culturaliste" ou fonctionnaliste, la culture, c'est-àdire chaque culture singulière d'une société donnée remplit de manière
particulière, originale un certain nombre de fonctions (nécessaires,
générales...), voire, satisfait un certain nombre de besoins naturels !
La culture est donc conçue comme une réponse à la nature, réponse
légitime dans sa diversité, légitimée par son efficacité. Et non plus, comme
une opposition, une objection, comme chez les Grecs. En effet, dans cette
conception, l'homme éprouve des « stimuli naturels » : (besoins du corps) et
subit des pressions naturelles (celles de son milieu : climat, végétation,
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animaux, phénomènes physiques). Il y répond par un ensemble de pratiques
inventées et apprises (travail, organisation, magie, religion...) au cours
desquelles il utilise un ensemble d'objets artificiels (moyens de production,
moyens de communication, objets sacrés, etc...). Ces pratiques sont
transmises de génération en génération dans la mesure où elles sont codées,
c'est-à-dire fixées par des règles et liées à des symboles. La culture d'un
peuple est alors formée de l'ensemble de ces pratiques, des objets utilisés et
des codes qui les reproduisent : arts, techniques, institutions, langages,
manières de table, technique du corps, sports, etc... Ainsi l'accent est surtout
mis sur la cohérence et la cohésion de cet ensemble culturel, sur l'imbrication
de ses parties, leur interaction et leur interdépendance, ce qui reflète bien ce
qui se passe dans les sociétés communautaires, ce qui ne saurait manquer
d'avoir des effets sur le mode de structuration des individualités.
Au contraire, les sociétés collectivistes, nous l'avons vu, se caractérisent
plus ou moins par la fragmentation, par l'autonomisation des activités, des
secteurs, des niveaux, ce qui se remarque dans leur étude aussi. Dans ces
sociétés plus complexes, objets privilégiés des sciences historiques et
sociales, la culture ne sera plus conçue que comme un niveau de pratiques
collectives. D'où :
II. La définition socio-historique de la culture.
La sociologie tend à rendre compte des "mécanismes", des structures et
des éléments généraux de la reproduction sociale, à partir de l'étude des
sociétés présentes, ou mieux, "actuelles". En quoi elle s'oppose aux sciences
historiques qui visent les variantes et les variations, les distinctions et les
différences, dans une perspective certes pendant longtemps évolutionniste,
mais aussi à partir de la recherche des discontinuités, des ruptures.
D'autre part, la sociologie entre en concurrence avec d'autres sciences
"humaines", en premier chef les sciences économique et politique ; au-delà les
sciences des "productions de l'esprit", comme dirait Hegel (la philologie,
l'esthétique, l'épistémologie, la sémiologie, etc.).
Cette situation est en partie ontologisée dans la conception marxiste de la
société, en termes de base économique, de structures sociales et de
superstructures politiques et idéologiques, conçus comme éléments
autonomes (relativement) et articulés constituant "la" société (pour une
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version "dure" de cette conception, consultez Althusser !). Mais, même si elle
n'est pas marxiste, la sociologie retient de ce schéma (et postule par là même)
une certaine autonomie du social, dont la culture sera un aspect.
Aussi, on peut dire que cette deuxième conception de la culture naît de la
tension et de la complémentarité entre l'approche sociologique et l'approche
historique. Ici, la culture est la forme de différenciation d'une société par
rapport à une autre. Le concept se rapproche ici du concept de civilisation : la
culture est ce qui permet de distinguer la société française de la société
allemande, italienne ou encore la société arabe de la société européenne. Pour
cela, on fait abstraction de ce que les sociétés peuvent avoir en commun :
l'organisation économique (et des techniques de production), le système
politique (l'Etat) et les institutions...
Ce dernier aspect devient de plus en plus prégnant avec la mondialisation
des technologies, de l'organisation capitaliste de la production, des formes et
des institutions étatiques, juridiques, du modèle urbain... Ce qui souligne
d'autant plus par contraste, ce résidu que tend à devenir la culture comme
forme de différenciation, et celle-ci peut du coup donner occasion à des
crispations identitaires, en particulier dans les sociétés "métissées" où la
fragmentation sociale recoupe la confrontation pluri-culturelle. Ce qui peut
éventuellement soutenir quelques illusions dont nous pouvons mesurer les
effets jusque dans les psychothérapies, peut-être.
Quelles sont alors les champs de ces différences que l'on peut observer
entre deux sociétés (mais aussi entre deux ethnies, peuples ou même groupes
sociaux) ?
