L’Encéphale (2009) 35, 454—460 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep SANTÉ PUBLIQUE Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels d’un établissement public de psychiatrie Perception and use of an electronic medical record system by professionals of a public psychiatric hospital L. Boyer a,∗, M.-H. Renaud a, S. Limousin b, J.-M. Henry b, P. Caïetta b, M. Fieschi a, J.-C. Samuelian b a Unité d’information médicale en psychiatrie, service de santé publique et d’information médicale, hôpital de la Timone, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 5, Marseille, France b Pôle de psychiatrie centre, hôpital de la Conception, Assistance publique des Hôpitaux de Marseille, France Reçu le 18 septembre 2007 ; accepté le 6 juin 2008 Disponible sur Internet le 30 septembre 2008 MOTS CLÉS Dossier patient informatisé ; Professionnels de santé ; Hôpital ; Psychiatrie ∗ Résumé Objectifs. — Évaluer l’intérêt porté par les professionnels de santé au dossier patient informatisé en psychiatrie (DPIP) et son utilisation dans le cadre des activités d’amélioration de la qualité des soins. Méthodes. — Il s’agissait d’une étude qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs réalisés auprès des professionnels d’un établissement public de psychiatrie. Toutes les personnes sollicitées ont accepté de répondre à l’enquête. Le nombre d’entretiens a été déterminé par saturation de contenu. Au total, 60 personnes se sont prêtées à l’entretien : dix médecins, 42 cadres et infirmier(e)s et huit professionnels paramédicaux. Résultats. — Quatre-vingt-seize pour cent des personnes interrogées utilisaient le DPIP. Le nombre moyen d’utilisation quotidienne était de sept (E.T. = 5). Soixante-sept pour cent des personnes en avaient une opinion favorable. Les opinions favorables étaient plus fréquentes chez les médecins que chez les infirmiers, dont l’activité d’accompagnement pouvait se prêter moins bien à une saisie informatique. Les professionnels de santé considéraient que le DPIP améliorait la globalité de la prise en charge, la connaissance du parcours de soins, la continuité des soins et, par conséquent, la qualité de la prise en charge. Ces effets positifs pouvaient Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Boyer). 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008. doi:10.1016/j.encep.2008.06.010 Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels 455 être remis en cause par une surcharge de travail liée au remplissage du DPIP (manque de connaissance technique et manque de matériel informatique, impossibilité de saisir en temps réel les données au lit du patient) et par certains dysfonctionnements du système informatique. Les deux conséquences principales pouvaient être le remplissage incomplet du DPIP et une réduction du temps consacré aux soins. Conclusion. — Ce travail propose des pistes d’amélioration dans l’utilisation du DPIP. Malgré cela, une véritable réflexion doit être initiée sur ces nouveaux systèmes d’information en psychiatrie, dont les objectifs réels peuvent être perçus comme ambigus par les utilisateurs, afin de mettre en place des programmes de clarification, d’éducation et de réassurance. © L’Encéphale, Paris, 2008. KEYWORDS Electronic medical files; Quality in health care; Care providers; Hospital; Psychiatry Summary Objectives. — The aim of this study was to evaluate the interest taken by the health care providers in the electronic medical file and its use within the quality improvement process. Setting. — Our institution is a 204-bed psychiatric hospital, employing 328 professionals and comprising three sectors: six units of complete hospitalisation (102 beds), one unit of week hospitalisation (15 beds), one unit of emergency (7 beds) and one unit of night hospitalisation (15 beds). Three extrahospital structures include the day hospitalisation (65 places), the medicopsychological centers (CMP) and the part-time therapeutic reception centers (CATTP) of the three sectors. Methods. — We conducted face-to-face, semi-structured interviews with health care providers of a public psychiatric hospital. All the solicited people agreed to answer the investigation. The interviews were conducted until no new ideas emerged in the content analysis performed in real time, comprising 60 care providers: 10 psychiatrists, 42 nurses and eight paramedical professionals. Content analysis was performed by two members of the steering committee who were skilled in textual analysis. A descriptive analysis was also performed. The variables were described by proportions and means. The proportions were compared using the Chi-squared test or Fisher exact test where appropriate. A two-tailed