Corrigé du commentaire à la maison facultatif Objet d`étude : le

Corrigé du commentaire à la maison facultatif
Objet d'étude : le théâtre
Introduction
En 1932, Jean Cocteau rédige et fait jouer La Machine infernale, pièce de théâtre dans
laquelle il réécrit le mythe d'OEdipe. La plupart des spectateurs connait sans doute, dans ses
grandes lignes, l'histoire de ce héros qui, de Sophocle à la psychanalyse, hante la culture
occidentale. Pourtant, Cocteau prend la peine d'insérer, en tête de sa pièce, un prologue prononcé
par une « voix » énigmatique, qui raconte l'histoire du personnage principal de la pièce. Cette
insertion est doublement problématique : d'une part, résumant l'action dans son entier, le prologue
ôte à la pièce tout suspens ; d'autre part, le type narratif retenu par Cocteau pour les premières
minutes de sa pièce contraste avec le genre du théâtre, qui veut qu'une histoire soit présentée en
actes, non en discours. Nous allons montrer que ce prologue reçoit trois fonctions particulières : il
sert d'exposition à la tragédie de Cocteau, il permet à l'auteur de moderniser le mythe, il conduit
également à réfléchir au principe même de l'écriture dramatique.
I. Une scène d'exposition tragique
1. présentation des lieux, des personnages et de l'action
Il s'agit d'une sorte de rappel de l'arrière-plan mythique de la pièce. Tous les spectateurs, quelle que
soit leur culture, disposent ainsi des mêmes informations.
2. le registre tragique
La Voix, qui est celle de Cocteau lui-même lors des premières représentations, crée un lien direct
entre auteur et spectateur (l.28). L'auteur, dans une sorte de transition entre le monde réel et le
monde imaginaire de l'espace scénique, indique au spectateur ce qu'il doit comprendre du spectacle.
- registre tragique, lexique de la fatalité, vocabulaire de la mort, "anéantissement mathématique d'un
mortel", allitération en [m], formule rythmée, implacable.
OEdipe est bien un héros ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant, qui passe du bonheur au malheur
en fonction d'un crime qu'il a commis poussé par la fatalité.
- la syntaxe : les différentes étapes de la vie d'OEdipe ne sont pas reliées par des connecteurs
logiques, sauf 2ème § " donc il faut fuir Polybe et Mérope", les événements s'enchaînent sans
qu'OEdipe puisse les maîtriser. Meurtre de Laius présenté comme une malheureuse erreur "le coup
se trompe d'adresse et assomme le maître.", juxtaposition d'indépendantes qui traduit un
enchaînement non maîtrisé "un cheval le bouscule ; une dispute éclate ; un domestique le menace,
etc." Les indicateurs temporels sont flous "un soir de voyage", "pendant une de ses haltes", vie
banale qui bascule par le meurtre de Laius et la victoire sur le Sphinx. L'ordre chronologique insiste
sur la fatalité dans l'histoire d'OEdipe et l'absence de lien logique montre que le personnage ne peut
y échapper.
3. le genre de la tragédie
-L'univers de la tragédie antique est évoqué, les Dieux, l'oracle de Delphes évoquent le mythe ainsi
que la Sphinx. L'atrocité de l'univers tragique est rappelée par les mots "monstre", "noces
monstrueuses", "le fléau", "la peste", " un criminel d'infecter le pays", intrusion de l'horreur dans le
quotidien. La notion de faute apparaît non seulement dans les oracles "inceste et parricide", mais
aussi dans le caractère d'OEdipe. En effet celui-ci est présenté comme "jeune, enthousiaste", naïf
sans doute et inconséquent. Le crime de Laius devient un "accident" que le jeune homme oublie,
puis des défauts plus condamnables sont précisés : "la curiosité, l'ambition le dévorent", vocabulaire
péjoratif renforcé par le verbe "se hâte". Caractère implusif qui rappelle le comportement d'OEdipe
lors de la rencontre avec Laius, "une dispute éclate" à cause d'une "bousculade", attitude
exagérée. Ici c'est l'hybris, la démesure grecque qui est mise en scène et qui justifie le sort
d'OEdipe. L'excès est contraire aux valeurs grecques et doit être puni. OEdipe porte en lui et sur lui
son destin : son nom "pieds troués" représente le martyre qu'il a enduré (suspendu par les pieds à un
arbre après sa naissance) et ses pieds resteront à jamais marqués. Enfin Jocaste est aussi coupable,
elle est présentée par la Voix comme étant la seule à avoir abandonné son fils. Elle se pend à la fin.
La boucle est bouclée.
-Le déroulement de l'action est propre à la tragédie décrite par Aristote : membre d'une même
famille, personnages de rang élevé, renversement de situation du bonheur au malheur "il importe
que leur victime tombe de haut", OEdipe croit échapper dans ses premières années à son destin, il
devient roi de Thèbes, "des années s'écoulent, prospères","le peuple aime son roi" et enchaînement
mécanique "la peste éclate", "de recherche en recherche, et comme enivré de malheur", "arrive au
pied du mur", "le piège se ferme", crescendo tragique.
II. La modernisation du mythe
1. Les écarts de langage
- Cocteau utilise le langage courant, relâché, voire familier : « « OEdipe, (…), leur tombe du ciel »,
« leur victime tombe de haut », « Œdipe arrive au pied du mur », « remontée à bloc ». Ecart de
langage par rapport au style noble de la tragédie classique.
