Perception and use of an electronic medical record system by

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L’Encéphale (2009) 35, 454—460
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
SANTÉ PUBLIQUE
Perception et utilisation d’un dossier patient
informatisé par les professionnels d’un
établissement public de psychiatrie
Perception and use of an electronic medical record
system by professionals of a public psychiatric
hospital
L. Boyer a,∗, M.-H. Renaud a, S. Limousin b, J.-M. Henry b, P. Caïetta b,
M. Fieschi a, J.-C. Samuelian b
a
Unité d’information médicale en psychiatrie, service de santé publique et d’information médicale, hôpital de la Timone,
Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, Marseille, France
b
Pôle de psychiatrie centre, hôpital de la Conception, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, France
Reçu le 18 septembre 2007 ; accepté le 6 juin 2008
Disponible sur Internet le 30 septembre 2008
MOTS CLÉS
Dossier patient
informatisé ;
Professionnels de
santé ;
Hôpital ;
Psychiatrie
∗
Résumé
Objectifs. — Évaluer l’intérêt porté par les professionnels de santé au dossier patient informatisé
en psychiatrie (DPIP) et son utilisation dans le cadre des activités d’amélioration de la qualité
des soins.
Méthodes. — Il s’agissait d’une étude qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès des professionnels d’un établissement public de psychiatrie. Toutes les personnes
sollicitées ont accepté de répondre à l’enquête. Le nombre d’entretiens a été déterminé par
saturation de contenu. Au total, 60 personnes se sont prêtées à l’entretien : dix médecins,
42 cadres et infirmier(e)s et huit professionnels paramédicaux.
Résultats. — Quatre-vingt-seize pour cent des personnes interrogées utilisaient le DPIP. Le
nombre moyen d’utilisation quotidienne était de sept (E.T. = 5). Soixante-sept pour cent des
personnes en avaient une opinion favorable. Les opinions favorables étaient plus fréquentes
chez les médecins que chez les infirmiers, dont l’activité d’accompagnement pouvait se prêter
moins bien à une saisie informatique. Les professionnels de santé considéraient que le DPIP
améliorait la globalité de la prise en charge, la connaissance du parcours de soins, la continuité
des soins et, par conséquent, la qualité de la prise en charge. Ces effets positifs pouvaient
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (L. Boyer).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.06.010
Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels
455
être remis en cause par une surcharge de travail liée au remplissage du DPIP (manque de
connaissance technique et manque de matériel informatique, impossibilité de saisir en temps
réel les données au lit du patient) et par certains dysfonctionnements du système informatique.
Les deux conséquences principales pouvaient être le remplissage incomplet du DPIP et une
réduction du temps consacré aux soins.
Conclusion. — Ce travail propose des pistes d’amélioration dans l’utilisation du DPIP. Malgré cela, une véritable réflexion doit être initiée sur ces nouveaux systèmes d’information
en psychiatrie, dont les objectifs réels peuvent être perçus comme ambigus par les utilisateurs, afin de mettre en place des programmes de clarification, d’éducation et de
réassurance.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
KEYWORDS
Electronic medical
files;
Quality in health
care;
Care providers;
Hospital;
Psychiatry
Summary
Objectives. — The aim of this study was to evaluate the interest taken by the health care
providers in the electronic medical file and its use within the quality improvement process.
Setting. — Our institution is a 204-bed psychiatric hospital, employing 328 professionals and
comprising three sectors: six units of complete hospitalisation (102 beds), one unit of week
hospitalisation (15 beds), one unit of emergency (7 beds) and one unit of night hospitalisation
(15 beds). Three extrahospital structures include the day hospitalisation (65 places), the medicopsychological centers (CMP) and the part-time therapeutic reception centers (CATTP) of the
three sectors.