P-value of greater than 0.05 was considered to indicate statistical significance. Statistical analyses were carried out using SPSS version 13.0. Results. — Ninety-six percent of the interviewed subjects used the electronic medical file. The average number of daily use was seven (S.D. = 5). Sixty-seven percent had a favorable opinion of the electronic medical file. Physicians had more frequent favorable opinions than nurses who considered that electronic medical files cannot capture real nursing activity. Health care providers considered that electronic medical file could be associated with improved quality of care, but two points should be taken into account: the increased documentation time (slow system response, multiple screens, the lack of computer knowledge, the absence of bedside documentation technology. . .) and dysfunctions in the information processing system. This could have an impact on documentation completeness, and quality and could also lead to a reduction of time devoted to care. Conclusion. — This study proposes tracks of improvement in the use of the DPIP. In spite of this, a true debate must be initiated on these new information systems in psychiatry since their real objectives can be perceived as ambiguous, so that programs of clarification, education and reinsurance can be set-up. © L’Encéphale, Paris, 2008. Introduction L’évolution de la médecine exige une mise en commun d’informations entre tous les acteurs du système de santé et le patient afin d’améliorer sa prise en charge, la coordination et la continuité des soins. Le développement récent des technologies de l’information et de la communication permet aujourd’hui de tels échanges [7]. Un dossier patient informatisé constitue un outil pouvant contribuer à la satisfaction des besoins qu’exprime notre système de santé : réduction des erreurs médicales, amélioration de l’utilisation des ressources, accélération de la diffusion des connaissances et aide à la décision, réduction de la variabilité des procédures de soins, meilleure information du patient, principal acteur de sa santé, promotion de la prévention [8,15,22,23]. . . La psychiatrie n’échappe pas à cette évolution [5]. L’apparition d’outils informatiques dans le quotidien de la prise en charge psychiatrique invite à une réflexion sur les notions de communication et d’information, d’autant plus que la mise en place réglementaire d’un recueil d’information medicalisée en psychiatrie depuis le 1er janvier 2007 a accentué 456 cette « informatisation »1 . Dans ce contexte, un dossier patient informatisé en psychiatrie (DPIP) vient d’être mis en place dans notre établissement public de psychiatrie. Si sa pertinence en tant qu’outil d’amélioration de la qualité paraît aller de soi, l’impact sur l’organisation de la prise en charge et l’activité quotidienne des utilisateurs en psychiatrie a rarement été objectivé. Le travail que nous présentons est consacré à cette question de l’impact du DPIP auprès des professionnels de santé. L’objectif de l’étude était d’évaluer la « notoriété » du DPIP auprès des professionnels et de déterminer de quelle manière il était utilisé par les équipes soignantes. Population et méthodes Site de l’étude Notre établissement public couvre trois secteurs, soit une population supérieure à 200 000 habitants. Il comprend un bâtiment d’hospitalisation avec six unités d’hospitalisations complètes (102 lits), une unité d’hospitalisation de semaine (15 lits), une unité d’accueil des urgences (7 lits) et une unité d’hospitalisation de nuit (15 lits). Trois structures extrahospitalières accueillent les hospitalisations de jour (65 places), les centres médicopsychologiques (CMP) et les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) des trois secteurs. Le personnel comprend 28 psychiatres, 228 infirmier(e)s, dont 21 cadres, 12 psychologues, dix assistantes sociales et 50 autres agents (secrétaires, administratifs et ASH). En 2006, la file active des patients s’élevait à 3095. Le dossier patient informatisé en psychiatrie Le déploiement Un DPIP a été mis en place en février 2007. Nous avons débuté par une expérimentation sur un secteur comprenant deux unités d’hospitalisations complètes, un unité d’hôpital de semaine, un hôpital de jour, un CMP et un CATTP et le service d’accueil des urgences. Cette phase d’expérimentation devrait se terminer en septembre 2007, date de la généralisation du déploiement à l’ensemble de l’établissement. Un groupe de pilotage, composé de deux psychiatres, d’un cadre de santé, d’un médecin de santé publique et de deux informaticiens, est chargé de veiller au bon déroulement général du projet. Premièrement, le contenu du dossier a été élaboré par un groupe de travail pluridisciplinaire (représentants des professionnels) afin d’optimiser l’acceptabilité et l’appropriation du dossier. La deuxième étape a consisté en la mise à disposition d’un parc informatique adapté à ce projet : déploiement d’ordinateurs dans les unités de soins (des postes nominatifs pour les médecins et les cadres, des postes partagés pour les infirmiers et professionnels paramédicaux). 