20-reperes-juillet-2010:Mise en page 1 24/06/10 15:18 Page 221 COUP DE SONDE du social et du national. Un individu ne peut s’extirper de la scène sociale sur laquelle il apparaît mais celle-ci ne saurait davantage se détacher de la forme nationale qui la caractérise. Il en résulte un préambule méthodologique essentiel : plutôt que de partir de l’individu et le considérer in abstracto, il faut rendre compte des manières dont une société particulière fait l’individu. Il doit s’agir ainsi de réaliser non une « sociologie individualiste » mais bien une « sociologie de l’individualisme » (p. 13 sqq.). Cette distinction est décisive car la « sociologie individualiste » envisage un individu replié sur sa seule autonomie alors qu’il revient à la sociologie de l’individualisme de comprendre tout à la fois les raisons de l’illusion de la sociologie individualiste et les raisons sociales pour lesquelles une certaine façon de faire société produit un mode d’individu. Les maladies de l’individu 1. UNE SOCIOLOGIE « MALAISE SOCIAL » DU Ce livre est un véritable travail d’anthropologie qui prolonge les réflexions menées sur l’individualisme dans les ouvrages précédents. Il propose une enquête sur le statut social de la souffrance psychique à partir d’une comparaison entre les traitements respectifs qu’en proposent deux pays, la France et les États-Unis. Renouant avec l’affirmation selon laquelle il n’existe de bonne anthropologie que celle qui se donne pour objet une société particulière et non la société en général, Ehrenberg veut comprendre le sens que revêtent les pathologies mentales en France et aux États-Unis, et plus précisément la portée respective des différentes formulations des plaintes individuelles. Une telle enquête vise à montrer que le discours de la souffrance psychique et sociale, fortement présent en France, en lien avec une analyse de la souffrance au travail, ne saurait être universalisé sans risque. Le couple souffrance/santé mentale caractérise la société française mais n’a pas cours de l’autre côté de l’Atlantique où le sens des pathologies admet une tout autre grammaire. La leçon de cette anthropologie comparée porte sur l’articulation de l’individuel, Nécessité de la comparaison Alain Ehrenberg entend ici poursuivre et amplifier l’analyse de Marcel Mauss qui a souligné « le caractère social de la subjectivité » (p. 17) en révélant que les rituels de deuil, les larmes, les cris, les sentiments doivent leur existence à des formes d’expression collective qui sont adressées à d’autres sujets. Transféré sur le plan de la question mentale, il faut alors comprendre le domaine de la santé men- À propos de… 1• Alain Ehrenberg, la Société du malaise, Paris, Odile Jacob, 2010, 440 p., 23,90 €. 2• Pierre-Henri Castel, l’Esprit malade. Cerveaux, folies, individus, Paris, Ithaque, coll. « Philosophie, anthropologie, psychologie », 2009, 352 p., 25 €. 221