- Le vocabulaire technique n'a pas non plus sa place dans une tragédie classique : la métaphore de la
machine, de la machination court dans le texte ( métaphore filée) et rappelle le titre : « remontée à
bloc », « ressort », « une des plus parfaites machines construites », « anéantissement mathématique
d'un mortel ». Cette métaphore se rapproche du mot « piège », qui évoque une sorte de labyrinthe
dans lequel se débat Œdipe, en vain. Le caractère mécanique du Destin est une nouveauté à
rapprocher de la modernité technologique de l'époque.
2. L'utilisation de l'humour
L'humour et l'ironie sont aussi peu conventionnels et certaines phrases peuvent être interprétées à la
fois de façon tragique et humoristique : La mort de Laïus au 3è§ est récitée comme une
simple anecdote, des phrases juxtaposées évoquent le meurtre du roi de Thèbes, sans émotion, cet
événement est même qualifié d' « accident ».Puis Œdipe poursuit son chemin comme si de rien
n'était. De plus lors de l'épisode avec le Sphinx, Cocteau utilise le mot « devinette », 4è §, pour
évoquer l'énigme mortelle, et poursuit sur le registre enfantin de la blague avec l'expression « et tue
tous ceux qui ne la devinent pas ». La rencontre avec le Sphinx, est rapportée à la manière d'un faux
roman policier, avec l'expression « Mystère », qui laisse planer une ombre, bien inutile pour le
spectateur qui connaît l'issue immédiatement avec le connecteur logique « toujours est-il que » qui
semble traiter cette fameuse rencontre comme un événement sans grande importance, la fin (la mort
du Sphinx) comptant bien plus que la résolution de l'énigme elle-même. Les dieux sont eux-mêmes
présentés comme de mauvais plaisantins, « les dieux s'amusent beaucoup », soulignée par l'adverbe
d'intensité.
3. L'insertion de références étrangères au mythe
- L'expression « lumièreest faite » est une sorte de parodie de la Genèse, le Fiat Lux, que la lumière
soit, et la lumière fut !
- Laïos devient Laïus, peut-être pour préparer les discours que Cocteau compte faire tenir à son
« fantôme ».
- Enfin la référence à l'opéra de Wagner est anachronique, 5è §, il mêle les mythologies grecques et
germaniques, et cela peut paraître décalé (malgré la comparaison entre le Sphinx et le Dragon).
Ces écarts ont pour but de mettre à distance le tragique, et ceci est paradoxal dans un texte qui nous
plonge précisément dans l'univers le plus oppressant de la tragédie (cf I).
III. Une réflexion sur le théâtre
1. La mécanique du théâtre mise à nue : une réflexion sur l'art du metteur en scène
En effet Cocteau n'hésite pas à nous montrer toutes les ficelles de l'intrigue, tous les envers du
décor.
- L'utilisation d'un enregistrement pour faire surgir la Voix est un moyen technique qui est, et se
revendique, comme un artifice théâtral. En effet, Cocteau immortalise sa présence et se place au
centre de sa pièce, et devient par cet effet lui-même un dieu, le véhicule même du destin.
- Cocteau s'amuse aussi beaucoup à évoquer la « machine », qui rappelle les machines, les décors
du théâtre classique. Il révéle le caractère « sadique » des dieux qui eux aussi « s'amusent beaucoup
», et qui agissent tels des metteurs en scène qui mènent l'histoire, comme le montrent les verbes de
parole « accusent », « exigent » mais aussi l'expression « Œdipe tombe du ciel », qui rappelle
l'image du pantin et celle du marionnettiste.
2. Spectacle et représentation
-Dramatisation du discours : Mise en exergue du premier oracle, en italiques, La voix s'exprime au
présent, à la fois d'énonciation de vérité générale, le spectateur est directement plongé dans l'univers
de la tragédie, le temps de l'histoire du mythe et de la représentation se superposent.
-Adresse directe au spectateur : impératif "Regarde, spectateur". Les déictiques « voici » et
« voilà », anciens dérivés du verbe voir, invitent aussi au regard.
Le prologue, bien qu'appartenant au type narratif, est un appel lancé au « regard » du spectateur, il a
bien pour fonction de « représenter », c'est-à-dire de rendre à nouveau présent.
3. La jouissance de la répétition
Ce prologue nous rappelle enfin que le théâtre est avant tout répétition, redite, plaisir de la
remémoration. On relève le mécanisme de la répétition à plusieurs niveaux :
reprises lexicales (oracle, parricide, inceste...)
reprises avec variations, « Il tuera son re. Il épousera sa re. » // « Tu assassineras ton père
et tu épouseras ta mère »
parallèles syntaxiques « Et voici le parricide. » // « Et voilà l'inceste »
la pièce elle-même s'annonce comme une immense répétition de ce qui vient d'être dit dans le
prologue.
Répétition, variation, amplification, la pièce tout entière adopte un patron musical. Le plaisir,
comme pour le petit enfant qui implore pour qu'on lui lise et relise son histoire préférée, vient de la
redite, de la re-présentation, bien plus que du suspens.
Conclusion
Raconter la pièce avant même qu'elle ne soit jouée pouvait sembler un pari étrange. Cocteau
nous place ici face à un double paradoxe. Il rappelle au spectateur plondans l'obscurité que le
théâtre est avant tout un lieu de spectacle, dédié au regard et à la représentation. Il lui suggère aussi,
alors même qu'il vient d'écrire une pièce nouvelle, moderne, novatrice, que le plaisir esthétique
nécessite la répétition éternelle des anciens mythes, qui renvoient l’homme, encore et toujours, à sa
condition de mortel. Confronté à un spectacle dérobé, à un suspens enrayé, le spectateur est convié
à devenir à son tour l'un des rouages de la mécanique du théâtre.
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