1 Arrêté du 29 juin 2006 relatif au recueil et au traitement des données d’activité médicale des établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie et à la transmission d’informations issues de ce traitement dans les conditions définies aux articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du Code de la santé publique. L. Boyer et al. Troisièmement, des séances de formations au logiciel ont été réalisées depuis le mois de janvier 2007. Au total, 243 personnes ont été formées, dont 50 référents, par un médecin de santé publique et un cadre de santé. Les référents ont formé à leur tour leurs collaborateurs (formation en cascade). Le dossier patient informatisé Ce dossier est accessible sur le site intranet de l’établissement. Il est sécurisé par un code identifiant et un mot de passe devant être changé tous les mois. La « philosophie » de ce dossier est le partage de l’information et le décloisonnement de la prise en charge. Il comprend une partie « dossier patient » propre et une partie « module de recueil de l’information médicalisée en psychiatrie ». Le remplissage des pages est limité par un accès spécifique pour chaque catégorie professionnelle. Les pages médicales ne peuvent être remplies que par les médecins, les pages infirmières que par les infirmiers. . . La lecture du dossier dans sa globalité est ouverte à l’ensemble des professionnels du secteur prenant en charge le patient. Le dossier informatisé a fait l’objet d’une déclaration auprès de la CNIL, conformément à la réglementation en vigueur. Un médecin chargé de l’information médicale est garant de la confidentialité des données ainsi que de l’analyse de l’activité. Le droit d’accès des patients au dossier ainsi que les saisies pour raison judiciaire restent inchangés par rapport aux pratiques actuelles en psychiatrie. Le dossier est transmis sous format papier (module d’impression). Protocole de l’étude et population étudiée Il s’agissait d’une étude qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs auprès des professionnels des sept unités de psychiatrie qui expérimentent le dossier informatisé. Une liste comprenant l’ensemble des professionnels concernés de l’établissement a été établie. Un tirage au sort visant à déterminer l’ordre de passation des entretiens a été réalisé à partir de cette liste. Toutes les personnes sollicitées ont accepté de répondre à l’enquête. Le nombre d’entretiens a été déterminé par saturation de contenu [14]. Au total, 60 personnes se sont prêtées à l’entretien (entre un tiers et un quart des effectifs de chaque catégorie professionnelle) : dix médecins, 42 infirmières et huit professionnels paramédicaux. Les objectifs poursuivis ont été expliqués au début de l’entretien de façon standardisée. Chaque entretien durait de 30 à 60 minutes en moyenne et explorait l’opinion de la personne sur le DPIP. Méthodes d’analyse Les propos des personnes interrogées ont fait l’objet d’une prise de notes au cours de l’entretien. Le corpus des entretiens a fait l’objet d’une analyse thématique par deux enquêteurs, identifiant les registres d’expression des professionnels et leurs représentations du DPIP. Une analyse statistique descriptive a été réalisée avec le logiciel SPSS 13.0. Les résultats sont présentés sous forme de pourcentages et de moyennes. L’indépendance des variables était analysée par le test de Khi2 remplacé par le test exact Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels de Fisher dans le cas où les effectifs attendus étaient trop faibles. Le seuil de significativité statistique a été fixé à 5 %. Résultats Caractéristiques de la population Parmi les 60 personnes interrogées, l’âge moyen était de 43 ans (± 10). Cette moyenne était moins élevée pour les médecins (34,9 ± 11,3) que pour les infirmiers et les autres professionnels (respectivement 43,2 ± 9,3 et 51,6 ± 5,7 ans ; p = 0,02). Les femmes représentaient 23 % de la population. Sept personnes déclaraient n’avoir aucune connaissance informatique, 26 des connaissances dites de « base » et 27 des connaissances approfondies (utilisation régulière de logiciels de traitement de texte, des fonctions copier—coller, d’Internet, d’une messagerie). La majorité des infirmiers avait des connaissances dites de « base » (54,8 %) alors que la majorité des