Jean-Paul Goffinon - John Adams et le traité de Paris de 1783 - Juillet / Août 2001
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universelle. Alors que les négociateurs américains avaient reçu du Congrès l’ordre de ne rien
faire sans consulter leur puissant allié, ils passent outre à ces instructions infâmes et
obtiennent seuls un excellent traité préliminaire le 30 novembre 1782. Ils tiendront à signer
séparément le traité définitif du 3 septembre 1783, sans la France ni l’Espagne.
2. Le théoricien et l’acteur des passions: John Adams insiste sans cesse sur le fait que sa
science politique est une science de l’homme et que l’homme est dominé par ses passions. La
science politique est donc la science des passions, qui permet l’action politique et la
compréhension de l’Histoire. Les passions peuvent être ramenées à une matrice qu’il appelle
la passion de la distinction (de se distinguer), dont les modalités sont l’émulation, l’ambition, la
jalousie, l’envie, la vanité et le désir de reconnaissance et d’immortalité qui anime ceux dont la
devise est spectemur agendo (formule admirée par Hannah Arendt). Une réflexion sur les
passions est normale pour un anglo-saxon des Lumières. Ce qu’il y a de particulier chez lui,
c’est que son action politique mais aussi l’élaboration même de sa théorie anthropologico-
politique sont destinées à lui gagner cette reconnaissance immortelle: les grands dirigeants
comme lui sont eux-mêmes mus par les passions plus que par la raison. Adams est en effet
un homme dévoré par les passions sur lesquelles il réfléchit. Cela aide à comprendre
plusieurs choses, à commencer par son peu de considération pour Vergennes, qui, à ses
yeux, favorise l’Espagne dans l’espoir d’être fait Grand d’Espagne.
3. Une envie maladive à l’égard de Franklin. Selon Adams, Franklin est un vieux débauché
qui n’accomplit pas sa tâche parce qu’il ne s’est que trop bien acclimaté à un milieu frivole et
corrompu (ce qui ne l’empêche pas d’apprécier les mots d’esprit: Adams note que, Franklin se
plaignant que sa favorite le quitte pour épouser le comte de Clermont-Tonnerre, une petite
marquise lui rétorque que ses paratonnerres n’ont donc servi à rien). Quel que soit le bien-
fondé des critiques d’Adams, il est clair que Franklin, beaucoup plus connu que lui, le privant
de la forme la plus haute de la passion de la distinction, il éprouve à son égard la forme la plus
basse: l’envie, qui le ronge jusqu’à la perte de connaissance (Shaw). Il s’agit en plus d’une
envie recuite car c’est dès 1778 qu’Adams, se trouvant à Paris avec Franklin, se sent
complètement éclipsé, notamment lors d’une séance à l’Académie des sciences où il assiste
aux embrassades de Sophocle et Solon (entendez Voltaire et Franklin). Franklin, conscient de
cela, écrira que John Adams, quels que soient ses mérites, lui a paru quelquefois completely
out of his minds. L’ambiance au sein de la délégation américaine est donc exécrable.
4. Un maniaque de la trinité: le jeu des passions se joue à trois, selon le schéma suivant: A
étant l’objet du désir de B déclenche le désir de C. C’est ainsi que l’imitation devient émulation
puis rivalité. Mais le remède est aussi « trinitaire »: la constitution mixte des Anciens, devenue
le King, Lords, Commons des Anglais puis les checks and balances américains permet un
équilibre alors qu’un affrontement bipolaire conduit à la guerre civile.