La gestion des risques dans la prise en charge du patient en

publicité
La gestion des risques dans la prise en charge du patient en télémédecine
Mickaël Chaleuil
Chef de projet en télémédecine
Télésanté Aquitaine
180, rue Guillaume Leblanc
33000 Bordeaux
Tél : 06.64.45.04.16
[email protected]
Résumé :
La télémédecine se développe actuellement très rapidement car elle permet d’apporter des
réponses à certains besoins de santé publique, notamment à celui de la Permanence Des
Soins.
Alors que de nombreux projets voient le jour, il est très important d’intégrer une gestion des
risques par une approche systémique dès leur élaboration afin d’anticiper tout risque pour
l’ensemble des acteurs de la télémédecine et ainsi pérenniser le fonctionnement de cette
nouvelle pratique médicale.
Mots clés : télémédecine, gestion des risques, approche systémique, prise en charge du
patient
Abstract :
The telemedicine develops actually very quickly because she brings answers to some public
health needs, in particular to the continuity of care. While plenty of projects are born, it is very
important to integrate a risk management by a systemic approach from their elaboration to
anticipate every risk for all the telemedicine actors and so perpetuate the functioning of this
new medical practice.
Introduction
De tout temps le système de soins français a régulièrement évolué. Cependant, depuis
quelques années, on assiste à une réelle mutation qui impacte profondément les pratiques
médicales.
La médecine doit faire face à de nombreux problèmes.
En effet, la démographie médicale est en chute selon les données d’une étude1 réalisée sur
l’année 2010 par le Conseil National de l’Ordre des Médecins. Parmi les 264 466 médecins
inscrits à l’Ordre au 1er janvier 2011, 216 145 sont actifs et 48 321 sont retraités.
Un nombre important de départs à la retraite dans les quinze prochaines années est à
prévoir du fait de l’âge moyen des praticiens en exercice, évalué à 51 ans.
De plus, vient s’ajouter à ce phénomène, une disparité de l’implantation médicale en France,
les zones rurales se révélant les plus démunies.
Par ailleurs, le vieillissement de la population française entraîne une hausse du nombre de
maladies chroniques2 (15 millions de personnes atteintes avec une augmentation de 60% en
dix ans) telles que le diabète, l’insuffisance cardiaque, …
1
er
Dr LEGMANN Michel, Atlas de la démographie médicale en France, Conseil National de l’Ordre des Médecins, 01 janvier
2011, http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/Atlas2011.pdf?download=1, consulté en juin 2011
Face à ces différents problèmes, et dans le but d’assurer la continuité des soins et l’égalité
des chances par rapport à une pathologie, quelque soit le lieu de résidence du patient, la
télémédecine est un moyen de contribuer à l’amélioration de la prise en charge de la
population.
La télémédecine est une pratique novatrice qui doit intégrer une gestion des risques dès la
mise en place du projet, en intégrant l’ensemble des acteurs dans la réflexion; cela dans le
but d’assurer une réussite du projet mais surtout de conserver une prise en charge du
patient identique à une pratique traditionnelle de la médecine.
Nous définirons dans un premier temps la télémédecine et ses différents champs d’action.
Puis, nous aborderons la notion d’intégration d’une gestion des risques dans la pratique
médicale. Enfin, nous appliquerons cette gestion des risques à trois domaines représentatifs
de la télémédecine en Aquitaine afin d’en apprécier, au travers des résultats, les points forts
et les lacunes à combler.
I.
La télémédecine
La télémédecine permet de réaliser des actes médicaux à distance dans le strict respect des
règles de déontologie.
Cette pratique médicale fait intervenir les Technologies de l’Information et de la
Communication (TIC santé) dans le but d’optimiser la qualité des soins prodigués et
d’apporter une réponse adaptée quelle que soit la situation géographique du patient.
Elle englobe quatre grands domaines que sont la téléconsultation, la téléexpertise, la téléassistance et la télésurveillance.
Dénomination
de l’acte
Téléconsultation
Personnes présentes sur le lieu
d’exercice
Sur place
A distance
Moment de la
réalisation de
l’activité
Patient et
professionnel de
santé
Professionnel
médical
En direct
Professionnel
médical
Professionnel
médical
En direct
Patient et
éventuellement
professionnel de
santé
Professionnel
médical
En direct
Patient et
professionnel de
santé
Professionnel
médical
Téléexpertise
Téléassistance
Télésurveillance
2
Eventuellement
en différé
Activité réalisée
Consultation
d’un
professionnel
médical
Avis d’expert
pour diagnostic
ou traitement
thérapeutique
Aide d’expert
pour
accomplissement
de l’acte médical
Interprétation
données
cliniques,
radiologiques,
biologiques
SIMON Pierre et ACKER Dominique, « Rapport : La place de la télémédecine dans l’organisation des soins », Ministère de la
santé et des sports, Novembre 2008,
Bénéfices apportés/attendus
La télémédecine est une solution qui permet de remédier à une démographie médicale
fragile tout en faisant face à une population française vieillissante, de plus en plus touchée
par les maladies chroniques (environ 18 millions de personnes).