médecins et autres professions paramédicales avait des connaissances approfondies (80,0 et 87,5 % ; p = 0,003). La majorité avait eu une formation à l’utilisation du DPIP (88 %), dont 70 % des personnes étaient satisfaites. Les médecins et les autres professionnels étaient plus souvent satisfaits que les infirmiers (p = 0,049) (Tableau 1). Tableau 1 Résumé des caractéristiques de la population étudiée (n = 60a ). Âge en années Ancienneté de l’activité en psychiatrie Moyenne ± E.T.b Min, maxc 42,9 ± 10,2 12,0 ± 10,5 23—58 1—33 Sexe Masculin Féminin Profession Médecins Infirmières Professions paramédicales Service Urgence Hospitalisation complète Structure extrahospitalière Connaissances informatiques Aucune Connaissances de base Connaissances approfondies Formation à l’utilisation du DPIP Satisfaction vis-à-vis de la formation a b c d Effectif total. Moyenne ± écart-type. Minimum, maximum. Pourcentage. na %d 43 17 72 28 10 42 8 17 70 13 20 20 20 33 33 33 7 26 27 53 42 12 43 45 88 70 457 Opinion générale des professionnels de santé sur le DPIP Soixante-sept pour cent des personnes interviewées déclaraient avoir une opinion très favorable sur le DPIP qu’elles qualifiaient d’« important » ou « utile ». Les opinions favorables sur le DPIP étaient plus élevées chez les médecins (100 %) que chez les autres professionnels, notamment les infirmiers (59 %). Vingt-cinq personnes considéraient que cela était une obligation institutionnelle et légale dans le cadre du recueil d’information médicalisée en psychiatrie, alors que 30 personnes y voyaient une nécessité d’un point de vue organisationnel, notamment en termes d’accès à des informations. Soixante-quatre pour cent des personnes interrogées considéraient que les garanties de confidentialité et de sécurité étaient suffisantes. Quinze personnes s’interrogeaient sur la légitimité du partage des informations. Elles remettaient en cause le fait que tous les professionnels d’un secteur puissent consulter un dossier dès lors que le patient était passé une fois dans ce secteur. Pour 14 personnes, la confidentialité et la sécurité des données pouvaient être remises en cause au niveau des bureaux de soins infirmiers. L’existence d’ordinateurs partagés pouvait faciliter l’ouverture ou l’utilisation de la session d’une tierce personne. Utilisation du DPIP Quatre-vingt seize pour cent des personnes interrogées déclaraient utiliser le DPIP. Il n’apparaissait pas de différences statistiques selon la catégorie professionnelle, l’appartenance à un service ou les connaissances informatiques. Le nombre d’utilisation quotidienne du DPIP était de sept en moyenne (± 5) (minimum—maximum : 1—15). Cette utilisation quotidienne variait statistiquement selon les connaissances informatiques des utilisateurs. Les personnes, considérant avoir des connaissances approfondies, utilisaient le DPIP neuf fois par jour (± 5), des connaissances de base six fois (± 5) et aucune connaissance deux fois (± 2 ; p = 0,03). Impact sur les pratiques professionnelles Soixante-dix pour cent des personnes interrogées considéraient que le DPIP avait un impact sur la prise en charge des patients. Cette perception était plus nette chez les médecins que chez les infirmières (p = 0,04). Le DPIP améliorait « la globalité de la prise en charge », « la connaissance du parcours de soins », « la continuité des soins », « la traçabilité des soins et actions » et il pouvait être utilisé comme « un outil de recherche pour améliorer la qualité des soins ». On observait sur cette question des variations selon les professions (Tableau 2). Les infirmiers étaient plus septiques sur les apports de DPIP. Certains ne voyaient pas le bénéfice que pouvait apporter l’informatique par rapport au papier. Ils déclaraient que le dossier informatisé provoquait une perte de temps du fait des nombreuses manipulations et recherches (nécessité d’une adaptation à l’outil, réflexes supplémentaires pas totalement acquis, manque d’expérience) à effectuer et que cela avait pour 458 L. Boyer et al. Tableau 2 positives). Opinions et utilisation du dossier patient informatisé par les professionnels de santé (en pour cent de réponses Opinion favorable sur le DPIP Utilisation du DPIP Impact sur la prise en charge Impact sur l’organisation du service Impact sur les relations entre les professionnels Impact sur les relations entre les professionnels et les patients a Médecins n = 10 Infirmiers n = 42 Autres n = 8 pa 100 100 90 90 50 40 59 98 63 70 52 50 88 88 100 63 38 14 0,02 0,28 0,04 0,34 0,74 0,20 Degré de significativité. conséquence une réduction du temps consacré aux soins du patient. Les professionnels estimaient qu’ils passaient quotidiennement en moyenne une