La culture conçue dans ce sens plus restreint se compose alors de deux
groupes d'éléments en interaction :
A. La culture du quotidien, c'est-à-dire un mode de vie particulier. Il se
définit par :
A.A. Les mœurs, c'est-à-dire les habitudes, les usages qui sont autant de
solutions aux problèmes immédiats de l'existence. Ex.: types de vêtements,
hygiène, manières de table, attitudes sexuelles, éducation, etc.
A.B. Les mentalités, c'est-à-dire les attitudes mentales communes, les
traits psychologiques partagés, les croyances collectives, les idées reçues, les
préjugés.
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A.C. Les coutumes, c'est-à-dire les règles sociales de conduite vis-à-vis
des autres. (Ex. politesse, dons, fêtes...) en tant qu'elles échappent à la
codification juridique, au pouvoir politique.
A.D. Les normes, c'est-à-dire les types idéaux de comportements
valorisés par le groupe. Ex. la réussite, la carrière, la paternité, la maternité...
l'héroïsme guerrier.
B. Les systèmes de symboles qui donnent un sens à ce mode de vie et
expriment l'image que la société se fait d'elle-même, image dans laquelle
chaque membre se reconnaît plus ou moins. Ils constituent ce qu'on a appelé
le "ciment social", (Gurvitch), la "Weltanschauung", (Dilthey). Le symbole se
présente ici comme l'association sociale particulière d'un support concret
(objet, image, mot) et d'une signification abstraite, qui possède une charge
affective, émotionnelle, voire un "potentiel de sacré" (ex. : un drapeau), et qui
renvoie à de multiples autres significations. Cela implique qu'on ne peut isoler
un symbole, mais qu'il faut étudier des systèmes symboliques.
Ces symboles sont en interaction étroite avec les représentations d'une
société. Ils s'en distinguent cependant par leur caractère plus "matériel", plus
repérable, par opposition aux représentations qui sont plus fluides, plus
"mentales" (repérées surtout par leurs effets sur le discours) : par rapport au
discours social commun, les systèmes symboliques sont des cristallisations
alors que les ensembles de représentations fonctionnent plutôt comme des
champs de force, non-"visibles", non-conscients, mais détectables par leurs
effets de polarisation. Ces représentations désignent les noyaux d'idées
communs, collectifs, autour desquels se forment des discours individuels
(dans ce qu'ils ont de moins subjectif, bien sûr!), qui rendent possible une
certaine compréhension mutuelle, une certaine communication au-delà des
seules significations linguistiques - tout en agissant comme un prisme
déformant, en faisant "voir le monde" d'une certaine manière, (encore la
Weltanschauung).
On peut étudier les systèmes symboliques en fonction de leur production
sociale ; dans la société actuelle on peut distinguer trois grands facteurs de
production symbolique :
B.A. Le langage : dans toute société - et donc dans la nôtre - une part
des symboles émerge du discours social commun, qui représente la forme
fondamentale d'utilisation du langage dans une société. Aussi, la langue d'une
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société est-elle d'abord une création collective, renouvelée en permanence, à
partir de multiples parlers quotidiens. C'est pourquoi on peut dire que la
langue d'un peuple reflète de la manière la plus immédiate son mode de vie,
ses aspirations, ses idées et entretient un rapport étroit et complexe avec les
représentations circulant dans cette société. C'est pourquoi aussi, aucune
langue n'est vraiment homogène ; elles subissent toutes des distorsions, des
fragmentations qui correspondent à la différenciation des groupes sociaux qui
composent cette société ; en plus des multiples terminologies techniques
(propres à un groupe social spécialisé dans une fonction et qui peuvent
devenir des jargons, des idiomes), nous avons affaire à des différenciations
plus arbitraires qui correspondent à des habitudes, à des besoins d'expression
propres à tel groupe, et à une recherche d'identité (les parlers, les argots. Ex.
Le "langage des jeunes").
On peut donc distinguer les discours individuels, les discours sociaux
particuliers et le discours social commun, dans lequel se ressourcent les
multiples actes de parole individuels. C'est de ce discours social commun et
des discours particuliers que naissent et que s'entretiennent des systèmes
symboliques, parfois adossés sur des archaïsmes (par ex.. le symbolisme
astrologique). Ici les supports symboliques sont des mots qui sont cependant
détachés du circuit linguistique "normal" (qui ne fonctionnent pas seulement
comme des signes) ; par ex. le mot "La France" dans le discours "politique"
quotidien, par opposition à l'emploi du mot dans un traité de géographie ; en
effet, au-delà de leur signification immédiate, ces mots ont une efficacité
mentale, affective et sociale par ce qu'ils évoquent, par ce qu'ils expriment.
