Médecine & enfance Actualités sur la maladie de Kawasaki CARDIOPÉDIATRIE F. Bajolle, centre de référence Malformations cardiaques congénitales complexes, M3C-Necker, hôpital Necker-Enfants Malades, Paris La maladie de Kawasaki est une vascularite qui touche essentiellement l’enfant de moins de cinq ans et plus fréquemment les garçons que les filles. Il peut exister des formes chez le jeune nourrisson de moins de un an, auxquelles il faut penser car elles sont plus à risque d’anévrisme coronaire. Les progrès thérapeutiques ont permis de diminuer l’incidence des atteintes coronaires de 25-30 % à 3-5 %. Le diagnostic reste clinique, et le pédiatre de ville a un rôle majeur à jouer dans la prise en charge rapide de cette maladie. Il va adresser le patient aux urgences, car le traitement initial repose sur une perfusion lente d’immunoglobulines humaines associée à de l’aspirine à dose anti-inflammatoire. Certains patients, dits réfractaires, restent fébriles ou le redeviennent dans les trente-six heures suivant la fin de la perfusion d’immunoglobulines. Ces patients ont un risque plus élevé d’atteinte coronaire et nécessitent un renforcement du traitement médical. Le suivi cardiologique à long terme est organisé en fonction de l’existence ou non d’une atteinte coronaire. Rubrique dirigée par F. Bajolle GÉNÉRALITÉS La maladie de Kawasaki, deuxième vascularite la plus fréquente de l’enfant après le purpura rhumatoïde, a été décrite par le médecin japonais Tomisaku Kawasaki il y a cinquante ans. Son diagnostic est clinique et fait poser l’indication d’un traitement intraveineux par immunoglobulines humaines (IgIV), associé à de l’aspirine à dose anti-inflammatoire [1]. La tranche d’âge la plus touchée se situe entre six mois et cinq ans. Plus de la moitié des cas surviennent chez des enfants de moins de deux ans. Cette maladie touche plus fréquemment les garçons (1,5/1). Décrite initialement au Japon, puis à Hawaï, aux EtatsUnis, au Canada et en Europe, l’incidence de la maladie augmente globalement dans le monde entier. Elle est évaluée à 216 cas pour 100 000 enfants de moins de cinq ans par an au Japon [2]. En France, elle est probablement de mieux en mieux diagnostiquée, et l’estimation de l’incidence serait d’environ 600 nouveaux cas par an, mais il n’existe pas de registre national à ce jour. La maladie résulte probablement de l’exposition à un agent étiologique ou environnemenmars 2013 page 72 tal, couplée à une prédisposition génétique [3, 4]. En effet, l’incidence plus élevée relevée au Japon et chez les enfants d’origine japonaise vivant aux EtatsUnis ou en Grande-Bretagne, ainsi que l’observation de cas familiaux suggèrent cette prédisposition génétique. Les épidémies hivernales et printanières et l’âge de survenue de la maladie sont des arguments en faveur d’une origine infectieuse. La gravité est due au fait que les coronaires peuvent, essentiellement lors de la phase subaiguë, être lésées et le siège d’anévrismes [5]. Les facteurs prédictifs de développement d’anévrismes coronaires sont un âge inférieur à un an et supérieur à huit ans, le sexe masculin, un retard diagnostique (fièvre et éruption prolongées), le caractère réfractaire, l’intensité et la persistance des perturbations biologiques. Les facteurs prédictifs de régression des anévrismes sont : anévrismes de petite taille, fusiformes et distaux, âge inférieur à un an. TABLEAUX CLINIQUES Bien qu’il n’existe pas de signe clinique ou biologique pathognomonique de la Médecine & enfance Critères cliniques et paracliniques, classiques et supplémentaires Figure 1 Inflammation sur la cicatrice de BCG Critères cliniques classiques : 첸 conjonctivite bulbaire non purulente 첸 atteinte muqueuse : pharyngite, chéilite, langue framboisée, stomatite 첸 exanthème polymorphe du tronc 첸 atteinte des extrémités : érythème des paumes des mains et/ou des plantes des pieds, œdème palmo-plantaire, desquamation palmo-plantaire secondaire 첸 atteinte unilatérale des ganglions cervicaux : adénopathies de plus de 1,5 cm de diamètre Critères biologiques classiques : 첸 élévation de la VS 첸 élévation de la CRP 첸 hyperleucocytose 첸 anémie 첸 thrombocytose 첸 hypoalbuminémie 첸 hyponatrémie 첸 augmentation des transaminases et des gamma-GT 첸 pyurie aseptique, protéinurie, hématurie 첸 hyperleucocytose du liquide synovial 첸 