heure de plus par jour à remplir le dossier informatique que le dossier papier. Cinquante-cinq pour cent des professionnels soulignaient la modification des pratiques rédactionnelles. Vingt-six personnes mettaient en avant de façon très positive le caractère synthétique, la lisibilité et la possibilité de modifier ses notes après réflexion. Dix-neuf personnes considéraient que le DPIP avait permis de « standardiser » et d’« uniformiser » le remplissage du dossier, facilitant ainsi sa lecture. Par exemple, le DPIP a eu un « effet positif » sur le remplissage des transmissions ciblées par les infirmières. En miroir, 15 personnes considéraient ces mêmes éléments comme négatifs. Le principe général du support informatique (tout ce qui est écrit est en ligne, plus de gens y ont accès) pouvait être à l’origine d’un « style épuré », d’un « choix plus réfléchi des mots », d’un « manque de spontanéité », d’une « perte d’information ». Les personnes ayant une connaissance informatique « approfondie » avaient une vision plus positive (85 %) que ceux ayant des connaissances moins importantes ou nulles (68 et 33 % respectivement ; p = 0,03). Soixante-dix pour cent des personnes interviewées considéraient que le DPIP avait un impact sur l’organisation du service. Cet impact était plus souvent signalé au niveau des urgences (92,3 %) que dans les services d’hospitalisation complète (79,2 %) et les structures extrahospitalières (71,2 %) (p = 0,02). Sept personnes déclaraient que le DPIP avait nécessité plus de rigueur dans l’organisation du travail. Trois éléments négatifs revenaient fréquemment. Premièrement, la difficulté des visites en chambre et l’impossibilité de saisir en temps réel des données au lit du patient (absence de tablettes portables). Selon les personnes interrogées, ces « tablettes » permettraient d’optimiser la réactivité des équipes, d’éviter les saisies sur papier puis les resaisies informatiques. Cette double saisie était à l’origine d’erreurs de retranscription, d’une non-retranscription et d’une augmentation importante de la charge de travail. Deuxièmement, le manque de postes informatiques dans le bureau de soins infirmiers nécessitait l’organisation d’un relais sur les ordinateurs, ce qui était également à l’origine d’une perte de temps. Enfin, les utilisateurs déclaraient que le support informatique avait été à quelques reprises indisponibles du fait des pannes du réseau informatique de l’établissement ou d’erreurs techniques du logiciel. Concernant les relations entre les professionnels, 50 % des personnes interrogées pensaient que le DPIP avait un impact important. Huit personnes ont constaté que le DPIP avait créé de nouvelles relations entre les services ou entre « les anciennes » et les « nouvelles » au sein d’un même service. Les principaux éléments négatifs retrouvés étaient la diminution du temps oral (9 personnes), la majoration du stress lors de l’écriture d’une observation (4 personnes) du fait d’une mauvaise maîtrise de l’outil (peur de perdre les données, de ne pas enregistrer. . .) et parfois des tensions entre les « pro » et les « anti-DPIP » (4 personnes). Pour 43 % des personnes interrogées, le DPIP avait un impact négatif sur les relations entre les professionnels et les patients. Vingt-quatre personnes soulignaient leur manque de disponibilité pour les patients et cinq trouvaient que l’ordinateur pouvait introduire une certaine distance entre eux et les patients. Cet impact était plus souvent évoqué dans les services d’hospitalisation (64 %) qu’aux urgences ou dans les services extrahospitaliers (31 et 29 % respectivement ; p = 0,03). Discussion Cette étude qualitative montre qu’une grande partie des professionnels de santé des services en psychiatrie utilisaient le DPIP et en avaient une opinion plutôt favorable. Ils reconnaissaient que celui-ci pouvait améliorer la qualité de la prise en charge, la continuité des soins et la coordination des acteurs avec cependant des restrictions, plus souvent associées au discours infirmier, en ce qui concerne le temps passé à remplir le dossier du fait du manque de matériel ou de leur manque d’expérience en informatique et, par conséquent, la réduction du temps consacré aux soins. Les limites de notre étude sont inhérentes à la méthodologie utilisée, à savoir notre approche exploratoire, qualitative et monocentrique. Sans pouvoir généraliser nos résultats à l’ensemble des établissements psychiatriques publics, elle ouvre des pistes de réflexion pour des travaux ultérieurs. Les études qui ont tenté d’évaluer la « notoriété » et l’utilisation des dossiers patients informatisés sont peu nombreuses en psychiatrie, notamment en France. Une revue des études sur