Les maladies de l’individu
1. UNE SOCIOLOGIE
DU «MALAISE SOCIAL »
Ce livre est un véritable travail
d’anthropologie qui prolonge les
réflexions menées sur l’individualisme
dans les ouvrages précédents. Il pro-
pose une enquête sur le statut social de
la souffrance psychique à partir d’une
comparaison entre les traitements res-
pectifs qu’en proposent deux pays, la
France et les États-Unis. Renouant
avec l’affirmation selon laquelle il
n’existe de bonne anthropologie que
celle qui se donne pour objet une
société particulière et non la société en
général, Ehrenberg veut comprendre le
sens que revêtent les pathologies men-
tales en France et aux États-Unis, et
plus précisément la portée respective
des différentes formulations des
plaintes individuelles. Une telle
enquête vise à montrer que le discours
de la souffrance psychique et sociale,
fortement présent en France, en lien
avec une analyse de la souffrance au
travail, ne saurait être universalisé
sans risque. Le couple souffrance/santé
mentale caractérise la société française
mais na pas cours de lautre côté de
l’Atlantique où le sens des pathologies
admet une tout autre grammaire. La
leçon de cette anthropologie comparée
porte sur l’articulation de l’individuel,
du social et du national. Un individu
ne peut s’extirper de la scène sociale
sur laquelle il apparaît mais celle-ci ne
saurait davantage se détacher de la
forme nationale qui la caractérise. Il en
résulte un préambule méthodologique
essentiel : plutôt que de partir de l’in-
dividu et le considérer in abstracto, il
faut rendre compte des manières dont
une société particulière fait l’individu.
Il doit s’agir ainsi de réaliser non une
« sociologie individualiste » mais bien
une « sociologie de l’individualisme »
(p. 13 sqq.). Cette distinction est déci-
sive car la « sociologie individualiste »
envisage un individu replié sur sa
seule autonomie alors qu’il revient à la
sociologie de l’individualisme de com-
prendre tout à la fois les raisons de
l’illusion de la sociologie individualiste
et les raisons sociales pour lesquelles
une certaine façon de faire société pro-
duit un mode d’individu.
Nécessité de la comparaison
Alain Ehrenberg entend ici pour-
suivre et amplifier l’analyse de Mar-
cel Mauss qui a souligné « le caractère
social de la subjectivité » (p. 17) en
révélant que les rituels de deuil, les
larmes, les cris, les sentiments doivent
leur existence à des formes d’expres-
sion collective qui sont adressées à
d’autres sujets. Transféré sur le plan de
la question mentale, il faut alors com-
prendre le domaine de la santé men-
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COUP DE SONDE
À propos de…
1• Alain Ehrenberg, la Société du malaise, Paris, Odile Jacob, 2010, 440 p.,
23,90 .
2• Pierre-Henri Castel, l’Esprit malade. Cerveaux, folies, individus, Paris,
Ithaque, coll. « Philosophie, anthropologie, psychologie », 2009, 352 p., 25 .
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