Le 20 août, Elie Wiesel fut témoin du bombardement
par les Américains de l’usine chimique d’I.G. Farben, près
de Monowitz-Buna, la partie du complexe d’Auschwitz
dans laquelle son père Shlomo et lui-même avaient été
envoyés travailler. Accompagnés par des avions de chasse
Mustang, 127 bombardiers américains lâchèrent 1 336
bombes de plus de 200 kilogrammes sur l’usine. À moins
de cinq kilomètres de distance, le camp d’extermination
d’Auschwitz-Birkenau ne fut pas touché. Après la guerre,
l’analyse des photographies aériennes prises lors du raid
du 13 septembre contre I. G. Farben indique que 65
wagons se trouvaient sur les rails de Birkenau et qu’une
file de gens – peut-être 1 500 – semblaient se diriger vers
les chambres à gaz.
La controverse demeure sur la question de savoir si les Alliés auraient dû bom-
barder Auschwitz ou les voies ferrées menant à ce camp d’extermination. L’histo-
rien David Wyman affirme que, dès le mois de mai 1944, l’armée de l’air des
États-Unis aurait pu bombarder Auschwitz et les voies ferrées y conduisant. Ce fut
d’ailleurs demandé tout au long de l’année 1944. Le porte-parole du ministère
de la Guerre des États-Unis, le secrétaire adjoint à la guerre John J. McCloy,
déclara le 14 août qu’« après enquête, il devenait évident qu’une telle opération ne
pourrait être exécutée qu’en détournant un soutien aérien considérable, indis-
pensable au succès de nos forces aujourd’hui engagées ailleurs dans des opérations
décisives et serait de toute façon d’une efficacité si incertaine qu’elle ne justifierait
pas l’utilisation de nos ressources. L’opinion est largement partagée qu’une telle
opération, en admettant qu’elle soit réalisable, risquerait de provoquer une action
plus vindicative de la part des Allemands. »
Auschwitz-Birkenau ne fut pas bombardé. Moins de deux semaines
après la déclaration de McCloy, les Alliés libéraient Paris, mais pas avant
que les nazis aient effectué une descente dans des homes d’enfants juifs
dans la région parisienne et déporté 250 garçons et filles à Auschwitz. Les
3 et 4 septembre, les Alliés libérèrent les villes belges de Bruxelles et
Anvers. Entre-temps, les Frank étaient en route pour Auschwitz.
Tandis que le convoi transportant la famille Frank se dirigeait vers l’est, envi-
ron 200 000 Juifs hongrois demeuraient à Budapest. Le 15 octobre, peu après
la répression, le 7 octobre, d’une révolte de prisonniers d’Auschwitz-Birkenau
par les SS, les Croix fléchées (un parti fasciste hongrois fanatiquement antisé-
mite qui bénéficiait du soutien allemand) firent régner la terreur parmi les
Juifs de Budapest. Les opérations de gazage à Auschwitz ralentissaient, mais, à
l’automne 1944, le travail forcé, les marches de la mort et les tirs au hasard
coûtèrent la vie à plusieurs dizaines de milliers de Juifs de Budapest. Des mil-
liers d’autres furent massacrés sur les rives du Danube par les Croix fléchées
qui jetèrent ensuite les corps dans le fleuve. Le diplomate suédois Raoul Wal-
lenberg utilisa des « passeports de protection » et des maisons protégées pour
sauver des milliers de Juifs de Budapest. Lorsque les forces soviétiques libérè-
rent la ville, début 1945, 120 000 Juifs étaient encore en vie.
Dans son journal, aujourd’hui célèbre, Anne Frank nota, le 15 juillet 1944
qu’elle « compatissait à la douleur de millions de gens. Et pourtant, poursuivait-
elle, quand je regarde le ciel, je pense que ça changera et que tout redeviendra
bon, que même ces jours impitoyables prendront fin, que le monde connaîtra
de nouveau l’ordre, le repos et la paix. » La fin de la Shoah était effectivement
proche, mais elle ne survint pas en 1944. Cette année-là, plus de 600 000 Juifs
européens périrent. 507
Les Alliés bombardèrent
d’innombrables cibles dans
l’Europe occupée, mais furent criti-
qués pour n’avoir pas bombardé
Auschwitz.
André Trocmé, pasteur du village
du Chambon-sur-Lignon, donna
refuge à plusieurs centaines de Juifs
en quête de sécurité.