Methods. — We conducted face-to-face, semi-structured interviews with health care providers of a public psychiatric hospital. All the solicited people agreed to answer
the investigation. The interviews were conducted until no new ideas emerged in the
content analysis performed in real time, comprising 60 care providers: 10 psychiatrists, 42 nurses and eight paramedical professionals. Content analysis was performed
by two members of the steering committee who were skilled in textual analysis. A
descriptive analysis was also performed. The variables were described by proportions
and means. The proportions were compared using the Chi-squared test or Fisher exact
test where appropriate. A two-tailed P-value of greater than 0.05 was considered to
indicate statistical significance. Statistical analyses were carried out using SPSS version
13.0.
Results. — Ninety-six percent of the interviewed subjects used the electronic medical file.
The average number of daily use was seven (S.D. = 5). Sixty-seven percent had a favorable opinion of the electronic medical file. Physicians had more frequent favorable
opinions than nurses who considered that electronic medical files cannot capture real
nursing activity. Health care providers considered that electronic medical file could be
associated with improved quality of care, but two points should be taken into account:
the increased documentation time (slow system response, multiple screens, the lack of
computer knowledge, the absence of bedside documentation technology. . .) and dysfunctions in the information processing system. This could have an impact on documentation
completeness, and quality and could also lead to a reduction of time devoted to
care.
Conclusion. — This study proposes tracks of improvement in the use of the DPIP. In spite of this,
a true debate must be initiated on these new information systems in psychiatry since their real
objectives can be perceived as ambiguous, so that programs of clarification, education and
reinsurance can be set-up.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
L’évolution de la médecine exige une mise en commun
d’informations entre tous les acteurs du système de santé
et le patient afin d’améliorer sa prise en charge, la
coordination et la continuité des soins. Le développement récent des technologies de l’information et de la
communication permet aujourd’hui de tels échanges [7].
Un dossier patient informatisé constitue un outil pouvant contribuer à la satisfaction des besoins qu’exprime
notre système de santé : réduction des erreurs médicales,
amélioration de l’utilisation des ressources, accélération de
la diffusion des connaissances et aide à la décision, réduction de la variabilité des procédures de soins, meilleure
information du patient, principal acteur de sa santé,
promotion de la prévention [8,15,22,23]. . . La psychiatrie
n’échappe pas à cette évolution [5]. L’apparition d’outils
informatiques dans le quotidien de la prise en charge
psychiatrique invite à une réflexion sur les notions de
communication et d’information, d’autant plus que la mise
en place réglementaire d’un recueil d’information medicalisée en psychiatrie depuis le 1er janvier 2007 a accentué
456
cette « informatisation »1 . Dans ce contexte, un dossier
patient informatisé en psychiatrie (DPIP) vient d’être mis
en place dans notre établissement public de psychiatrie. Si
sa pertinence en tant qu’outil d’amélioration de la qualité
paraît aller de soi, l’impact sur l’organisation de la prise
en charge et l’activité quotidienne des utilisateurs en
psychiatrie a rarement été objectivé.
Le travail que nous présentons est consacré à cette
question de l’impact du DPIP auprès des professionnels de
santé. L’objectif de l’étude était d’évaluer la « notoriété »
du DPIP auprès des professionnels et de déterminer de quelle
manière il était utilisé par les équipes soignantes.
Population et méthodes
Site de l’étude
Notre établissement public couvre trois secteurs, soit une
population supérieure à 200 000 habitants. Il comprend un
bâtiment d’hospitalisation avec six unités d’hospitalisations
complètes (102 lits), une unité d’hospitalisation de semaine
(15 lits), une unité d’accueil des urgences (7 lits) et une unité
d’hospitalisation de nuit (15 lits). Trois structures extrahospitalières accueillent les hospitalisations de jour (65 places),
les centres médicopsychologiques (CMP) et les centres
d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) des trois
secteurs. Le personnel comprend 28 psychiatres, 228 infirmier(e)s, dont 21 cadres, 12 psychologues, dix assistantes
sociales et 50 autres agents (secrétaires, administratifs et
ASH). En 2006, la file active des patients s’élevait à 3095.
