cognitifs, le monsieur qui a chuté à plusieurs reprises et a peur de tomber à nouveau, la
personne entrée en bonne santé physique et mentale mais qui, après plusieurs années,
se dégrade progressivement au sein de l’établissement et a besoin maintenant d‘un
fauteuil roulant pour se déplacer, et de nombreux résidents entrés parce qu’isolés ou
angoissés, et qui préfèrent « prendre les devants » et se sentent plus rassurés par la
sécurité d’une présence constante. J’ai donc côtoyé pendant 3 ans des personnes dans
des situations très différentes, qui ne vivaient pas forcément leur présence ici de la
même manière (certains comme une punition, d’autres comme une étape inéluctable de
la vie, et d’autres enfin comme un réconfort, le personnel de la résidence prenant la
place de leur famille, éloignée géographiquement ou disparue). J’ai donc pu observer
différents types de réactions au vieillissement et à la perte d‘autonomie, ainsi que
différents types d’interactions avec leurs proches. Toutes ces personnes étaient par
ailleurs issues de milieux très divers, avec des vies complètement différentes, et j’ai
passé de nombreuses heures à écouter leurs souvenirs et à les faire parler de leurs
passions. Ce fut une expérience très enrichissante. J’ai, par la même occasion, pu avoir
une vision de la médecine « du côté du malade » si j’ose dire, en recueillant les ressentis
des personnes sur leurs passages aux urgences, leurs rapports aux soins et aux soignants,
leur compréhension quant aux explications médicales… Et recueillir de même les
impressions des soignants extra-hospitaliers, par l’intermédiaire des infirmiers libéraux
intervenants à la résidence, en passant par le kinésithérapeute et l’aide-soignante
présente en semaine.
En parallèle, j’ai travaillé à l’hôpital, d’abord comme ASH (Agents des Services
Hospitaliers, équivalent de femme de ménage), puis comme aide-soignante, dans des
services aussi variés que la néphrologie, la psychiatrie ou la maternité. J’ai à ce
moment-là commencé à apercevoir le monde hospitalier, mais toujours plus proche du
patient que du médecin. Cela m’a beaucoup touché, et il y a beaucoup de situations que
je garde en mémoire, notamment la suivante. J’étais à l’époque ASH dans un service
quelconque de l’hôpital et j’étais en train de faire le ménage dans la chambre d’une
patiente d’un certain âge, lorsque la porte s’ouvre sur le Professeur du service
accompagné d’une dizaine de personnes, partagés entre internes, étudiants et
infirmières. J’étais dans un coin de la pièce, trop loin de la porte pour pouvoir sortir
discrètement. Ils sont restés environ 5 minutes autour du lit, à discuter entre eux dans
un charabia qu’à l’époque je ne comprenais pas, puis le Professeur a expliqué en
quelques phrases son état de santé à la patiente et lui a demandé si elle avait des
questions. La vieille dame a alors répondu non, ils l’ont donc salué et sont sortis. Une
fois la porte refermée, la patiente se tourne vers moi et me demande: « Vous pourriez
m’expliquer ce qu’ils ont dit j’ai rien compris! ». Cet exemple m’a marqué et je pense
(et j’espère) que je ne l’oublierais jamais, car il m’a poussé à réfléchir et à essayer
d’envisager les différents facteurs ayant conduit à cette situation dramatique. Tout
d’abord, on peut probablement voir transparaitre les restes de l’époque paternaliste de
la médecine, où le médecin était considéré comme détenteur d’un savoir impénétrable,
à qui il ne fallait pas poser trop de questions et dont il fallait suivre les prescriptions à
la lettre. C’est à mon avis le pourquoi de la réponse négative de la patiente, originaire
d’une petite commune des alentours de Saint Etienne, et qui n’a pas osé déranger le
professeur alors qu’il « avait déjà bien pris la peine de venir la voir ». Il y a ensuite le
lexique médical, véritable jargon incompréhensible, que l’on nous inculque dès la
deuxième année des études médicales, et qui devient naturellement une deuxième
langue. On se retrouve donc sans s’en rendre compte à parler de « céphalées » au lieu