méningite lymphocytaire aseptique Critères biologiques supplémentaires : 첸 albumine ≤ 3 g/dl 첸 anémie pour l’âge 첸 plaquettes ≥ à 450000 au 7e jour 첸 GB ≥ 15 000 첸 ECBU ≥ 10000 GB Echographie cardiaque anormale Figure 2 Desquamation typique en doigt de gant Critères cliniques supplémentaires : 첸 cardiovasculaires : dilatation des artères coronaires, anévrismes coronaires, infarctus, myocardite avec possible insuffisance cardiaque congestive, péricardite, épanchement péricardique, fuites valvulaires, anévrismes des vaisseaux du cou, des artères rénales, spléniques, hépatiques, pancréatiques, génitales, gangrènes distales et pseudo-Raynaud 첸 digestifs : diarrhées, vomissements, douleurs abdominales, hydrocholécyste, dysfonction hépatique 첸 respiratoires : toux et rhinorrhée 첸 neuroméningés : troubles de la conscience avec irritabilité, apathie, état grognon, hypoacousie 첸 articulaires : arthrite, arthralgies 첸 autres : uvéite, érythème au niveau de la cicatrice de BCG, desquamation de l’aine Exclusion des diagnostics différentiels : 첸 origine virale : adénovirus, entérovirus, EBV, rougeole 첸 scarlatine 첸 syndrome d’épidermolyse staphylococcique 첸 syndrome du choc toxique maladie, le diagnostic reste essentiellement clinique. La fièvre doit être associée à quatre des cinq critères majeurs (voir tableau) pour que le diagnostic soit posé avec certitude [1]. Dans les formes atypiques, le tableau clinique est dominé par un symptôme inhabituel : diarrhée sanglante secondaire à une entérocolite, convulsions, ascite, obstruction des voies aériennes supérieures, œdème pulmonaire secondaire à une myocardite sévère, épiglottite, adénopathies cervicales compressives, hémolyse, syndrome néphrotique, hyponatrémie ou syndrome de défaillance multiviscérale. Ces formes se différencient des formes 첸 adénopathie bactérienne 첸 hypersensibilté aux médicaments 첸 syndrome de Stevens-Johnson 첸 polyarthrite juvénile 첸 leptospirose incomplètes où la fièvre, présente depuis plus de cinq jours, est associée à seulement deux ou trois critères cliniques ou biologiques classiques. Des signes supplémentaires (voir tableau) doivent alors être recherchés, et le cardiologue peut être mis à contribution pour aider le pédiatre à trancher sur l’opportunité d’un traitement par des immunoglobulines, une échographie cardiaque anormale pouvant signer le diagnostic et faire débuter le traitement [1]. La présence d’un érythème induré, d’une croûte ou d’une ulcération au niveau de la cicatrice du BCG est un très bon signe de la maladie (figure 1) . Ce mars 2013 page 73 signe, peu connu en France, est présent chez 50 à 70 % des patients japonais [6]. Lorsque le médecin traitant constate une desquamation en doigt de gant des extrémités (figure 2) chez un enfant non suivi pour une maladie de Kawasaki dans les semaines précédentes, il doit prescrire une échographie cardiaque pour s’assurer de l’absence de lésions coronaires. Enfin, des formes de l’adulte et de l’adolescent ont été rapportées. Les symptômes majeurs sont identiques à ceux des enfants, mais les troubles digestifs, l’atteinte hépatique, les signes articulaires et les encéphalites sont plus fréquents. PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE Elle doit être précoce et repose sur une Médecine & enfance Figure 3 Prise en charge de la maladie de Kawasaki Figure 4 Echographie cardiaque : tronc commun (TC) régulier puis anévrisme 첸 Immunoglobulines à 2 g/kg en intraveineux à la seringue électrique sur 12 h 첸 Aspirine 80 mg/kg/j (dose anti-inflammatoire) jusqu’à l’apyrexie, puis 1-5 mg/kg/j (dose AAP) 첸 Echographie cardiaque et ECG hebdomadaires pendant 4 semaines anévrisme Jamais d’atteinte coronaire : AAP pendant 8 semaines Consultation à 3 mois Arrêt de l’AAP et clôture du dossier Coronaires normales Arrêt de l’AAP et clôture du dossier Atteinte coronaire : AAP au moins un an + AVK si anévrisme > 6 mm Coroscanner à un an si dilatation coronaire et/ou anévrisme < 6 mm Coronarographie à un an si anévrisme > 6 mm Persistance d’anomalies coronaires si < 6 mm AAP prolongé Consultation annuelle si ≥ 6 mm AAP et AVK à vie Consultation semestrielle TC Figure 5 Scanner cardiaque : anévrismes en chapelet (flèches) aorte en charge initiale et à moyen terme est synthétisée dans la figure 3. Il faut savoir évoquer les formes résistantes ou