Le dossier patient informatisé en psychiatrie
Le déploiement
Un DPIP a été mis en place en février 2007. Nous avons
débuté par une expérimentation sur un secteur comprenant
deux unités d’hospitalisations complètes, un unité d’hôpital
de semaine, un hôpital de jour, un CMP et un CATTP et le service d’accueil des urgences. Cette phase d’expérimentation
devrait se terminer en septembre 2007, date de la généralisation du déploiement à l’ensemble de l’établissement.
Un groupe de pilotage, composé de deux psychiatres, d’un
cadre de santé, d’un médecin de santé publique et de deux
informaticiens, est chargé de veiller au bon déroulement
général du projet.
Premièrement, le contenu du dossier a été élaboré
par un groupe de travail pluridisciplinaire (représentants des professionnels) afin d’optimiser l’acceptabilité et
l’appropriation du dossier.
La deuxième étape a consisté en la mise à disposition
d’un parc informatique adapté à ce projet : déploiement
d’ordinateurs dans les unités de soins (des postes nominatifs
pour les médecins et les cadres, des postes partagés pour les
infirmiers et professionnels paramédicaux).
1 Arrêté du 29 juin 2006 relatif au recueil et au traitement des
données d’activité médicale des établissements de santé publics
ou privés ayant une activité en psychiatrie et à la transmission
d’informations issues de ce traitement dans les conditions définies
aux articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du Code de la santé publique.
L. Boyer et al.
Troisièmement, des séances de formations au logiciel ont
été réalisées depuis le mois de janvier 2007. Au total, 243
personnes ont été formées, dont 50 référents, par un médecin de santé publique et un cadre de santé. Les référents
ont formé à leur tour leurs collaborateurs (formation en
cascade).
Le dossier patient informatisé
Ce dossier est accessible sur le site intranet de
l’établissement. Il est sécurisé par un code identifiant et
un mot de passe devant être changé tous les mois.
La « philosophie » de ce dossier est le partage de
l’information et le décloisonnement de la prise en charge. Il
comprend une partie « dossier patient » propre et une partie
« module de recueil de l’information médicalisée en psychiatrie ». Le remplissage des pages est limité par un accès
spécifique pour chaque catégorie professionnelle. Les pages
médicales ne peuvent être remplies que par les médecins,
les pages infirmières que par les infirmiers. . . La lecture du
dossier dans sa globalité est ouverte à l’ensemble des professionnels du secteur prenant en charge le patient.
Le dossier informatisé a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, conformément à la réglementation
en vigueur. Un médecin chargé de l’information médicale
est garant de la confidentialité des données ainsi que de
l’analyse de l’activité. Le droit d’accès des patients au
dossier ainsi que les saisies pour raison judiciaire restent
inchangés par rapport aux pratiques actuelles en psychiatrie. Le dossier est transmis sous format papier (module
d’impression).
Protocole de l’étude et population étudiée
Il s’agissait d’une étude qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs auprès des professionnels des sept
unités de psychiatrie qui expérimentent le dossier informatisé. Une liste comprenant l’ensemble des professionnels
concernés de l’établissement a été établie. Un tirage au
sort visant à déterminer l’ordre de passation des entretiens
a été réalisé à partir de cette liste. Toutes les personnes
sollicitées ont accepté de répondre à l’enquête. Le nombre
d’entretiens a été déterminé par saturation de contenu
[14]. Au total, 60 personnes se sont prêtées à l’entretien
(entre un tiers et un quart des effectifs de chaque catégorie
professionnelle) : dix médecins, 42 infirmières et huit professionnels paramédicaux. Les objectifs poursuivis ont été
expliqués au début de l’entretien de façon standardisée.
Chaque entretien durait de 30 à 60 minutes en moyenne et
explorait l’opinion de la personne sur le DPIP.