Cette pratique est un moyen particulièrement utile d’optimiser la qualité des soins par une
rapidité des échanges médicaux et surtout de bénéficier de l’expertise des meilleurs
praticiens lorsque cela est nécessaire.
La télémédecine est tout particulièrement adaptée à la gestion de la permanence des soins
et permet de minimiser les risques pour les patients, par une prise en charge rapide. Le
patient conserve donc une égalité des chances face à une pathologie.
II. L’intégration de la gestion des risques en télémédecine
En France, la gestion des risques s’est imposée dans le système de santé suite à une crise
sanitaire de grande envergure dans les années 1980 : l’affaire du sang contaminé.
Ce drame est la conséquence d’une accumulation de défaillances dans le circuit de la
transfusion sanguine, l’une des principales étant certainement liée à des enjeux financiers.
Ainsi, le système de santé doit prendre en compte les nombreux enjeux et risques liés à une
diversité de défaillances possibles, avec des sources aussi bien internes qu’externes.
L’analyse de risques
C’est un ensemble de méthodes permettant d’identifier les causes du risque, de l’évaluer en
déterminant son niveau de criticité et de le maîtriser en mettant en place des actions
correctives et préventives afin qu’il ne se reproduise pas.
Il existe deux types de méthodes d’analyse de risques, les préventives et les déductives.
Les méthodes déductives utilisent des arbres de causes (arbres des défaillances, arbres des
défauts,..) qui partent du problème pour remonter à la cause.
Les méthodes préventives permettent à partir d’un risque redouté de mettre en évidence les
défaillances et tous les effets possibles.
Dans le cadre de cette étude, c’est une méthode préventive qui sera utilisée pour les projets
de télémédecine : l’analyse de risques selon l’AMDEC (Analyse des Modes de Défaillance,
de leurs Effets et de leur Criticité).
La pérennité de la télémédecine peut être assurée en prévenant les risques inhérents à son
développement et à sa mise en place.
C’est à ce titre qu’il peut être judicieux d’intégrer une gestion des risques dès l’établissement
du cahier des charges d’un projet de télémédecine et ce tout au long de son développement.
La préparation de l’analyse de risques nécessite de prendre en compte l’ensemble des
acteurs d’un projet de télémédecine, de considérer toutes leurs interactions et surtout de
conserver une vision globale et systémique afin d’anticiper de façon optimale les risques.
L’atout de cette analyse de risques est de permettre la quantification des risques selon trois
critères : la fréquence d’apparition de l’incident, la gravité et le niveau de détection de ce
dernier.
Elle se déroule selon cinq étapes :





Inventaire des risques
Identification des points critiques
Valorisation des risques
Plan d’action
Révision de la table des risques
L’analyse de risques a été réalisée selon une approche systémique qui se définit comme une
analyse globale des domaines composant la télémédecine, qui sont dans une relation de
dépendance réciproque. Cette approche permet de ne négliger aucun acteur des projets de
télémédecine.
Les risques au sein de la méthode AMDEC sont quantifiés selon leur fréquence d’apparition
(F), leur gravité (G) et leur niveau de détection (D) possible.
Le produit de ces trois facteurs nous donne alors l’Indice de Criticité (IC) d’un risque qui sera
la variable analysée.
IC= G*F*D3
III. L’application d’une gestion des risques aux différents champs de télémédecine
Dans le cadre de la gestion des risques dans la prise en charge du patient en télémédecine,
huit classes de risques ont été actuellement identifiées selon une approche systémique.
Il est important de préciser que ces travaux sont réalisés dans le but de recenser, de
valoriser et de mettre en évidence le niveau de l’intégration de la gestion des risques dans la
prise en charge du patient en télémédecine au sein de trois spécialités médicales
aquitaines : la télécardiologie, la télédialyse et la téléradiologie.
Synthèse des résultats
Les résultats recueillis lors de l’étape de valorisation des risques identifiés, en collaboration
avec les professionnels de santé, sont représentés sous forme de radars afin de visualiser
les domaines de risques prédominants.
Cependant, cette représentation ne permet qu’une visualisation rapide des domaines
présentant une faiblesse en termes de gestion des risques inhérents à chaque spécialité
médicale explorée. Les représentations ci-après offrent la possibilité d’observer le niveau
minimal et maximal des indices de criticité (IC) par domaine de risque.