Cette évocation ne peut se réduire à une définition, elle implique toujours une
interprétation, une participation active de chacun à la création du sens
commun (dans la mesure où celui-ci n'est jamais fini, défini), et donc une
insertion dans la vie collective, une inclusion dans un groupe social et une
reconnaissance de ses lois.
L'efficacité sociale de ces constellations symboliques est surtout
importante dans les sociétés qui vivent sur le mode de la tradition et de la
communication orale, de la communion, sur le mode de la présence de la
fusion (fête), de la manifestation immédiate de l'affectivité et de l'imaginaire.
Elle y apparaît comme la matrice des arts et des religions dont les symboles
sont aussi la matière première.
Par contre, elle régresse dans notre société où dominent les médiations
(produits audiovisuels, signaux, écrits), au profit de la production symbolique
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médiatisée et manipulatoire des appareils d'information et de publicité qui,
cependant retravaillent et usent les anciens systèmes symboliques.
De cette instrumentalisation de la production symbolique, ou plutôt de
certains de ses effets, on trouve une description, déjà datée, dans les
Mythologies de Roland Barthes, qui illustrent en même temps le concept
sociologique de "représentation" évoqué auparavant, ce qu'Aristote
envisageait à sa manière comme "lieu commun"... II nous faut donc envisager
aussi, pour notre culture :
B.B. Les mass-médias, c'est-à-dire l'ensemble des "moyens dits de
communication de masse" (presse, radio, télévision, cinéma, audiovisuel...),
qui sont en fait des moyens d'information et de formation des esprits. Ici les
supports symboliques sont des mots et des images. A ce niveau, il s'agit de
transformer des "faits bruts" en "événements intéressants", qui captent
l'attention et qui donnent aux gens une conception du monde : l'utilisation de
symboles constitue alors de véritables "mythes" modernes (l'actualité, le
bonheur, la catastrophe, le destin, l'infamie, l'humanité, le moderne, la
jeunesse, la puissance, le sport...), qui débouchent souvent sur une
mystification collective (cf. Barthes, Lefebvre).
B.C. La publicité, c'est-à-dire l'ensemble des procédés qui permettent de
valoriser imaginairement des marchandises particulières et l'acte d'acheter et
de consommer en général. Ici les supports symboliques sont principalement
les objets (ou les services) à vendre, associés à des images et des mots ; (Ex.
l'automobile, la maison, la chaîne hi-fi...) Dans la période économique de
croissance 1945-75, avant la crise actuelle, la consommation était présentée
comme l'acte social principal le plus intéressant et celui qui donnait la clef du
bonheur. Le discours sur la consommation était donc (et reste en partie) le
principal producteur de symboles.
Si les mass-médias produisent une conception du monde en général
(disent ce qu'il faut penser), la publicité produit surtout une morale
individuelle (dit ce qu'il faut faire). Elle produit une image de la femme, de
l'homme, de l'enfant "heureux", c'est-à-dire une norme sociale, un modèle de
bonheur, du confort, du loisir, de la présentation et même du travail...
B.D. Les résidus : il reste, bien sûr, en particulier à la périphérie de la
société des survivances d'anciens systèmes symboliques, véhiculés par des
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croyances, des superstitions, mais aussi par des activités en déclin, que l'on
appelle parfois des "arts populaires" ou folklorisés (danses, artisanat, jeux...)
Dans d'autres sociétés, ce genre d'activités, mais aussi les contes, la
magie, les rites d'initiation, les commémorations sont autant de facteurs de
production (et de reproduction) des systèmes symboliques.
II. La définition philosophique de la culture.
Le titre est tout à fait impropre : il ne s'agit pas de donner l'unique
définition de la philosophie (qui n'existe pas), mais simplement un aperçu de
ce dont parlent la plupart des philosophes, à partir du XIXè siècle lorsqu'ils
emploient le terme "culture", au point même d'en faire l'objet d'une
Kulturphilosophie, voire d'une Geisteswissenschaft.