Méthodes d’analyse
Les propos des personnes interrogées ont fait l’objet d’une
prise de notes au cours de l’entretien. Le corpus des entretiens a fait l’objet d’une analyse thématique par deux
enquêteurs, identifiant les registres d’expression des professionnels et leurs représentations du DPIP. Une analyse
statistique descriptive a été réalisée avec le logiciel SPSS
13.0. Les résultats sont présentés sous forme de pourcentages et de moyennes. L’indépendance des variables était
analysée par le test de Khi2 remplacé par le test exact
Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels
de Fisher dans le cas où les effectifs attendus étaient
trop faibles. Le seuil de significativité statistique a été
fixé à 5 %.
Résultats
Caractéristiques de la population
Parmi les 60 personnes interrogées, l’âge moyen était
de 43 ans (± 10). Cette moyenne était moins élevée
pour les médecins (34,9 ± 11,3) que pour les infirmiers
et les autres professionnels (respectivement 43,2 ± 9,3
et 51,6 ± 5,7 ans ; p = 0,02). Les femmes représentaient
23 % de la population. Sept personnes déclaraient n’avoir
aucune connaissance informatique, 26 des connaissances
dites de « base » et 27 des connaissances approfondies
(utilisation régulière de logiciels de traitement de texte,
des fonctions copier—coller, d’Internet, d’une messagerie). La majorité des infirmiers avait des connaissances
dites de « base » (54,8 %) alors que la majorité des
médecins et autres professions paramédicales avait des
connaissances approfondies (80,0 et 87,5 % ; p = 0,003).
La majorité avait eu une formation à l’utilisation du
DPIP (88 %), dont 70 % des personnes étaient satisfaites. Les médecins et les autres professionnels étaient
plus souvent satisfaits que les infirmiers (p = 0,049)
(Tableau 1).
Tableau 1 Résumé des caractéristiques de la population
étudiée (n = 60a ).
Âge en années
Ancienneté de l’activité
en psychiatrie
Moyenne ± E.T.b
Min, maxc
42,9 ± 10,2
12,0 ± 10,5
23—58
1—33
Sexe
Masculin
Féminin
Profession
Médecins
Infirmières
Professions paramédicales
Service
Urgence
Hospitalisation complète
Structure extrahospitalière
Connaissances informatiques
Aucune
Connaissances de base
Connaissances approfondies
Formation à l’utilisation du DPIP
Satisfaction vis-à-vis de la formation
a
b
c
d
Effectif total.
Moyenne ± écart-type.
Minimum, maximum.
Pourcentage.
na
%d
43
17
72
28
10
42
8
17
70
13
20
20
20
33
33
33
7
26
27
53
42
12
43
45
88
70
457
Opinion générale des professionnels de santé sur le
DPIP
Soixante-sept pour cent des personnes interviewées déclaraient avoir une opinion très favorable sur le DPIP qu’elles
qualifiaient d’« important » ou « utile ». Les opinions favorables sur le DPIP étaient plus élevées chez les médecins
(100 %) que chez les autres professionnels, notamment les
infirmiers (59 %). Vingt-cinq personnes considéraient que
cela était une obligation institutionnelle et légale dans le
cadre du recueil d’information médicalisée en psychiatrie,
alors que 30 personnes y voyaient une nécessité d’un point
de vue organisationnel, notamment en termes d’accès à des
informations.
Soixante-quatre pour cent des personnes interrogées
considéraient que les garanties de confidentialité et de sécurité étaient suffisantes. Quinze personnes s’interrogeaient
sur la légitimité du partage des informations. Elles remettaient en cause le fait que tous les professionnels d’un
secteur puissent consulter un dossier dès lors que le patient
était passé une fois dans ce secteur. Pour 14 personnes, la
confidentialité et la sécurité des données pouvaient être
remises en cause au niveau des bureaux de soins infirmiers. L’existence d’ordinateurs partagés pouvait faciliter
l’ouverture ou l’utilisation de la session d’une tierce personne.
