tribunes Tribunes Mort subite et exercice physique Si on sait que l’activité physique protège des maladies cardiaques, on a constaté que l’exercice par lui‑même peut représenter un risque de mort subite. Le dépistage des pathologies sous‑jacentes doit être une priorité avant la pratique d’un sport. Yves Lecarpentier PU-PH, chef de service Jean-Louis Hébert MCU-PH, Service des explorations fonctionnelles cardio-vasculaires et respiratoires, CHU de Bicêtre N ul ne saurait remettre en cause l’intérêt de l’exercice physique pour la santé en général, et la prévention des maladies cardio-vasculaires en particulier. L’absence permanente d’activité physique représente un risque majeur de maladie cardiaque coronaire. Il est cependant bien connu que des athlètes entraînés et en apparente bonne santé peuvent mourir subitement durant l’exercice. Peut-on concilier ces deux situations paradoxales : l’activité physique protège des maladies cardiaques, cependant que l’exercice par lui-même peut représenter un risque de mort subite ? En fait, ce problème est soulevé depuis l’Antiquité. Déjà, Hippocrate déclarait que l’exercice présentait un risque cardiaque et que la condition d’athlète n’était pas naturelle. Six siècles plus tard, Galien pensait que les athlètes vivaient selon des préceptes contraires à l’hygiène et que leur mode de vie favorisait plus la maladie que la bonne santé. Dans les temps modernes, l’aviron fut le premier sport qui souleva le problème de l’activité physique, à propos de la fameuse course opposant Oxford à Cambridge. À partir de là, une polémique s’est entretenue, les uns déclarant que l’aviron poussait les jeunes hommes dans la tombe, les autres arguant que l’espérance de vie n’était pas réduite. Les premiers travaux mentionnant les dangers de la course sur le cœur apparurent au début du xxe siècle. Cependant, sur une cohorte de 16 000 enfants scolarisés, il ne fut recensé que deux accidents mortels survenant au cours de l’exercice. Bien plus tard, dans les années 1970, furent rapportés de plus nombreux cas de morts subites survenant au cours d’activités physiques modérées ou soutenues, spécialement durant le jogging. Dans le même temps, s’est posé chez les marathoniens le problème de la présence ou non d’athérosclérose coronaire (dépôts lipidiques dans la paroi artérielle). Les uns pensaient que le marathon était susceptible d’induire une sorte d’« immunité » contre les maladies coronaires et l’infarctus du myocarde (nécrose du muscle cardiaque privé d’apport sanguin), les autres prétendaient au contraire qu’il n’était pas en mesure d’assurer une protection contre l’athérosclérose coronaire. La réponse a été apportée dans les années 1980, lorsque furent publiés des cas de mort subite cardiaque chez des marathoniens dont les trois quarts avaient une atteinte coronaire prouvée par l’angiographie (radiographie des artères injectées d’un liquide opaque aux rayons X) ou l’autopsie. Les causes des morts subites Il s’avère important de savoir si les morts subites survenant durant l’exercice sont dues à l’exercice lui-même, faisant alors de celui-ci une activité potentiellement dangereuse. En d’autres termes, y a-t-il causalité entre exercice physique et mort subite ? En fait, les études réalisées sur un grand nombre de sujets montrent que, lorsque la mort intervient durant l’exercice, une pathologie sousjacente et généralement cardiaque explique habituellement la mort subite. Parmi les origines cardiaques, l’insuffisance coronaire est le plus souvent en cause, en particulier chez les personnes de plus de 40 ans. Le paradoxe réside dans le fait que l’exercice régulier diminue le risque global de mort adsp n° 67 juin 2009 49 Activités physiques ou sportives & santé subite chez les personnes porteuses d’une coronaropathie latente cependant que celui-ci augmente à l’exercice chez les sujets ayant une cardiopathie qui prédispose à la mort subite. Le mécanisme exact causant la mort subite chez les patients porteurs d’une pathologie coronaire n’est pas parfaitement connu. On retrouve des plaques athéromateuses avec des signes de rupture ou de thrombose dans 95 % des morts subites d’origine cardiaque dans la population générale, alors que cette proportion est plus faible lorsqu’il s’agit d’une mort subite d’origine ischémique ou par spasme coronaire mais survenant à l’exercice. Il y a plusieurs mécanismes par lesquels l’activité physique intense peut précipiter l’ischémie myocardique (souffrance métabolique du cœur sans infarctus) chez les athlètes porteurs de pathologies coronaires. L’élévation initiale de la pression artérielle peut accélérer la fissuration d’une plaque athéromateuse jusque-là moyennement sténosante, entraînant une thrombose occlusive. D’autre part, une plaque athéromateuse non occlusive peut majorer une ischémie en déséquilibrant la balance entre la demande myocardique en oxygène et son apport, pouvant conduire à un infarctus du myocarde. Enfin, une ischémie myocardique peut résulter d’un