Atelier E 05 / Les regards extérieurs sur le chamanisme
Rejet du chamanisme et revendication d’orthodoxie dans le bouddhisme contemporain en
Corée du sud / Florence Galmiche / 3
Un contexte de continuum religieux ?
Cette forme de dévotion en vue de favoriser l'issue d'une situation s'inscrit pour une
part importante dans le rôle rituel traditionnellement occupé par les femmes au sein de la
famille et de la société. Dès les premiers travaux folkloriques et anthropologiques sur la
Corée, le caractère central des cérémonies d'offrandes aux ancêtres (chesa) dans la
reproduction des lignages familiaux a été abondamment analysé. Ces rites incombent aux
hommes et placent la lignée agnatique au centre de la structure familiale et des relations
intergénérationnelles. Cependant, ainsi que l'a montré Lauren Kendall2 dans son étude sur les
femmes dans la vie rituelle coréenne (dans les années 1970), ainsi que Roger L. Janelli et Yim
Dawnhee3 à partir de leur approche ethnographique des cérémonies aux ancêtres (dans les
années 1970 également), les rites se réclamant du confucianisme n'englobent qu'une partie de
la vie rituelle familiale et sont traditionnellement dans une relation d'étroite complémentarité
avec des pratiques relevant des cultes populaires, du chamanisme et du bouddhisme,
généralement effectuées par les femmes de la famille. Prier, attirer la chance sur la famille, se
rendre dans un temple bouddhique ou solliciter une chamane (mudang) en vue de protéger et
d'améliorer la vie quotidienne et le statut de la famille font partie des responsabilités
traditionnelles d'une maîtresse de maison. S'élevant contre l'idée que les activités rituelles des
femmes ne seraient qu'une pratique marginale, dominée ou cathartique, ces anthropologues
soulignent au contraire leur place à part entière dans la vie religieuse et l'organisation
familiales.
Dans le cadre de cette responsabilité rituelle des maîtresses de maison, le bouddhisme
a été et demeure l'un des recours possibles au sein d'un répertoire religieux plus vaste. Au
sujet de la Corée de la fin du dix-neuvième et de la première moitié du vingtième siècle, le
folkloriste japonais Akiba Takashi décrit qu'en cas de difficultés pour concevoir un enfant
mâle, si les rites domestiques ne suffisaient pas à résoudre le problème, de nombreuses
femmes allaient implorer le Bouddha ou d'autres entités du panthéon bouddhique4. Au sein
des pratiques rituelles des femmes dans la Corée rurale des années 1960 à 1970, peu ou pas de
frontières existaient entre bouddhisme, chamanisme et cultes populaires. Cette continuité est
régulièrement soulignée par les anthropologues. En particulier, Alexandre Guillemoz note à
plusieurs reprises la proximité entre le bouddhisme et les cultes populaires familiaux et
villageois (dans les années 1970) et remarque que le bouddhisme « n'est pas perçu comme
une religion étrangère aux croyances populaires, mais dans leur continuité5 ». Laurel Kendall
procède elle aussi à plusieurs constatations similaires concernant les relations entre
chamanisme et bouddhisme :
« The women of Enduring Pine Village themselves consider seasonal offerings at the mansin’s
shrine and seasonal offerings at the Buddhist temple analogous practices. (…) The Christians
stand outside the folk religious system, but shamanism and Buddhism blur. From the
perspective of women worshipers, shrine and temple do not represent discrete religions, but
rather the different traditions of separate households6. »
2 Kendall Laurel, Shamans, Housewives, and Other Restless Spirits. Women in Korean Ritual Life,
Honolulu: Hawaii University Press, 1985, pp. 139-140, 149-150, 178.
3 Janelli Roger and Yim Dawnhee, Ancestor Worship and Korean Society, Stanford: Stanford
University Press, 1982, p. 151.
4 Akiba Takashi, “A Study of Korean Folkways,” Folklore Studies 16 (1957), pp. 79-88.
5 Guillemoz Alexandre, Les Algues, les anciens, les dieux: la vie et la religion d’un village de
pêcheurs-agriculteurs coréens, Le Léopard d'or, 1983, p. 212.
6 Kendall, op. cit., p. 83-84.