Utilisation du DPIP
Quatre-vingt seize pour cent des personnes interrogées
déclaraient utiliser le DPIP. Il n’apparaissait pas de différences statistiques selon la catégorie professionnelle,
l’appartenance à un service ou les connaissances informatiques. Le nombre d’utilisation quotidienne du DPIP était
de sept en moyenne (± 5) (minimum—maximum : 1—15).
Cette utilisation quotidienne variait statistiquement selon
les connaissances informatiques des utilisateurs. Les personnes, considérant avoir des connaissances approfondies,
utilisaient le DPIP neuf fois par jour (± 5), des connaissances
de base six fois (± 5) et aucune connaissance deux fois (± 2 ;
p = 0,03).
Impact sur les pratiques professionnelles
Soixante-dix pour cent des personnes interrogées considéraient que le DPIP avait un impact sur la prise en charge des
patients. Cette perception était plus nette chez les médecins que chez les infirmières (p = 0,04). Le DPIP améliorait
« la globalité de la prise en charge », « la connaissance du
parcours de soins », « la continuité des soins », « la traçabilité
des soins et actions » et il pouvait être utilisé comme « un
outil de recherche pour améliorer la qualité des soins ».
On observait sur cette question des variations selon les
professions (Tableau 2). Les infirmiers étaient plus septiques sur les apports de DPIP. Certains ne voyaient pas
le bénéfice que pouvait apporter l’informatique par rapport au papier. Ils déclaraient que le dossier informatisé
provoquait une perte de temps du fait des nombreuses
manipulations et recherches (nécessité d’une adaptation
à l’outil, réflexes supplémentaires pas totalement acquis,
manque d’expérience) à effectuer et que cela avait pour
458
L. Boyer et al.
Tableau 2
positives).
Opinions et utilisation du dossier patient informatisé par les professionnels de santé (en pour cent de réponses
Opinion favorable sur le DPIP
Utilisation du DPIP
Impact sur la prise en charge
Impact sur l’organisation du service
Impact sur les relations entre les professionnels
Impact sur les relations entre les professionnels et les patients
a
Médecins n = 10
Infirmiers n = 42
Autres n = 8
pa
100
100
90
90
50
40
59
98
63
70
52
50
88
88
100
63
38
14
0,02
0,28
0,04
0,34
0,74
0,20
Degré de significativité.
conséquence une réduction du temps consacré aux soins
du patient. Les professionnels estimaient qu’ils passaient
quotidiennement en moyenne une heure de plus par jour à
remplir le dossier informatique que le dossier papier.
Cinquante-cinq pour cent des professionnels soulignaient
la modification des pratiques rédactionnelles. Vingt-six
personnes mettaient en avant de façon très positive le
caractère synthétique, la lisibilité et la possibilité de
modifier ses notes après réflexion. Dix-neuf personnes considéraient que le DPIP avait permis de « standardiser » et
d’« uniformiser » le remplissage du dossier, facilitant ainsi
sa lecture. Par exemple, le DPIP a eu un « effet positif » sur
le remplissage des transmissions ciblées par les infirmières.
En miroir, 15 personnes considéraient ces mêmes éléments
comme négatifs. Le principe général du support informatique (tout ce qui est écrit est en ligne, plus de gens y
ont accès) pouvait être à l’origine d’un « style épuré », d’un
« choix plus réfléchi des mots », d’un « manque de spontanéité », d’une « perte d’information ». Les personnes ayant
une connaissance informatique « approfondie » avaient une
vision plus positive (85 %) que ceux ayant des connaissances
moins importantes ou nulles (68 et 33 % respectivement ;
p = 0,03).
