
I. Introduction
Oedipe avait déjà été mangé à toutes les sauces : sur la route, en complexe ou à la
royale… Claude Semal et Ivan Fox racontent à leur tour cette fabuleuse histoire avec des
poulets, des poireaux, quelques ustensiles campagnards, des chansons… Ces joyeux
iconoclastes n’oblitèrent pourtant pas la trame originelle du mythe : l’Oracle, l’enfant
adopté par le roi de Corinthe, le meurtre de Laïos, le retour à Thèbes, l’énigme du Sphinx,
la coucherie avec la mère, le châtiment…Tout y est, mais la tragédie est retournée comme
un gant. Elle devient une farce toute crue blottie parmi les bottes de paille.
Mais pourquoi donc mettre en scène une n
ème
version de ce célèbre mythe ? Non pas
dans le but de rivaliser avec les pièces du grand Tragique grec Sophocle mais afin
d’explorer certains thèmes de société auxquels nous sommes toujours confrontés à
l’heure actuelle. Considéré en effet comme l’un des récits fondateurs de notre société
occidentale, il nous permet de réfléchir sur certaines problématiques essentielles comme
l’universel tabou de l’inceste (indispensable pour la survie et l’organisation d’une société)
et de manière plus générale, l’émancipation des enfants à l’égard des adultes (et
réciproquement), qui, à défaut, peut parfois conduire à certains abus sexuels. En incise,
d’autres concepts seront abordés ; comme la démocratie, sa signification antique et
actuelle, ou encore la psychanalyse qui a donné naissance au désormais très célèbre
« complexe ». Car, qui pourrait aujourd'hui ignorer, après les travaux de Freud,
l'importance des toutes premières expériences familiales et le poids de l'inconscient dans
la construction de sa propre personnalité ?
Mais attention, n’espérez pas trouver dans « Œdipe à la ferme » de longues tirades
pédantes et ennuyeuses, ni même de profondes réflexions philosophiques ! Car comme
son titre le suggère, la pièce n’a jamais eu la prétention de rejoindre le grand répertoire
classique qu’il parodie. Le début de la pièce donne déjà le ton : sur un air de Sirtaki et
devant une série d’affiches dénichées dans quelque office du tourisme grec, nos deux
comédiens apparaissent sur scène affublés d’un carton plié en guise de jupe et d’un bas
nylon sur la tête ; déguisement qui suffira à les métamorphoser en un couple grec version
Dupond et Dupont ! S’ensuit alors des réflexions loufoques et drôles sur la difficile
invention de la démocratie, mêlées à quelques notions de Grèce antique passées à la
moulinette, qui les conduiront à nous narrer l’histoire d’Oedipe dans un univers bucolique
de bottes de paille. En effet, nos comédiens ont choisi de raconter cette histoire avec des
oeufs, des poules, des légumes et autres objets campagnards, dans la grande tradition du
Théâtre d'objets et de marionnettes. L’œuf et la poule, c'est bien sûr ici, symboliquement
parlant, la mère et l'enfant. Mais il y a plus : l’utilisation de ces animaux et objets
quotidiens en tant qu’acteurs, crée ainsi un certain décalage à l’origine de situations
poétiques et humoristiques. Poursuivant cette même volonté de démystifier le grand
théâtre classique, d'autres petites formes burlesques (qui pourront apporter un autre
éclairage sur l’histoire) seront développées parallèlement à ce récit premier.
Ainsi, diront-ils, « depuis toujours, notre démarche artistique tente de concilier l'univers
théâtral "traditionnel" (tragédie, comédie,…) avec des formes populaires (chansons et
danses dans le style music-hall, magie, théâtre d'objets et de marionnettes,...) qui, parce
qu'elles nous touchent et touchent tous les publics, nous semblent pouvoir renouer avec la
profondeur des textes théâtraux fondateurs. "Oedipe à la Ferme" raconte d'abord, avec les
moyens qui nous sont propres, une histoire et un mythe qui constituent un des récits
fondateurs de l'humanité. Derrière cette mise en scène ludique et originale, le spectateur
pourra donc à sa guise puiser des thèmes de réflexions ou tout simplement s’évader et
rire le temps d’un spectacle ».