spasme coronaire, le plus souvent au niveau de lésions athéromateuses. Il en résulte une baisse immédiate du débit cardiaque et du débit cérébral avec perte de conscience. Enfin, il peut s’agir d’une fibrillation ventriculaire (disparition des contractions coordonnées des ventricules) induite sur un myocarde particulièrement sensible. À côté des pathologies coronaires latentes, il y a de nombreuses autres pathologies cardiaques susceptibles d’entraîner des morts subites. Les sujets porteurs de cardiomyopathies hypertrophiques (maladies génétiques entraînant un épaississement important localisé ou diffus de la paroi du ventricule gauche et une réduction du volume de la cavité ventriculaire gauche) présentent un risque accru de mort subite durant l’exercice dès avant 40 ans. Dans le cadre des valvulopathies (atteintes des valves cardiaques), la sténose aortique (rétrécissement de la valve aortique) peut entraîner une mort subite, dans les formes où la sténose entraîne une intolérance patente à l’exercice. Chez ces patients, il convient de réduire l’activité physique. Lors de myocardites (inflammation des tuniques musculaires du cœur), il est recommandé d’arrêter l’exercice physique au moins pendant deux semaines après retour à 50 adsp n° 67 juin 2009 l’apyrexie (disparition de la fièvre), disparition des myalgies (douleurs musculaires) et des arthralgies (douleurs articulaires). D’autres pathologies cardiaques sont susceptibles d’entraîner des morts subites, quoique plus rarement : anomalies d’origine et de trajet des artères coronaires, rupture aortique dans le cadre d’un syndrome de Marfan (maladie héréditaire du tissu conjonctif avec risque accru de dissection de la paroi aortique), prolapsus valvulaire mitral (bombement de la valve mitrale par dégénérescence de son tissu trop souple). D’autres pathologies cardio-vasculaires, bien que jugées compatibles avec une pratique sportive surveillée, peuvent cependant entraîner une mort subite : rétrécissement aortique congénital, certaines cardiomyopathies dilatées (dégénérescence du tissu cardiaque avec dilatation des cavités ventriculaires), les péricardites aiguës (inflammation du péricarde)… Les causes de mort subite en relation avec le sport et survenant préférentiellement chez les sujets jeunes ont été étudiées de façon essentiellement rétrospective. Les séries nord-américaines dont nous disposons font ainsi état d’une incidence de l’ordre de 1 sur 100 000 [22]. La seule étude prospective importante est celle de Corrado en 2003 [8] faisant état d’une incidence de 2,3 sur 100 000 dans la région de Vénétie en Italie du Nord. Aucune étude française de cette envergure n’a été réalisée à ce jour, à notre connaissance. L’étude italienne réalisée sur une cohorte d’adultes jeunes et d’adolescents s’élevant à 1 386 600 individus couvre une très large période de vingt et un ans, de 1979 à 1999. Elle permet d’isoler 112 800 athlètes de compétition, dont 80 % d’hommes. Dans cette population totale, 300 cas de morts subites sont recensés, correspondant à une incidence générale de 1 sur 100 000. Parmi les athlètes, on déplore 55 décès, soit une incidence de 2,3 sur 100 000 par an, contre 245 décès chez les non-athlètes, soit une incidence de 0,9 sur 100 000 par an seulement. Le risque relatif de mort subite chez les athlètes est donc de 2,5 par rapport aux non-athlètes, sans différence entre les hommes et les femmes. Les causes cardio-vasculaires de ces morts subites arrivent largement en tête, avec une incidence de 2,1 pour 100 000 par an pour les athlètes contre 0,7 sur 100 000 seulement pour les non-athlètes. Parmi ces causes de mort subite d’origine cardio-vasculaire, l’athéromatose coronaire est de loin l’affection la plus fréquente, aussi bien chez les athlètes que chez les non-athlètes, et touche les individus les plus âgés de la cohorte. Les myocardiopathies arythmogènes du ventricule droit (maladies du muscle ventriculaire droit par transformation fibro-graisseuse pouvant entraîner des troubles du rythme graves à l’effort) arrivent en deuxième place et touchent les athlètes cinq ans plus tôt que les non-athlètes. Cette affection est en concurrence avec la myocardiopathie hypertrophique obstructive en termes de fréquence, chez les non-athlètes. Il semble important d’insister sur le fait que le dépistage de masse des sujets jeunes porteurs de myocardiopathies arythmogènes du ventricule droit est beaucoup plus délicat, en particulier dans les populations où cette affection est peu répandue (incidence de 1 sur 10 000 en France), que le dépistage des myocardiopathies hypertrophiques obstructives, qui représentent habituellement une « évidence » échographique qui permet d’éloigner de toute compétition sportive les sujets à risque alors que les signes échographiques des myocardiopathies arythmogènes du ventricule droit débutantes sont discrets et difficiles à identifier. La très grande fréquence de ces affections dans cette série correspond probablement à un biais