Une échelle permet de déterminer le niveau d’importance d’un risque dans la pratique de la
télémédecine :
 IC de 1 à 9 : considéré comme Peu critique (PC) sans impact sur les conditions de
pratique de l’acte de télémédecine. Il ne provoque pas de risque(s) pour le patient.
 IC de 12 à 18 : considéré comme Critique (C) avec une gravité de l’impact sur les
conditions de pratique de l’acte de télémédecine pouvant occasionner un/des
risque(s) limité(s) pour le patient.
3
RIDOUX Michel, « AMDEC-Moyen », consulté en juillet 2011,
http://ingemeca.org/catalogues/donn%E9es%20techniques%20et%20cours/manuel%20de%20l%27ing%E9nieur/Amdec.pd
f
 IC de 24 à 64 : considéré comme Très critique (TC) avec un impact grave sur les
conditions de pratique de l’acte de télémédecine, susceptible d’entraîner un/des
fort(s) risque(s) pour le patient.
Par ailleurs, les défaillances potentielles par domaines de risques sont les mêmes pour les
trois spécialités étudiées.
A titre d’exemple et par ordre d’importance, les domaines présentant le niveau le plus élevé
de risques et par conséquent le niveau le plus faible d’intégration d’une gestion des risques
par spécialité étudiée sont les suivants:
 Le patient : avec un IC minimal de 24 et maximal de 32, ce domaine est considéré
comme très critique. Nous retrouvons, dans cette catégorie, des défaillances
potentielles liés à l’éducation, la sélection et la participation du patient à l’acte.
 L’élaboration du projet de télémédecine : avec un IC minimal de 2 et maximal de
32, il présente, lui aussi, de forts risques dans la prise en charge du patient. Cette
catégorie recouvre des défaillances potentielles liées à la définition du projet, à
l’investissement humain/financier et à la prise en compte de l’interopérabilité des
systèmes informatisés.
 Les Technologies de l’Information et des Communications en santé : avec un IC
minimal de 4 et maximal de 27, il présente une approche de gestion des risques
similaire au domaine concernant le projet de télémédecine.
Les défaillances potentielles dans cette catégorie intègrent les risques attachés aux
pannes de matériels, à la sécurisation et la traçabilité des données du patient.
 Le praticien : avec un IC minimal de 12 et maximal de 32. Il laisse entrevoir une
faiblesse sur le plan de la formation et de l’organisation de la pratique médicale vis-àvis du professionnel de santé.
 La clarté déontologique/juridique : avec un IC minimal de 16 et maximal de 32. Ce
domaine présente un risque majeur concernant la substitution de l’acte traditionnel
par l’acte de télémédecine, avec une intégration de la gestion des risques mineure.
 Le praticien : avec un IC minimal de 12 et maximal de 27, montrant un risque
important lié à des défaillances potentielles concernant la formation et le respect du
protocole/projet validé par l’Agence régionale de Santé. La gestion des risques reste
mineure.
 L’information/consentement du patient : avec un IC minimal de 12 et maximal de
27, soulignant une faiblesse dans la gestion du consentement lié à l’acte de
télémédecine ainsi qu’à l’archivage des données du patient sur support informatique.
 Les Technologies de l’Information et des Communications en santé : avec un IC
minimal de 4 et maximal de 24, témoignant d’un risque potentiel important dans le
cadre de la sécurisation des données du patient.
Remarque : le patient n’étant pas acteur de sa prise en charge en téléradiologie, aucun
risque n’a été répertorié. C’est pour cette raison que sur la représentation « radar » la
catégorie risque lié au « patient » est à 0.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’un IC minimal bas (entre 1 et 9) est le reflet d’une prise
en compte des risques dans le projet de télémédecine, alors qu’un IC élevé (entre 24 et 64)
démontre un niveau d’intégration d’une gestion des risques faible ou nul.
Un IC compris entre 12 et 18 indique un niveau de prise en compte partielle des défaillances
potentielles avec des améliorations à apporter.
Conclusion
Des risques importants ont été identifiés pendant la période d’observation. Ils sont
principalement liés à l’éducation du patient lorsque ce dernier est acteur dans sa prise en
charge. Est également ressortie la nécessité d’un approfondissement de la formation du
personnel médical sur le plan de la pratique, de l’utilisation et de la connaissance des
technologies, et sur celui des aspects juridiques relatifs à l’acte de télémédecine.
Néanmoins, les défaillances majeures identifiées en collaboration avec les différents acteurs
de la télémédecine, et qui pourraient conduire à l’échec ou à l’abandon d’un projet sont
principalement liées aux étapes de l’élaboration, de l’investissement humain et financier.
Concernant l’élaboration du projet de télémédecine, il a été mis en évidence qu’une
mauvaise définition initiale du projet pourrait avoir de graves répercussions sur le bon
fonctionnement de cet outil.
