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Jurisdoctoria
9, 2013
Revue Jurisdoctoria :
Présentation du neuvième numéro consacré aux
Régulations
GENEVIÈVE KOUBI
Parrain du Numéro
Professeur à lUniversité Paris VIII – Saint-Denis, membre du CERSA-CNRS UMR 7106
égulations. Tel est le thème du numéro neuf de la revue
Jurisdoctoria
, revue
de droit public comparé et de théorie juridique entièrement consacrée à
la jeune recherche.
La coïncidence élaborée entre la jeune recherche et les jeunes chercheurs peut
être source de questionnements, lesquels permettraient de repenser la notion de
recherche, de recherche scientifique et de recherche universitaire1 puisque la
jeune recherche n’est pas le fait de lâge ni du statut professionnel des auteurs. Cette
problématique inviterait à sintéresser aux modes de régulation de lactivité de
recherche dans les établissements publics denseignement supérieur et dans les
organismes de recherche publique par le biais des programmes subventionnaires, des
contrats de recherche et des appels à projets. Si, dans les sphères universitaires, le
financement de la recherche, de plus en plus assujetti aux attentes des organismes et
entreprises privés, influence de manière décisive les orientations et les objets de
recherche, au moins par les appels à contributions dans les revues scientifiques
indépendantes, comme le fait régulièrement la revue
Jurisdoctoria
, quelques plages
de liberté, doriginalité, peuvent être saisies, interceptées.
Dégagés des pressions de la performance, affranchis des impératifs de la
notoriété, les participants à la jeune recherche ne sont pas sommés dêtre des
producteurs de connaissances utiles ou rentables au regard du dogme de la
compétitivité.
1 La présentation en notes de bas de page de références bibliographiques, pour nombre dentre elles non
citées par les auteurs des articles réunis sur ce thème Régulations dans le présent numéro de la revue
Jurisdoctoria
, participe de cette tentation.
R
12 Geneviève Koubi
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*
Régulations. Semparer du thème des Régulations, ici risqué au pluriel, devait-il
empêcher une interrogation sur la fonction du droit, sur sa fonction de gulation
sociale ?
Présentant le premier numéro de
Jurisdoctoria
, Étienne Picard avait rappelé
combien « le droit est pris dans cette contradiction ontologique, qui est bonne en
elle-même, de devoir régler toute question particulière, toujours plus ou moins
spécifique par rapport à dautres espèces, au moyen de ces énoncés généraux et
impersonnels que sont les règles de droit, lesquelles forment le droit en son principe
même, en conférant à ses normes stabilité, clarté, curité, égali dapplication,
tandis que la solution des cas despèce accomplit sa vocation ultime qui est de
conformer lêtre des choses au devoir-être des normes (sans compter avec cette autre
contradiction constitutive du droit, qui lui impose dêtre stable tout en s’adaptant à
des réalités changeantes) ». Il avertissait ainsi que « les règles procèdent et ne
peuvent procéder, nécessairement, que de manière abstraite et relativement
indéterminée : elles doivent précisément faire abstraction des cas particuliers, dont
les particularités, si elles devaient être seules prises en compte lorsque lon conçoit la
règle, empêcheraient de penser la généralité de celle-ci, qui doit bien si possible
subsumer tous les cas particuliers, et finalement conduirait à la formulation de règles
sans doute impropres à régler dautres cas, lorsque précisément ces derniers
n’auraient pas, quant à eux, été spécialement envisagés »2.
Dans ce numéro « neuf » consacré aux régulations, entrant de plain-pied dans
le domaine du droit économique, les spécificités sexposent. Les régulations sectorielles
accaparent le questionnement, séloignant de linterrogation sur les normes
générales, impersonnelles et abstraites. Ce ciblage retraduirait, en quelque sorte, la
difficulté de concevoir la/les régulation/s en dehors du champ économique, au
risque de démarquer la notion des structurations juridiques de lordre public.
Économique, en loccurrence3 ?
Or, dune part, ainsi que lobserve Laurent Quessette à loccasion de son
propos sur la régulation à l’épreuve du chemin de fer, la régulation pourrait être
perçue comme « un avatar du droit, un avatar certes cantonné au domaine
économique, mais qui rejoindrait la finalité première traditionnellement assignée au
droit, celle de régler la conduite sociale des individus par la recherche dun
équilibre »4 ; d’autre part, comme linternationalisation des activités surpasse la
2 E. PICARD, « Présentation du premier numéro consacré à L’accès au droit »,
Jurisdoctoria
, 1,
octobre 2008, p. 12.