L'intérêt pour la culture, ou pour l'aspect de la culture que nous
envisageons maintenant, n'est pas nouveau chez les philosophes, malgré la
transformation historique de la conception que la philosophie s'est faite d'ellemême, de son objet et de son champ, à cause de la permanence de sa
dimension réflexive. En effet, l'évolution historique de la philosophie est
marquée par la réduction du champ de ses investigations au fur et à mesure de
l'avancée des sciences. D'une connaissance de la totalité du réel elle se
restreint à une connaissance de l'homme, laissant la nature aux sciences.
Lorsque les phénomènes humains deviennent à leur tour objet de
connaissances scientifiques, la philosophie soit prend pour objet la
connaissance elle-même (mais les sciences cognitives arrivent !), soit devient
elle-même poésie, de l'Etre ou de la Parole (mais la poésie est déjà là!) ; ou
bien elle se veut réflexion - et non pas connaissance - sur les discours, les
actes et les œuvres des hommes, en particulier pour autant que ceux-ci, cellesci engagent le sens et les valeurs, les choix, le souhaitable et le préférable,
c'est-à-dire ce qui échappe à toute science, mais non à toute parole, ce qui
n'est pas, sinon comme présent en creux dans les interrogations, les
affirmations et les aspirations spirituelles, ce qui advient par et dans la parole,
parfois. On pourrait dire ainsi que la culture est pour la philosophie le
discours en tant qu'il s'autorise de lui-même (pour nous hommes de ce temps,
on ne voit pas de quoi d'autre il s'autoriserait; mais ça n'a pas toujours été le
cas !).
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De manière plus empirique, on peut alors définir la culture comme le
système des systèmes de représentations intellectuelles d'une société.
"Intellectuelles" met ici l'accent sur un mode de production distinct de celui
des représentations qui habitent le discours social commun. En effet, le
langage et les idées formées à partir de lui, les images, les systèmes
symboliques et les notions abstraites qui y émergent, peuvent donner lieu à
une élaboration autonome, séparée du mode de vie et de la vie quotidienne et
même jusqu'à un certain point de la praxis sociale elle-même, effectuée par
des "spécialistes" et organisée en une conception du monde (représentation du
cosmos, du divin, de la nature, de l'homme, de la psyché, etc...) et/ou en une
morale (idées, schèmes de l'action fondée sur des valeurs). Le concept de
culture se rapporte ici à l'idéologie.
En ce sens, les différentes formes culturelles n'existent pas dans les
sociétés primitives même si on peut reconnaître après coup cet aspect de la
culture dans ces deux formes primordiales d'affirmation de la parole qui sont
les mythes et les sagesses, ainsi que dans ce qu'on appelle sans doute
improprement leurs arts. Même si elles sont sans doute aussi véhiculées par
des individus "éminents".
Ces formes culturelles vont se constituer et se conserver (c’est-à-dire
s’autonomiser - plus ou moins - dans le temps, comme tradition et comme
œuvres) dans les sociétés historiques, dans toutes ou dans partie d’entre elles
seulement, pour certaines de ces formes. Il ne s’agit pas ici d’en faire le tour,
bien sûr, mais simplement de donner une idée de la manière dont elles se
constituent comme culture, en articulation avec les éléments anthropologiques
et socio-historiques, ce qui n’épuise nullement leur réalité mais évite peut-être
la métaphysique dont la philosophie justement est toujours prête à les
engrosser (1). On peut ainsi repérer :
A. Les religions fondées par/sur l’irruption de la parole d’un prophète
(réelle ou imaginaire), sur la simple prédication ou sur les enjolivures pieuses
des disciples, ou sécrétées lentement des mythes d’une société, organisées en
mythologie, les grandes religions sont avant tout instituées par un groupe
social repérable, entretenant des rapports hégémoniques avec les autres
groupes, développant des pratiques qui lui sont propres en des espaces
réservés (rituels, cultes) et suscitant des pratiques collectives (liturgie,
cérémonie, célébrations). Possédant le monopole de la « gestion » du sacré,
ces groupes opèrent surtout en retravaillant le fond symbolique commun à une
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société en en captant la charge affective, pour formuler le sacré, éclairer les
énigmes et mystères du monde et de la vie, affirmer sens et valeurs sous la
forme de croyances.
Seule l’illusion liée à leur éloignement historique ou leur perte de vitalité
dans le présent pourrait les assimiler à un pur discours, à une dogmatique ou à
une théologie ; mais les philosophes tombent facilement dans ce type
d’illusion.