l’informatisation en psychiatrie réalisée sur une période de 30 ans, de 1966 à 2001, retrouvait 11 articles sur la mise en place d’un système informatique de collecte de données cliniques et thérapeutiques, sans réelle évaluation de leur utilisation [5]. L’étude de McDougall et al. a porté sur la mise à disposition d’un système régional d’information pour les soignants sur des patients souffrant de pathologies mentales chroniques [16]. Comme dans notre Perception et utilisation d’un dossier patient informatisé par les professionnels étude, la plupart (90 %) des professionnels déclaraient que ce système était utile dans la prise en charge des patients. Une vision différente des médecins et des infirmiers La majorité des études sur le sujet concerne des spécialités médicales. Ces études donnent des résultats contradictoires, notamment selon les professions (médecins, infirmiers), distinction que nous retrouvons dans nos résultats. Une revue d’études, publiée entre 2000 et 2003, montrait que les dossiers patients informatisés amélioraient la satisfaction des médecins et des patients [6]. L’étude de Joos et al., publiée en 2006, montrait que des médecins généralistes étaient globalement satisfaits du dossier médical informatisé. Quatre-vingt pour cent d’entre eux considéraient que cela améliorait significativement la qualité de la prise en charge [10]. Une étude avant—après la mise en place d’un dossier médical informatique auprès de sept pédiatres de ville à Boston montrait une amélioration de la prise en charge des patients [1]. Pour les infirmiers, les résultats étaient plus mitigés. Une étude réalisée en 2004 auprès de 53 infirmiers montrait que ceux-ci avaient une expérience plutôt négative du dossier patient informatisé, que celui-ci ne permettait pas de décrire correctement leur activité [4]. Plus récemment, une étude auprès de 904 infirmiers montrait qu’ils avaient une vision plutôt positive du dossier informatisé [2]. Nous retrouvons ces deux visions médecin—infirmier dans notre étude, même si cette opposition semble être moins importante que dans bon nombre d’études. À ce titre, le contexte organisationnel d’implantation du système semble être une condition primordiale à sa réussite [23]. Un style de management participatif crée un terrain favorable pour la diffusion et l’utilisation du dossier informatisé [3]. C’est ce que nous nous sommes efforcés de mettre en place dans notre établissement. Toutefois, près de 40 % des infirmiers ont une opinion défavorable sur le dossier informatisé. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées. Premièrement, l’activité infirmière comprend des soins techniques et un travail d’accompagnement, d’observation, de soutien dont la transmission semble plus relever d’une tradition orale. À ce titre, l’outil informatique ne semble pas totalement adapté, notamment tant que les moyens techniques mis à disposition ne permettront pas une saisie plus facile. Une seconde explication possible est la confusion actuelle qui existe entre le remplissage du dossier patient et les recueil de l’activité des services pour les organismes de tutelle. Cette confusion est d’autant plus accrue que la psychiatrie publique délivre un service global « tout compris » où il n’est pas du tout évident de procéder à de la comptabilité analytique ni à la décomposition d’un ensemble de services, notamment pour l’activité infirmière. Plusieurs études ont montré que ce domaine était difficilement évaluable dans le contexte de la pratique psychiatrique française [9,13]. Une surcharge de travail et une modification des pratiques rédactionnelles L’élément négatif le plus souvent cité dans notre étude était le temps accru à écrire sur un outil informatique avec 459 une double conséquence : une réduction du temps consacré aux soins et le remplissage incomplet du DPIP. Notre étude montre que le dossier patient informatisé a un impact sur les pratiques rédactionnelles. Certaines sont plutôt positives : meilleure lisibilité des informations, uniformisation du remplissage du dossier. . . On retrouve cependant plusieurs éléments négatifs « perte d’information », « perte de spontanéité » qui peuvent compromettre les effets positifs du dossier informatisé. Ces résultats sont concordants avec ceux retrouvés dans la littérature. Une étude réalisée en 2006 auprès de 46 infirmiers montrait que le dossier informatisé augmentait leur charge de travail : augmentation du temps de remplissage du dossier (lenteur du système informatique, écrans multiples) et diminuait la communication entre les professionnels [12]. Korst et al. ont évalué le temps passé par des infirmières à remplir 2160 observations dans une unité de néonatalité