HOMMAGE À ALFREDO SALSANO
Notre ami Alfredo Salsano nous a quittés en juin dernier, à soixante-
cinq ans, juste avant que ne se tienne à Rome la première rencontre du
Collège de philosophie sociale (animé par M. Marramao, professeur de phi-
losophie à l’université La Sapienza), consacrée au numéro de la Revue du
MAUSS sur « l’autre mondialisation » et impulsée par lui. Alfredo avait
beaucoup œuvré pour que cette rencontre ait lieu, car elle devait permettre
dans son esprit de rassembler, dans la durée, des auteurs et des milieux qui
généralement s’ignorent. Ceux, notamment, si variés, opposés et complé-
mentaires à la fois, qu’il avait su réunir dans les collections qu’il animait
chez Bollati Boringhieri et qui commençaient à former une sorte
d’Internationale intellectuelle.
Réunir. C’est ce qu’il aura fait toute sa vie. Avec une ardeur et une effi-
cacité rares. Comment s’y prenait-il? Je n’en sais trop rien. Et d’autant
moins que, malgré de nombreux déjeuners ou dîners en tête à tête avec lui,
je ne pourrais pas dire que je le connaissais bien. Il y avait chez lui un côté
profondément secret, insaisissable presque, qui instaurait une certaine dis-
tance (ou est-ce moi qui la suscitais?). Mais cette distance était inséparable
d’une absolue présence, d’une humanité profonde, d’une capacité à trou-
ver de l’intérêt chez tous et pour tout qui lui ont valu un nombre impres-
sionnant d’amis. Chacun lié à lui par un biais spécifique. Il était trop multiple,
donc, pour que je puisse tenter ici de dire qui il était, et comment. En
revanche, je dois absolument dire tout ce qu’il a fait pour le MAUSS. Et
cela depuis les tout premiers numéros du Bullletin du MAUSS qu’il avait
lus aux PUF ou à la librairie Compagnie. Il fallait être réellement anti-uti-
litariste pour nous faire signe aussitôt, alors qu’il était déjà un éditeur reconnu
en Italie et que le Bulletin du MAUSS, tapé sur de vieilles machines à
écrire et qui tombait en lambeaux après une ou deux ouvertures, ressem-
blait plus à une feuille de chou d’étudiants attardés qu’à une revue « sérieuse ».
Sans doute avait-il été attiré par la place que nous y consacrions à Karl Polanyi,
dont il était le traducteur en Italie et auquel il a consacré énormément de
temps et d’attention jusqu’à il y a quelques mois encore (cf. le compte rendu
de son dernier ouvrage sur Polanyi dans le dernier numéro de la Revue du
MAUSS semestrielle). Aussitôt, il entreprit de faire connaître le MAUSS en
Italie. Nommé peu après directeur littéraire des éditions Bollati Boringhieri,
une importante maison d’édition de Turin, il publia (et traduisit lui-même
le plus souvent) Caillé, puis Latouche, puis Godbout, Berthoud, Nicolas,
Laville, etc.
Il y avait du mérite car il faut bien dire que les premiers Caillé (Mythologie
des sciences sociales, puis Critique de la raison utilitaire) rencontrèrent à
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