Par ailleurs, sur le plan de l’investissement humain et financier, il a été observé qu’il est
important d’avoir une forte implication des acteurs à tous les niveaux du projet et ce, de
façon durable.
Ainsi, l’accompagnement humain et financier des instances régionales (Conseil Régional,
ARS, CPAM,…) est identifié comme l’un des facteurs de réussite. Ce dernier concerne
notamment le financement des projets ou encore la reconnaissance des actes et leur
tarification.
Cette thèse professionnelle aura permis un premier état des lieux ciblé. Si nous devions
apporter une réponse à la problématique initiale de l’intégration de la gestion des risques
dans la prise en charge du patient en télémédecine, nous pourrions en conclure qu’à ce jour
et sur les trois spécialités médicales étudiées, l’intégration de la gestion des risques en est à
ses débuts. Cela est certainement lié à une méconnaissance de cette discipline par les
professionnels de santé qui sont naturellement centrés sur les aspects médicaux de leur
pratique.
La mise en œuvre d’une gestion des risques dans les différents projets de télémédecine
permet d’anticiper et de corriger les potentielles défaillances du système.
Les entretiens réalisés nous ont aussi montré que l’implication des équipes médicales était
un facteur majeur de réussite d’une démarche de gestion des risques.
En conclusion, l’intégration de la gestion des risques tout au long d’un projet de
télémédecine sera l’un des principaux leviers qui favorisera le succès de cette nouvelle
pratique médicale. D’autres éléments seront aussi nécessaires et bénéfiques pour un
développement harmonieux de cette activité. L’on notera tout d’abord, qu’une véritable
normalisation ou certification de la télémédecine par les autorités de santé françaises est
attendue afin d’encadrer, d’accompagner les projets et de garantir le respect d’un certain
nombre de critères qualitatifs. Outre ces dispositions, il semble que l’éducation du patient
ainsi que l’élaboration d’un réel modèle médico-économique seront l’un des facteurs de
réussite de la télémédecine.
Dans un contexte de forte innovation technologique, les diverses dispositions évoquées
(gestion des risques, certification, éducation du patient,…) seront les axes complémentaires
d’une véritable démarche qualité, en favorisant les bonnes pratiques, l’appropriation par les
acteurs (professionnels et patients) et plus globalement, le succès des projets de
télémédecine.
Références
AUTEURS
LEGMANN Michel, Atlas de la démographie médicale en France, Conseil National de l’Ordre
des Médecins, 01er janvier 2011, http://www.conseilnational.medecin.fr/system/files/Atlas2011.pdf?download=1
BERNEZ Loïc, Thèse de médecine, « Télémédecine en néphrologie, dialyse et
transplantation rénale : Historique et perspective », 08 décembre 2009,
http://www.scd.uhp-nancy.fr/docnum/SCDMED_T_2009_BERNEZ_LOIC.pdf
SIMON Pierre, Les enjeux et développement de la télémédecine, juin 2010,
http://esante.gouv.fr/pointsdevue/pierre-simon-les-enjeux-et-developpement-de-latelemedecine
MAILLARD Eric, « Présentation AMDEC et AEEL », http://web-serv.univangers.fr/docs/etudquassi/AMDEC.pdf
RIDOUX Michel, « AMDEC-Moyen »,
http://ingemeca.org/catalogues/donn%E9es%20techniques%20et%20cours/manuel%20de%
20l%27ing%E9nieur/Amdec.pdf
SIMON Pierre, La télémédecine dans la prise en charge de l’IRCT, Rencontres qualité
efficience
ARTICLES, LOIS, ORDONNANCES ET RAPPORTS
Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine, Code de la santé publique
THILL Geoffroy, Télésanté et télémédecine en Norvège, décembre 2010, Ambassade de
France en Norvège,
http://docmmont.files.wordpress.com/2010/12/tlsant-et-tlmedecine-en-norvge.pdf
Rapport d’étude Ministère de l’écologie et du développement durable, « Formalisation du
savoir et des outils dans le domaine des risques majeurs »
SIMON Pierre et ACKER Dominique, « Rapport : La place de la télémédecine dans
l’organisation des soins », Ministère de la santé et des sports, Novembre 2008
SITES INTERNET
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2009-12/guide_pratique_dm.pdf
http://www.santeos.com/files/livre_blanc_telemedecine_2020.pdf
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_Telemedecine.pdf
http://qualite-securite-soins.fr/se-documenter/sur-la-qualite-et-la-gestion-des-risques/
http://www.who.int/violence_injury_prevention/publications/world_report/statistical_annex_fr.
pdf
http://www.agence-biomedecine.fr/uploads/document/Atlas_Aquitaine2009.pdf
Téléchargement