Soixante-dix pour cent des personnes interviewées considéraient que le DPIP avait un impact sur l’organisation du
service. Cet impact était plus souvent signalé au niveau
des urgences (92,3 %) que dans les services d’hospitalisation
complète (79,2 %) et les structures extrahospitalières
(71,2 %) (p = 0,02). Sept personnes déclaraient que le DPIP
avait nécessité plus de rigueur dans l’organisation du travail.
Trois éléments négatifs revenaient fréquemment. Premièrement, la difficulté des visites en chambre et l’impossibilité
de saisir en temps réel des données au lit du patient
(absence de tablettes portables). Selon les personnes
interrogées, ces « tablettes » permettraient d’optimiser la
réactivité des équipes, d’éviter les saisies sur papier puis les
resaisies informatiques. Cette double saisie était à l’origine
d’erreurs de retranscription, d’une non-retranscription et
d’une augmentation importante de la charge de travail.
Deuxièmement, le manque de postes informatiques dans
le bureau de soins infirmiers nécessitait l’organisation d’un
relais sur les ordinateurs, ce qui était également à l’origine
d’une perte de temps. Enfin, les utilisateurs déclaraient
que le support informatique avait été à quelques reprises
indisponibles du fait des pannes du réseau informatique de
l’établissement ou d’erreurs techniques du logiciel.
Concernant les relations entre les professionnels, 50 %
des personnes interrogées pensaient que le DPIP avait un
impact important. Huit personnes ont constaté que le DPIP
avait créé de nouvelles relations entre les services ou entre
« les anciennes » et les « nouvelles » au sein d’un même service. Les principaux éléments négatifs retrouvés étaient la
diminution du temps oral (9 personnes), la majoration du
stress lors de l’écriture d’une observation (4 personnes) du
fait d’une mauvaise maîtrise de l’outil (peur de perdre les
données, de ne pas enregistrer. . .) et parfois des tensions
entre les « pro » et les « anti-DPIP » (4 personnes).
Pour 43 % des personnes interrogées, le DPIP avait un
impact négatif sur les relations entre les professionnels
et les patients. Vingt-quatre personnes soulignaient leur
manque de disponibilité pour les patients et cinq trouvaient
que l’ordinateur pouvait introduire une certaine distance
entre eux et les patients. Cet impact était plus souvent
évoqué dans les services d’hospitalisation (64 %) qu’aux
urgences ou dans les services extrahospitaliers (31 et 29 %
respectivement ; p = 0,03).
Discussion
Cette étude qualitative montre qu’une grande partie des
professionnels de santé des services en psychiatrie utilisaient le DPIP et en avaient une opinion plutôt favorable.
Ils reconnaissaient que celui-ci pouvait améliorer la qualité
de la prise en charge, la continuité des soins et la coordination des acteurs avec cependant des restrictions, plus
souvent associées au discours infirmier, en ce qui concerne le
temps passé à remplir le dossier du fait du manque de matériel ou de leur manque d’expérience en informatique et, par
conséquent, la réduction du temps consacré aux soins.
Les limites de notre étude sont inhérentes à la méthodologie utilisée, à savoir notre approche exploratoire,
qualitative et monocentrique. Sans pouvoir généraliser nos
résultats à l’ensemble des établissements psychiatriques
publics, elle ouvre des pistes de réflexion pour des travaux
ultérieurs. Les études qui ont tenté d’évaluer la « notoriété »
et l’utilisation des dossiers patients informatisés sont peu
nombreuses en psychiatrie, notamment en France. Une
revue des études sur l’informatisation en psychiatrie réalisée sur une période de 30 ans, de 1966 à 2001, retrouvait
11 articles sur la mise en place d’un système informatique de
collecte de données cliniques et thérapeutiques, sans réelle
évaluation de leur utilisation [5]. L’étude de McDougall et
al. a porté sur la mise à disposition d’un système régional
d’information pour les soignants sur des patients souffrant
de pathologies mentales chroniques [16]. Comme dans notre
Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels
étude, la plupart (90 %) des professionnels déclaraient que
ce système était utile dans la prise en charge des patients.