B. Les arts. Ces croyances religieuses nouées autour des symboles et des
fictions, donnent souvent lieu à des représentations sensibles (représentation
de représentations mentales), qui les communiquent, les diffusent et les
soutiennent, dans différents arts. Par la suite, ceux-ci se dégagent de leur
origine religieuse, pour devenir travail autonome sur les systèmes
symboliques, à des fins expressives, esthétiques, prolongeant les visées plus
originelles d’appropriation de la matière, de la nature, du corps. Cette
autonomisation ne leur permet cependant pas toujours d’échapper aux
relations privilégiées avec les Etats, les classes dominantes et aujourd’hui
avec le spectacle médiatique et publicitaire. Ce qui fait partie de la
contradiction de l’activité artistique qui est bien sûr aussi recherche de soi
(c’est-à-dire perte de soi). Mais tous les croyants ne sont pas des mystiques
non plus...
C. Les philosophies. Là où elles existent, elles s’élaborent souvent
contre les religions, en appuyant des pouvoir politiques ou des forces
politiques. Elles proposent de nouvelles conceptions du monde (théories) et
de nouvelles morales (éthiques) en opérant sur et avec le seul langage. Les
systèmes symboliques sont autant que possible évacués, du moins réduits ; et
le discours philosophique tente de se fonder sur ses propres procédés et
procédures (l’abstraction, la logique). Tentative désespérée, bien sûr, et dont
la complexité ne lui permet du coup qu’une diffusion culturelle restreinte
(même quand il existe une institution philosophique ou un relais politique)
D. Les littératures. Elles se restreignent également à un travail sur le
langage parlé ou écrit (avec parfois quelques excursions vers les arts
graphiques). Et même s’il leur arrive d’être mémoire, incitation à penser ou
auxiliaire de diffusion d’autres systèmes de représentation, elles n’en restent
pas moins d’abord jeu, avec les mots et les significations, avec la part du sacré
immanente au langage (telle qu’elle se révèle dans la prière, les formules
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magiques, le commandement, la suggestion...) mise en œuvre et en
mouvement des symbolismes. Comme jeu, elles évitent la lourdeur
philosophique en admettant que le discours ne peut se fonder sur rien, sinon le
bien-dire.
Au pôle opposé du sérieux - et de l’institué -, par rapport à quoi même
les philosophies ressemblent à un aimable Witz, nous avons :
E. Les sciences. Elles prétendent à représenter abstraitement la réalité de
la manière la plus exacte possible,
1) en évacuant tout symbolisme social et en créant leur propre
« symbolisme » (pseudo),
2) en renonçant à tout jugement de valeur, remplaçant la morale par
l’application technique,
3) en utilisant, plus encore que la logique, l’instrument mathématique,
4) en se divisant en nombreuses spécialités, utilisant des méthodes
diverses suivant leur objet.
La pensée scientifique domine la culture occidentale actuelle : elle est
produite sous le contrôle de l’Etat, car elle joue un rôle économique important
(innovations technologiques) et peut aussi être un instrument de domination
politique et sociale : mais, sur ce point, la différence entre sciences de la
nature et sciences sociales (et leur développement inégal) et les conflits de
tendance à l’intérieur des sciences sociales, laissent l’avenir ouvert.
IV. Définition « populaire » de la culture.
Il nous reste à évoquer rapidement un dernier sens du terme « culture ».
Je l’appelle populaire à la fois parce qu’elle est fort commune, à partir de la
conception individualiste de la société, très répandue en tant qu’élément de
l’idéologie dominante, et parce que le « peuple » l’attribue volontiers aux
élites qui s’en distingueraient par là même, que ce soit pour admirer cette
culture ou pour la railler, parfois la mépriser franchement (c’est alors
l’inquiétante formule populiste de Goebbels: « quand j’entends le mot Kultur,
je sors mon revolver »).
La culture est ici saisie comme connaissance de ces systèmes de
représentations intellectuelles, comme aptitude à y circuler, à les manier. Ici la
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notion de culture renvoie à celle d’instruction (avoir de la culture), ou plus
joliment à celle de Bildung. Cette « formation » qui dans cette conception
allemande associe le savoir et le savoir-vivre fait de l’individu un
représentant de la civilisation et est elle-même un élément de civilité. Au sens
où une culture générale vaste a l’avantage de donner à celui qui la possède un
- sens de relativité des cultures – donc, un esprit critique vis-à-vis des
préjugés culturels de son époque et de sa classe sociale.
Si les systèmes symboliques sont connus de façon diffuse et confuse par
tous les membres d’un groupe social, les systèmes de représentations
intellectuelles sont acquis de façon plus ou moins précise par un
enseignement, ce qui représente la fonction principale de l’institution scolaire.