3 J.-B. RACINE, « Droit économique et lois de police », RIDE, 2010, pp. 61-79.
4 L. QUESSETTE, « L’aiguillage du marché ferroviaire. La régulation à lépreuve du chemin de fer »,
Jurisdoctoria
, n° 9, janvier 2013, pp. 17 et s.
Présentation du neuvième numéro 13
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logique de sectorisation, elle clarifierait les processus dadaptation des normes
juridiques aux contextes fluctuants du marché. Ces ajustements se réalisent sans
intervention législative ou réglementaire préalable ; les régulateurs et les opérateurs,
par leurs activités et leurs actions, provoquent la révision des règles existantes et
l’édiction de règles nouvelles ; celles-ci, dune certaine manière, enregistrent la
rectification mobilisée et entérinent ses orientations5.
Amélie Beaux, dans son propos sur la régulation du marché postal en France,
enregistrant la multiplicité des acteurs dès louverture à la concurrence dun secteur,
du secteur postal plus particulièrement, observe que « la régulation est une
fonction partagée » ; à partir dune illustration binaire distinguant la
« Régulation » (R majuscule) de la « régulation » (r minuscule), elle profile la
partition : « la première renverrait non seulement au cadre législatif et réglementaire
gouvernant le secteur (directives, lois, décrets…) mais engloberait aussi, et entre
autres, lactivité de lautorité de régulation sectorielle, tandis que la seconde ne
concernerait que lactivité de cette dernière »6 plus encore, puisque « la régulation
constitue un moyen dintervention publique au profit de léconomie de marché /de
la concurrence »7.
Pour sa part, Manuel Goehrs retient que la constitution de groupements
européens de coopération territoriale (GECT) « intervient dans un contexte de
reconfiguration territoriale, corollaire de lérosion du monopole de lÉtat-nation en
matière de régulation sociale, politique, culturelle, économique » et que, de part sa
nature contractuelle, le GECT, tout en participant de la gulation économique,
relate lune des étapes dune (auto-)régulation territoriale dans lespace européen8.
Force est de constater la polyphonie de la régulation.
5 N. CHARBIT, « Les objectifs du régulateur. Entre recherche defficacité et rappel de légalité »,
in M.-A. FRISON-ROCHE (dir.), Droit et économie de la régulation, Paris, Presses de Sciences-Po, Dalloz,
Hors collection, 2004, pp. 70-73 (cité par Amélie Beaux dans son étude sur « La régulation du marché
postal en France ») et P.-A. JEANNENEY, « Le régulateur producteur de droit », in M.-A. FRISON-
ROCHE (dir.), Droit et économie de la régulation, Paris, Presses de Sciences-Po, Dalloz, Hors collection, 2004,
pp. 44-51.
6 Elle précise que la dimension retenue dans ses développements correspond à la première acception.
7 A. BEAUX, « La régulation du marché postal en France »,
Jurisdoctoria
, n° 9, janvier 2013, pp. 49 et s.
8 M. GOEHRS, « Le groupement européen de coopération territoriale (GECT), outil contractuel de
régulation territoriale »,
Jurisdoctoria
, n° 9, janvier 2013, pp. 77 et s.
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1) Régulation. Au singulier, le terme de régulation ne peut être détaché des évolutions
de la pensée politique et des transformations de la pensée juridique9. Sur tous les
terrains exploités, la notion qui y est reliée échappe à la glose définitoire.
Gérard Timsit demande sil sagit « de parler de régulation au sens de ce mot
dans lanalyse cybernétique ou systémique » ; il estime que, dans ce cas, « il
faudrait […] se référer à lensemble des mécanismes qui permettent à une
organisation de maintenir la constance dune fonction quelle aurait à assurer ». Il
poursuit en constatant lénigme intrinsèque du terme : « S’agirait-il de régulation au
sens juridique du terme ? Elle désignerait, dans ce cas, une forme de réglementation,
dont le nom en français, simplement transposé du mot anglais regulation, renverrait à
un type de normes juridiques sur la nature desquelles lon aurait à sinterroger pour
les distinguer des normes de la réglementation classique. Ou bien, cédant au
scepticisme et au découragement, et vérification faite de ce que le mot régulation ne
figure nulle part dans les dictionnaires ni les index […], faudrait-il conclure, avant
même tout commencement, que lon a affaire à un non-sujet parce que lon a
affaire à un non-concept, et quil ne peut donc y avoir de rapport ni détude sur
quelque chose qui nexiste pas. La régulation existe pourtant : vous lavez
rencontrée »10. Depuis ces observations, le mot régulation est entré dans les index des
ouvrages même s’il hésite à sintroduire dans les dictionnaires des termes
juridiques. Au singulier et non au pluriel. Cette réception célèbre ses variations et ses
incertitudes, lappellation suffisant à la démonstration. Or la régulation en elle-me
n’a pas de substance. Elle est politique, ou juridique, ou sociale, ou économique, ou
financière, ou bancaire, ou territoriale, ou internationale, etc11. Ou bien, elle est tout
à la fois politique, juridique, sociale, économique, financière, bancaire, territoriale,
internationale, etc.