Une vision différente des médecins et des
infirmiers
La majorité des études sur le sujet concerne des spécialités médicales. Ces études donnent des résultats
contradictoires, notamment selon les professions (médecins, infirmiers), distinction que nous retrouvons dans nos
résultats. Une revue d’études, publiée entre 2000 et 2003,
montrait que les dossiers patients informatisés amélioraient
la satisfaction des médecins et des patients [6]. L’étude
de Joos et al., publiée en 2006, montrait que des médecins généralistes étaient globalement satisfaits du dossier
médical informatisé. Quatre-vingt pour cent d’entre eux
considéraient que cela améliorait significativement la qualité de la prise en charge [10]. Une étude avant—après la
mise en place d’un dossier médical informatique auprès de
sept pédiatres de ville à Boston montrait une amélioration
de la prise en charge des patients [1]. Pour les infirmiers, les
résultats étaient plus mitigés. Une étude réalisée en 2004
auprès de 53 infirmiers montrait que ceux-ci avaient une
expérience plutôt négative du dossier patient informatisé,
que celui-ci ne permettait pas de décrire correctement leur
activité [4]. Plus récemment, une étude auprès de 904 infirmiers montrait qu’ils avaient une vision plutôt positive du
dossier informatisé [2].
Nous retrouvons ces deux visions médecin—infirmier dans
notre étude, même si cette opposition semble être moins
importante que dans bon nombre d’études. À ce titre, le
contexte organisationnel d’implantation du système semble
être une condition primordiale à sa réussite [23]. Un style
de management participatif crée un terrain favorable pour
la diffusion et l’utilisation du dossier informatisé [3]. C’est
ce que nous nous sommes efforcés de mettre en place dans
notre établissement. Toutefois, près de 40 % des infirmiers
ont une opinion défavorable sur le dossier informatisé. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Premièrement,
l’activité infirmière comprend des soins techniques et un
travail d’accompagnement, d’observation, de soutien dont
la transmission semble plus relever d’une tradition orale.
À ce titre, l’outil informatique ne semble pas totalement
adapté, notamment tant que les moyens techniques mis à
disposition ne permettront pas une saisie plus facile. Une
seconde explication possible est la confusion actuelle qui
existe entre le remplissage du dossier patient et les recueil
de l’activité des services pour les organismes de tutelle.
Cette confusion est d’autant plus accrue que la psychiatrie
publique délivre un service global « tout compris » où il n’est
pas du tout évident de procéder à de la comptabilité analytique ni à la décomposition d’un ensemble de services,
notamment pour l’activité infirmière. Plusieurs études ont
montré que ce domaine était difficilement évaluable dans
le contexte de la pratique psychiatrique française [9,13].
Une surcharge de travail et une modification des
pratiques rédactionnelles
L’élément négatif le plus souvent cité dans notre étude
était le temps accru à écrire sur un outil informatique avec
459
une double conséquence : une réduction du temps consacré aux soins et le remplissage incomplet du DPIP. Notre
étude montre que le dossier patient informatisé a un impact
sur les pratiques rédactionnelles. Certaines sont plutôt positives : meilleure lisibilité des informations, uniformisation
du remplissage du dossier. . . On retrouve cependant plusieurs éléments négatifs « perte d’information », « perte de
spontanéité » qui peuvent compromettre les effets positifs
du dossier informatisé. Ces résultats sont concordants avec
ceux retrouvés dans la littérature. Une étude réalisée en
2006 auprès de 46 infirmiers montrait que le dossier informatisé augmentait leur charge de travail : augmentation du
temps de remplissage du dossier (lenteur du système informatique, écrans multiples) et diminuait la communication
entre les professionnels [12]. Korst et al. ont évalué le temps
passé par des infirmières à remplir 2160 observations dans
une unité de néonatalité sur une période de 14 jours lors
de la mise en place d’un dossier patient informatisé. Le
pourcentage de temps passé était de 15,8 %, 10,6 % sur le
dossier papier et 5,2 % sur le dossier informatique [11]. Dans
l’étude de Adams et al., des pédiatres considéraient qu’ils
parlaient moins avec leurs patients et que la consultation
s’était allongée de dix minutes [1]. Certaines études ont
noté des variations dans le remplissage du dossier informatisé. L’étude de Saigh et al., réalisée en 2006, montrait que
l’utilisation du dossier informatisé avait eu pour effet de
diminuer la retranscription dans le dossier de l’évaluation
de la douleur du fait de la lourdeur d’utilisation du logiciel.