réfractaires lorsque les patients restent fébriles ou le redeviennent dans les trente-six heures suivant la fin de la perfusion d’immunoglobulines [1]. Le taux de résistance peut atteindre 40 % mais est évalué à 20 % dans la majorité des pays [6]. Cette réponse insatisfaisante au traitement initial est associée à un risque plus élevé d’atteinte coronaire. Des critères prédictifs de résistance ont été identifiés : enfant de moins de six mois, diagnostic précoce (avant quatre jours de fièvre), certaines anomalies biologiques initiales et la présence d’anomalies échographiques initiales. Ces non-répondeurs doivent être traités par une deuxième dose d’immunoglobulines de 2 g/kg [8]. Récemment, le score d’Egami, qui aide à prédire le caractère résistant de la maladie, a été utilisé dans une étude randomisée pour évaluer le bénémars 2013 page 74 ➝ ➝ AAP : antiagrégant plaquettaire ECG : électrocardiogramme AVK : antivitamine K perfusion lente d’immunoglobulines humaines associée à de l’aspirine à dose anti-inflammatoire [1]. La tolérance des immunoglobulines est le plus souvent excellente. Les IgIV sont des médicaments dérivés du sang et doivent donc être notées dans le dossier transfusionnel de l’enfant comme dans son carnet de santé. Le traitement par l’aspirine à dose anti-inflammatoire ne diminue pas la fréquence des lésions coronaires, raison pour laquelle son utilisation à cette dose est très discutée actuellement [6]. Cependant, les dernières recommandations maintiennent l’indication de la dose antiinflammatoire suivie d’une dose antiplaquettaire [7]. Le traitement de choix et de première intention reste la perfusion d’IgIV. Elle doit être faite le plus précocement possible et idéalement dans les sept premiers jours de fièvre. Elle reste efficace après dix jours de fièvre et permet la résolution de l’inflammation, mais elle est trop tardive pour prévenir la survenue de lésions coronaires [8]. La prise aorte fice d’un bolus de corticoïdes associé à la deuxième perfusion d’IgIV. Les patients résistants avec un score élevé qui avaient reçu un bolus de corticoïdes et une perfusion d’héparine en même temps que la deuxième injection d’IgIV étaient plus améliorés que les patients résistants n’ayant reçu qu’une deuxième injection d’IgIV [9]. D’autres traitements pourraient s’avérer utiles dans ces formes particulièrement sévères. Enfin, on conseille d’attendre au minimum six semaines (de préférence trois mois) après une perfusion d’IgIV pour administrer des vaccins constitués de virus vivants atténués (rougeole, rubéole, oreillons, varicelle, etc.) pour éviter d’entraver leur efficacité. Médecine & enfance EXAMENS COMPLÉMENTAIRES ET ÉVOLUTION L’échographie est l’examen le plus fiable et le plus sensible pour détecter les anévrismes coronaires à la phase aiguë et subaiguë. On préconise un suivi par un électrocardiogramme (ECG) et une échographie cardiaque, initialement hebdomadaires (figures 3 et 4). Les anévrismes coronaires surviennent le plus souvent entre le dixième et le vingt-cinquième jour d’évolution [1]. Il n’y a pas d’indication à contrôler le bilan sanguin lors du suivi si l’enfant retrouve un état clinique satisfaisant dans les semaines qui suivent le diagnostic. En effet, l’inflammation biologique peut durer jusqu’à soixante-dix jours. Le bilan sera donc perturbé de façon prolongée. Si un enfant pour lequel un diagnostic de Kawasaki a été fait ne retrouve pas un état général satisfaisant dans les deux mois qui suivent le diagnostic, un bilan à la recherche d’un diagnostic différentiel doit être envisagé (arthrite juvénile, maladie de système…). Enfin, dans les formes graves, le cathétérisme cardiaque est toujours indiqué pour faire un bilan complet des lésions. On peut aussi observer des anévrismes sur les axes artériels des membres, souvent de façon symétrique (artère axillaire, humérale, radiale, fémorale, iliaque), Références [1] NEWBURGER J.W., TAKAHASHI M., GERBER M.A. ET AL. ; COMMITTEE ON RHEUMATIC FEVER, ENDOCARDITIS AND KAWASAKI DISEASE ; COUNCIL ON CARDIOVASCULAR DISEASE IN THE YOUNG ; AMERICAN HEART ASSOCIATION ; AMERICAN ACADEMY OF PEDIATRICS : « Diagnosis, treatment, and long-term management of Kawasaki disease : a statement for health professionals from the Committee on Rheumatic Fever, Endocarditis and Kawasaki Disease, Council on