Naviguant entre ces hyperboles qualifiantes, la régulation à propos de laquelle
épiloguent les juristes joue un rôle de dénominateur commun entre différentes
disciplines, les unes appartenant aux sciences sociales de la sociologie au droit en
passant par la philosophie et léconomie , les autres correspondant à lextensibilité
9 M. MIAILLE (dir.), La régulation entre droit et politique, Paris, LHarmattan, coll. Logiques juridiques, 1995,
271 p.
10 G. TIMSIT, « La régulation. La notion et le phénomène », RFAP, n° 109, 2004, pp. 5-11. Voir du même
auteur, « Les deux corps du droit. Essai sur la notion de régulation », RFAP, n° 78, 1996, pp. 375-394.
11 Dailleurs, dans les entrées du vocabulaire officiel déterminées par la Commission nationale de
terminologie et de néologie, le mot « régulation » nest relevé seul que dans le domaine des transports et est
recouvert par cette définition : « Activité daffectation et de suivi des aéronefs exercée à la direction dune
compagnie aérienne pour lensemble de sa flotte, en fonction des programmes dexploitation, en matière
de contrôle de la circulation aérienne et sur chaque plateforme aéroportuaire pour les vols qui y arrivent
ou en partent ». Dans les autres domaines, quil sagisse de biologie ou de sciences et techniques spatiales,
le mot est accompagné de qualificatif ou substantif.
Présentation du neuvième numéro 15
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du langage des sciences et des techniques. Lappropriation du terme de régulation
par lhomo juridicus12 lui permet ainsi de se positionner dans un univers qui ne se rallie
que peu au système de droit. Utilitarisme aidant, en découle lidée dun droit de la
régulation économique13.
Gérard Marcou, admettant « la notion de régulation, empruntée aux sciences
de la nature ou à la technologie (la cybernétique), puis à la science économique »,
voudrait fixer la notion en droit sans lasservir aux lois-cadres et aux réglementations
sectorielles. L’une des questions centrales que soulève la propagation dune notion de
régulation multimodale est la place à accorder au « service public », ce que tant
Laurent Quessette quAmélie Beaux ne pouvaient éluder14. Ce qui nintéressait quà
la marge Manuel Goehrs15. Considérant que « cette notion convient bien à la
description dun système global et de la fonction qui maintient et reproduit lordre
de ce système »16, Gérard Marcou sattache à démontrer que « la régulation ne
s’oppose pas au service public », ayant soutenu au préalable un module
exploratoire : « le service public est […] la composante la plus importante des
objectifs de nature non économique de la fonction de régulation »17. Il nest plus
possible de circonscrire la régulation à partir de lobjet, du secteur, de lactivité, sur
laquelle elle porte ou ne porte pas.
Selon Jacques Chevallier, « la régulation constitue […] un bon analyseur pour
suivre les transformations en cours du phénomène juridique : elle permet de rendre
compte des inflexions dans la consistance dun droit devenu pragmatique et flexible ;
elle conduit aussi à mettre en évidence léclatement des processus de production du
droit, qui provient désormais de foyers multiples. La fonction régulatrice du droit
s’en trouve cependant perturbée : la prolifération de règles, nées en de multiples
lieux et dont la portée est variable, prive le droit dune part de son efficaci ; la
régulation juridique se dilue en épousant la complexité du social. Tout le problème
est de savoir sil sagit dun mouvement durable ou si le processus de mondialisation
12 A. SUPIOT, Homo juridicus : essai sur la fondation anthropologique du droit, Paris, Seuil, coll. La couleur des
idées, 2005, 333 p.
13 M.-A. FRISON-ROCHE, « Définition du droit de la régulation économique », D., 2004, chronique
pp. 126-129.
14 L. QUESSETTE, « L’aiguillage du marché ferroviaire. La régulation à lépreuve du chemin de fer »,
op. cit. ; A. BEAUX, « La régulation du marché postal en France », op. cit.
15 M. GOEHRS, « Le groupement européen de coopération territoriale (GECT), outil contractuel de
régulation territoriale », op. cit.
16 G. MARCOU, « La notion juridique de régulation », AJDA, 7, 2006, pp. 347-353 cité par Amélie
Beaux, « La régulation du marché postal en France », op. cit.
17 G. MARCOU, « La notion juridique de régulation », ibidem, p. 351.
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