de recrutement par rapport aux séries nord-américaines en raison de l’incidence élevée bien connue de cette affection en Italie du Nord dans la plaine du Pô. Quoi qu’il en soit, dans cette série, le risque relatif représenté par la myocardiopathie arythmogène du ventricule droit est de 5,4 chez les athlètes par rapport aux non-athlètes. Viennent ensuite, par ordre de fréquence décroissante des morts subites, les cardiopathies ischémiques silencieuses, les anomalies de naissance des coronaires, le prolapsus valvulaire mitral et les myocardites aiguës. Le sexe masculin apparaît dans cette étude comme un facteur de risque plus important de mort subite, en relation avec la pratique sportive. La plus grande intensité des sports pratiqués par les hommes par rapport aux femmes semble responsable de cette différence. La pratique sportive n’est pas en soi une cause de mortalité accrue, mais représente le phénomène révélateur chez les sujets porteurs d’une cardiopathie sous-jacente prédisposant à des arythmies (troubles du rythme cardiaque) ou à des désamorçages cardiaques au cours des exercices physiques intenses ou prolongés. La nécessité de dépister les risques chez les personnes pratiquant un sport Deux questions se posent alors : l’exercice augmente-t-il le risque de mort subite ? Tribunes L’exercice diminue-t-il l’espérance de vie chez les patients à haut risque ? Le risque de mort subite est manifestement réduit dans la population générale chez les personnes qui pratiquent l’exercice physique régulièrement. Cependant, parmi les sujets qui présentent une pathologie coronaire, la probabilité de survenue d’une mort subite durant l’exercice physique, ou juste après, est plus grande, en dépit d’un exercice musculaire régulier. Le paradoxe est que si les patients atteints d’une pathologie cardiaque interrompaient tout exercice musculaire, le risque global de mort subite serait augmenté et non diminué. En fait, plus le risque coronarien est élevé, meilleur est le bénéfice de l’exercice musculaire modéré, régulier et surveillé. Il semblerait, d’autre part, que l’exercice ne diminue pas de façon nette l’espérance de vie chez ces patients. Il est de la responsabilité du médecin d’éliminer la présence d’une maladie aiguë ou chronique et en particulier cardiaque, susceptible d’entraîner une mort subite, lorsqu’un sujet commence la pratique de l’exercice physique ou veut continuer l’exercice au même niveau que précédemment, et d’autant plus si la personne veut pratiquer son sport à un niveau plus élevé. L’incidence de ces maladies dans la population adulte est très faible, de l’ordre de 1 pour 10 000 personnes pratiquant l’exercice, et même passe à 1 pour 200 000 chez les enfants et les adultes jeunes. Il s’avère donc difficile de détecter ces pathologies cardiaques sous-jacentes. En outre, les tests d’effort ne détectent pas toujours chez les athlètes des anomalies de l’électrocardiogramme orientant vers une cardiopathie donnée. De plus, lorsqu’on détecte une pathologie cardiaque latente sous-jacente, il n’est pas toujours évident que celle-ci entraîne potentiellement une mort subite. De nombreux sujets porteurs de pathologies cardiaques, et spécialement d’atteintes coronaires, peuvent pratiquer un exercice physique modéré dans de bonnes conditions de sécurité et sans risque de mort subite. Ces patients cependant doivent être bien distingués de ceux dont le risque de mort subite à l’exercice est manifeste. Un examen cardio-vasculaire est indispensable chez toute personne de plus de 50 ans désirant commencer ou redémarrer une activité physique. Les personnes plus jeunes doivent aussi subir un examen cardio-vasculaire avec un interrogatoire précis, surtout en ce qui concerne l’histoire familiale et l’existence éventuelle de mort subite, en particulier à l’effort. Les symptômes et signes fonctionnels et cliniques de pathologies cardio-vasculaires doivent être recherchés, de même que les facteurs de risques cardio-vasculaires : tabac, diabète, surpoids, dyslipidémie (troubles métaboliques des graisses dans le sang), hypertension artérielle, etc. La présence d’une histoire familiale évocatrice de facteurs de risque, de signes cliniques, de manifestations fonctionnelles doit faire pratiquer une épreuve d’effort maximale. Si l’on détecte des anomalies, il convient de pratiquer une échocardiographie, voire dans certains cas une coronarographie (radiographie des artères coronaires injectées d’un liquide opaque aux rayons X). Cependant, malgré ces précautions et investigations cardio-vasculaires, moins de 20 % des sujets susceptibles de développer un accident cardiaque durant l’exercice peuvent être identifiés. Il semble prudent de décourager les athlètes de continuer leur pratique sportive lorsqu’ils présentent une symptomatologie cardiaque susceptible d’entraîner une mort subite. Malheureusement, dans environ 20 % des cas, la mort subite demeure le premier symptôme de la maladie cardiaque responsable. c adsp n° 67 juin 2009 51