Revue Internationale de Psychosociologie et de gestion des Comp. Organisationnels, n°51, print 15
22
parodiant le philosophe Martin Heidegger (« La question de la technique »), nous
pouvons en effet affirmer que « l’essence du management n’est pas le
management ». C’est ici que la philosophie entre en scène et offre ses inestimables
services, comme méthode d’interrogation du management et cheminement (en grec :
meta odos, c’est-à-dire méthode) vers son essence.
Afin de se défaire de ce réflexe visant à questionner le management à partir de lui-
même, et de sortir de l’ornière de l’impossible fondation autoréférentielle, le texte
débute par la présentation des pratiques de GRH dans des organisations
singulières et extrêmes : la nébuleuse réticulaire Al-Qaïda et les camps nazis.
Pourquoi ce choix que d’aucuns jugeront déplacé, provocateur voire insensé ? La
confrontation du chercheur en sciences de gestion à la réalité organisationnelle et
managériale des terroristes et des nazis assure, pour peu qu’il fasse fi des lieux
communs – notamment moraux – de la discipline, une autre perspective sur
l’essence des organisations. C’est ainsi qu’en partant de ces cas particuliers, et en
nous appuyant sur les travaux du philosophe Giorgio Agamben, nous proposerons
une définition du management comme gouvernement de l’exception permanente
puis illustrerons cette thèse en la mettant en lien avec des pratiques actuelles de
management et de GRH.
Des techniques de recrutement pour organisations terroristes…
Mathieu Guigère, agrégé d’arabe et directeur de
recherches à l’École spéciale militaire de Saint-
Cyr, et Nicole Morgan, philosophe et professeur
au Collège militaire royal du Canada, ont mené
une enquête sur les principaux sites Web
jihadistes et ont réalisé qu’un certain nombre de
documents étaient recommandés aux candidats
désireux de rejoindre les rangs d’Al-Qaïda. Ce
sont précisément une sélection de ces « épîtres »
qui forment le contenu de leur ouvrage Le manuel
de recrutement d’Al-Qaïda paru en 2007. Les
quatre premiers textes s’adressent à l’ensemble
des candidats, alors que les trois suivants se
concentrent sur une cible bien particulière :
femmes, étudiants et kamikazes. Nous y
apprenons en outre que les recruteurs de
l’organisation réticulaire terroriste pratiquent une segmentation du marché des
recrues qu’ils classent en trois groupes : les « exaltés » à la recherche d’aventure, les
« fugitifs » dont les aspirations existentielles sont déçues par la réalité, et les
« transfuges » ayant déjà expérimentés en vain d’autres modes de contestation.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lorraine - - 193.50.135.4 - 29/05/2015 14h08. © ESKA
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lorraine - - 193.50.135.4 - 29/05/2015 14h08. © ESKA