Soixante-quatorze pour cent des utilisateurs considéraient
que le dossier informatisé était difficile à utiliser et qu’il ne
modifiait pas leur évaluation de la douleur [21].
Quelles améliorations ?
La but est d’identifier les causes de cette perte de temps
et du non-remplissage afin de proposer des actions correctrices. À ce titre, une étude réalisée en 2005 suggérait
que la réalisation d’entretiens auprès des acteurs concernés constituait une méthode intéressante pour identifier les
facteurs de satisfaction et d’insatisfaction et pour corriger les facteurs bloquants [19]. Premièrement, il semblerait
qu’un phénomène d’apprentissage de l’informatique et du
logiciel puisse contribuer à une évolution favorable de ces
problèmes. En 2006, l’étude réalisée par Rose et al. en
pédiatrie à Rotterdam montrait une diminution du temps
de remplissage du dossier électronique suggérant un effet
d’apprentissage [20]. Deuxièmement, la mise en place de
formations, d’un accompagnement et la mise à disposition de ressources informatiques adéquates constituent des
facteurs d’acceptation et de remplissage du dossier informatisé [15,17,23]. Dans notre étude, malgré l’effort mis en
place sur les formations et le soutien apporté aux équipes
dans l’utilisation du logiciel, le manque d’expérience dans
l’utilisation de l’outil informatique est un handicap au remplissage. Enfin, la qualité de l’équipement informatique
joue un rôle majeur dans le remplissage du dossier : rapidité
du réseau informatique, matériel en quantité suffisante,
déplacement au lit du malade (tablettes, logiciel de reconnaissance de texte pour faciliter la saisie en temps réel. . .).
Une étude réalisée en 1996 à Chicago montrait qu’une technologie de prise des notes au lit du malade permettait de
460
L. Boyer et al.
diminuer le temps passé à remplir un dossier informatisé
[18]. Cette voie, techniquement réalisable, semble indispensable à la bonne utilisation d’un dossier informatisé qui
peut gêner les entretiens avec les patients.
[7]
Conclusion
[8]
Nous sommes au début de la mise en place de ces nouveaux
systèmes d’information en psychiatrie. Les éléments énumérés ci-dessus devraient permettre d’optimiser l’utilisation
du dossier patient et d’avoir un impact positif sur la qualité
de la prise en charge en psychiatrie. Toutefois, cette évolution, en psychiatrie comme ailleurs, dépasse largement le
seul champ de l’amélioration de la qualité de soins, principal argument utilisé pour en faciliter l’acceptation par
les professionnels. Actuellement, une certaine confusion sur
les objectifs réels de ces nouveaux outils est ressentie par
une partie des utilisateurs, les plus réfractaires. Les enjeux
sont-ils uniquement d’ordre sanitaire ? Quelle est la part
des enjeux d’ordre économique ? Un véritable programme
d’éducation, de réassurance et de clarification pourrait
s’avérer utile afin d’améliorer l’adhésion et l’utilisation de
ces dispositifs par les utilisateurs.
Remerciements
Nous tenons à remercier les personnes ayant participé à
cette étude et plus particulièrement Mesdames AiguierDouillet Claude, Auguste Christine, Bellucci Gisèle et
Guyomard Nathalie.
[9]
[10]
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