Cardiovascular Disease in the Young, American Heart Association », Circulation, 2004 ; 110 : 2747-71. [2] UEHARA R., BELAY E.D. : « Epidemiology of Kawasaki disease et sur les artères abdominales, en particulier les mésentériques supérieure et inférieure, avec éventuellement un infarctus mésentérique. Les atteintes des artères rénales sont plus rares et des carotides exceptionnelles. La maladie comprend trois phases : la phase aiguë (J0-J10), où l’atteinte cardiaque est rare ; la phase subaiguë (J10J20), où le diagnostic de complication coronaire est le plus fréquent ; la phase de convalescence (J20-J70), où l’on peut voir des anévrismes et/ou des sténoses cicatricielles. Lorsque les anévrismes sont de grande taille (plus de 8 mm), ils peuvent ne pas régresser. Sur le plan cardiaque, le risque de lésion coronaire est de moins de 5 % chez les enfants traités précocement. Il existe différents types de lésions ; les deux principaux sont les dilatations coronaires (2,3 %) et les anévrismes (1 %), mais on observe aussi des anomalies valvulaires, des anévrismes géants, des sténoses coronaires et des infarctus [10]. Le suivi à long terme est établi selon une stratification du risque [1]. On peut être amené à faire un scanner cardiaque (figure 5) ou une coronarographie en cas d’atteinte coronaire. Finalement, la question d’un risque augmenté de maladie coronaire à l’âge adulte reste discutée. Les anomalies histologiques vasculaires dans la maladie de Kawasaki sont différentes de celles de l’athérosclérose. Cependant, il existe une moindre capa- cité de vasodilatation des artères coronaires (dysfonction endothéliale), même chez les enfants sans atteinte coronaire initiale. Les études de la prochaine décennie devraient donner des réponses plus claires, d’autant que les premiers patients ont désormais atteint l’âge de l’athérosclérose. Actuellement, il faut être rassurant avec les parents, surtout avec ceux dont les enfants n’ont pas eu de lésion coronaire ou qui ont eu des lésions régressives, tout en préconisant une prévention des facteurs de risques cardiovasculaires à l’âge adulte. in Asia, Europe, and the United States », J. Epidemiol., 2012 ; 22 : 79-85. [3] BURGNER D., HARNDEN A. : « Kawasaki disease : what is the epidemiology telling us about the etiology ? », Int. J. Infect. Dis., 2005 ; 9 : 185-94. [4] WANG C.L., WU Y.T., LIU C.A. et al. : « Kawasaki disease : infection, immunity and genetics », Pediatr. Infect. Dis. J., 2005 ; 24 : 998-1004. [5] LEUNG D.Y., COTRAN R.S., KURT-JONES E. et al. : « Endothelial cell activation and high interleukin-1 secretion in the pathogenesis of acute Kawasaki disease », Lancet, 1989 ; 2 : 1298-302. [6] KUO H.C., YANG K.D., CHANG W.C. et al. : « Kawasaki disease : an update on diagnosis and treatment », Pediatr. Neonatol., 2012 ; 53 : 4-11. [7] MONAGLE P., CHAN A.K., GOLDENBERG N.A. et al. : « Antithrombotic therapy in neonates and children : Antithrombotic Therapy and Prevention of Thrombosis, 9th ed : American College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines », Chest, 2012 ; 141 (suppl. 2) : e737S-801S. [8] MUTA H., ISHII M., YASHIRO M. et al. : « Late intravenous immunoglobulin treatment in patients with Kawasaki disease », Pediatrics, 2012 ; 129 : e291-7. [9] OGATA S., OGIHARA Y., HONDA T. et al. : « Corticosteroid pulse combination therapy for refractory Kawasaki disease : a randomized trial », Pediatrics, 2012 ; 129 : e17-23. [10] FUKAZAWA R. : « Long-term prognosis of Kawasaki disease : increased cardiovascular risk ? », Curr. Opin. Pediatr., 2010 ; 22 : 587-92. mars 2013 page 75 CONCLUSION La maladie de Kawasaki est le plus souvent bénigne, mais elle peut être grave lorsqu’il y a une atteinte coronaire irréversible. Heureusement, cela est devenu exceptionnel depuis qu’elle est traitée de manière précoce et efficace par les immunoglobulines. La prise en charge est très standardisée. Les complications cardiovasculaires doivent être recherchées systématiquement. L’information des parents sur la maladie de Kawasaki est spécifique. Elle permet d’éviter une angoisse parentale prolongée, surtout lorsque les artères coronaires sont normales après le premier mois d’évolution. La priorité reste la mise au point d’un test diagnostique fiable, élément essentiel pour la recherche en génétique et en thérapeutique. 첸