sur une période de 14 jours lors de la mise en place d’un dossier patient informatisé. Le pourcentage de temps passé était de 15,8 %, 10,6 % sur le dossier papier et 5,2 % sur le dossier informatique [11]. Dans l’étude de Adams et al., des pédiatres considéraient qu’ils parlaient moins avec leurs patients et que la consultation s’était allongée de dix minutes [1]. Certaines études ont noté des variations dans le remplissage du dossier informatisé. L’étude de Saigh et al., réalisée en 2006, montrait que l’utilisation du dossier informatisé avait eu pour effet de diminuer la retranscription dans le dossier de l’évaluation de la douleur du fait de la lourdeur d’utilisation du logiciel. Soixante-quatorze pour cent des utilisateurs considéraient que le dossier informatisé était difficile à utiliser et qu’il ne modifiait pas leur évaluation de la douleur [21]. Quelles améliorations ? La but est d’identifier les causes de cette perte de temps et du non-remplissage afin de proposer des actions correctrices. À ce titre, une étude réalisée en 2005 suggérait que la réalisation d’entretiens auprès des acteurs concernés constituait une méthode intéressante pour identifier les facteurs de satisfaction et d’insatisfaction et pour corriger les facteurs bloquants [19]. Premièrement, il semblerait qu’un phénomène d’apprentissage de l’informatique et du logiciel puisse contribuer à une évolution favorable de ces problèmes. En 2006, l’étude réalisée par Rose et al. en pédiatrie à Rotterdam montrait une diminution du temps de remplissage du dossier électronique suggérant un effet d’apprentissage [20]. Deuxièmement, la mise en place de formations, d’un accompagnement et la mise à disposition de ressources informatiques adéquates constituent des facteurs d’acceptation et de remplissage du dossier informatisé [15,17,23]. Dans notre étude, malgré l’effort mis en place sur les formations et le soutien apporté aux équipes dans l’utilisation du logiciel, le manque d’expérience dans l’utilisation de l’outil informatique est un handicap au remplissage. Enfin, la qualité de l’équipement informatique joue un rôle majeur dans le remplissage du dossier : rapidité du réseau informatique, matériel en quantité suffisante, déplacement au lit du malade (tablettes, logiciel de reconnaissance de texte pour faciliter la saisie en temps réel. . .). Une étude réalisée en 1996 à Chicago montrait qu’une technologie de prise des notes au lit du malade permettait de 460 L. Boyer et al. diminuer le temps passé à remplir un dossier informatisé [18]. Cette voie, techniquement réalisable, semble indispensable à la bonne utilisation d’un dossier informatisé qui peut gêner les entretiens avec les patients. [7] Conclusion [8] Nous sommes au début de la mise en place de ces nouveaux systèmes d’information en psychiatrie. Les éléments énumérés ci-dessus devraient permettre d’optimiser l’utilisation du dossier patient et d’avoir un impact positif sur la qualité de la prise en charge en psychiatrie. Toutefois, cette évolution, en psychiatrie comme ailleurs, dépasse largement le seul champ de l’amélioration de la qualité de soins, principal argument utilisé pour en faciliter l’acceptation par les professionnels. Actuellement, une certaine confusion sur les objectifs réels de ces nouveaux outils est ressentie par une partie des utilisateurs, les plus réfractaires. Les enjeux sont-ils uniquement d’ordre sanitaire ? Quelle est la part des enjeux d’ordre économique ? Un véritable programme d’éducation, de réassurance et de clarification pourrait s’avérer utile afin d’améliorer l’adhésion et l’utilisation de ces dispositifs par les utilisateurs. Remerciements Nous tenons à remercier les personnes ayant participé à cette étude et plus particulièrement Mesdames AiguierDouillet Claude, Auguste Christine, Bellucci Gisèle et Guyomard Nathalie. [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] Références [18] [1] Adams WG, Mann AM, Bauchner H. Use of an electronic medical record improves the quality of urban pediatric primary care. Pediatrics 2003;111:626—32. [2] Ahn TS, Park IS, You OS, et al. Nurses’ perceptions of and attitudes toward an electronic medical record system at Seoul National University Hospital. Stud Health Technol Inform 2006;122:851. [3] Boyer L, Francois P, Doutre E, et al. Perception and use of the results of patient satisfaction surveys by care providers in a French teaching hospital. Int J Qual Health Care 2006;18:359—64. [4] Darbyshire P. Rage against the machine?: nurses’ and midwives’ experiences of using computerized patient information systems for clinical information. J Clin Nurs 2004;13:17—25. [5] Das AK. 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