Ces acquisitions sont complétées par d’autres moyens : musées, voyages,
documentation, bibliothèque, spectacles, expositions, journaux, dont l’usage
permet d’évaluer le « niveau culturel » d’un individu.
Dans la notion de Bildung, il y a une nuance supplémentaire : on passe
d’une acquisition objective, instrumentale, - une aptitude combinatoire
comme résultat de l’instruction -, à une subjectivation, une incorporation
d’une partie de la culture léguée, une formation de soi. Au sens où l’on parle
en allemand des Bildungsromane, lesquels nous rappellent, s’il le fallait, que
l’acquisition culturelle ne peut vraiment s’effectuer que dans un rapport
dialectique avec les expériences effectuées par le sujet aux prises avec son
désir. « Ce que tes pères t’ont donné, il te faut le conquérir », dit, me semblet-il, Freud.
Note ajoutée au moment de la rédaction:
Cette dernière esquisse sur la culture comme acquis individuel, conquête
subjective, a trouvé pour moi écho dans un texte de D. W . Winnicott, qui
peut ouvrir quelques perspectives pour la suite de notre travail. Il s’agit du
chapitre VII de « Jeu et Réalité » qui est intitulé : « La localisation de
l’expérience culturelle ».
Winnicott y argumente l’idée suivante : le rapport actif de l’être humain
à la culture - assimilation, transmission, création - s’effectue dans une
troisième « aire », distincte à la fois de la réalité psychique « intérieure » et de
la réalité objective (sociale) du « monde » dans lequel vit et agit l’individu.
Cette troisième aire qui est celle de la séparation /relation maintenue avec la
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mère s’élabore d’abord pour l’enfant à travers le jeu (playing). On pourrait
dire que pour Winnicott, se cultiver, acquérir, conquérir une Bildung, c’est la
continuation du jeu par d’autres moyens. Cette démarche pour lui est ce qui
permet de vivre, tout simplement. J’ajouterai que la Bildung ainsi conçue,
serait à l’opposé d’une captation par l’image (Bild) ou même d’une
identification, et reste distincte également de la sublimation.
Cette troisième aire est fondamentalement celle de l’expérience :
expérience de « l’être seul » (cf. : «la capacité d’être seul», in « Psychanalyse
et pédiatrie »), expérience du corps (distincte dans le Jeu de celle de la réalité
pulsionnelle - Winnicott insiste sur l’absence d’acmé - et de celle du
fonctionnement physiologique du corps), expérience de la relation aux objets,
expérience de la confiance, expérience de la sécurité.
Ces expériences qui ont eu lieu (ou non) conditionnent la possibilité de
l’expérience culturelle proprement dite, ce qui rendrait ainsi compte des
potentialités inégales des individus à devenir sujet de celle-ci, à la déployer
pour leur compte. L’expérience culturelle s’effectue à travers une dialectique
entre l’inscription dans une tradition et la capacité d’invention, d’innovation,
de création qui, nous dit-il, reprend «le jeu réciproque entre la séparation
affective et l’union ».
L’exploration de cette hypothèse me paraît des plus intéressantes pour la
suite de nos recherches.
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(1) Note
A l’opposé, il ne s’agit pas non plus de les concevoir comme résultat d’un jeu de forces sociales, comme
« reflet », à l’instar d’un marxisme vulgaire. Leur condition est l’homme comme être social parlant. Sa parole
ne l’affranchit pas de la socialité, mais celle-ci ne s’exprime pas. La création s’effectue dans la culture même
si l’œuvre véritable vient ponctuer, scander celle-ci, peut-être la rompre.
Il en va de même des idéologies politiques, autre forme culturelle, que l’on se contentera de tenir ici comme
sous-produit de la forme religieuse – ce qui est assurément insuffisant.
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Devereux G. Ethnopsychanalyse complémentariste, Flammarion, 1985
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T IX Fragen der Gesellschafft,
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T X. Bildende Kunst und Litteratur, Fischer, 1969
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Lefebvre H. Langage et société, Gallimard, 1966
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Malinowski B. Une théorie scientifique de la culture, Seuil, 1970
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Pleiade (Bibl.de la) Histoire des moeurs., Gallimard, 1990
Rognon F. Les primitifs, nos contemporains, Hatier, 1988
Roheim G. Origine et fonction de la culture, Gallimard, 1972
Sapir E. Anthropologie, Seuil, 1967
Windelband W. Lehrbuch der Geschichte der Philosophie, Mohr, 1957
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